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steppes du nouveau monde. Ce pays désert, dont le sol n'est foulé que par quelques tribus indiennes et de nombreux animaux, les seuls êtres qui donnent un aspect de vie à ces solitudes, est couvert, pendant huit mois de l'année, par un tapis immaculé de neige épaisse. Plusieurs glaciers alimentent des cascades et des courants d'eau qui vont se perdre au milieu des vastes prairies du Sahara américain.

Les ours abondent dans les ravines des montagnes Masserne; les coqs de bruyère (grouses) se rencontrent à chaque pas sous les couverts de cotonniers, de cèdres et de chênes nains qui croissent entre toutes les fissures des rochers. Le raccoon, le couguar, les coyotes se disputent des proies sans nombre; les oies, les dindons, les quails, les grues, les autruches (1) même (car il y a des autruches aux États-Unis) pullulent dans tout le territoire, pour le plus grand plaisir des chasseurs, attirés par l'abondance du gibier.

Mais le quadrupède le plus élégant et dont les hardes innombrables paissent en toute liberté sur les cimes gazonnées de la Suisse des États-Unis est, sans contredit, le bouquetin, appelé par les Indiens Shoshones et les Peaux rouges Creeks apertachoekoos, et par les naturalistes prong horn (antilope américain).

Les pionniers qui faisaient partie de l'expédition des colonels Lewis et Clarke, pendant leur voyage à travers les prairies situées entre la chaîne des Masserne et celle dite montagnes Rocheuses, ont été les premiers à décrire ce gracieux animal. Comme les chamois et les isards, les bouquetins d'Amérique sont si craintifs et si méfiants qu'ils ne se reposent jamais qu'aux sommets des précipices et des arêtes d'où ils peuvent dominer tous les chemins aboutissant aux roches qu'ils occupent. Leur vue est si perçante et leur odorat si subtil qu'il est toujours fort difficile de les approcher à portée de fusil. A peine ont-ils compris le danger qui les menace, qu'ils s'élancent et passent devant les yeux du chasseur avec plus de vitesse qu'un oiseau au vol.

Tous les soirs les hardes de bouquetins quittent avec précaution leur aire escarpée, descendent dans les plaines qui s'étendent au pied des montagnes et s'acheminent à la file les uns des autres pour aller se désaltérer à la source la plus prochaine. Mais le moindre danger menace-t-il la harde, le mâle, qui marche en tête, pousse un cri aigu, et soudain, retournant sur eux-mêmes, comme le ferait un corps d'armée discipliné, tous les animaux détalent avec la rapidité de l'éclair, le mâle restant toujours à l'arrière-garde, prêt à se livrer aux atteintes du chasseur ou d'un ennemi quelconque, ce qui lui arrive très-souvent.

J'ai entendu raconter au colonel Karney qu'un jour, pendant son voyage à travers les prairies, ayant poursuivi une harde composée de sept bouquetins, il parvint à la rejoindre, à contre-vent, sur une hauteur qui surplombait une chute d'eau dont le fracas devait amortir le bruit de sa marche. Le mâle du troupeau faisait sentinelle et se promenait autour du rocher, au milieu de six chèvres.

(1) J'ai vu entre les mains d'un naturaliste de New-York deux autruches, mile et femelle, qui avaient été tuées dans l'lowa, près du Fort-des-Moines. Eiles avaient cinq pieds de hauteur et quatre pieds et demi de longueur, de l'estomac à l'extrémité de la queue. Leur bec mesurait cinq pouces et était fort pointu. A peu de différence près, elles ressemblaient aux autruches d'Afrique. Elles avaient été achetées mille dollars cinq mille deux cents francs environ).

Tout à coup le vent vint à changer et apporta au bouquetin l'odeur humaine, qui trahit la présence du colonel. Aussitôt un sifflement aigu se fit entendre, et les sept animaux disparurent au loin comme une vision. Courir au sommet du rocher qui s'élevait à deux cents pas devant lui, plonger ses regards dans la campagne environnante, fut pour le colonel Karney l'affaire d'un moment; mais les animaux avaient déjà franchi l'espace d'un demi-kilomètre, et quand le chasseur essoufflé, n'en pouvant plus, arriva à l'endroit qui servait de pacage aux bouquetins, il les aperçut au moment où ils disparaissaient à l'entrée d'une ravine au fond de laquelle n'aboutissait aucun sentier visible. Avaient-ils franchi en sautant les cinquante mètres qui s'élevaient du fond de la fissure au sommet du roc? Étaient-ils parvenus dans les profondeurs de l'abîme par une route connue d'eux seuls, nul ne pouvait le dire, et les compagnons du colonel ne surent pas le découvrir? Cette fuite tenait du miracle, tant elle était incompréhensible et inexplicable.

