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existait parmi beaucoup de ronces un ancien laurier dont tous les voyageurs ont parlé ; les uns disent qu'il avait crû de lui-même, d'autres qu'on l'avait planté et même replanté dans ce siècle (le xvi), il était mort en 1776.

Enfin un amateur dijonnais qui cultive les arts avec succès, et qui, dans une excursion faite à Naples en 1833, a visité le Pausilippe et examiné le monument avec la plus scrupuleuse attention, nous a causé quelque surprise en nous annonçant que depuis longtemps il n'existait plus de laurier ni sur le tombeau, ni dans ses environs, et que ce que l'on donnait pour tel, était du chêne vert d'Italie dont la feuille ressemble beaucoup à celle du laurier. Ce chêne est le seul arbre qui se trouve maintenant sur le tombeau. Nombre d'années se sont écoulées depuis que le véritable laurier a disparu sous la main des nombreux visiteurs, qui n'ont pas mis la cognée au pied de l'arbre, mais qui ont fini par le détruire entièrement, à force d'en emporter des feuilles et des rameaux. Ce sont surtout messieurs les Anglais qui se sont signalés dans cet honorable pillage. Il y a environ douze ans que M. Casimir Delavigne, notre célèbre poète, si fidèle à la pureté de goût de Virgile a fait, m'a-t-on dit, rétablir un véritable laurier sur le tombeau; mais deux ans après, il n'en restait pas brin,

1 Cet amateur est M. Liégeard fils, à l'obligeante générosité duquel nous devons le rameau dont nous avons parlé en tête de ce Mémoire; nous le prions de recevoir ici l'expression de notre reconnaissance, tant pour ce curieux présent, que pour les détails plus curieux encore qu'il a bien voulu nous donner sur l'état actuel du tombeau, de la montagne, de la grotte, etc.

tant le fanatisme virgilien est encore dans toute sä ferveur. On a annoncé récemment que M. Eichhoff, savant distingué, voulant consacrer par un monument durable le tombeau en question, y a fait élever une colonne de marbre blanc ombragée d'un laurier, et portant l'épitaphe ordinaire Mantua me genuit, etc.; c'est très-bien; passe pour la colonne, elle sera sans doute respectée, car elle ne peut pas, comme une feuille d'arbuste, se glisser dans la poche ou dans le porte-feuille; mais pour le laurier, il court de grands risques, à moins M. Eichhoff n'ait trouvé le moyen

que

de mettre ses feuilles et ses rameaux à l'abri de la rapacité des pélerins toujours si zélés et si avides de remporter la petite relique, constatant la visite qu'ils ont rendue aux mânes du grand homme.

A propos de ces pélerins, nous dirons que, parmi eux, plusieurs personnages connus ont parlé eux-mêmes du résultat de leur pélerinage; et nous citerons à cet égard quelques faits qui prouveront le prix que l'on a attaché en différents temps à ces légères curiosités.

En 1755, M. Bordes, littérateur lyonnais très-connu, voyageant en Italie, se rendit au mont Pausilippe, visita le monument de Virgile, détacha une feuille du laurier, et, à son retour en France, la plaça en tête d'un exemplaire du VIRGILE, Elzevir, 1676, pet. in-12, qu'il possédait dans sa bibliothèque; il y ajouta cette inscription :

Feuille du laurier qui couvre le tombeau de >> Virgile, dans le royaume de Naples, près de Naples, >> cueillie en 1755, par M. Bordes, de l'Académie des >> sciences, belles-lettres et arts de Lyon. »

Ce petit volume, lors de la vente des livres de

M. Firmin Didot, en 1810, a été adjugé pour la somme de 366 fr. 1.

I

M. Grosley de Troyes, dont nous avons déjà parlé, exécuta, en 1758, son pélerinage au mont Pausilippe, et cueillit sur le tombeau deux branches du laurier; revenu dans sa patrie en 1759, il offrit l'une de ces branches à l'Académie des sciences, à Paris; et il disposa de l'autre, à Troyes, en faveur d'un jeune rhétoricien, qui, à la distribution des prix du collège, avait remporté celui de poésie. Quelques jours après, le jeune lauréat adressa un remercîment en vers latins à Grosley, qui en fut tellement satisfait qu'il embrassa l'auteur et lui remit un exemplaire du beau VIRGILE de la Rue, en

Cette édition des Elzévirs, de 1676, quoique moins belle que celle de 1636, est très-recherchée parce qu'elle est beaucoup plus correcte. Voici quelques prix auxquels certains exemplaires de cette édition ont été portés dans des ventes publiques. Chez M. Crévenna, en 1789, exempl. rel. en mar. bl., no 3823 de son catalogue; adjugé au prix de Chez M. de Cotte, en 1804, exempl. rel. m. r.,

375 fr.

n° 969 de son catalogue; vendu.

