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encore celle du comte Orloff, aide de camp général de T'empereur Alexandre II.

Qu'un dramaturge, qu'un romancier imaginent jamais une pareille complication de moyens, et vous verrez le public crier à l'invraisemblance. Mais, o public quinteux et désagréable à vivre, il n'y a que l'invraisemblance qui soit vraisemblable!

Le comte Orloff a été le lion du congrès pour la curiosité parisienne, et quelques détails sur sa famille et sa personne ne manqueront pas d'intéresser nos lecteurs.

A l'époque de l'exécution des Strélitz, sous Pierre le Grand, un jeune Strélitz nommé Yvan et surnommé Orëll (l'aigle), appelé à poser sa tête sur le billot fatal, et trou

vant sur son chemin la tête coupée d'un camarade, la repoussa tranquillement du pied en disant:

Il faut pourtant que je me fasse place ici : Le czar Pierre, qui assistait à l'exécution, frappé du calme héroïque de ce jeune homme, lui accorda sa grâce et le plaça comme soldat dans un régiment de ligne. Le vaillant Strélitz conquit par ses exploits le grade d'officier et par conséquent le titre de gentilhomme.

Telle fut, en 1698, la première apparition dans l'histoire de Russie de cette famille qui devait y jouer un si grand rôle, et qui prit dès lors le nom d'Orloff, du surnom d'Orëll, porté par son fondateur.

Depuis près de deux siècles, les Orloff ont été les favoris

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Le comte Orloff, dessin de M. Marc, d'après le portrait authentique de l'éditeur Daziard.

des czars, et quelquefois les instruments de leur élévation on de leur chute.

A l'avénement de l'empereur Nicolas, en 1825, une révolte populaire mit en danger sa couronne et sa vie. Un intrépide officier sauva l'une et l'autre, en s'élançant contre les rebelles et en les culbutant à la tête de son régiment.

Cet officier était Alexis Fœderovich Orloff, devenu depuis aide de camp général, membre du Conseil de l'empire, bras droit de Nicolas Ier et d'Alexandre II, et qui signait hier la paix au nom de son maître, au congrès de Paris.

Le comte Orloff, bien qu'il soit fort âgé, est encore un

des plus beaux hommes qui se puissent voir. Il a près de six pieds, une encolure à l'avenant, des cheveux gris de fer galamment bouclés, et une physionomie de la plus haute distinction, bien qu'un peu dure au premier aspect. Il a fait l'admiration de tout le monde à la revue du Champ-de-Mars, à gauche de l'empereur, avec son casque d'or, son uniforme vert et ses décorations étincelantes de pierreries, sur son cheval de race qu'il maniait comme un jeune officier.

On raconte sur sa force herculéenne les anecdotes les plus étonnantes, et entre autres celle-ci, qui donnera l'idée des autres:

Il était un jour à table auprès d'une dame qui s'extasi

sur les fleurs du surtout, et notamment sur un bouquet de roses éblouissant de fraîcheur. Le galant seigneur prend aussitôt ce bouquet pour l'offrir à sa voisine; mais il s'aperçoit que les pieds des fleurs sont trempés d'eau, et il cherche un moyen de les envelopper à la hâte. Ne trouvant rien de mieux, il saisit une assiette d'argent massif, la roule en cornet comme une feuille de papier, y plante le bouquet et le remet à la dame.

Ce tour de force rappelle celui de notre maréchal de Saxe. Un autre maréchal ferrait son cheval de guerre. Il se plaint des fers employés.

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Et, pour montrer leur faiblesse, il les tord de ses doigts nerveux. Mais quand il veut payer l'ouvrier, celui-ci prend sa revanche:

-Mauvais écu! réplique-t-il.

Et il le ploie d'un geste, comme le maréchal avait ployé ses fers.

Pour la première fois, le maréchal de Saxe avait trouvé son maître.

On assure que le comte Orloff n'a jamais trouvé le sien.

Le grand seigneur russe prolongera, dit-on, son séjour à Paris, en qualité d'ambassadeur extraordinaire d'Alexandre II; et il doit donner une fête dont l'éclat sera d'autant plus mémorable et significatif que l'empereur et l'impératrice y assisteraient et que les boyards y accourraient de tous les points de la Russie. Ce serait la rentrée solennelle à Paris des illustres Moscovites et de leurs millions.

Encore une anecdote sur le comte Orloff, indiscrétion recueillie par M. Jules Lecomte aux portes des Tuileries: L'empereur venait d'avoir une longue conversation avec le comte Orloff. Celui-ci s'étonnait des vastes connaissances de son auguste interlocuteur. L'empereur le devina et sourit. Le comte, avec la courtoisie d'un grand seigneur et la franchise d'un militaire, ne put s'empêcher de demander où Sa Majesté avait pu apprendre toutes ces choses, d'un ordre tout local et étranger:

-Ah! répondit l'empereur, c'est que j'ai étudié pendant six ans... à l'Université de Ham!