Un autre jour, le colonel Karney rencontra sur les bords du Missouri un troupeau de bouquetins que la chaleur et la sécheresse avaient forcé de venir s'y désaltérer. Une tribu de cent cinquante Indiens les avaient entourés et poussés jusque dans la rivière. Là ces quadrupèdes, qui redoutent l'eau presque autant que le feu des carabines, devinrent presque tous victimes de leur imprudence, «et, disait le narrateur, c'était un spectacle curieux que de voir soixante-dix-neuf victimes dont les cornes polies s'alignaient les unes à côté des autres.

Les bouquetins tombent souvent dans les piéges que les Indiens tendent à leur curiosité, en se cachant derrière un arbre et en agitant un morceau de drap rouge ou un mouchoir blanc. On voit alors l'animal s'avancer jusqu'à ce qu'il arrive à la portée de la carabine du chasseur.

Les Peaux rouges Shoshones sont les plus habiles, parmi tous les Indiens de l'Amérique du Nord, à la chasse du bouquetin. Lorsqu'ils parviennent à entourer une harde, ils la pourchassent devant eux de manière à la conduire au milieu de la plaine. Là seulement, montés sur d'excellents chevaux, ils se divisent trois par trois, et successivement poursuivent ces animaux effrayés, qui trouvent toujours à chaque détour d'un sentier trois nouveaux ennemis, devant lesquels ils sont forcés de faire volte-face. Poursuivis de toutes parts, les animaux ne savent bientôt plus quelle direction suivre, et chacun d'eux devient la proie du chasseur, qui les abat à coups de flèches.

Au nombre des passagers du paquebot l'Argo, à bord duquel je me rendais aux États-Unis, en 1841, se trouvait un Suisse d'Appenzell, dont le visage ouvert, les bonnes manières et l'affabilité naturelle m'avaient séduit de prime abord. Sa cabine, par un heureux hasard, se trouvait a côté de la mienne, que je partageais avec un missionnaire se rendant au Canada pour y prêcher la religion catholique aux Peaux rouges des déserts du Nord. Une intimité charmante régna bientôt entre le Suisse et moi, et nous étions si souvent ensemble, sur le pont, à table, assis l'uni à côté de l'autre, que le jésuite, avec une bonne grace parfaite, m'offrit de prendre la place de mon nouvel ami et de lui céder son hamac. L'échange fut fait séance tenante, et j'aidai moi-même au déménagement.

Nous voilà donc installés, M. Simonds et moi, dans la même cabine, heureux de nous trouver seuls tous deux pour causer, rêver et «poétiser » ensemble. Il est vraiment rare dans la vie de trouver son alter ego, un ami qui pense

comme vous, dont les goûts soient les mêmes, les principes identiques, les rêves aussi aventureux; eh bien! cet « oiseau rare », je l'avais découvert, et, sans être parfaits l'un et l'autre, nous nous convenions en tous points.

La chasse et son entraînement irrésistible servaient souvent de texte à nos longues causeries du soir sur le gaillard d'arrière. M. Simonds, dès sa sortie du collége de Fribourg, était allé rejoindre son père, riche fermier qui exploitait alors une immense étendue de terrains entre Glaris et Schwitz, à quelques milles des Alpes, près du mont Saint-Gothard. La vie de pasteur et de chasseur, quelque rude qu'elle soit, avait été, de prime abord, sympathique à mon jeune Suisse : il avait accepté avec joie les devoirs de la profession qu'il embrassait sans l'avoir choisie, par cette même raison qu'elle s'adaptait à ses goûts et à son naturel. Le gibier abondait sur tout le territoire cultivé par la famille Simonds, et le fils aîné du fermier était bientôt devenu le plus habile tireur du pays. La chasse au chamois, fort nombreux il y a vingt ans dans la partie des Alpes qui avoisine le mont Saint-Gothard, était celle que préférait le jeune Simonds, dont le nom était célèbre parmi tous les habiles tireurs du canton.

Il n'entre pas dans le cadre de cet article de raconter les causes qui amenaient en 1841 M. Simonds aux ÉtatsUnis; il me suffira, pour l'intelligence du récit qui va suivre, de dire que mon ami, après avoir perdu tous les membres de sa famille, émigrait en Amérique, emmenant avec lui plusieurs bergers de son pays et allant fonder avec eux une colonie sur les limites des prairies du Far-West.

