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« J'avais de l'aversion pour les sots, pour les faquins, pour les femines intrigantes qui jouent la vertu ; un dégoût pour l'affectation; de la pitié pour les hommes teints et les femmes fardées ; de l'aversion pour les rats, les liqueurs, la métaphysique et la rhubarbe ; de l'effroi pour la justice et les bêtes enragées.

CHAPITRE XII. — - Analyse de ma vie.

« J'attends la mort sans crainte, comme sans impatience. Ma vie a été un mauvais mélodrame à grand spectacle, où j'ai joué les héros, les tyrans, les amoureux, les pères nobles, mais jamais les valets,

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CHAPITRE XV. — Epitre dédicatoire au public.

« Chien de public! organe discordant des passions, toi qui élèves au ciel et qui plonges dans la boue, qui prônes et calomnies sans savoir pourquoi ; image du tocsin; écho de toi-même; tyran absurde échappé des Petites-Maisons; extrait des venins les plus subtils et des aromates les plus suaves; représentant du diable auprès de l'espèce humaine; farce masquée en charité chrétienne! public que j'ai craint dans ma jeunesse, respecté dans l'âge mûr et méprisé dans ma vieillesse, c'est à toi que je dédie mes Mémoires. Gentil public! enfin, je suis hors de ton atteinte, car je suis mort, et par conséquent sourd, aveugle, muet. Puisse-tu jouir de ces avantages pour ton repos et celui du genre humain! »

Théodore Rostopchine avait son franc-parler avec les czars, ses maîtres, aussi bien qu'avec le public. Témoin cette anecdote, relevée par M. Hippolyte Lucas dans l'an-cien Mercure de France.

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Un jour, l'empereur Paul était au milieu d'un cercle nombreux, où se trouvaient plusieurs princes russes avec le comte Rostopchine, son ministre favori. «Dites-moi, demanda-t-il brusquement à celui-ci, pourquoi n'êtesvous pas prince? » Après un moment d'hésitation sur cette singulière demande, le comte Théodore répondit : — « Votre Majesté Impériale me permettra-t-elle de lui en dire la véritable raison? Sans doute. C'est que celui de mes aïeux qui vint de Tartarie (car il était Tartare au fond et il l'a prouvé) s'établir en Russie y arriva en hiver. Eh! que pouvait faire la saison au titre qu'on lui donna? C'est que lorsqu'un seigneur tartare paraissait pour la première fois à la cour, le souverain lui donnait le choix entre une pelisse et le titre de prince. Mon aïeul arriva dans un hiver rigoureux, et eut le bon esprit de préférer la pelisse. » Paul rit beaucoup de cette réponse; puis, s'adressant aux princes présents. « Allons, Messieurs, félicitez-vous de ce que vos aïeux ne soient pas arrivés en hiver. »>

Gortschakoff, dont les aïeux sans doute n'étaient point arrivés en hiver, car il est prince, a montré qu'il était capable de brûler Sébastopol, comme Rostopchine avait brûlé Moscou; nous ignorons s'il serait capable d'écrire des Mémoires aussi piquants et de faire des mots aussi spirituels que ceux que vous venez de lire.

Encore une boutade de Rostopchine. C'est lui qui disait à Paris, en 1817: «Je suis venu en France pour juger par moi-même du mérite réel de trois hommes célèbres: Fouché, duc d'Otrante, le prince de Talleyrand et le comédien Potier. Ce dernier seul me paraît à la hauteur de sa réputation. » P.-C.

LE NOUVEAU PARIS.

LA TOUR DE SAINT-JACQUES-LA-BOUCHERIE RESTAURÉE.

La voilà enfin rajeunie, remise à neuf, restaurée du haut en bas, cette vieille aïeule du vieux Paris, conservée au centre du Paris moderne, comme un précieux échantillon du passé.

Lors de l'inauguration de la tour Saint-Jacques, pour le passage de la reine d'Angleterre, il ne restait plus à ter miner que les balcons du premier étage, les voussures des portails et les balustrades de style ogival qui entourent l'édifice. Ces travaux sont terminés, et on pose la grille en fer autour de la place, plantée d'arbres, qui, dans quelques années, formera une agréable promenade.

