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colonel au service de Suède, M. Poniatowski même ont fourni les mémoires.

On n'a pas avancé un feul fait fur lequel on n'ait confulté des témoins oculaires et irréprochables. C'est pourquoi on trouvera cette hiftoire fort différente des gazettes qui ont paru jufqu'ici fous le nom de la vie de Charles XII. Si l'on a omis plufieurs petits combats donnés entre les officiers fuédois et mofcovites, c'eft qu'on n'a point prétendu écrire l'histoire de ces officiers, mais feulement celle du roi de Suède; même parmi les événemens de fa vie, on n'a choifi que les plus intéressans. On est perfuadé que l'hiftoire d'un prince n'eft pas tout ce qu'il a fait, mais ce qu'il a fait de digne d'être tranfmis à la postérité.

On eft obligé d'avertir que plufieurs chofes, qui étaient vraies lorsqu'on écrivit cette histoire (en 1728,) ceffent déjà de l'être aujourd'hui (en 1739.) Le commerce commence, par exemple, à être moins négligé en Suède. L'infanterie polonaife eft mieux disciplinée, et a des habits d'ordonnance qu'elle n'avait pas alors. Il faut toujours, lorsqu'on lit une histoire, fonger au temps où l'auteur a écrit. Un homme qui ne lirait que le cardinal de Retz prendrait les Français pour des forcenés qui ne respirent que la guerre civile, la faction et la folie.

Celui qui ne lirait que l'hiftoire des belles années de Louis XIV dirait : Les Français font nés pour obéir, pour vaincre et pour cultiver les arts. Un autre qui verrait les mémoires des premières années de Louis XV ne remarquerait dans notre nation que de la molleffe, une avidité extrême de s'enrichir, et trop d'indifférence pour tout le refte. Les Espagnols d'aujourd'hui ne font plus les Espagnols de Charles - Quint, et peuvent l'être dans quelques années. Les Anglais ne reffemblent pas plus aux fanatiques de Cromwell que les moines et les Monfignori, dont Rome est peuplée, reffemblent aux Scipions. Je ne fais files Suédois pourraient avoir tout d'un coup des troupes auffi formidables que celles de Charles XII. On dit d'un homme: il était brave un tel jour; il faudrait dire, en parlant d'une nation : elle paraiffait telle fous un tel gouvernement et en telle année.

Si quelque prince et quelque miniftre trouvaient dans cet ouvrage des vérités défagréables, qu'ils fe fouviennent qu'étant hommes publics, ils doivent compte au public de leurs actions, que c'eft à ce prix qu'ils achètent leur grandeur, que l'histoire est un témoin et non un flatteur, et que le feul moyen d'obliger les hommes à dire du bien de nous, c'est d'en faire.

A M. LE MARECHAL

DE SCHULLEMBOURG,

GENERAL DES VENITIENS.

A la Haie, le 15 Septembre 1740.

MONSIEUR,

J'AI reçu par un courrier de M. l'ambassadeur de France, le journal de vos campagnes de 1703 et 1704, dont votre excellence a bien voulu m'honorer. Je dirai de vous, comme de Cefar Eodem animo fcripfit quo bellavit. Vous devez vous attendre, Monfieur, qu'un tel bienfait me rendra très-intéreffé, et attirera de nouvelles demandes. Je vous fupplie de me communiquer tout ce qui pourra m'inftruire fur les autres événemens de la guerre de Charles XII. J'ai l'honneur de vous envoyer le journal des campagnes de ce roi, digne de vous avoir combattu. Ce journal va jusqu'à la bataille de Pultava inclufivement; il est d'un officier fuédois, nommé M. Adlerfeld : l'auteur me paraît très-instruit et aussi exact

qu'on peut l'être; ce n'eft pas une hiftoire, il s'en faut beaucoup; mais ce font d'excellens matériaux pour en composer une, et je compte bien réformer la mienne en beaucoup de chofes fur les mémoires de cet officier.

Je vous avoue d'ailleurs, Monfieur, que j'ai vu avec plaifir dans ces mémoires beaucoup de particularités qui s'accordent avec les inftructions fur lesquelles j'avais travaillé. Moi qui doute de tout, et fur-tout des anecdotes, je commençais à me condamner moi-même fur beaucoup de faits que j'avais avancés : par exemple, je n'ofais plus croire que M. de Guifcard, ambaffadeur de France, eût été dans le vaiffeau de Charles XII, à l'expédition de Copenhague; je commençais à me repentir d'avoir dit que le cardinal primat, qui fervit tant à la dépofition du roi Augufte, s'oppofa en secret à l'élection du roi Stanislas; j'étais presque honteux d'avoir avancé que le duc de Marlborough s'adreffa d'abord au baron de Gortz avant de voir le comte de Piper, lorsqu'il alla conférer avec le roi Charles XII. Le fieur de la Motraye m'avait repris fur tous ces faits avec une confiance qui me persuadait qu'il avait raison; cependant ils font tous confirmés par les mémoires de M. Adlerfeld.

J'y trouve auffi que le roi de Suède mangea

quelquefois, comme je l'avais dit, avec le roi Augufte qu'il avait détrôné, et qu'il lui donna la droite. J'y trouve que le roi Auguste et le roi Stanislas fe rencontrèrent à fa cour et se faluèrent fans fe parler. La vifite extraordinaire que Charles XII rendit à Augufle à Dresde, en quittant fes Etats, n'y eft pas omise. Le bon mot même du baron de Stralheim y eft cité mot pour mot, comme je l'avais rapporté.

Voici enfin comme on parle dans la préface du livre de M. Adlerfeld.

,, Quant au fieur de la Motraye, qui s'eft " ingéré de critiquer M. de Voltaire, la lecture ,, de ces mémoires ne fervira qu'à le confondre, " et à lui faire remarquer fes propres erreurs, ,, qui font en bien plus grand nombre que " celles qu'il attribue à son adversaire. ››

Il est vrai, Monfieur, que je vois évidemment par ce journal que j'ai été trompé sur les détails de plusieurs événemens militaires. J'avais, à la vérité, accufé jufte le nombre des troupes fuédoifes et mofcovites à la célèbre bataille de Nerva; mais dans beaucoup d'autres occafions j'ai été dans l'erreur. Le temps, comme vous favez, eft le père de la vérité; je ne fais même fi on peut jamais espérer de la favoir entièrement. Vous verrez que dans certains points M. Adlerfeld n'est point d'accord

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