Page images
PDF
EPUB

commence fort près de la fin, fe réfervant certains détours agréables pour apprendre au lecteur ce qu'il ne fait pas, & qu'il défire de favoir. Mais l'Hiftoire toujours fage, toujours mesurée, ne se permet point ces libertés. La Chronologie eft fon flambeau : elle la fuit fcrupuleufement, pas-à-pas. Ainfi dans ces hif toires féparées, il faut que l'historien mette d'abord le lecteur au fait des tems, des lieux, des mœurs, des intérêts, des caracteres ; qu'il préfente enfuite au milieu de toutes ces circonftances, le genre de l'événement à raconter; qu'il en fuive les développemens & les progrès, & qu'il le conduife jusqu'à sa fin. Ces morceaux font très-agréables, parce qu'avec le mérite de la vérité, ils ont une partie des qualités de la poéfie. Il y a unité d'action commencement, milieu, fin. C'eft un corps qu'on peut tailler réguliérement, & proportionner dans tous fes membres ; il n'y manque que la poéfie du ftyle, le merveilleux, & quelque défordre de l'art, pour en faire une Epopée.

>

Il y a des hiftoires qui fe bornent à la vie d'un feul homme. Si c'eft un Prince elle eft la matiere d'une jufte hiftoire; telle est l'HISTOIRE de Louis XIV, de Louis XI, d'Alexandre le grand; pourvu cependant qu'on y confidere

l'homme d'Etat plus que l'homme prive: car fi on s'arrête autant fur les détails. de fa conduite particuliere, que fur le manîment des affaires publiques, c'eft. proprement ce qu'on appelle une Vie.

"

Les anciens avoient un goût particulier pour écrire des vies. Pleins de refpect & de reconnoiffance pour les hommes. illuftres, & confidérant d'ailleurs que le fouvenir honorable que les morts laiffent. = après eux, eft le feul bien qui leur reste fur la terre qu'ils ont quittée, ils fe faifoient un plaifir & un devoir de leur affurer ce foible avantage. Je prendrois les armes, difoit Cicéron, pour défendre la gloire des morts illuftres comme ils = les ont prifes pour défendre la vie des citoyens. Ce font des leçons immortelles > des exemples de vertus confacrés au genre-humain. Les portraits & les ftatues qui représentent les traits corporels des grands hommes font renfermés dans les maifons de leurs enfans, & exposés aux yeux d'un petit nombre d'amis; les · éloges tracés par des plumes habiles repréfentent l'ame même, & les fentimens vertueux. Ils fe multiplient fans peine; ils paffent dans toutes les langues, volent dans tous les lieux, & fervent de maîtres dans tous les tems.

7

Cornelius Nepos, Plutarque, Suetone,

1

[ocr errors]
[ocr errors]

ont préféré ce genre de récit aux histoires de longue haleine. Ils peignent leurs héros dans tous les détails de la vie, & attachent particulièrement ceux qui cherchent à connoître l'homme. Quel befoin a le citoyen paifible, l'homme de Lettres, de Robe, d'avoir toujours devant les yeux des guerriers qui prennent des villes, qui livrent des batailles, qui donnent la paix aux pays qu'ils ont dépeuplés? Ces traits font bons pour les efprits qui aiment les événemens bruyans. Mais pour quiconque veut connoître l'homme en lui-même; les menues occupations de Céfar, d'Augufte, des traits d'Henri IV, de Louis XIV, font infiniment plus touchans & plus agréables, que des victoires & des triomphes.

Suétone, & Cornelius Nepos, fe font contentés de préfenter un feul homme à la fois. Plutarque s'eft fait un plan plus étendu & plus intéreffant pour un efprit philofophique. Il met en parallele les hommes qui ont brillé dans le même genre. Chez lui, Cicéron figure à côté de Démofthene, Annibal à côté de Scipion. Le lecteur fe portant tour-à-tour fur ces pieces de comparaison, juge les degrés de vice & de vertu, & s'exerce, malgré qu'il en ait, ne croyant que fuiyre l'écrivain qui l'entraîne. Il y a des

[ocr errors]

perfonnes qui préferent cet hiftorien à tous les autres, à cause du grand fens qu'on y trouve par-tout, d'une philofophie folide qui ne tend qu'à la vertu ; enfin parce qu'il peint l'homme, & qu'il le peint fortement.

CHAPITRE V.
Style de l'Hiftoire.

E texte de l'Hiftoire doit être natu

c'est-à-dire, que l'hiftorien doit raconter
ce qui a été dit ou fait par les acteurs
qu'il introduit fur la scene; & ne point
les faire parler eux-mêmes. Cependant,
comme on a obfervé que plus les ac-
teurs parlent eux-mêmes, plus le récit
eft vif & animé ; les hiftoriens, à mesure
qu'ils ont été plus rafinés dans l'art, ont
emprunté quelque chofe de le maniere
des poëtes, & ont changé en dramatique
la forme trop monotone de leur récit.

Quelquefois ils citent les paroles mê-
me de leurs perfonnages ; & alors c'est
un titre original qu'ils inferent dans l'Hif-
toire. Pour être inférées de la forte, il
faut qu'elles le méritent par leur impor
tance. Toutes les paroles d'Alexandre
d'Augufte, de Louis le Grand, quand

TI

même elles auroient toujours été dignes de fi grands Princes, ne font pas toujours dignes de l'Hiftoire. Tite-Live rapporte les termes mêmes des premieres déclarations de guerre, & des traités faits avec les peuples voifins de Rome; Sallufte copie la lettre de Catilina à Mallius, & le difcours de Caton auffi-bien que celui de Céfar. Ces morceaux plaisent toujours, quand ils ne font pas trop longs, & qu'ils font affez nerveux pour n'avoir pas befoin d'être réduits & ref ferrés par une analyse.

Quelquefois les hiftoriens fe chargent de faire eux-mêmes les difcours qui ont été faits, ou même d'en faire, quoiqu'il n'y en ait point eu de faits ; & cela pour préfenter plus nettement les caufes qui ont déterminé les entreprises. L'auteur alors, à l'imitation du poëte, fe place dans les circonftances où il voit fes acteurs : il prend leur caractere, leur esprit, leurs fentimens : & dans cet enthousiafme purement artificiel, il tâche de parler comme ils auroient parlé eux-mêmes. C'étoit le goût dominant de Tite-Live. Plein de génie & de verve, il ne pou

voit fe défendre contre la tentation de haranguer, toutes les fois que l'occafion fe préfentoit. C'étoit prefqu'un befoin; mais un befoin, que nous ferions bien fâché

« PreviousContinue »