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ses preuves en main; & quand il les a, il est odieux. S'il ne les a pas, il eft calomniateur, & mérite d'être puni par la juftice quand il y en a une.

Par quel excès incompréhenfible avez-vous pu vous laiffer emporter jufqu'à taxer de déifme & d'athéifme le service charitable rendu à la mémoire d'un mort, & à la réputation d'un fils qui donne déjà les plus grandes efpérances d'être très-fupérieur à fon père dans la littérature?

Miférable aboyeur de village, vous appelez déifte & athée celui qui défend l'innocence ! & qui êtes-vous, vous qui l'outragez?

On fait que ce cloaque de turpitudes n'eft que l'écoulement du bourbier dans lequel fut plongé le poëte Jean-Baptifle Rouffeau, après l'aventure de fes couplets, pour lesquels il fut condamné au banniffement perpétuel par le châtelet, & par le parlement de Paris. Il avait été affez fou pour avouer qu'il était l'auteur des cinq premiers couplets, & affez criminel pour ofer accufer un vieux géomètre d'avoir fait les autres. Convaincu de calomnie & de fubornation de témoins, il fut juftement puni. Réfugié en Suiffe parmi les domeftiques du comte du Luc, ambassadeur de France, il y ourdit toutes ces impoftures contre Jofeph Saurin.

Il m'importe fort peu que Rouffeau foit ou ne soit pas au nombre des artistes de paroles qui ont illuftré la France; qu'il ait fait de paffables ou de très-ennuyeuses comédies, quelques odes harmonieufes, & quelquesunes de déteftables; quelques épigrammes fur la fodomie & fur la beftialité; il m'importe encore trèspeu qu'un partisan intéreffé de ces épigrammes l'appelle

le grand Rouffeau, pour le diftinguer des autres Rouffeaux. Je ne veux, dans ce petit écrit, que rendre gloire à la vérité sur des faits dont je suis parfaitement informé. Il y a deux monftres qui défolent la terre en pleine paix ; l'un eft la calomnie, & l'autre l'intolé. rance; je les combattrai jusqu'à ma mort.

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ON

LITTERAIRE S.

Na déjà dit qu'il eft ridicule de défendre sa profe & fes vers, quand ce ne font que des vers & de la profe; en fait d'ouvrages de goût il faut faire & enfuite fe taire.

Térence fe plaint, dans fes prologues, d'un vieux poëte qui fufcitait des cabales contre lui, qui tâchait d'empêcher qu'on ne jouât fes pièces, ou de les faire fiffler quand on les jouait. Térence avait tort, ou je me trompe. Il devait, comme l'a dit Céfar, (*) joindre plus de chaleur & plus de comique au naturel charmant & à l'élégance de fes ouvrages. C'était la meilleure façon de répondre à fon adversaire.

Corneille difait de fes critiques: S'ils me difent pois, je leur répondrai fèves. En conféquence il fit contre le modefte Scudéri ce rondeau un peu immodefte.

Qu'il faffe mieux ce jeune jouvencel,

A qui le ciel donne tant de martel,
Que d'entaffer injure fur injure,
Rimer de rage une lourde imposture,
Et fe cacher ainfi qu'un criminel.
Chacun connaît fon jaloux naturel,

(*) Tu quoque, tu in fummis, ô dimidiate Menander!
Poneris,& meritò puri fermonis amator.
Lenibus atque utinam fcriptis adjuncta foret vis
Comica, ut æquato virtus polleret honore
Cum Græcis, neque in hac defpectus parte jaceres!
Unum hoc maceror, & doleo tibi deeffe, Terenti.

Le montre au doigt comme un fou folemnel,
Et ne croit pas en sa bonne écriture,

Qu'il faffe mieux.

Paris entier ayant vu fon cartel,

L'envoie au diable, & fa muse au b.....
Moi j'ai pitié des peines qu'il endure;
Et comme ami je le prie & conjure,
S'il veut ternir un ouvrage immortel,

Qu'il faffe mieux.

Il eut enfuite le malheur de répondre à l'abbé d'Aubignac, prédicateur du roi, qui fefait des tragédies comme il prêchait, & qui pour fe confoler des fifflets dont on avait régalé fa Zénobie, fe mit à dire des injures à l'auteur de Cinna. Corneille eût mieux fait de s'envelopper dans fa gloire & dans fa modeftie, que de répondre fèves à l'abbé d'Aubignac, qui lui avait dit pois.

Racine, dans quelques-unes de fes préfaces, a fait fentir l'aiguillon à fes critiques; mais il était bien pardonnable d'être un peu fâché contre ceux qui envoyaient leurs laquais battre des mains à la Phèdre de Pradon, & qui retenaient les loges à la Phèdre de Racine pour les laiffer vides, & pour faire accroire qu'elle était tombée. C'étaient-là de grands protecteurs des lettres; c'étaient le duc Zoile, le comte Bavius, & le marquis Mévius.

Molière s'y prit d'une autre façon. Cotin, Ménage, Bour faut, l'avaient attaqué; il mit Bourfaut, Cotin, & Menage fur le théâtre.

La Fontaine, qui a tant embelli la vérité dans plufieurs de fes fables, fit de très - mauvais vers contre

Furetière, qui le lui rendit bien. Il en fit de fort médiocres contre Lulli, qui n'avait pas voulu mettre en musique fon détestable opéra de Daphné, & qui fe moqua de fon opéra & de fa fatire. J'aimerais mieux, dit-il, mettre en mufique fa fatire que fon opéra.

Rouffeau le poëte fit quelques bons vers & beaucoup de mauvais contre tous les poëtes de fon temps, qui le payèrent en même monnaie.

Pour les auteurs qui, dans les difcours préliminaires de leurs tragédies ou comédies, tombées dans un éternel oubli, entrent amicalement dans tous les détails de leurs pièces, vous prouvent que l'endroit le plus fifflé eft le meilleur; que le rôle qui a le plus fait bâiller eft le plus intéreffant; que leurs vers durs, heriffés de barbarifmes & de folécifmes, font des vers dignes de Virgile & de Racine: ces meffieurs font utiles en un point; c'eft qu'ils font voir jufqu'où l'amour - propre peut mener les hommes, & cela fert à la morale.

M. de Voltaire écrivit un jour: La Henriade vous , déplaît, ne la lifez point. Zaïre, Brutus, Alzire,

Mérope, Sémiramis, Mahomet, Tancrède, vous ,, ennuient, n'y allez pas. Le Siècle de Louis XIV vous ,, paraît écrit d'un ftyle ridicule, à la bonne heure; ,, vous écrivez bien mieux, & j'en fuis fort aise. Je ,, vous jure que je ne ferai jamais affez fot pour prendre ,, le parti de ma manière d'écrire contre la vôtre.

,, Mais fi vous accusez de mauvaise foi & de men"fonges imprimés, un historien impartial, amateur " de la vérité & des hommes; fi vous imprimez & " réimprimez vous-même des menfonges, foit par la "noble envie qui ronge votre belle ame, foit pour " tirer dix écus d'un libraire, je tiens qu'alors il faut

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