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UNE VILLE ET UNE MAISON ROMAINES, IL Y A DIX-HUIT CENTS ANS.

POMPÉI DÉCRITE ET DESSINÉE PAR ERNEST BRETON (1).

Destruction de Pompéi et d'Herculanum. Lettre de Pline à Tacile. Tableau de l'éruption du Vésuve en 79. Phénomènes terribles. Oubli de dix-sept siècles. Premières découvertes. Le boulanger de Portici. Le prince d'Elbœuf et le laboureur du Sarno. Les fouilles du général Championnet et de la reine Caroline. La ville exhumée. Surprises et trésors. La maison de Pansa. Un quart d'heure de vie romaine. Contraste moderne. Conclusion.

Les ruines de Pompéi et d'Herculanum sont sans contredit la plus grande curiosité de l'Europe et peut-être du

monde; et le livre le mieux écrit, le guide le plus exact, le tableau le plus intéressant qu'aient inspirés ces ruines sans rivales sont, à coup sûr, l'ouvrage publié dernièrement par notre collaborateur, M. Ernest Breton, de la Société impériale des antiquaires de France.

Nous avons dit un mot de Pompéi et de sa destruction, il y a quelques années (2); mais un tel sujet mérite d'être traité en détail, et nous saisissons, pour le faire, l'occasion excellente que nous fournit M. Breton. On ne saurait exécuter ce petit voyage dans l'ancien monde romain

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avec un cicérone plus instruit et plus aimable à la fois. Pompéi et Herculanum florissaient depuis des siècles aux pieds du Vésuve, dans cette belle Campanie, célèbre par ses roses, ses vins et ses délices, lorsqu'elles furent englouties, du 23 au 26 août 79, par la catastrophe dont Pline le Jeune nous a laissé l'immortelle peinture dans sa lettre à Tacite sur la mort de son oncle Pline l'Ancien.

Nous relirons avec plaisir cette fameuse lettre, dont nous n'avions traduit que quelques fragments au collége:

« Vous me priez de vous apprendre au vrai comment mon oncle est mort, afin que vous en puissiez instruire la postérité. Je vous en remercie; car je conçois que sa mort sera suivie d'une gloire immortelle, si vous lui donnez place dans vos écrits.

« Il était à Misène, où il commandait la flotte. Le 23o d'août, environ une heure après midi, ma mère l'avertit qu'il paraissait un nuage d'une grandeur et d'une figure

extraordinaires. Après avoir été quelque temps couché au soleil, selon sa coutume, et avoir pris un bain d'eau. froide, il s'était jeté sur un lit, où il étudiait. Il se lève et monte en un lieu où il pouvait aisément observer ce prodige. Il était difficile de discerner de loin de quelle montagne sortait ce nuage; l'événement a découvert, depuis, que c'était du mont Vésuve. Sa figure approchait de celle d'un arbre et d'un pin plus que d'aucun autre; car, après s'être élevé fort haut en forme de tronc, il étendait une espèce de feuillage. Je m'imagine qu'un vent souterrain violent le poussait d'abord avec impétuosité et le soutenait; mais, soit que l'impulsion diminuât peu à peu, soit que ce nuage fût affaissé par son propre poids, on le voyait se dilater et se répandre; il paraissait tantôt blanc,

(1) Un beau volume grand in-8°, 2me édition, illustrée de vues, maisons, plans, etc. Gide et Baudry, rue Bonaparte, 5. (2) Voyez notre tome XVI, page 241.