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La décoration statuaire est complète à l'extérieur. On a monté au sommet de la tour les quatre symboles des évangélistes, qui décorent chacun de ses angles, et la statue colossale de saint Jacques, laquelle, placée au-dessus d'un campanile richement sculpté, domine tout le monument. Les quatre symboles, l'ange, le lion, l'aigle et le taurean, et la statue de saint Jacques, sont dus au ciseau de M. Chenillon. Des niches, pratiquées dans l'épaisseur des murs, ont reçu les statues ci-après: saint Lonis, par M. Dantan aîné; -sainte Catherine, par M. Bonassieux; saint Christophe, par M. Pascal; sainte Geneviève, par M. Gruyère; saint Jean, évangéliste, par M. Diébolt; - sainte Marguerite, par M. Villain; saint Paul, par M. Chambard; -saint Jean-Baptiste, par M. Cordier; sainte Madeleine, par M. Girard; - saint Quentin, par M. Taluct; saint Michel, par M. Froget; -saint Clément, par M. Calmels; saint Laurent, par M. Perraud; - saint Georges, par M. Protat; saint Roch, par M. Desprez; - saint Léonard, par M. Duseigneur; saint Jacques le Mineur, par M. Arnaud; saint Pierre, par M. Courtet, — et saint Augustin, par M. Loison. Exécutées dans les mêmes proportions, toutes ces statues ont 2m 50 de hauteur. Puis, au centre de la tour, sous la clef de voûte, s'élève la statue de Blaise Pascal. Cette statue, en marbre blanc, a été confiée à M. Cavelier, l'un de nos plus habiles statuaires. En plaçant la statue de Pascal sous la tour Saint-Jacques, dit un archéologue, on a voulu autant honorer l'un des plus grands noms scientifiques, philosophiques et littéraires de la France, que rappeler les curieuses expériences qu'il fit, dans cette même tour, sur la pesanteur de l'air, expériences que Pascal avait déjà précédemment tentées sur la montagne du Puy-de-Dôme, à deux lieues de Clermont, son pays natal (1).

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La tour de Saint-Jacques-la-Boucherie pourrait, à la façon des grand'mères, conter toute l'histoire de Paris, depuis le douzième siècle, à ses petites-filles, les maisons neuves de la rue de Rivoli réunies autour d'elle. Que de révolutions, de grandeurs, de folies, de drames, de vertus et de crimes, de gloires et d'humiliations elle a vu passer à ses pieds de granit, depuis les Armagnacs jusqu'aux jacobins, depuis la démence de Charles VI jusqu'au martyre de Louis XVI, depuis Marcel jusqu'aux ateliers nationaux, depuis saint Louis jusqu'à Napoléon, depuis l'Anglais roi de Paris jusqu'à la reine d'Angleterre dansant à l'Hôtelde-Ville!

L'église, dont la tour est le dernier vestige, était parois(1) Voyez l'Histoire du baromètre, t. XIX du Musée, p. 211.

siale dès l'année 1119. Son curé faisait partie des treize prétres cardinaux de la cathédrale de Paris. Agrandie pendant le quatorzième et le quinzième siècle, elle fut consacrée derechef, en 1414, par Gérard de Montaigu, évêque de Turin, à qui les paroissiens offrirent un diner de soixante-dix sous parisis. C'était un festin pour l'époque. Le même dîner coûterait aujourd'hui quelque mille francs. L'édifice ne s'acheva que sous François Ier, par les dons des fidèles généreux, et surtout du savant el fameux Nicolas Flamel, dont le Musée vous a raconté la curieuse biographie (1). Cet écrivain, érigé en sorcier par l'ignorance du temps, ce financier voué au grand œuvre de la pierre philosophale, fut enterré dans l'église SaintJacques, où son portrait et celui de sa femme Pernelle étaient sculptés en différents endroits.

Deux rues voisines conservent encore leurs noms. Une inscription en l'honneur de Flamel était placée sur un pilier de la nef.

Cet homme avait la manie des inscriptions; il en mettait partout où il pouvait, il en eût volontiers couvert tout Paris.

Son souvenir a laissé dans la tour de Saint-Jacques un parfum cabalistique, dont elle n'est pas entièrement délivrée pour le peuple.

L'église de la Boucherie avait droit d'asile; on remarquait sous sa voûte la chambre ouverte à ceux qui venaient s'y mettre en franchise.