Autre mot très-joli de la même source et du maréchal Canrobert, qui est aussi un lion de la paix, comme il a été un lion de la bataille. C'était donc à un bal officiel donné aux plénipotentiaires. Le maréchal Canrobert étant entré dans la galerie, une jeune et charmante personne, vêtue de rose avec une couronne de paquerettes, est allée droit à lui l'inviter pour la prochaine contredanse.

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Maréchal... daignez me regarder comme Russe... et me faire danser !

Impossible, mademoiselle... il y a armistice!

Et amnistie pour mon audace, maréchal ?

Le guerrier reçut en pleine face un regard si éclatant qu'il en devint presque timide, et qu'il eût préféré un éclat d'obus. Il offrit galamment le bras à la danseuse pour la reconduire à sa place; mais, en chemin, il rencontra un jeune officier, écarlate de valses et de polkas :

-Tenez, monsieur, lui dit-il en le présentant à la jeune personne, suppléez-moi et dansez avec mademoi-. selle. Rappelez-vous surtout que, cette nuit, un maréchal de France a envié un sous-lieutenant!

Les épisodes de la paix ont eu aussi leur côté pittoresque en Crimée.

Un grand nombre d'officiers de toutes armes des quatre armées, écrit un capitaine, s'étaient rendus dans la plaine de la Tchernaïa et couvraient littéralement les deux rives, chacun en épaulettes, le sabre au côté. De part et d'autre, c'était une véritable fraternisation; nous avons vu éclater à cette occasion ces sympathies que nous avons eu si souvent à signaler entre les Français et les Russes. Plusieurs officiers se reconnaissaient pour s'être rencontrés déjà dans les armistices qui suivaient les combats du siége. Aussi les gourdes, les paquets de cigares, les bouteilles voltigeaient-elles d'un bord à l'autre, comme faisaient, il y a peu de temps, les boulets. Plus d'une est tombée à l'eau; le plus grand nombre arrivait parfaitement à sa destination. Un jeune et brillant officier russe, le bras gauche en écharpe, était suivi de deux soldats qui portaient un lourd panier:

Les officiers des zouaves, messieurs? demandait-il. - Par ici! lui répondirent plusieurs officiers de ce

corps.

- C'est à l'un de vous que je dois ma blessure; à votre santé !

Et, de son bras valide, il lança coup sur coup trois bouteilles de champagne, qui furent vidées en un clin d'œil.

Les zouaves, à leur tour, envoyèrent quelques bouteilles; deux se brisèrent en route:

- Gardez les bouchons, nous vous les changerons à Paris!

A Paris! s'écrièrent les officiers russes au milieu de formidables applaudissements.

Le champagne était de choix; les Russes soutiennent. leur réputation de goût. J'ai trois des bouchons susdits; deux portent la marque Ve Cliquot et un la marque Lelegard et Ce, et tous trois le nom de la ville de Reims. Nous avons échangé nos noms. Il y avait là un neveu du général Luders, etc.

On tenta plusieurs fois de traverser la rivière; mais l'eau était profonde et tous échouèrent dans leurs efforts. ce qui, de part et d'autre, fut un sujet de divertissement.

Enfin, les Russes s'avisèrent d'un expédient. Ils abattirent un grand arbre, et, le mettant en travers de l'eau, ils en firent un pont provisoire. L'invitation fut acceptée. Les Français et les Anglais passèrent dessus. La courtoisie des Russes surpassa tout ce qu'on pourrait imaginer.

Sur notre droite, derrière nous, la scène était magnifique. A droite, les monts Fédouchine étaient couverts de troupes descendues en masse de leurs campements; Fran çais, Anglais, Sardes mélangés. Derrière nous, même spectacle sur la crête de la rampe fortifiée qui domine la vallée, et qui, s'élevant par degrés, passe par la redoute Canrobert pour arriver sur les plateaux d'Inkermann. Tous les bras étaient levés, les képis s'agitaient et d'immenses hourras volaient d'une rive à l'autre. C'était un spectacle véritablement plein d'émotions.

Ajoutez à cela que plusieurs dames anglaises caracolaient aux abords du pont, où leur présence était saluée par les vivat de tous les assistants. Il y a eu des mots de troupiers charmants : ce n'était peut-être pas de la civilité de bon goût, c'était peut-être de la galanterie mal exprimée, mais c'était piquant. Toutes les têtes étaient montées et tout passait. Du côté des Russes, nous n'avons vu qu'une dame, dans une calèche attelée de deux chevaux. C'était, disait-on, Mme Luders, la femme du commandant en chef.