tantôt noirâtre, et tantôt de diverses couleurs, selon qu'il était plus chargé ou de cendre ou de terre. Ce prodige surprit mon oncle, qui était très-savant, et il le crut digne d'être examiné de plus près. Il commande que l'on apprête sa frégate légère, et me laisse la liberté de le suivre. Je lui répondis que j'aimais mieux étudier, et, par hasard, il m'avait lui-même donné quelque chose à écrire. Il sortait de chez lui, ses tablettes à la main, lorsque les troupes de la flotte, qui étaient à Résina, effrayées par la grandeur du danger (car ce bourg est précisément en face Misène et on ne s'en pouvait sauver que par la mer), vinrent le conjurer de vouloir bien les garantir d'un si affreux péril. Il ne changea pas de dessein, et poursuivit avec un courage héroïque ce qu'il n'avait d'abord entrepris que par simple curiosité. Il fait venir des galères, monte luimême dessus et part dans le dessein de voir quel secours on pouvait donner non-seulement à Rétina, mais à tous les autres bourgs de cette côte, qui sont en grand nombre à cause de sa beauté. Il se presse d'arriver au lieu d'où tout le monde fuit et où le péril paraissait plus grand ; mais avec une telle liberté d'esprit, qu'à mesure qu'il apercevait quelque mouvement ou quelque figure extraordinaire dans ce prodige, il faisait ses observations et les dictait. Déjà sur ses vaisseaux volait la cendre, plus épaisse et plus chaude à mesure qu'ils approchaient; déjà tombaient autour d'eux des pierres calcinées et des cailloux tout noirs, tout brûlés, tout pulvérisés par la violence du feu; déjà la mer semblait refluer et le rivage devenir inaccessible par des morceaux entiers de montagnes dont il était couvert, lorsque; après s'être arrêté quelques moments, incertain s'il retournerait, il dit à son pilote, qui lui conseillait de gagner la pleine mer: La fortune favorise le courage. Tournez du côté de Pomponianus. Pomponianus était à Stabie, en un endroit séparé par un petit golfe que forme insensiblement la mer sur ces rivages qui se courbent. Là, à la vue du péril, qui était encore éloigué, mais qui semblait s'approcher toujours, il avait retiré tous ses meubles dans ses vaisseaux et n'attendait pour s'éloigner qu'un vent moins contraire. Mon oncle, à qui ce même vent avait été très-favorable, l'aborde, le trouve tout tremblant, l'embrasse, le rassure, l'encourage, et, pour dissiper par sa sécurité la crainte de son ami, se fait porter au bain. Après s'être baigné, il se met à table et soupe avec toute sa gaieté, ou (ce qui n'est pas moins grand) avec toutes les apparences de sa gaieté ordinaire. Cependant on voyait luire de plusieurs endroits du mont Vésuve de grandes flammes et des embrasements dont les ténèbres augmentaient l'éclat. Mon oncle, pour rassurer ceux qui l'accompagnaient, leur dit que ce qu'ils voyaient brûler, c'étaient des villages que les paysans alarmés avaient abandonnés et qui étaient restés sans secours. Ensuite il se coucha et dormit d'un profond sommeil; car, comme il était puissant, on l'entendait ronfler de l'antichambre. Mais enfin, la cour par où l'on entrait dans son appartement commençait à se remplir si fort de cendres, que, pour peu qu'il fût resté plus longtemps, il ne lui aurait plus été libre de sortir. On l'éveille; il sort et va rejoindre Pomponianus et les autres qui avaient veillé. Ils tiennent conseil et délibèrent s'ils se renfermeront dans la maison ou s'ils tiendront la campagne; car les maisons étaient tellement ébranlées par les fréquents tremblements de terre, que l'on aurait dit qu'elles étaient arrachées de leurs fondements et remises à leur place. Hors de la ville, la chute des pierres, quoique légères et desséchées par le feu, était à craindre. Entre ces périls, on choisit la rase campagne. Chez ceux de sa suite, une