Le jour de Noël, on exposait dans la grande nef l'enfant Jésus, coiffé de deux bonnets fourrés d'étoffe d'or, et vêtu d'une robe pareillement fourrée et brodée en or. A la Saint-Nicolas et à la Pentecôte, on lançait par un trou des combles un coulon (pigeon) blanc et d'antres petits oiseaux; on jetait des étoupes enflammées dans le sanctuaire et l'on distribuait des oublies aux fidèles.

L'église fut démolie pendant la Révolution de 1793, sauf la tour, qui résista au marteau et devint la propriété d'un fabricant de plomb de chasse,

De là, nouveaux bruits fantastiques sur l'intérieur de l'antique édifice. Il s'y passait, croyait-on, des choses aussi étranges qu'à l'acte de la fonte des balles, au souffle d'Astaroth, dans l'opéra de Robin des Bois.

Et cependant rien n'est plus simple que la fabrication du plomb de chasse lorsqu'on dispose d'une tour vide ayant une très-grande hauteur. Voici alors comment on s'y prend, dit M. Victor Meunier dans l'Ami des Sciences: on fait fondre du plomb auquel on a ajouté un peu d'arsenic; cette opération se passe au sommet de l'édifice, puis on verse ce métal fondu dans une passoire percée de trous de différentes grosseurs, suivant les numéros qu'on veut obtenir; abandonnées à leur poids, les gouttes se figent en traversant cette haute colonne d'air, comprise entre les parois de la tour, et se refroidissent enfin complétement en arrivant dans un bassin plein d'eau établi sur le sol (2).

(1) Nicolas Flamel, par le bibliophile Jacob, t. VII, p. 225. (2) Les hautes tours abandonnées devenant fort rares, ajoute notre savant, un certain M. Smith, de New-York, a cherché les moyens de s'en passer, et il y est arrivé d'une manière trèsingénieuse à la tour, il substitue un cylindre en tôle n'ayant

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L'idée de conserver, de restaurer et d'isoler la tour de Saint-Jacques au milieu des constructions de la rue de Rivoli et du boulevard du Centre (aujourd'hui boulevard de Sébastopol) est une idée excellente au point de vue archéologique, architectural et pittoresque, et a été habilement exécutée par M. Ballu, chargé de cette œuvre délicate.

Le vieil édifice gothique, avec ses élancements, ses vives arêtes, ses statues, ses ogives et ses sculptures, rompt admirablement la monotonie des lignes de la grande voie parisienne.

C'est une halte noble et charmante pour l'esprit et pour les yeux, un souvenir de l'histoire devant les chefs-d'œuvre de l'industrie, une légende debout parmi les réalités du présent.

Ajoutons que, grâce aux ombrages, aux fontaines jaillissantes, aux bancs hospitaliers, ce sera une oasis précieuse et un repos agréable au milieu de la poussière et du macadam de la rue de Rivoli, et à mi-chemin de la longue route de l'arc de l'Etoile à la place de la Bastille.

Enfin, l'ornementation de la tour Saint-Jacques a excité l'émulation des architectes des maisons voisines, et quelques-uns ont varié l'uniformité du moellon par des sculptures dignes de figurer en regard de l'édifice gothique.

Nous avons remarqué et nous signalons aux passants une de ces maisons artistiques, située au n° 122 (déjà changé peut-être) à l'angle de la rue des Déchargeurs. Sur sa face principale on voit sculpté en ronde-bosse un médaillon au-dessous duquel on lit cette devise: Vera intuere, media sequere. Dans l'œuvre de la sculpture, cette devise est rendue par le groupe des deux figures centrales l'une, le Temps vrai, tenant une palme et un livre, élève fièrement le miroir de la Vérité marqué du chiffre XII sur la ligne du midi vrai; l'autre, le Temps moyen, un jeune garçon, attentif au cadran d'une horloge réglée sur le temps moyen, semble songer à ses affaires, et se détourne de la haute spéculation de l'autre génie. A sa main droite est suspendu un fil à plomb, emblème et attribut de la Modération.

Les accessoires se composent de trois figures allégoriques: l'Aurore, écartant le voile de la nuit et versant la rosée sur la terre; à ses côtés, une hirondelle prend son vol matinal; le Midi, portant un flambeau allumé et des flèches, image des rayons du soleil; le Soir, soutenant une couronne d'étoiles; une chauve-souris s'échappe des plis de son manteau.

