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ont préféré ce genre de récit aux hiftoires de longue haleine. Ils peignent leurs héros dans tous les détails de la vie, & attachent particuliérement ceux qui cherchent à connoître l'homme. Quel befoin a le citoyen paifible, l'homme de Lettres, de Robe, d'avoir toujours devant les yeux des guerriers qui prennent des villes, qui livrent des batailles, qui donnent la paix aux pays qu'ils ont dépeuplés? Ces traits font bons pour les efprits qui aiment les événemens bruyans. Mais pour quiconque veut connoître l'homme en lui-même; les menues occupations de Céfar, d'Augufte, des traits d'Henri IV, de Louis XIV, font infiniment plus touchans & plus agréables, que des victoires & des triomphes.

Suétone, & Cornelius Nepos, fe font contentés de préfenter un feul homme à la fois. Plutarque s'eft fait un plan plus étendu & plus intéreffant pour un efprit philofophique. Il met en parallele les hommes qui ont brillé dans le même genre. Chez lui, Cicéron figure à côté de Démofthene, Annibal à côté de Scipion. Le lecteur fe portant tour-à-tour fur ces pieces de comparaison, juge les degrés de vice & de vertu, & s'exerce, malgré qu'il en ait, ne croyant que fuiyre l'écrivain qui l'entraîne. Il y a des

perfonnes qui préferent cet hiftorien à tous les autres, à cause du grand fens qu'on y trouve par-tout, d'une philofophie folide qui ne tend qu'à la vertu ; enfin parce qu'il peint l'homme, & qu'il le peint fortement.

LE

CHAPITRE V.
Style de l'Hiftoire.

E texte de l'Hiftoire doit être naturellement dans la forme indirecte c'eft-à-dire, que l'hiftorien doit raconter ce qui a été dit ou fait par les acteurs qu'il introduit fur la fcene; & ne point les faire parler eux-mêmes. Cependant, comme on a obfervé que plus les acteurs parlent eux-mêmes, plus le récit eft vif & animé ; les hiftoriens, à mesure qu'ils ont été plus rafinés dans l'art, ont emprunté quelque chofe de le maniere des poëtes, & ont changé en dramatique la forme trop monotone de leur récit.

Quelquefois ils citent les paroles même de leurs perfonnages; & alors c'est un titre original qu'ils inferent dans l'Hiftoire. Pour être inférées de la forte, il faut qu'elles le méritent par leur importance. Toutes les paroles d'Alexandre d'Augufte, de Louis le Grand, quand

même elles auroient toujours été dignes de fi grands Princes, ne font pas toujours dignes de l'Hiftoire. Tite-Live rapporte les termes mêmes des premieres déclarations de guerre, & des traités faits avec les peuples voifins de Rome; Sallufte copie la lettre de Catilina à Mallius, & le difcours de Caton auffi-bien que celui de Céfar. Ces morceaux plaisent toujours, quand ils ne font pas trop longs, & qu'ils font affez nerveux pour n'avoir pas befoin d'être réduits & ref ferrés par une analyse.

Quelquefois les hiftoriens fe chargent de faire eux-mêmes les difcours qui ont été faits, ou même d'en faire, quoiqu'il n'y en ait point eu de faits ; & cela pour préfenter plus nettement les caufes qui ont déterminé les entreprises. L'auteur alors, à l'imitation du poëte, fe place dans les circonftances où il voit fes acteurs : il prend leur caractere, leur esprit, leurs fentimens : & dans cet enthousiasme purement artificiel, il tâche de parler comme ils auroient parlé eux-mêmes. C'étoit le goût dominant de Tite-Live. Plein de génie & de verve

il ne pouvoit fe défendre contre la tentation de haranguer, toutes les fois que l'occasion fe préfentoit. C'étoit prefqu'un besoin; mais un befoin, que nous ferions bien

fâché

fâché qu'il n'eût point fatisfait. Tous les hiftoriens qui ont imité fon exemple, ont remporté les mêmes applaudiffemens que les poëtes, lorfqu'ils ont bien peint les mœurs. Pourvu que l'hiftoire feule fourniffe tout le fond de cette forte de drame, il femble que le lecteur ze peut que favoir gré à l'historien d'un artifice qui anime le récit, fans faire tort à la vérité.

Quand les hiftoriens ont craint que cette forme dramatique ne donnât l'air de fiction à leur récit, ils ont pris la forme indirecte, qui tient une forte de milieu entre le récit & le drame. Le peu ple de Rome s'étant retiré fur le Mont Aventin, on lui envoya Menenius Agrippa, qui fe contenta de lui dire, (a) » Que » dans le tems que les membres de l'hom»me n'étoient pas foumis à une feule » volonté, comme ils le font à préfent, >> & qu'ils avoient chacun la leur propre, » auffi-bien que leur langage; ils s'é>>toient offenfés de ce que leurs foins >> leurs travaux n'étoient que pour l'es>>tomac qui, tranquille au milieu

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(a) Tempore quo in homine non, ut nunc, omnia in unum confentiebant, fed fingulis membris fuum cuique confilium, fuus fermo fuerit, indignatas reliquas partes fuâ curâ, fuo labore, ac minifterio ventri omnia quæri : ventrem in medio quietum, nihil aliud quàm datis voluptatibus frui; confpiraffe indè ne manus ad os cibum ferrent, &c. Liv. 2. L

Tome IV.

» d'eux, n'avoit qu'à jouir des biens qu'on >> lui apportoit. Qu'ils étoient convenus » que la main ne porteroit plus à la bou>>> che , que la bouche ne recevroit plus »les alimens, que les dents cefferoient >> de les broyer; qu'ayant voulu par ce >> moyen réduire l'eftomac, ils étoient >> tombés eux-mêmes en langueur. « L'hiftorien dans ce récit ne difparoît pas, il fe montre avec l'acteur.

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ou

A cet ornement du ftyle hiftorique, fe joint celui qui naît des penfées. Il n'eft pas poffible qu'en maniant long-tems des faits, & en les confidérant dans toutes leurs faces il ne vienne aux auteurs quantité d'idées de toutes efpeces, qui ne viennent pas au lecteur qui passe légerement fur les objets. Il y a plus, felon le caractere & le goût dominant de chaque écrivain, ces idées font ou morales ou politiques, pleines d'humanité, mêlées d'aigreur, tournées vers la fubordination légitime, ou vers l'indépendance. Il femble que les faits paffant par l'efprit de l'hiftorien, y prennent la couleur de l'homme. On fent que ces beautés font bien voifines du vice. Quel befoin a le lecteur de vos réflexions, fi elles ne font que de vous; fi elles ne naiffent point du fujet ? Elles en naissent. Contentez-vous de m'en avertir; & tout

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