crainte surmonta l'autre ; chez lui, la raison la plus forte l'emporta sur la plus faible. Ils sortent donc et se couvrent la tête d'oreillers attachés avec des mouchoirs; ce fut toute la précaution qu'ils prirent contre ce qui tombait d'en haut. Le jour recommençait ailleurs; mais dans le lieu où ils étaient continuait une nuit, la plus sombre et la plus affreuse de toutes les nuits, et qui n'était un peu dissipée que par la lueur d'un grand nombre de flambeaux et d'autres lumières. On trouva bon de s'approcher du rivage et d'examiner de près ce que la mer permettait de tenter; mais on la trouva encore fort grosse et fort agitée d'un vent contraire. Là, mon oncle, ayant demandé de l'eau et bu deux fois, se coucha sur un drap qu'il fit étendre. Ensuite des flammes, qui parurent plus grandes, et une odeur de soufre qui annonçait leur approche, mi rent tout le monde en fuite. Il se lève, appuyé sur deux valets, et dans le moment tombe mort. Je m'imagine qu'une fumée trop épaisse le suffoqua d'autant plus aisément qu'il avait la poitrine faible et souvent la respiration. embarrassée. Lorsque l'on commença à revoir la lumière (ce qui n'arriva que trois jours après), on retrouva au même endroit son corps entier, couvert de la même robe qu'il avait quand il mourut, et dans la posture plutôt d'un homme qui repose que d'un homme qui est mort. >>

« Après que mon oncle fut parti, ajoute Pline le Jeune dans une seconde lettre, je continuai l'étude qui m'avait empêché de le suivre. Je pris le bain, je soupai, je me conchai et dormis peu, et d'un sommeil fort interrompu. Pendant plusieurs jours, un tremblement de terre s'était fait sentir et nous avait d'autant moins étonnés, que les bourgades et même les villes de la Campanie y sont fort sujettes. Il redoubla pendant cette nuit avec tant de violence qu'on eût dit que tout était non pas agité, mais renversé!... Il était déjà sept heures du matin, et il ne paraissait encore qu'une lumière faible, comme une espèce de crépuscule. Alors les bâtiments furent ébranlés par de si fortes secousses qu'il n'y eut plus de sûreté à demeurer dans un lieu à la vérité découvert, mais fort étroit. Nous prenons le parti de quitter la ville; le peuple épouvanté nous suit en foule, nous presse, nous pousse; et, ce qui dans sa frayeur tient lieu de prudence, chacun ne croit rien de plus sûr que ce qu'il voit faire aux autres. Après que nous fû.nes sortis de la ville, nous nous arrêtâmes; et là, nouveaux prodiges, nouvelles frayeurs. Les voitures que nous avions emmenées avec nous étaient à tout moment si agitées, quoique en pleine campagne, qu'on ne pouvait, même en les appuyant avec de grosses pierres, les arrêter en place. La mer semblait se renverser sur elle-même et être comme chassée du rivage par l'ébranlement de la terre. Le rivage, en effet, était devenu plus spacieux et se trouvait rempli de différents poissons demeurés à sec sur le sable. A l'opposite, une nue noire et horrible, crevée par des feux qui s'élançaient en serpentant, s'ouvrait et laissait échapper de longues fusées semblables à des éclairs, mais qui étaient beaucoup plus grandes... La cendre commençait à tomber sur nous, quoique en petite quantité. Je tourne la tête et j'aperçois derrière nous une épaisse fumée qui nous snivait, en se répandant sur la terre comme un torrent. «Pendant que « nous y voyons encore, quittons le grand chemin, dis-je « à ma mère, de peur qu'en le suivant la foule de ceux << qui marchent sur nos pas ne nous étouffe dans les té«nèbres.» A peine étions-nous écartés qu'elles augmentèrent de telle sorte qu'on eût cru être, non pas dans une de ces nuits noires et sans lune, mais dans une chambre où toutes les lumières auraient été éteintes... Il parut une

Leur qui nous annonçait, non le retour du jour, mais approche du feu qui nous menaçait; il s'arrêta pourtant in de nous. L'obscurité revint, et la pluie de cendres recommença et plus forte et plus épaisse. Nous étions réhits à nous lever de temps en temps pour secouer nos habits, et sans cela elle nous eût accablés et engloutis... Enfin, cette épaisse et noire vapeur se dissipa peu à peu et se perdit tout à fait comme une fumée ou comme un age. Bientôt après parurent le jour et le soleil même, unatre pourtant et tel qu'il a coutume de luire dans une eclipse. Tout se montrait changé à nos yeux encore trouDés, et nous ne trouvions rien qui ne fût caché sous des Monceaux de cendres, comme sous la neige. »

