fâché qu'il n'eût point fatisfait. Tous les hiftoriens qui ont imité fon exemple, ont remporté les mêmes applaudiffemens que les poëtes, lorfqu'ils ont bien peint les mœurs. Pourvu que l'hiftoire feule fourniffe tout le fond de cette forte de drame, il femble que le lecteur ze peut que favoir gré à l'historien d'un artifice qui anime le récit, fans faire tort à la vérité. Quand les hiftoriens ont craint que cette forme dramatique ne donnât l'air de fiction à leur récit, ils ont pris la forme indirecte, qui tient une forte de milieu entre le récit & le drame. Le peu ple de Rome s'étant retiré fur le Mont Aventin, on lui envoya Menenius Agrippa, qui fe contenta de lui dire, (a) » Que » dans le tems que les membres de l'hom>>me n'étoient pas foumis à une feule >> volonté, comme ils le font à préfent >>& qu'ils avoient chacun la leur propre, » auffi-bien que leur langage; ils s'é>>toient offenfés de ce que leurs foins, >> leurs travaux, n'étoient que pour l'ef>>tomac qui, tranquille au milieu (a) Tempore quo in homine non, ut nunc, omnia in unum confentiebant, fed fingulis membris fuum cuique confilium, fuus fermo fuerit, indignatas reliquas partes fuâ curâ, fuo labore, ac minifterio ventri omnia quæri : ventrem in medio quietum, nihil aliud quàm datis voluptatibus frui; confpiraffe indè ne manus ad os cibum ferrent, &c. Liv. 2, Tome IV. >> d'eux, n'avoit qu'à jouir des biens qu'on >> lui apportoit. Qu'ils étoient convenus >> que la main ne porteroit plus à la bou>>che, que la bouche ne recevroit plus »les alimens, que les dents cefferoient >>de les broyer; qu'ayant voulu par ce » moyen réduire l'eftomac, ils étoient >>tombés eux-mêmes en langueur. « L'hiftorien dans ce récit ne difparoît pas, il fe montre avec l'acteur. " A cet ornement du ftyle hiftorique, fe joint celui qui naît des penfées. Il n'eft pas poffible qu'en maniant long-tems des faits, & en les confidérant dans toutes leurs faces il ne vienne aux auteurs quantité d'idées de toutes efpeces, qui ne viennent pas au lecteur qui passe légerement fur les objets. Il y a plus, felon le caractere & le goût dominant de chaque écrivain, ces idées font ou morales ou politiques, pleines d'humanité, ou mêlées d'aigreur, tournées vers la fu bordination légitime, ou vers l'indépendance. Il femble que les faits paffant par l'efprit de l'hiftorien, y prennent la couleur de l'homme. On fent que ces beautés font bien voifines du vice. Quel befoin a le lecteur de vos réflexions, fi elles ne font que de vous; fi elles ne naiffent point du fujet ? Elles en naissent. Contentez-vous de m'en avertir ; & tout 1 S 9 au plus de me montrer le germe de ma réflexion. Si vous m'étalez trop fouvent des maximes des fentences; fi vous prêchez à chaque page, comme l'ont fait quelques modernes ; quelque bien écrite que foit votre Hiftoire, je m'ennuie de recevoir la leçon ; je prends peu à peu congé du maître, & je le laiffe feul dans fa chaire. Ce défaut n'eft en général que celui d'une ame vraiment vertueufe, qui avec beaucoup d'imagination a fait provifion de philofophie. Il y a par-tout des rapports avec les principes de morale. On les faifit vivement, on ne peut fe réfoudre à perdre une maxime, une réflexion, qui féduit par fon tour heureux. Les images vives figurent avec plus d'éclat encore que les penfées dans l'Hif toire elles reviennent plus fouvent, & tiennent plus de place dans le difcours. On peint les faits: c'est le combat des Horaces & des Curiaces; c'eft la pefte de Rome, l'arrivée d'Agrippine avec les cendres de Germanicus, ou Germanicus lui-même au lit de la mort. On peint les traits du corps, le caractere de l'efprit, les mœurs : c'est Caton, Catilina, Pifon, &c. Les maîtres rigides en éloquence, veulent cependant qu'on peigne les hommes par leurs ac tions plutôt que par des mots. Auffi Ho mere & Virgile, qu'on peut regarder comme les modeles du beau en fait de récits, font-ils extrêmement réservés fur ces tableaux d'attache, où l'écrivain s'amufe à crayonner les idées que le lecteur doit fe donner d'après les faits, s'il eft intelligent. Car c'eft à lui à tirer par induction, le caractere des acteurs qu'on lui a préfentés. Faut-il le tenir par la main, ou même le porter dans toute la route? Le moyen de le tenir éveillé, eft de l'exercer, de lui donner une tâche. Pourvu qu'elle ne foit pas trop forte, il la remplira avec un retour de fatisfaction fur lui-même ; & faura gré à l'auteur de la bonne opinion qu'il a eue de lui. Après tout ce que nous avons dit cidevant fur l'élocution, ce qui refte de détail par rapport au ftyle de l'Hiftoire, fe réduit à peu de chofes. On fent qu'il ne doit s'y trouver aucune figure oratoire, parce que ces figures font faites pour exprimer les paffions; or un hiftorien n'en a point il n'a ni amis, ni ennemis, ni parens, ni patrie. Il n'a rien à prouver, ni à détruire; il n'accufe ni ne défend. Tout fon office eft d'expofer la chofe comme elle eft. Nihil iratum habet, nihil invidum nihil atrox, nihil mirabile, nihil aftutum; cafta, verecunda virgo " 2 incorrupta quodam modo. Cicéron, Tacite & Sallufte femblent avoir eu cette partie plus que Lite-Live. On fent en lifant celui-ci qu'il étoit Romain; chez lui on eftime Annibal, on l'admire; mais on a peur de lui, parce qu'on aime Rome. Après tout, ce défaut étoit une beauté pour les Romains. Qui eft affez philofophe pour ne dédier fon ouvrage qu'au genre humain, ou à la postérité ? › Nous ne parlons pas de Quinte-Curce qui n'a fait proprement qu'un éloge d'Alexandre; ni de Xenophon qui n'a prétendu que donner le modele du parfait Monarque. Ce dernier eft le plus fimple, le plus naif de tous les hiftoriens, fi on en excepte Céfar, qui s'eft montré en ce genre comme dans les autres le premier homme de fon fiecle. Il n'eft point frifé, dit Cicéron, ni paré, ni ajusté, mais il eft plus beau que s'il l'étoit. Les tours recherchés, les expreffions fortes, les penfées brillantes conviennent plus à un Rhéteur, qui veut attirer fur lui une partie de l'attention qui n'eft due qu'au fujet, qu'à un homme de bon fens. Tout cet appareil déguise l'hiftoire plutôt qu'il ne l'embellit. La principale qualité du ftyle hiftorique, eft d'être rapide: l'hiftorien fe hâte d'arriver à l'événement; & c'est pour lui |