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CHAPITRE IV.

Des Hiftoires particulieres.

'HISTOIRE qu'on appelle particuliere, par oppofition à l'Hiftoire générale du monde, peut être générale par oppofition à d'autres hiftoires dont l'objet eft moins étendu. Par exemple, l'histoire d'un royaume par rapport à celle d'une province; celle d'une province par rapport à celle d'une ville, peuvent être, quoiqu'improprement, appellées générales.

On fent que plus le champ de l'histoire eft vafte, plus les objets doivent y paroître petits; en fe plaçant au centre des chofes, les objets décroiffent à mefure qu'ils s'éloignent. Il y en a, qu'on verroit dans une moindre étendue, qu'on n'apperçoit point du tout par le coup d'œil général; il y en a d'autres qui feroient frappans, qu'on ne fait qu'appercevoir; d'autres enfin, qui auroient toute l'attention du fpectateur, & qui n'en ont qu'une partie. C'eft à l'écrivain à fe placer dans le vrai point de vue de fon ouvrage, & à graduer, comme il convient, les proportions de chaque objet, dans fon tableau, felon les regles de la perfpective. S'il s'agit de l'hiftoire d'un

royaume ou d'un empire, il faudra deffiner correctement, & peindre avec foin, tout ce qui a influé fur les affaires publiques, & qui pourra fervir à quiconque fera chargé du miniftere public dans le même royaume. Il y a eu des fêtes somptueufes, des fpectacles brillans, des ouvrages, des inondations : c'eft, dit Tacite, la matiere d'un Journal: tout ce qu'on peut exiger de l'Hiftoire, c'est 'qu'elle les indique en paffant.

Les Hiftoires des empires & des royaumes ne devroient être écrites que par des Philofophes ou par des Miniftres, ou plutôt par des Philofophes qui auroient rempli les fonctions du miniftere; alors on y développeroit avec un fuccès égal les jeux des paffions & ceux de la politique, & les rapports de ces caufes avec leurs effets. On verroit en même tems les refforts qui tiennent à l'humanité, & qui agiffent dans toutes les efpeces de gouvernement, & ceux qui tiennent au gouvernement particulier des peuples, felon leurs caracteres propres. On verroit que telle force remue tous les hommes, quels qu'ils foient; que telle autre remue feulement les efprits républicains, ou ceux qui font accoutumés à la monarchie ; que telle voie affoiblit, éteint les vertus, l'honneur, le respect dû au gouvernement, &c.

Xenophon, Thucydide, Tite Live Tacite, avoient ces provifions quand ils entreprirent d'écrire l'Hiftoire. Elle retient encore chez eux une partie de fon caractere originaire, qui étoit d'envelopper la morale & la politique fous l'écorce des faits. A l'exemple des poëtes qui couvroient du voile de la fiction tous les myfteres de la philofophie, ils ne fe font point contentés de donner une lifte des événemens, felon l'ordre des tems & des lieux, mais ils ont écrit des traités complets de politique, tirés de la conduite bonne ou mauvaise des peuples dont ils ont fait l'hiftoire. Et fans paroître avoir d'autre deffein que de raconter des faits, ou d'intéreffer le lecteur par des tableaux suivis d'entreprises importantes, ils trouvent le moyen d'inftruire l'efprit, de former le cœur, & de développer toute la Philofophie morale.

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Il y a des Hiftoires qui fe bornent à un feul événement important , comme la conjuration de Catilina celle de Vaiftein, la révolution de Portugal, le fiege de Dunkerque. Il eft néceffaire dans ces fortes d'hiftoires de faire quelque préambule pour introduire le lecteur dans le récit. Un poëte épique a le droit de se jeter tout d'un coup au milieu des chofes qu'il doit raconter; fauvent même it

commence fort près de la fin, fe réfervant certains détours agréables pour apprendre au lecteur ce qu'il ne fait pas, & qu'il défire de favoir. Mais l'Hiftoire toujours fage, toujours mesurée, ne se permet point ces libertés. La Chronologie est fon flambeau : elle la fuit scrupuleusement, pas-à-pas. Ainfi dans ces hif toires féparées, il faut que l'historien mette d'abord le lecteur au fait des tems, des lieux, des mœurs, des intérêts, des caracteres; qu'il présente enfuite au milieu de toutes ces circonftances, le genre de l'événement à raconter; qu'il en suive les développemens & les progrès, & qu'il le conduife jufqu'à fa fin. Ces morceaux font très-agréables, parce qu'avec le mérite de la vérité, ils ont une partie des qualités de la poéfie. Il y a unité d'action, commencement, milieu, fin. C'est un corps qu'on peut tailler réguliérement, & proportionner dans tous fes membres ; il n'y manque que la poéfie du ftyle, le merveilleux, & quelque défordre de l'art, pour en faire une Epopée.

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Il y a des hiftoires qui fe bornent à la vie d'un feul homme. Si c'eft un Prince elle eft la matiere d'une jufte hiftoire; telle eft l'HISTOIRE de Louis XIV, de Louis XI, d'Alexandre le grand; pourvu cependant qu'on y confidere

l'homme d'Etat plus que l'homme prive: car fi on s'arrête autant fur les détails. de fa conduite particuliere, que fur le manîment des affaires publiques, c'eft. proprement ce qu'on appelle une Vie.

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Les anciens avoient un goût particulier pour écrire des vies. Pleins de respect & de reconnoiffance pour les hommes. illuftres, & confidérant d'ailleurs que le fouvenir honorable que les morts laiffent. après eux, est le feul bien qui leur reste fur la terre qu'ils ont quittée ils fe faifoient un plaifir & un devoir de leur affurer ce foible avantage. Je prendrois les armes, difoit Cicéron, pour défendre la gloire des morts illuftres comme ils les ont prises pour défendre la vie des citoyens. Ce font des leçons immortelles des exemples de vertus confacrés au genre-humain. Les portraits & les ftatues qui représentent les traits corporels des grands hommes font renfermés dans les maifons de leurs enfans, & expofés aux yeux d'un petit nombre d'amis; les éloges tracés par des plumes habiles représentent l'ame même, & les fentimens vertueux. Ils fe multiplient fanst peine ; ils paffent dans toutes les langues, volent dans tous les lieux, & fervent de maîtres dans tous les tems.

Cornelius Nepos, Plutarque, Suetone,

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