a Les vents s'assoupissaient, dit Bulwer, l'écume expiit sur l'azur de cette mer délicieuse. Dans l'orient, de lézeres vapeurs réfléchissaient par degrés les teintes de rose qui annonçaient le matin; la lumière allait reprendre son empire. Cependant, immobiles et sombres se montraient encore dans le lointain les fragments compactes de la nuée destructive, au sein de laquelle des bandes rouges, mais d'un éclat de plus en plus faible, trahissaient les feux encore ardents de la montagne des Champs-Brúles. Les murs blancs et les brillantes colonnes qui oraient cet admirable rivage n'étaient plus. Morne et triste était la contrée naguère couronnée par les villes d'Herculanum et de Pompéi. Ces villes, les filles bien-aimées de la mer, étaient arrachées à ses embrassements! Pendant une longue suite de siècles, elle étendra vainement ses bras azurés, ne les retrouvera plus et gémira sur les tombes de ses enfants perdus! »

Dix-sept siècles, en effet, après ce désastre, on avait oublé Pompéi et Herculanum, au point de ne pas savoir même au juste la place qu'elles avaient occupée. Le hasard seul, comme il arrive toujours, mit sur la trace des deux cités englouties.

-En 1684, un boulanger, creusant un puits à Portici, encontra quelques ruines romaines; ce puits, qui existe encore aujourd'hui, descendait précisément au milieu du téâtre d'Herculanum ! Le prince Emmanuel d'Elbeuf, Français de naissance, envoyé à Naples à la tête d'une armée impériale, y ayant épousé la fille du prince de Salsa, fit, en 1706, l'acquisition du terrain où se trouvait puits et y batit un palais. Vers 1713, en élargissant ce puts, it trouva des marbres dont il orna ses terrasses et ses escaliers, et trois statues de femmes drapées qu'il envoya à Vienne, d'où elles sont passées à Dresde. De nouveaux travaux exécutés par ses ordres amenèrent, dit-on, la découverte d'un temple circulaire, soutenu par quaTante-huit colonnes d'albâtre.

Bientôt le gouvernement napolitain intervint et fit suspendre les fouilles, et ce ne fut que plus de vingt ans après, vers 1736, qu'elles furent reprises par ordre du roi Charles III. Une nouvelle entrée fut pratiquée à Resina, et l'on découvrit successivement le théâtre, des basiliques, des édifices privés, des inscriptions et des médailles qui I ne laissèrent aucun doute sur l'identité de ces ruines avec celles de la malheureuse cité d'Herculanum.

Cependant, les excavations prolongées à une profondeur de vingt-quatre mètres, dans un massif très-dur, et sous les villes de Portici et de Résina, étaient fort difficiles et entraînaient des frais considérables; aussi les travaux marchaient-ils très-lentement. En 1748, un laboureur, creusant un sillon sur le sol de Cività, près du Sarno, heurta une statue de bronze du soc de sa charrue; on se rappela alors que déjà, en 1689, des paysans avaient ouvé en ce lieu quelques débris antiques, un trépied et

un petit Priape de bronze; le terrain fut acquis par le gouvernement et des fouilles furent commencées. Pompéi était découverte ! Bientôt on reconnut qu'à peu de frais on pourrait la dépouiller tout entière de son linceul de cendres, et, de ce moment, Herculanum fut presque entièrement abandonnée. On avait fait aussi quelques tentatives sur Stabia; mais la cherté des terrains et le peu d'importance des objets que l'on découvrit y firent également renoncer, et toute l'attention du gouvernement se concentra sur Pompéi.

