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Il est fàcheux que l'urne qui contenait les cendres du poète ait disparu, ainsi que sa base. On y voyait écrit à l'entour le fameux distique :

Mantua me genuit, Calabri rapuêre, tenet nunc

Parthenope: cecini pascua, rura, duces.

Selon l'auteur du ive siècle, déjà cité, c'est Virgile lui-même qui, sur le point de mourir, a composé cette épitaphe: extremá valetudine hoc sibi epitaphium fecit, et peu après le biographe ajoute que ce distique fut inscrit sur le tombeau du poète : suoque sepulcro id distichon quod fecerat, inscriptum est1. Si cette inscription subsistait encore, on pourrait en comparer les caractères avec ceux qui sont employés dans d'autres inscriptions du temps d'Auguste; mais elle a disparu. Le dernier sayant italien qui prétend l'avoir vue, est Pietro de Stephano, qui l'affirme dans sa Descrizione de' luoghi più sacri della cità di Napoli; 1560, in-4°. Il en est de même d'Alphonse de Heredia, évêque d'Ariano, mentionné par le Cappacio, dans son Historia puteolana; il

1 M. Lemaire, éditeur de la grande Bibliotheca classica latina, Parisiis, 1819-1833, 142 vol. in-8°, n'est point d'avis que ce distique soit de Virgile, ou du moins il le critique trèssévèrement : Distichon hoc, dit-il, passim laudatur ; est tamen tam jejunum, tam ineptum ut nemini facilè fraudem faciat. (Vor. l'édition du Virgile de sa collection; Parisis, 1822, 7 vol. in-8°; tom. vii, p. 281, en note.) Nous dirons cependant que cette épitaphe a toujours été attribuée à Virgile; et même que, rédigée avec simplicité, sans ostentation, sans orgueil, elle nous semble conforme au caractère et à la modestie du poète. Ce qu'il y a de singulier, c'est que ses travaux poétiques ont commencé par une épitaphe, et qu'il les a finis par la sienne propre.

assure également l'avoir encore vue. Dès-lors l'intérieur du monument a été dépouillé de l'urne, de la base qui la soutenait et des neuf petites colonnes. Cette disparition date donc du xvre siècle.

Quelques-uns pensent que les Napolitains, craignant que les ossements du poète ne leur fussent dérobés, les ont fait mettre sous terre dans le Château neuf; Jean Villani, chroniqueur napolitain, n'est point de cet avis; il croit que l'urne a été portée à Mantoue; Alphonse de Heredia, que nous avons déjà cité, dit que c'est à Gênes; d'autres prétendent que les Lombards l'ont enlevée. Mais ces diverses assertions sont dénuées de preuves. Il résulte de cette disparition que le tombeau n'offre plus le même intérêt qu'autrefois, ni la même magnificence; l'intérieur a été totalement négligé, et l'extérieur tombe en ruine. Montfaucon, qui écrivait au commencement du xviu siècle, dit : « On trouve encore aujourd'hui du côté de la montagne, vis-à-vis l'entrée du mausolée, un marbre à demi déterré sur lequel sont gravés ces deux

vers:

Qui cineres? tumuli hæc vestigia? conditur olim

Ille hoc qui cecinit pascua, rura, duces. »

Un écrivain plus moderne assure que cette inscription portant la date de 1504, a succédé à l'ancienne Mantua me genuit, etc., qui a été enlevée, dit-on, par un anglais; et cet enlèvement suggère à l'auteur cette judicieuse réflexion : « Je ne sais pas de quel prix peut être >> une telle antiquité lorsqu'elle est déplacée, et si le » plaisir de la possession peut se faire pardonner la cri>> minelle dégradation d'un monument sur lequel elle >> donnait sinon des certitudes, au moins de précieuses probabilités.

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Mais il est temps d'arriver à l'histoire des lauriers qui ont constamment ombragé le tombeau de Virgile, et que, par cette raison, l'on a regardés comme merveilleux; aussi les poètes napolitains les ont-ils célébrés à l'envi, mais leurs chants nous instruiraient peu sous le rapport historique; recourons plutôt aux écrivains et aux voyageurs, qui dans leurs relations n'ont pas négligé cet embellissement naturel du monument qui nous occupe. Quoique leurs récits ne soient pas unanimes sur l'histoire de ces lauriers, il est bon de les connaître.

que

Montfaucon dit, dans ses Antiquités, tom. v, p. 131, l'on regarde comme une merveille ces lauriers nés sur la coupole du mausolée de Virgile, et qui semblent couronner l'édifice. Quoiqu'on en ait coupé à la racine deux qui étaient les plus grands, ajoute-t-il, ils renaissent et poussent des branches de tous côtés. L'édifice est couvert de toutes parts de myrtes et de lierre, il semble que la nature ait voulu elle-même célébrer la mémoire du grand poète. L'auteur ne dit rien de l'origine de ces lauriers, ils seraient donc aussi anciens que le tombeau.