A New-York, nous nous séparàmes, bien à regret, M. Simonds et moi: lui allait droit au but, vers l'inconnu; moi, je restais au milieu d'inconnus, dans un monde à moitié civilisé. Nous nous promîmes de nous écrire, j'engageai même ma parole d'aller un jour ou l'autre rendre une visite au trapper européen, dans quelque lieu qu'il eût établi son log cabin, et chacun de nous tint rigoureusement sa promesse.

C'était en 1845: M. Simonds, établi sur les pendants onest des monts Masserne, à l'angle nord de l'État de l'Arkansas, sollicitait depuis trois ans «le plaisir» de ma visite dans sa plantation agreste, qu'il avait baptisée d'un nom cher à ses souvenirs: Appenzell bottom (la vallée d'Appenzell). Les vacances étaient arrivées, je me décidai un matin à monter dans un chemin de fer, et me voilà en route pour la Suisse américaine. Dix jours après mon départ de New-York, j'étais arrivé à Fayetteville, et le lendemain, au coucher du soleil, mon guide m'amenait sur les bords d'un petit lac entouré de magnifiques peupliers, couvert d'oiseaux aquatiques de toute sorte et presque apprivoisés, à l'extrémité duquel s'élevait un châlet suisse, très-habilement construit; çà et là de petites cabanes, destinées aux usages domestiques de la ferme, ajoutaient au pittoresque de ce paysage. C'était la demeure de mon ami Simonds.

Quelle joie nous eûmes à nous revoir! Comme les heures qui suivirent cette réunion s'écoulèrent rapides et trop courtes! Je laisse à penser à mes confrères en SaintHubert toutes les questions adressées par moi à ce hardi pionnier, qui n'avait pas reculé devant un exil au milieu d'un désert, et qui vivait là, seul, en garçon, avec une vingtaine de nègres pour les travaux de la ferme et sept bergers de son pays, tous bachelors comme leur maître, dont les seules occupations étaient de veiller à la garde d'un nombreux troupeau, qui prospérait d'une manière surprenante sur les pâturages d'Appenzell-Bottom.

Naturellement notre conversation roula sur la chasse,

et, entre autres sports dont mon hôte me promit la jouissance, il mentionna une battue aux bouquetins sur les pics Masserne. J'avais souvent entendu parler en Europe de la chasse aux chamois et aux isards sans l'avoir jamais faite aussi cette proposition me remplit-elle d'une grande joie.

A quelques jours de là, tous nos préparatifs étant faits, il fut décidé que nous irions rejoindre les bergers de M. Simonds, et nous partimes tous deux, un dimanche soir, M. Simonds et moi, afin d'aller demander un gîte à un voisin, dont la métairie était située à cinq milles d'Appenzell-Bottom. Le compatriote et l'ami de M. Simonds était un vieillard septuagénaire, entouré d'une famille nombreuse, dont l'hospitalité fut «suisse » dans toute l'expression du mot.

Dans ces lieux relégués au centre des prairies du nouveau monde, où l'influence délétère des populations européennes n'a point encore pénétré, où les mœurs sont à la fois pures et patriarcales, les usages religieux du vieux continent sont observés avec une scrupuleuse fidélité. Aussi, après le repas du soir, l'aïeul prit-il une bible de Luther, pour lire à haute voix un chapitre dans le livre ouvert au hasard. Les femmes, quittant leurs travaux, s'étaient assises autour de leur père, toutes d'un côté, les hommes en avaient fait autant, et nous les avions imités, Simonds et moi, quoique appartenant à une religion diffé

rente.

Le lendemain matin, bien avant l'aube, armés de nos fusils, chargés de nos gibecières, nous avions découplé nos chiens pour nous remettre en route. Le sentier que nous gravissions avec peine était tortueux et peu frayé. Une nuit profonde s'étendait dans ces gorges aux abîmes dangereux tout autour de nous se hissaient des roches sombres et ardues, éclairées par les pàles rayons d'une lune à moitié voilée par les nuages; on aurait pris volontiers ces blocs de pierre, eu égard à leur forme capricieuse et imposante, pour des géants préposés à la garde des montagnes.

Devant nous, au bruit de nos pas, fuyaient des oiseaux nocturnes, qui, voltigeant sur nos têtes, disparaissaient bientôt dans l'obscurité. A mesure que nous nous élevions, le jour semblait s'élever avec nous; les étoiles disparaissaient absorbées dans l'azur éthéré; la lune, blanche et påle comme un fantôme qui s'évanouit, disparaissait derrière les pointes élevées de la chaîne des Masserne.