Enfin, le Verseau et le Capricorne, signes de janvier et de décembre, représentent le commencement et la fin de l'année dans des médaillons où figure le lézard, ami du soleil.

Ce méridien, qui ne déparerait pas la façade d'un palais, a été exécuté par M. Théodore Gruyère, sculpteur, sur les dessins et sous la direction de M. Théodore Labrouste, architecte. On voit encore ces chiffres: 63° 50' 32" (degrés, minutes, secondes), comme représentant l'angle exact de la méridienne de Paris avec la maison du méridien et l'axe de la rue de Rivoli.

Avis aux architectes qui continuent cette rue monumentale et le boulevard Victoria, en face et au delà de l'Hôtel-de-Ville. Ils ont une belle occasion de lutter de noblesse, de goût et de variété, avec le chef-d'œuvre de Dominique Cortone et d'André Ducerceau.

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PITRE-CHEVALIER.

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Les morts de 1855. en haut, Mme Émile de Girardin; à gauche, Isabey père; à droite, N. Suc; en bas, H. Valentin.

L'année 1855 comptera parmi les plus mémorables, non-seulement de notre siècle, mais encore de notre ère. La prise de Sébastopol et l'Exposition universelle sont DÉCEMBRE 1855.

deux de ces événements dont les générations gardent lo souvenir à perpétuité.

Outre que ces deux grands faits

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le chef-d'œuvre de VINGT-TROISIÈME VOLUME.

la guerre et le chef-d'œuvre de la paix - semblaient inconciliables, ils ont eu, l'un et l'autre, à vaincre un formidable ennemi : l'hiver de 1855, le général l'Iliver, comme disaient les soldats de Moscou.

L'HIVER DE 1855. ÉPHÉMÉRIDES HIVERNALES.

L'hiver de 1855 a rappelé par ses rigueurs les plus terribles dates des éphémérides glacées.

Espérons qu'en relevant aujourd'hui ces dates, nous ne ferons que de l'histoire ancienne, et que 1856 nous dédommagera par ses douceurs des cruautés de 1855.

Voici les hivers célèbres dont ces cruautés ont ramené le souvenir, et dont le tableau est doux à revoir au coin du feu, les deux pieds sur les chenets.

Un demi-siècle avant J.-C., dit M. Jourdan, qui nous fournit plusieurs détails curieux de cette page hivernale, un lieutenant de Mithridate battit, sur une mer glacée comme la Baltique en 1855, les ancêtres de nos ennemis de Sébastopol et de Kinburn.

L'an 400 de notre ère, la mer Noire fut entièrement gelée; ce même phénomène se renouvela en 763.

de

En 859, Venise fut pendant quelque temps un pays terre ferme. Il en fut de même pendant l'hiver de 1254: les voitures chargées traversaient l'Adriatique sur la glace en face du lion de Saint-Marc.

Jamais il n'est tombé une si grande quantité de neige qu'en 874; jamais non plus l'hiver ne fut si précoce. Dès les derniers jours du mois d'août, les campagnes furent couvertes d'une légère couche de neige, qui alla s'épaississant sans cesse jusqu'à la fin de mars. Il en résulta des désastres incalculables.

Mais l'hiver le plus dur dont on ait gardé le souvenir, est celui de l'an 1408, qui fut surnommé l'an du grand hiver. Le fait le plus caractéristique se trouve consigné sur les registres du Parlement de Paris. Le greffier y a écrit lui-même qu'il lui fut impossible d'enregistrer les arrêts, parce que l'encre, à chaque instant, gelait dans sa plume, bien qu'on eût grand soin d'entretenir un bon feu dans les Chambres.

L'hiver de 1420 fut moins rude peut-être, mais il surprit les classes populaires dans un tel état de misère, que les débris de toute sorte, jetés dans les rucs, étaient aussitôt dévorés par des malheureux affamés. Ces horreurs se renouvelèrent dans la capitale deux ans après, pendant l'hiver de 1422. « Et vray est, dit à ce propos un vieil auteur, que les coqs et gelines avoient les crestes gelées jusques à la teste. »

Le quinzième siècle fut, du reste, très-fécond en malheurs de ce genre.

En 1458, au dire d'OEnéas Sylvius, une armée de quarante mille hommes campa sur le Danube. Dix ans plus tard, Philippe de Commines rapporte que les gens du due de Bourgogne recevaient des morceaux de vin. On défonçait les tonneaux et on rompait le vin à coups de hache.

