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rains; une légere circonftance tirée de la foule, deviendra le dénouement des plus grandes entreprises. Par ce moyen on aura la gloire d'avoir eu de bons yeux, d'avoir fait des recherches profondes, de connoître bien les replis du cœur humain, & par-deffus tout cela la reconnoiffance & l'admiration de la plupart des lecteurs. Ce défaut n'eft pas, comme on peut le croire, celui des têtes légeres. Mais pour être proche de la vertu, ce n'en eft pas moins un vice.

Le Récit a toute fa beauté & fa perfection, quand à la fidélité & à l'exactitude il joint la brièveté la naïveté & la forte d'intérêt qui lui convient.

Il faut être court dans le Récit: nous l'avons dit en parlant de l'Apologue (a), & nous avons ajouté qu'on n'eft jamais long, quand on ne dit que ce qui doit être dit. C'est à celui qui parle à fentir les bornes de fon fujet. Nous dirons dans le dixieme Traité ce que c'eft que la naïveté du difcours, (b) & par conféquent celle du Récit. Quant à l'intérêt, nous en avons défini la nature, & diftingué les efpeces dans le fecond volume en traitant del'Epopée. Nous obferverons seulement ici que l'intérêt du Récit véritable eft in

(a) Tome II.

(b) Part. I. chap. IV.

fintment plus grand que celui du Récit fabuleux; parce que la vérité hiftorique tient à nous, & qu'elle eft comme une partie de notre être : c'est le portrait de nos femblables, & par conféquent le nôtre. Les fables ne font que des tableaux d'imagination, des chimeres ingénieuses, qui nous touchent pourtant, parce que ce font des imitations de la nature, mais qui nous touchent moins qu'elle, parce que ce ne font que des imitations: In omni re procul dubio vincit imitationem veritas. Quint.

Il y a en général trois fortes de Récits: le Récit oratoire, le Récit historique, & le Récit familier. Nous avons parlé du premier en traitant de l'Oraison; & du dernier en parlant de l'Apologue. Nous nous bornons ici au Récit hiftorique.

Le Récit hiftorique a autant de caracteres qu'il y a de fortes d'hiftoires. Or il y a l'histoire des hommes confidérés dans leurs rapports entr'eux : c'est l'hiftoire profane; & l'hiftoire naturelle, qui a pour objet les productions de la nature, fes phénomenes, fes variations.

L'hiftoire de la religion fe fous-divife en deux efpeces, dont l'une eft l'histoire facrée, écrite par des hommes infpirés ; l'autre l'hiftoire eccléfiaftique, écrite par des hommes aidés de la feule lumiere naturelle. K 2

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CHAPITRE II.

Caractere de l'Hiftoire Sacrée.

I on veut connoître l'Hiftoire dans toute fa grandeur & toute fa nobleffe, c'eft dans les Livres faints qu'il faut l'envifager. L'auteur dépouillé de tout fentiment étranger à fon objet, livré entiérement, uniquement à la vérité qu'il peint, la présente telle qu'elle est, avec la naïveté, la force, la candeur qui lui. font propres. Nul penchant pour un parti contre un autre, nul artifice pour exciter l'amour, l'envie, l'étonnement, l'admi-: ration. La vérité lumineufe opere par elle-même fur les efprits, fans le fecours artificiel de l'éloquence. Quelle fublimité dans le récit de la création de l'Univers! Mais quelle fimplicité ! C'étoit en commençant l'hiftoire du Monde une belle occafion pour étaler toutes les richesses du génie & de l'art. On pouvoit peindre Dieu marquant un point dans l'immenfité, pour être le lieu des corps, & dans l'éternité un autre point, pour être l'époque des tems. On l'auroit vu franchir par. une puiffance incompréhensible, l'espace qui fépare l'être & le néant; difpofer enfuite toutes les parties de la fubftance>

créée, avec une fageffe, un ordre, une magnificence dignes de lui. Mais tout cet appareil d'idées brillantes auroit rendu fufpecte la foi de l'écrivain. On auroit pu croire qu'il s'occupoit de lui-même, auffi bien que de la chose. Quel besoin a Dieu pour fa gloire, après avoir fait le monde, & l'avoir marqué du fceau de fes attributs, quel befoin a-t-il de ces éloges emphatiques qui décelent la foibleffe ou l'ignorance de l'admirateur? C'étoit lui-même qui dictoit à Moïfe, & la fimplicité devoit être le caractere de fon expreffion: In principio Deus creavit cœlum & terram: « Dans le commencement >> Dieu créa le ciel & la terre ». La même fimplicité regne dans l'expofition des détails:: Que la lumiere foit, & elle fut. Que la la terre produife toutes fortes de plan tes & d'animaux, l'air toutes fortes d'oifeaux, l'eau toutes fortes de poiffons, & cela fut.

Falloit-il exprimer de quelle maniere les êtres fe formoient, tracer des commencemens de fyftêmes fur l'organisation dés germes & la confervation des refpeces, fur le principe de vie répandu dans la nature, & communiqué en différens degrés aux différentes efpeces de végé taux & d'animaux, pour amufer la vaine curiofité d'un efprit orgueilleux & in

quiet, qui oublie fon objet principal, la fin à laquelle il eft deftiné, pour des fpéculations ftériles? Dieu ne l'a point vou lu; parce que ces connoiffances n'appar tiennent qu'à l'Ouvrier; & comme l'homme n'eft point chargé de combiner les par ties, ni d'entretenir ou de diftribuer le mouvement qui détruit & répare tout dans la nature, ni d'organifer aucun ger

me,

il étoit inutile de lui donner la fcience des principes. Il femble qu'il étoit de la grandeur & niême de la bonté de Dieu, de fe réferver à lui feul le mot de cette grande énigme, & de ne laiffer à l'homme que le foin de jouir, & de rendre gra ces à fon bienfaiteur.

. Les récits touchans font traités avec la même fimplicité que les récits fublimes. La vie de Jofeph qui eft un modele en ce genre, doit tout à la naïveté & aux fituations qu'elle préfente. Vraies beautés, que l'art ne peut remplacer par aucun effort.

La narration du nouveau Teftament a le même caractere: on n'y affecte point de montrer de la science ou de l'érudi tion, d'appuyer avec une forte d'affectation fur les faits, d'aider par des réflexions le lecteur à fentir l'étendue & le poids des chofes le même, efprit qui dicte le texte, en fera l'interprête pour les lec

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