REVUE LITTÉRAIRE.

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TRAITÉ D'ÉDUCATION PHYSIQUE ET MORALE, par le docteur A. Clavel (1). Nous avions annoncé et signalé ce livre, en promettant d'y revenir avec plus de détail. Son importance évidente, son mérite incontestable, son succès légitime rendent aujourd'hui notre mission très-facile. Il nous suffira d'énumérer les sujets des principaux chapitres pour faire comprendre aux pères et aux mères de famille, aux chefs d'institution et à tous ceux qui s'occupent de la jeunesse, qu'un tel ouvrage consacré désormais par l'opinion doit être leur guide, leur conseil et leur vademecum. Jamais l'éducation, cette question capitale du présent et de l'avenir, n'avait été approfondie avec plus de science, exposée avec plus de méthode, éclaircie avec plus de simplicité, résolue avec plus de pratique. L'auteur prend l'enfant au sein de sa mère, définit son tempérament physique et ses exigences, indique ses moyens de développement progressif, le suit à travers les écoles primaires et secondaires, dans toutes ses fonctions corporelles, respiration, digestion, mouvement, veille et sommeil, alimentation, voix et parole, gymnastique, etc.; puis il étudie le moral de l'élève, ses idées, ses facultés, ses opérations intellectuelles dans les arts, les lettres et les sciences, ses sentiments, ses habitudes et ses vocations, etc.; tout cela détaillé avec un soin, une expérience et une justesse infinies, résumé dans une conclusion limpide et couronné d'un tableau complet des systèmes d'éducation actuelle, avec des plans gravés d'établissements modèles pour les écoles primaires et secondaires.

Sans admettre toutes les idées philosophiques de M. Clavel, ceux qui consulteront son livre y trouveront à chaque page le redressement d'une erreur et l'indication d'un progrès. Nous citerons pour exemple cette critique si sensée du plus grand vice de l'éducation contemporaine : «Dans les colléges et les pensionnats, le mal vient, non des maîtres et des professeurs, qui, tout au contraire, s'efforcent de multiplier les bons exemples, mais d'une discipline et d'un programme d'études qui rendent le bien difficile à pratiquer. Il suffit, pour acquérir une certitude à cet égard, d'examiner la vie d'un collégien. Les limites d'age pour l'admission aux écoles spéciales, les épreuves pour l'obtention des grades universitaires, et, plus que tont cela, les calculs de l'ambition paternelle, font que plupart des écoliers sont obligés de devenir des savants avant leur seizième année. De cette obligation résultent des études littéraires qui commencent à huit ans, l'agglomération dans les maisons d'éducation, qui sont les serres chaudes de l'enfance; enfin, dix heures par jour d'un travail assidu.

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Mais pour obtenir l'immobilité de ces corps tourmentés du besoin de mouvement, pour maintenir la discipline au milieu d'êtres dévolus à la turbulence, pour contraindre à une application soutenue des cervelles étourdies et des sens mobiles, ce n'est pas trop de toutes les ressources de la contrainte, de tous les stimulants de la vanité. Une progression savante a varié la punition depuis la simple almonestation jusqu'au cachot; elle a varié la récombense depuis le première place, depuis l'éloge en pleine classe jusqu'au prix distribué en public par les notabilités administratives.

« Au moment où l'enfant pénètre dans un collége, ses abitudes et sa vie changent entièrement. Jusqu'ici trois

(1) Deux vol. in-18. Victor Masson, rue de l'École-de-Médeine, 17.

ou quatre heures ont suffi, chaque jour, à ses travaux intellectuels; désormais il restera dix heures et plus dans une classe; il verra s'accumuler une série de leçons, de thèmes et de versions qui exigeront tout ce temps d'une application permanente. Si le sang monte à son cerveau, s'il éprouve des vertiges, si ses oreilles tintent ou bourdonnent, s'il ne peut travailler toujours, en un mot, malheur à lui! Il sera puni pour un mot glissé à son voisin, puni pour une distraction, puni pour son devoir inachevé ou mal fait, puni pour son manque de mémoire. Des devoirs supplémentaires, des milliers de vers à copier, viendront grossir la tâche qui déjà dépasse ses forces.

« Si seulement il pouvait jouir à sa guise des deux ou trois heures de récréation qui lui sont accordées! S'il pouvait respirer à l'aise et dégourdir ses membres endoloris par l'immobilité! Mais point. Les punitions absorbent son temps de liberté, ou s'il lui est permis de paraître un moment dans une cour étroite et triste, il trouve encore la contrainte. Défense lui est faite de monter aux arbres, de grimper sur le mur, de lutter, etc.; il doit s'amuser selon la règle et le bon plaisir d'autrui.