Nos chiens, libres et abandonnés à eux-mêmes, faisaient souvent voler, hors de portée, des grouses, abritées sous quelque roche ou dans les branches des whortle-berries (les airelles) qui tapissaient les parois abritées contre le vent. Enfin, le soir, après une marche fort pénible, nous arrivâmes aux bergeries de mon ami Simonds, situées sur une des «<tables » (vastes plaines au sommet des montagnes) des Masserne.

Chaque année, au mois de juin, les bergers d'Appenzell-Bottom conduisaient leurs troupeaux pour les faire pacager sur cet immense plateau. Au sommet d'une éminence préservée des coups de vent par une roche granitique, ils avaient construit des huttes à moitié creusées dans la pierre et recouvertes de toits en terre, dont l'existence ne pouvait être soupçonnée que par ceux mêmes qui les avaient bâties. Ces cabanes étaient dispersées de manière à entourer le troupeau et à le défendre en cas d'attaque contre les coyotes, très - nombreux dans ces parages. Un fagot d'épines de whortle-berries en fermait l'entrée basse et étroite.

Ce qui me fit découvrir ces huttes, ce fut l'épaisse fumée qui s'échappait de l'une d'elles. En nous approchant du seuil, nous fumes reçus par un des bergers, qui nous attendait depuis la veille, prévenu de notre arrivée par un des nègres que M. Simonds avait envoyés en avant avec des vivres et des munitions. Le pâtre de Masserne était un homme dans toute la force de l'âge; il paraissait avoir une quarantaine d'années, son visage hâlé, ses cheveux longs et frisés, retombant sur le cou, lui donnaient un air presque farouche, sans compter que ses vêtements, faits de fourrure, et l'enveloppant de la tête aux pieds, l'auraient fait prendre pour un ours de la plus belle venue. Il avait été laissé dans les huttes pour préparer la nourriture de ses compagnons, et nous étions à peine assis sur le devant de la porte de la résidence principale de ces montagnards, lorsque les autres bergers débouchèrent par un des cols de la table, escortant et poussant devant eux un troupeau de dix mille moutons, chèvres, alpagas, vaches et taureaux. C'était vraiment un spectacle remarquable que celui de tous ces animaux domestiques, s'acheminant à pas lents, faisant sonner leurs sonnettes, maintenus dans un ordre parfait par une douzaine de chiens énormes, aux queues panachées, au pelage noir comme du jais. En peu de temps, le troupeau fut parqué pour la nuit, et alors chaque berger songea à son souper. C'était le moment du «rapport», et il se fit pendant que chacun d'eux mangeait une bonne soupe d'oignons et de viande bouillie, que le maître arrosa d'une rasade de brandy.

Un troupeau de dix-neuf bouquetins avait été «revu » à cinq milles de la bergerie, paissant tranquillement sur une table escarpée, bordée d'un côté par un ravin, au fond duquel coulait un torrent, alimenté par les sources et les neiges de la chaîne Masserne. Depuis cinq jours ils n'avaient pas quitté ce pacage, et le matin même, avant midi, un des bergers les avait aperçus, paisiblement couchés dans l'herbe, protégés par une sentinelle qui veillait sur le sommet du roc.

On décida à l'instant même qu'on partirait avant le jour pour se rendre directement au Pic-du-Diable (Devil's peak); car c'est ainsi que les bergers avaient appelé le plateau sur lequel nous devions le lendemain tenter la chasse aux bouquetins.

Le soleil se leva radieux, la journée était magnifique, et quand les premiers rayons dardèrent au sommet des pics neigeux des Masserne, nous étions tous postés, M. Simonds, un des bergers, le nègre de mon hôte et moi, aux différents passages de la table. Le pâtre qui devait conduire la chasse m'avait placé près d'une crevasse large d'environ huit mètres, de laquelle mes yeux, de peur de vertige, se refusaient à mesurer la profondeur. Après m'avoir recommandé d'observer le plus profond silence, une immobilité parfaite, tout en me tenant prêt à tirer, il me quitta pour aller rabattre le gibier.

Une demi-heure se passa dans cette attente. Je m'étais muni d'une lunette d'approche, et je regardais en vain, pour tuer le temps, sur les rebords, au sommet des précipices; enfin, j'aperçus bondir un bouquetin à près d'un quart de lieue, et ce premier animal fut bientôt suivi de cinq ou six autres, qui s'arrêtèrent, l'oreille au guet, l'œil en observation, le nez au vent, piétinant de temps à autre et prêts à s'élancer. Le moment était solennel : ma joie ne se contenait plus.

