feconde époque, d'autant plus aifée à marquer, que l'élocution, portant fur le même fujet & fur les mêmes pensées, le choix des termes & des tours oratoires y fait la feule différence à reconnoître. Celle que je donne aujourd'hui arrive quatre-vingts ans après la feconde de M. Patru. Je déclare que je l'ai faite fur le texte latin feul, il y a plus de vingt-cinq ans, ne connoiffant ni l'une ni l'autre des traductions dont je viens de parler. Je l'ai revue & retravaillée depuis peu, conformément à des principes que j'ai établis dans le Traité de la Conftruction Oratoire: (a) j'ai choifi les tours qui m'ont paru les plus énergiques: je puis m'être trompé fouvent, mais il m'a toujours femblé que c'étoient ceux qui approchoient le plus du texte latin. ? J'avois eu deffein d'imprimer ces trois traductions vis à-vis du texte, & d'offrir ces pieces de comparaifon à ceux qui voudroient connoître le génie de notre langue par oppofition au génie de la langue latine, ou en étudier foit les variations, foit les acquifitions, pendant près d'un fiecle & demi. Mais de quel droit fournirois-je moi-même une de ces pie (4) Tome V. 2 Part. ces de comparaison ? Je me fuis reftreint à jeter de tems en tems au bas des pages quelques morceaux de M. Patru, avec quelques légeres remarques, laiffant au lecteur inftruit à juger lui-même les différences ce qui lui fera beaucoup plus utile que de juger mes obfervations. 090000:00 M. T. CICERONIS Pro A. Licinio Archia poëta. ORATIO. 1 in me Judices, quod fentio quàm fit exiguum; aut fi qua exercitatio dicendi, in qua me non inficior mediocriter effe verfatum; aut fi hujufce rei ratio aliqua, ab optimarum artium ftudiis, ac difciplina profecta, à qua ego nullum confiteor ætatis meæ tempus abhorruisse : earum rerum omnium vel in primis hic A. Licinius fructum à me repetere propè suo jure debet. (a) Nam quoad longiffimè poteft mens mea refpicere fpatium præteriti temporis, & pueritia memoriam recordari ultimam, indè (a) 1. Trad. de M. Patru. «Si j'ai quelque efprit; ou fi l'exercice du barreau m'a pu apprendre quelque » chose en l'art de parler; ou fi ce peu de connoiffance » que j'en ai me vient de l'étude des bonnes Lettres, que je confeffe avoir été tout l'entretien de ma vie ; » c'eft, fans doute, pour cet Archias que je fuis parti» culiérement obligé d'employer toutes ces choses.» M. Patru a confervé l'ordre des membres de cette période, mais il en a fupprimé le premier incife, quod Jentio quàm fit exiguum; il a affoibli le fecond, in qua non inficior, &c. au point de le rendre prefqu'imperceptible; enfin il a changé la couleur du troifieme, en mettant l'affirmatif à la place du négatif. 2. Trad. de M. P. «Ŝi j'ai quelque intelligence & » quelque efprit; ou fi un long exercice a pu m'inf 900:00000:099999 TRADUCTION De l'Oraifon de Cicéron pour le poëte Archias. 'Il y a en moi, Meffieurs, quelque foible talent, dont je fens toute la médiocrité ; fi j'ai quelque ufage d'un art, dans lequel je ne difconviens pas que je me fuis affez long-tems exercé; enfin fi l'étude des Lettres, pour lefquelles j'avoue que je n'eus d'éloignement dans aucun tems de ma vie. a produit en moi quelque avantage du côté de la parole: c'eft à Licinius qu'il appartient fur-tout d'en recueillir le fruit. Du plus loin que je puis me rappeller le fouvenir de mes premieres années, en remontant jufqu'à ma plus tendre jeuneffe, »truire en l'art de parler; ou fi ce peu de connoiffance » que j'en ai, je la dois à la culture des bonnes Lettres, "" qui certainement ont été tout l'entretien de ma vie : "il n'y a perfonne qui puiffe prétendre plus juftement » qu'Archias tout le fruit qu'on peut efpérer de toutes » ces choses. >> La feconde traduction est plus moëlleuse, plus nourrie, plus arrondie, plus françoife: il ne dit point, que je confeffe avoir été, qui fent le latinifme, ni cet Archias, qui nous paroîtroit aujourd'hui méprifant, & qui peutêtre répond plus au pronom ifte, qu'au pronom hic des latins. On peut obferver encore qu'aujourd'hui on ne finiroit pas une période à quatre membres par toutes ces chofes, qui est une chute traînante. ufque repetens, hunc video mihi principem & ad fufcipiendam, & ad ingrediendam rationem horum ftudiorum extitiffe. (b) Quòd fi hæc vox hujus hortatu, præceptifque conformata, nonnullis aliquandò faluti fuit: à quo id accepimus, quo cæteris opitulari, & alios fervare poffemus, huic profectò ipfi, quantum eft fitum in nobis, & opem & falutem ferre debemus. (c) (b) 1. Trad. «Car lorfque je confidere le paffé, & » qu'à le prendre du plus loin qu'il me fouvienne, je » rappelle en mon efprit la mémoire de ma plus tendre "jeuneffe, je trouve qu'en effet, il eft le premier de »mes maîtres, & que c'eft lui principalement qui m'a » donné du courage & des lumieres pour mes études. » 2. Trad. «En effet, quand je confidere le paffé, & >>que remontant prefque à mon enfance, je rappelle >> en ma mémoire la conduite ou les occupations de » ma plus tendre jeuneffe; je trouve qu'il eft, à vrai » dire, le premier de mes maîtres, & que c'eft lui » principalement qui m'a donné du courage & des lumieres pour mes études." Quand je confidere le passé, ne rend ni le fens ni la force du quoad longiffimè. D'ailleurs il s'agit ici de remonter d'année en année pour chercher une époque, & non de jeter les yeux fur des événemens antérieurs. Du plus loin qu'il me fouvienne, eft une phrafe qui feroit aujourd'hui populaire. Premier de mes maîtres, l'expreffion de Cicéron eft plus délicate, principem ad fufcipiendam. Du courage & des lumieres: ces idées font trop éloignées de celles de Cicéron: ftudiorum ne répond pas au mot études, fur-tout quand on dit, mes études. Dans la feconde traduction, en effet eft plus vif que car. La conduite & les occupations font difficiles à retrouver dans le latin. Eft-ce la conduite que j'ai tenue, ou le confeil qui m'a guidé? On dit bien occuper un enfant, mais je ne fais fi on dira auffi bien les occupa tions d'un enfant. Ce mot femble fignifier une fuite d'affaires graves, & qui ne font point celles d'un enfant. A vrai dire, eft plus familier que fimple. On ne |