320 fr.

Chez M. Larcher, en 1814, exempl. rel. m. violet,

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Chez M. de Mac-Carthy, en 1817, exempl. rel. v.

doré, no 2553 de son cat., adjugé au prix de

365 fr.

Chez M. Bérard, en 1829, exempl. rel. m. bl., n° 542 du catalogue, vendu.

221 fr.

Nous pourrions citer beaucoup d'autres prix, mais inférieurs, tels que 163 fr., 130 fr., 128 fr., etc. (Extrait de notre BiBLIOGRAPHIE SPÉCIALE des Elzévirs de choix, les plus précieux, et les seuls dignes de figurer dans le cabinet d'un véritable amateur; ouvrage encore, inédit, présentant la description, condition et valeur des plus beaux exemplaires adjugés dans les ventes les plus remarquables depuis 1738. )

lui disant : «< Vous avez la sauce; tenez, voilà le poisson.» Ce jeune élève, plein de mérite, était M. Bouillerot, qui se fit ecclésiastique. Le clergé du diocèse de Troyes et la Société académique de l'Aube l'ont toujours. compté au nombre de leurs membres les plus distingués.

Mme la Margrave de Bareuth, sœur de Frédéricle-Grand, roi de Prusse, n'a pas dédaigné d'aller aussi rendre visite au monument du mont Pausilippe et d'en rapporter le rameau sacré. De retour dans ses États, elle l'envoya au roi son frère, avec ce billet :

« J'arrive d'Italie, je désirais vous rapporter quelque >> chose de ce beau pays; je n'y ai rien trouvé de » plus digne de vous être offert qu'une branche du lau>> rier qui ombrage le tombeau de Virgile. »

C'était un compliment flatteur pour un prince qui se délassait des travaux de Bellone avec sa lyre, lyre dont Voltaire, soit dit entre nous, remontait quelquefois les cordes, pour en rendre les accords plus parfaits.

On trouve dans le Magasin encyclopédique, 1795, tome 1, p. 271, une épître en 46 vers, adressée à l'abbé Delille, par un anonyme qui, comme tant d'autres, était allé faire près de Naples, sa petite récolte au mont sacré. Cette épître a pour titre : « à Virgile-Delille, >> en lui envoyant un morceau de laurier coupé sur le » tombeau de Virgile. » Nous allons rapporter quelques vers de cette pièce, parce que l'auteur y peint l'état actuel du monument : il parle d'abord du lieu, que de Virgile, et dit :

ainsi

>> Je croyais retrouver de sa gloire embellis
» Ces bois qu'il enchantait du nom d'Amaryllis,

» Tandis que sous l'ormeau, de jeunes tourterelles
>> Y roucoulaient d'amour leurs plaintes mutuelles
» Le charme a disparu; rien ne s'offre en ce lieu
Qu'un triste souvenir et du temple et du dieu.
De ronces,
de cailloux cette terre semée

>>

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;

» Est par un pâtre obscur sans respect affermée.
» Pour y gravir l'œil cherche un pénible sentier;
» Plus d'ombrage à l'entour, plus d'oiseaux; ce laurier
» Qui, fier de ses mille ans, s'élevait si superbe,

>>

Coupé dans sa racine, est ignoré dans l'herbe ;

» Un mercenaire avide et prompt à l'outrager

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Trafique de sa gloire et l'offre à l'étranger..... »

Puis s'adressant à l'abbé Delille :

« Cet arbre t'appartient; ton nom sut m'enhardir
» A saisir ce débris
pour un talent que j'aime ;
» Je l'ai pris à Virgile et le rends à lui-même. »

Ces vers ne sont pas du premier mérite, mais l'à-propos est bien ; il est certain que personne n'était plus digne d'un tel présent que le traducteur des Géorgiques.

M. De Châteaubriand est aussi l'un de ces curieux amateurs qui ont moissonné dans le champ sacré dụ Pausilippe. Sa belle lettre sur la ville éternelle (Rome), adressée à M. de Fontanes, le 10 janvier 1804, en fait foi. Elle commence ainsi : « J'arrive de Naples, >> mon cher ami, et je vous porte des fruits de mon » voyage sur lesquels vous avez des droits. Tenet nunc » Parthenope..... ». L'illustre écrivain n'en dit pas davantage.

Nous ne prolongerons pas cette liste des personnages connus, qui eux-mêmes ont parlé de leur pélerinage au mausolée du grand poète; mais combien d'autres amateurs, tant nationaux qu'étrangers, ont fait la même excursion, et conservent silencieusement dans leur cabinet la feuille dont ils ont dépouillé l'arbre sacré !

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