<< Alors arrive le sentiment d'une grande injustice commise à son égard, alors son âme est envahie par une douleur impossible à rendre. Il se sent enfermé dans un cercle de répression, ses mains sont liées, la lutte lui est impossible il subit une domination que son cœur et son esprit n'acceptent pas, il est esclave.

<«< Dès lors, il hait ceux qu'il considère comme des oppresseurs, il est ingénieux à leur infliger des tourments, il a plaisir à les tromper, il trouve une amère volupté à faire tout ce qui lui est défendu. Dans cette guerre faite à plus forts que soi, il devient hypocrite et menteur. Obligé de dissimuler avec les forts, il se montre altier et impudent avec les faibles, il se venge sur eux des humiliations qui lui sont infligées : il a tous les vices de l'esclavage.

«Si son caractère est très-fortement trempé, il se montre impassible en face des punitions, mais il est atteint de langueur et de dépérissement. Parfois il mûrit des projets. d'évasion, veut être mousse sur un navire, ou berger dans les Alpes; parfois encore son cœur gonflé de fiel médite l'incendie de la maison qu'il considère comme un cachot. Avant tout, il contracte une horreur profonde de l'oppression et un amour effréné pour la liberté.

« Admettons le cas où une tête active et précoce, où un corps débile et indolents'accommode du régime de la pension. Les succès se multiplient, les prix arrivent de toutes parts; l'esprit, soutenu par la vanité, trouve le travail facile. Mais cette précocité intellectuelle et cette exaltation du système nerveux vont tourner au profit de la passion.

<«< Admettons encore que le bon écolier échappe à ce danger et sorte du collége, chargé de prix; ces succès prématurés seront achetés par un complet épuisement intellectuel, ou même par une disposition à l'aliénation mentale. Voilà pourquoi tant de jeunes gens tombent dans la paresse et l'inertie, après avoir donné les plus brillantes espérances; voilà pourquoi la folie s'adresse si fréquemment aux anciens élèves de l'École polytechnique.

<< La conclusion de tout ceci, c'est que l'excès de travail intellectuel imposé à l'enfance par l'instruction secondaire rend impossibles et le développement du corps et l'évolution des qualités du cœur. Je vais plus loin, je soutiens que l'intelligence elle-même est lésée. »

L'État a obvié, autant qu'il a pu, à ces graves inconvénients, en séparant la carrière des sciences et la carrière des lettres, et en allégeant ainsi de moitié le fardeau des

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TABLE GÉNÉRALE

DES VINGT PREMIERS VOLUMES DU MUSÉE DES FAMILLES.

Ce complément indispensable, cette lumière et cette clef de la collection du Musée des Familles, attendue et réclamée depuis si longtemps, est en vente dans nos bureaux. (Voir le Mercure et la quatrième page de la couverture du présent numéro.)

La table générale, vraiment encyclopédique, est disposée de telle façon qu'il est impossible que toute recherche ne soit pas satisfaite à l'instant même.

<<< Si nos lecteurs veulent se faire une véritable idée des matières contenues dans notre collection, qu'ils jettent un simple coup d'œil à notre table générale. Les plus savants d'entre eux, les plus versés dans la connaissance de

notre recueil seront étonnés, nous en sommes convaincus, de l'infinité et de la variété des sujets traités dans le Musée des Familles. Ils verront qu'outre l'intérêt et l'agrément de la forme, il peut remplacer, pour le fond, grâce à la Table générale, les encyclopédies et les dictionnaires indigestes qui dorment dans les bibliothèques, et que le jeune homme, la femme, l'homme du monde qui s'approprieraient le trésor d'instruction répandu dans nos vingt premiers volumes, seraient en état de subir, comme Pic de la Mirandole, un examen détaillé de omni re scibili et quibusdam aliis. C'était là notre ambition la plus chère, et c'est notre plus glorieuse récompense. >>

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LES EAUX ET LES BAINS CÉLÈBRES".

UN VOYAGE AUX BAINS DE SAINT-GERVAIS, EN FAUCIGNY (SAVOIE).

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Vue du village de Saint-Gervais, prise de la route des bains. Dessin de M. A. de Bar. Il y a quelques années, à la suite de longs travaux, je me sentis atteint d'une maladie qui n'a pas été, que je (1) Voyez la table générale des vingt premiers volumes. JUIN 1856.

sache, observée par Hippocrate. C'était un appétit irrẻsistible de montagnes, une soif inextinguible de cascades. Pour tenter la guérison de cette affection non décrite, - 33. VINGT-TROISIÈME VOLUME.

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