La nature, épuisée, semble vouloir se reposer pendant le seizième siècle, qui ne compte aucun hiver mémorable. Mais, dès le commencement du dix-septième, en 1608, nous nous retrouvons en face des plus grands malheurs causés par l'excès du froid. « Le 23 janvier, dit Mézeray dans son journal, le pain qu'on servit à fenri IV fut gelé.» Le dernier hiver mémorable de ce siècle est celui de 1657 à 1658, qui se fit sentir dans l'Europe tout entière. Charles X, roi de Suède, fit passer sur la mer Baltique, dans un trajet de cinq à six lieues, une armée entière,

avec cavalerie, artillerie, caissons et bagages. A Paris, la Seine fut prise, et le dégel détruisit le pont Marie, sur lequel étaient construites vingt-deux maisons.

Le dix-huitième siècle est un de ceux qui comptent le plus de rudes hivers. En 1709, tous les grains confiés à la terre furent gelés et périrent dans les sillons; il fallut labourer et ensemencer de nouveau au printemps. La disette se joignit aux rigueurs de la saison. On ramassait chaque jour des personnes mortes de froid. Le pain était si rare et si cher, que Mme de Maintenon, au milieu des splendeurs de Versailles, faisait servir sur sa table du pain d'avoine. Louis XIV vendit pour huit cent mille francs de vaisselle d'or et d'argent, afin de subvenir aux besoins qui le pressaient et de venir en aide à quelques infortunés.

En 1740, la Tamise fut entièrement gelée et le mouvement commercial de Londres fut forcément suspendu. L'originalité du peuple anglais et le trait le plus saillant du caractère national se révélèrent en cette occasion. On construisit sur la glace une vaste cuisine, dans laquelle on fit rôtir un boeuf entier. Pendant la même année, à Saint-Pétersbourg, on construisit un palais de glace, au sommet duquel furent ménagées six embrasures. On y plaça des canons également taillés dans la glace; on les chargea d'un quarteron de poudre et d'un boulet. On put les tirer sans faire éclater la glace.

L'hiver de 1776 eut de moins douloureuses conséquences que celui de 1709, mais il fut plus rigoureux peut-être. Toutes les cuisines du palais de Versailles furent ouvertes au peuple par ordre du roi, et Louis XVI fit supprimer tous les postes de sentinelles extéreures. On allumait de grands feux dans les rues de Paris, pour que les pauvres vinssent s'y chauffer. Le froid était si intense, que plusieurs cloches se cassèrent en sonnant. Dans l'intérieur des appartements, les pendules s'arrêtaient; le vin gelait dans les caves: chaque jour on signalait des sinistres dans les quartiers populeux, où des femmes et de pauvres enfants demi-nus étaient trouvés morts de froid.

En 1784, ces rigueurs recommencèrent avec presque autant d'intensité. Paris était illuminé tous les soirs par des feux publics, triste illumination qui éclairait les plus profondes misères. Louis XVI fit des prodiges de bienfaisance, il fit distribuer des secours à domicile, et le peuple reconnaissant éleva sur la place du Trône une statue représentant grossièrement la physionomie du roi.

Quelques années plus tard, à la veille de la révolution, pendant l'hiver de 1788 à 1789, des calamités sans nombre affligèrent la population parisienne. Le thermomètre descendit au-dessous de 18 degrés. La famine vint s'ajouter aux fléaux de cet hiver terrible.

Le premier hiver célèbre de notre siècle est celui de 1812, qui sera inscrit en lettres de sang et de deuil dans notre histoire. La désastreuse retraite de Moscou rendra cet hiver à jamais mémorable.

En 1820, la France souffrit cruellement encore de désastres qui rappelèrent ceux de 1709, 1776 et 1789. Les populations pauvres furent décimées par le froid. Toutes les récoltes et notamment tous les oliviers du midi de la France furent gelés. Il faut aller en 1829 pour retrouver autant de souffrances privées, autant de malheurs publics.

Nos lecteurs n'ont pas oublié encore le rigoureux hiver de 1838, qui fut suivi de plusieurs hivers très-rudes aussi, notamment celui de 1841 à 1842.

Ces intéressantes éphémérides des hivers précurseurs de 1855 ont excité la verve des rédacteurs du Charivari, qui ont parodié ainsi ces dates historiques.

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