Dans le commencement, on se contentait de déblayer les édifices pour en retirer tout ce qu'ils pouvaient contenir; puis on les recouvrait avec le produit des fouilles des édifices voisins. Enfin, on conçut l'heureuse idée de rendre la ville au jour en la dégageant des cendres et des scories dont elle est recouverte, et c'est à cette pensée féconde que l'on doit de jouir aujourd'hui de tant de monuments qui auparavant ne faisaient que revoir le jour un instant et disparaissaient aussitôt à tout jamais. Les fouilles régulières dirigées par les soins et les conseils éclairés du général Championnet, qui, en 1799, occupa le royaume de Naples au nom de la France, celles qui furent exécutées en 1812 et 1813 en présence de la reine Caroline, et depuis par l'ordre du gouvernement napolitain, ont eu les plus heureux résultats. Tous les objets portatifs sont déposés à Naples au musée des Studj, aussi bien que les principales mosaïques et peintures. Parmi ces dernières, celles qu'on ne juge pas dignes d'être détachées de la muraille sont couvertes de châssis vitrés ou de paillassons.

Les différentes couches qui recouvrent la ville des Morts, comme l'appelait Walter Scott, forment une hauteur totale de 5m 50 environ, composée de cendres, de lapillo et d'un peu de terre végétale, dont l'épaisseur varie de 0m 22 à 0m 60. Le travail est donc très-facile, le lapillo se remuant à la pelle et presque sans le secours de la pioche.

Aussi une grande partie de la cité est déjà mise à nu; chaque jour enlève une bandelette à cette momie précieuse, et vous imaginez la surprise et la joie des savants et des voyageurs qui touchent du pied et du doigt, à chaque pas et à chaque geste, un détail nouveau, un mystère ignoré, une page inédite de la vie publique et privée des anciens Romains!

Les découvertes sont d'autant plus curieuses et d'autant plus admirables, que tous les fragments de Pompéi, temples, forums, tombeaux, palais, théâtres, maisons, boutiques, bains, chambres, objets d'art, meubles, etc., sont retrouvés presque intacts, et tels qu'ils furent surpris et comme figés, il y a dix-huit cents ans, par la lave ou la cendre du Vésuve! (Voyez les gravures cicontre, dont notre collaborateur a fait les dessins sur les lieux mêmes.)

Afin de saisir d'un coup d'œil l'existence intime des Pompéiens au centre de leurs pénates, nous suivrons notre guide à la maison de Pansa, type complet des habitations romaines. En se reportant au plan ci-joint de cet édifice, nos lecteurs vivront un quart d'heure de la vie antique, comme si le somnambulisme la leur révélait tout entière.

-L'architecture et la distribution de la maison de Pansa, ses ornements, ses fresques, ses marbres, tout indique qu'elle appartenait à l'un des premiers citoyens de la ville. Découverte de 1811 à 1814, elle occupe une île entière, insula, c'est-à-dire un espace circonscrit par quatre rues, et formant un rectangle presque régulier de 98m de longueur sur 37 80 de largeur, entouré d'un trottoir de

0m 66 environ. La façade principale, qui forme le côté méridional du rectangle, donne sur la rue des Thermes; outre la porte qui se trouve au milieu, elle présente six boutiques; les deux grands côtés de l'île en sont également garnis. Les boutiques qui occupaient ainsi la partie extérieure du rez-de-chaussée de presque toutes les maisons de Pompéi n'ont pour la plupart aucune communication avec le reste du logis, et étaient données à loyer. Les pièces marquées 7, 8, 9, 10, 11 et 12 composaient une boulangerie complète avec toutes ses dépendances. Il serait difficile de décider laquelle des trois boutiques 7, 9 ou 10 servait au débit de la marchandise; seulement, si les anciens avaient la même prédilection pour les coins de rue que nos marchands modernes, il doit y avoir présomption en faveur de la boutique, 10, qui d'ailleurs était placée sur la rue principale, et qui était accompagnée d'une arrière-boutique, 12. La pièce 9 a offert une particularité que Mazois n'a pas manqué de signaler: sur la paroi intérieure du trumeau existait une peinture représentant un serpent, symbole d'une divinité custode, ou gardienne de la maison, et à côté était scellée dans le mur une brique en saillie, qui servait à porter la lampe qui brûlait continuellement en son honneur. En face de cette représentation toute païenne, et bien en évidence, était une croix latine en bas-relief, ou du moins un objet qui

en a toute la forme; il serait bien singulier qu'il fût permis d'y voir un symbole de la nouvelle religion du Christ.