Par un phénomène très-ordinaire dans les chaînes des Masserne, un brouillard assez épais nous enveloppa tout d'un coup; la chaleur était accablante, tout présageait un

orage qui ne tarda pas à éclater. Le tonnerre gronda sourdement sur nos têtes, à nos côtés, sous nos pieds: j'étais abrité sous un cèdre aux branches touffues, persuadé que la foudre n'atteindrait pas un arbre résineux. Hélas! je l'échappai belle! le feu du ciel tomba à trente pas de moi et fendit une roche énorme. L'obscurité profonde qui régnait autour de moi, les volées de corneilles qui tourbillonnaient sans savoir où trouver un abri, tout paraissait se liguer pour rendre la scène que je cherche à décrire horrible et sublime à la fois.

Bientôt de larges gouttes commencèrent à tomber, les ravins se changèrent en d'innombrables torrents, en cascades mugissantes, entraînant tout ce qui se trouvait sur leur passage. Le cèdre qui me protégeait contre le déchaînement de la tempête, fouetté par la pluie et agité par le vent, semblait pousser des cris plaintifs. L'eau ruisselait de toutes parts à travers ses branches.

Peu à peu cependant un vent du nord se leva, qui chassa les nuages; le soleil reparut et la nature rentra dans son calme primitif. J'aperçus bientôt le berger au sommet d'un des mamelons qui surplombaient la table, et quelques secondes après cinq coups de fusil furent répercutés par tous les échos des montagnes. Le berger, pareil à une statue, se tenait debout sur une roche, je le vis me faire signe de la main, mon cœur battait à tout rompre, mes yeux s'ouvraient larges et immobiles. Je tenais mon fusil à deux coups, prêt à faire feu. Enfin, cinq bouquetins bondissent à vingt pas de moi; j'en choisis un, je vise mon fusil ne part pas. Je tire alors la détente du second coup, et l'animal tombe foudroyé à quelques lignes de l'abîme, au-dessus duquel les quatre autres s'élancent et disparaissent le long d'un sentier taillé dans le roc, sur l'autre bord.

J'aurais dû me trouver très-satisfait du coup heureux qui me mettait ainsi à même de me glorifier de la mort d'un bouquetin: eh bien, je le confesse, je regrettais ma mauvaise chance, je maudissais l'humidité qui avait pénétré sous ma capsule et avait annihilé le pouvoir de la poudre fulminante. Au lieu d'un bouquetin, j'aurais dû en avoir deux.

Je hélai les autres chasseurs, qui arrivèrent bientôt près de moi. M. Simonds avait fait coup double, son nègre avait aussi tué un bouquetin; mais l'animal, frappé au défaut de l'épaule, avait bondi de rochers en rochers, et était allé se perdre dans les eaux d'un torrent. Le berger avait vu trois bêtes de la harde, mais il n'avait pas pu les tirer à portée.

Bref, nous revînmes aux huttes de la bergerie avec trois énormes quadrupèdes, dont les cornes brillaient aux fenx du soleil couchant, comme si elles eussent été polics par les mains de Verdier.

B.-H. RÉVOIL.

Cette chasse aux bouquetins, véritable combat qui fera envie à nos chasseurs d'Europe, n'est point un récit d'oisif rédigé dans un cabinet d'après les confidences d'autrui. L'auteur des Chasses de l'autre monde, M. Révoil, a payé de sa personne dans la vallée d'Appenzell, et raconte ses propres aventures dans les pages dramatiques qu'on vient de lire.

(Note de la Rédaction.)

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Groupe de saltimbanques, grimaciers, hercules, escamoteurs, charlatans, femmes sauvages, géantes,
paillasses, jocrisses, acrobates, danseuses, somnambules, animaux savants.

Histoire curieuse et véridique de la grandeur et de la décadence
du trombone. Le parapluie est l'ami du marchand de savon.
Théories sur la manière d'amasser le monde et de former le
cercle. Révélations sur les casseurs de pierres. Le magnétisme
dévoilé !!! Ingratitude du public envers les artistes. Escamo-
tage et magie blanche. Charlatanisme en grand. Concurrence.
Grande déconfiture. Un glouglou pris pour un sanglot.

Après avoir flâné jusqu'à la nuit au milieu de toutes ces splendeurs, je rentrai chez moi, étourdi, ivre de bruit, MARS 1856.

la tête brisée, mais pleine d'observations et de souvenirs. Un sommeil calme me restaura, et le lendemain je fus exact au rendez-vous; mais je dois rendre justice au trombone: il y était déjà. Il avait mis sa plus belle redingote et sa casquette la plus immaculée; il était magnifique et rayonnant. On eût cru voir une chrysalide sortie de sa coque. Dès qu'il me vit, il courut à moi:

(1) Voyez la première partie, numéro précédent.
23 VINGT-TROISIÈME VOLUME,

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