Misson, dans son Nouveau voyage d'Italie, tom. 11, p. 87, s'exprime ainsi : Quoique le mausolée soit bâti de gros quartiers de pierre, il ne laisse pas d'être presque tout couvert de broussailles et d'arbrisseaux qui y ont pris racine. On remarque entre autres un laurier qui est sur la cime, et, d'après l'opinion commune, on a beau le couper et l'arracher, il revient toujours. Mais on n'a encore rien décidé sur la vertu occulte qui cause cet effet surprenant, Virgile passant chez le peuple de Naples tantôt pour un magicien, tantôt pour un saint. Comme sorcier, disent les bonnes gens du pays, c'est

lui qui, par art magique, a percé le mont Pausilippe ; et il a fait bien d'autres prodiges. Comme saint, dit le jardinier, propriétaire du lieu où est le mausolée, il allait tous les jours entendre la messe à une petite chapelle dont on voit encore les débris dans le voisinage : L'anachronisme est un peu fort de la part de ce brave jardinier. Mais passons cette petite facétie au protestant Misson.

Selon le président de Brosses, savant dijonnais, qui a visité l'Italie en 1739, « le tombeau de Virgile est tout solitaire dans un coin, au milieu d'une broussaille de lauriers dont le Pausilippe est farci, ce qui diminue un peu le prodige dont la nature avait honoré le prince des poètes en faisant croître un laurier sur son tombeau. J'y trouvai, continue plaisamment l'auteur, une vieille sorcière qui ramassait du bois dans son tablier, et qui paraissait avoir 80 siècles; il n'y a pas de doute que ce ne soit l'ombre de la sibylle de Cumes qui revient autour du tombeau; cependant je ne jugeai pas à propos de lui montrer ramum qui veste latebat. » Il paraît que le président a rapporté la petite relique dont tous les voyageurs sont jaloux de se munir en quittant le tombeau.

Grosley de Troyes, dans ses Observations sur l'Italie, a donné plus de détails sur les lauriers en question; il nous apprend que « la surface extérieure de la coupole qui termine le mausolée de Virgile, offre un prodige célèbre dans le pays; c'est un laurier dont elle est exactement couronnée. Cet arbuste n'a de nourriture que celle que ses racines cherchent dans les jointures des pierres. Tous les voyageurs en détachent, ou plutôt en arrachent des branches au moyen d'une corde à l'extrémité de laquelle on attache une pierre. Le flanc de la montagne où ce tombeau est situé, loin d'avoir des ar

bustes de cette espèce, n'est couvert que d'ifs et de sapins. Cependant le laurier de Virgile, toujours vigoureux, toujours renaissant, se perpétue et répare ses pertes journalières. Il n'avait dans le xvre siècle qu'une tige unique qui occupait le milieu de la coupole, où elle avait sans doute été plantée par quelque napolitain admirateur de Virgile. Vers le commencement du xviie siècle, un sapin de la partie collatérale de la montagne, renversé par le vent, donna de sa cime sur cette tige qu'il étouffa. La nature semble avoir voulu réparer cet accident en marcottant elle-même les racines comprimées qui se sont étendues sur toute la surface de la coupole. »

L'un des collaborateurs du Voyage pittoresque de Naples et Sicile, tom. 1, p. 83, ne s'étend pas beaucoup sur l'arbrisseau, objet de nos recherches. « Nous montâmes, dit-il, sur la voûte du tombeau, nous y cherchâmes le laurier fameux et ne le trouvions pas; je commençai à croire qu'il en était de ce laurier comme de beaucoup de célébrités qui croissent, se perpétuent et se racontent sur parole; cependant à force de fouiller la terre, en écartant les ronces et les feuilles d'acanthe, nous trouvèmes le tronc du véritable laurier qui n'était pas encore mort, car il en sortait un tendre rejeton que je ménageai, tout en coupant un morceau du vieux bois. Si j'étais poète, je dirais pourquoi j'ai eu du plaisir à recueillir cette relique, mais je sentis que je la prenais avec une sorte de dévotion. »

Lalande, dans son Voyage en Italie, tom. vii, p. 302, s'étend encore moins que l'auteur précédent sur le fameux arbuste. Il dit qu'au-dessus du tombeau qui n'est plus qu'une masure située à l'entrée de la grotte du Pausilippe, dans la vigne du marquis de Salcitro, il

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