La pièce la plus intéressante est le pistrinum, 8, où sc trouvent encore trois moulins à bras en lave, à peu près de la forme de nos moulins à café, des chaudières sur des fourneaux, et le pétrin dans lequel on préparait la pâte. On y a trouvé également divers vases, de terre cuite qui avaient servi à contenir l'eau, la farine et le sel, et à côté desquels était un puits dont on voit encore la margelle. Dans un angle de cette salle est l'entrée du four, dans lequel étaient encore plusieurs pains. Au-dessus de la porte de celui-ci était un bas-relief dont il est bien difficile d'expliquer la présence en ce lieu; c'est une image. anatomique, colorée en rouge, et accompagnée de l'inscription: Hic habitat felicitas. La pièce 11 a dû servir de magasin à farine ou de logement.

La boutique 13, la seule qui communique avec l'intérieur de la maison, témoigne de l'existence, chez les Romains, d'un usage qui s'est perpétué en Italie, et principalement à Florence, où le vinajo a remplacé le dispensator, comme le petit guichet percé dans la muraille du palais a succédé à la boutique où se tenait à son comptoir l'esclave qui, chez les anciens, était chargé de débiter le vin et l'huile que le propriétaire récoltait dans ses do

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maines. L'espèce d'arrière-boutique 14 dut servir de demeure au dispensator de Pansa.

Revenons maintenant à la rue des Thermes et présentons-nous à la porte de la demeure de Pansa. Cette porte n'existe plus aujourd'hui, ayant été, comme toutes les autres portes de Pompéi, détruite par le feu du Vésuve; on sait seulement, par les portes feintes qui ont été trouvées peintes sur plusieurs murailles, et surtout par la porte de marbre des tombeaux, que les portes étaient ordinairement en bois de chêne, à deux battants, à panneaux, et ornées de bulles, gros clous à têtes dorées, et que, comme les nôtres, elles portaient souvent un marteau; elles étaient habituellement surmontées d'une imposte éclairant le vestibule, ce qui explique leur hauteur si peu en rapport avec leur largeur. D'après un règlement de police, elles ne pouvaient s'ouvrir qu'en dedans; Denys d'Halicarnasse et Plutarque nous apprennent qu'au seul Valerius Publicola, en récompense des services qu'il avait rendus à la République, il fut permis de faire ouvrir en dehors les portes de la maison qu'il possédait au pied du Palatin.

Chez les Romains, l'entrée de la maison était placée sous la garde de quatre divinités: Janus, qui présidait à l'ensemble de la porte, janua; Forculus, qui avait sous sa protection les battants, fores; Limentinus, qui veillait au linteau et au seuil, limen; enfin la déesse Cardea ou

Carna, qu'on invoquait pour la conservation des gonds, cardines.

D'un passage de Suétone, nous devons inférer que la porte était ordinairement, comme chez les modernes, accompagnée d'une sonnette.

Après avoir franchi le seuil du pied droit, on se trouvait dans un corridor de 2m 80 de largeur: c'est le prothyrum ou aditus, que les Grecs appelaient aussi diathyrum, et où se tenait le portier, l'ostiarius, accompagné ordinairement d'un chien, qui n'était quelquefois qu'une peinture sur la muraille ou une mosaïque incrustée dans le sol.

Quelquefois des portes percées dans les murailles du prothyrum donnaient accès à la loge du portier, cella ostiarii, et à des salles servant d'antichambre. Ces pièces n'existent pas dans la maison de Pansa.

Au fond du prothyrum on voyait dans le sol comme un second seuil en mosaïque, sur lequel on lit le mot SALVE, souhait de bienvenue pour les visiteurs. Franchissant ce seuil et une seconde porte qui n'existe plus, on entre dans l'atrium ou cavadium AAAA, petite cour rectangulaire de 14m 40 sur 9m 40, entourée de portiques, et partie essentielle des habitations romaines, à laquelle correspondent le cortile de l'Italie moderne et le patio des Espagnols, et qui avait été imitée de l'an des Grecs.

Il existait chez les anciens cinq espèces d'atrium; le plus simple, et celui de Pansa est du nombre, était l'atrium toscan, tuscanicum, le seul qui fût en usage dans les premiers temps, et que Pline désigne comme ayant été construit ex more veterum, à la manière des anciens.

C'était dans cette espèce de vestibule qu'on recevait les clients et les étrangers. Souvent, entre les colonnes de l'atrium était un puteal ou embouchure de citerne; auprès se trouvait un grand vase de plomb en forme de seau, où on laissait l'eau exposée à l'air pour la purifier. Ces vases sont en grand nombre au musée de Naples. En avant du compluvium de la maison de Pansa est l'ouverture carrée d'une de ces citernes. Sous les portiques, dont les murailles étaient enrichies d'arabesques entièrement détruites, sont plusieurs petites chambres, celle, C, qui n'étaient éclairées que par la porte et composaient l'ergastulum ou logement des esclaves. La chambre la plus

voisine de la porte, adossée à l'arrière-boutique, 20, fut probablement la demeure du portier, cella ostiarii.

Au fond de l'atrium est le tablinum ou tabulinum D (5 sur 5m 36), pavé en mosaïque blanche avec filets noirs; il sépare l'atrium des appartements intérieurs; le fond était fermé par de larges portes pliantes appelées valvatæ, volubiles ou versatiles; quelquefois ces portes étaient remplacées par un grand rideau, aulæum. En été, le fablinum servait quelquefois de salle à manger; c'est là aussi que l'on déposait les archives de la famille et que l'on conservait dans des armoires les portraits des ancêtres, les imagines majorum, figures en cire coloriées, dont on avait soin de rappeler les titres et les belles actions par de pompeuses inscriptions, et qui étaient portées dans les funérailles des membres de la famille.

Dans les maisons plus considérables que celle de Pansa, les deux pièces EF, contigues au tablinum, avaient une

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times sans traverser le tablinum. Eu avant de celui-ci étaient les ailes, alæ, HH, galeries garnies de siéges, dans lesquelles le patron donnait audience aux clients, et que rappellent encore aujourd'hui les salles entourées de divans des habitations de l'Orient. Le pavé de ces salles est orné de grecques et de losanges, formés de petits cubes de marbre blanc incrustés dans de l'opus signinum.

La maison de Lucrétius à Pompéi. destination analogue et lui servaient en quelque sorte de complément. Ici, la grande salle E, pavée en mosaïque, parait avoir été une bibliothèque, à en juger par les manuscrits presque entièrement détruits qui y ont été trouvés; la pièce F dut être une chambre à coucher, cubiculum; car on voit dans la paroi un renfoncement qui avait été creusé pour y faire entrer le dossier du lit, disposition que nous retrouverons souvent à Pompéi et qu'explique l'exiguïté des chambres, généralement très-petites; quelquefois on y ménageait une alcôve; les lits étaient de bronze, et souvent de matières bien plus précieuses; mais, dans les habitations modestes, ils étaient de bois, parfois même ils étaient remplacés par un massif de maçonnerie élevé de quelques centimètres au-dessus du sol, et sur lequel on étendait des peaux ou des matelas.

Entre la chambre F et le tablinum est un passage, fauces, G, permettant d'arriver aux appartements inAVRIL 1836

Montant deux degrés au fond du tablinum, on enfre dans la partie privée où le vulgaire n'était point admis. « Les conversations de l'atrium n'arrivent pas jusqu'au péristyle », a dit Térence.

D'abord se présente, en effet, le péristyle, IIII, cour entourée d'un portique soutenu par seize colonnes, présentant beaucoup d'analogie avec l'atrium, mais toujours plus étendue et plus richement décorée.

Dans l'angle S. E. du péristyle se présente un corridor, 23, conduisant à la rue de la Fullonica, où l'on descenVINGT-TROISIEME VOLUME.

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