X XXX SECONDE PARTIE DU RÉCIT HISTORIQUE, CHAPITRE I. De la nature du Récit hiftorique & de fes différentes efpeces. L E Récit eft un expofé exact & fidelle d'un événement : c'est-à-dire, un expofé qui rend tout l'événement, & qui le rend comme il eft. Car s'il rend plus ou moins, il n'eft point exact; & s'il rend autrement il n'eft point fidelle. Celui qui raconte ce qu'il a vu, le raconte comme il l'a vu, & quelquefois comme il n'est pas; alors le Récit eft fidelle, fans être exact. " Tout Récit eft le portrait de l'événe. ment qui en fait le fujet. Le Brun & Quinte-Curce ont peint tous deux les ba tailles d'Alexandre. Celui-ci avec des fignes arbitraires & d'inftitution, qui font les mots; l'autre avec des fignes naturels & d'imitation, qui font les traits & les couleurs. S'ils ont fuivi exactement la vérité, ce font deux hiftoriens. S'ils ont mêlé mêlé du faux avec le vrai, ils font poëtes, du moins en la partie feinte de leur ou vrage. Car le caractere du poëte eft de mêler le vrai avec le faux, avec cette attention feulement, que tout paroiffe de même nature. 9 Quoiqu'il n'en foit pas de même de l'hiftorien, cependant il eft auffi placé entre la vérité & le menfonge. Il fouhaite naturellement d'intéreffer. Comme l'intérêt du Récit dépend de la grandeur & de la fingularité des chofes, il eft bien difficile à l'homme qui raconte fur-tout quand il a l'imagination vive, qu'il n'a pas de titres trop connus contre lui, & que l'événement qu'il a en main fe prête juf qu'à un certain point, de s'attacher à la feule vérité, & de ne s'en écarter en rien. Il voit fa grace écrite dans les yeux d'un auditeur, qui aime prefque toujours mieux un vraisemblable touchant qu'une' vérité féche. Quel moyen de s'affervir alors à une fcrupuleufe exactitude? Si on refpecte les faits où on pourroit être convaincu de faux, du moins fe donnera-t-' on carriere fur les caufes. On fe fera un plaifir de tirer les plus grands effets, les plus éclatans, d'un principe prefque infenfible, foit par fa petiteffe, foit par fon éloignement. On montrera des liaisons imperceptibles, on ouvrira des fouterTome IV. 1 K rains; une légere circonftance tirée de la foule, deviendra le dénouement des plus grandes entreprises. Par ce moyen on aura la gloire d'avoir eu de bons yeux, d'avoir fait des recherches profondes, de connoître bien les replis du cœur humain, & par-deffus tout cela la reconnoiffance & l'admiration de la plupart des lecteurs. Ce défaut n'eft pas, comme on peut le croire, celui des têtes légeres. Mais pour être proche de la vertu, ce n'en eft pas moins un vice. Le Récit a toute fa beauté & fa perfection, quand à la fidélité & à l'exactitude il joint la briéveté, la naïveté & la forte d'intérêt qui lui convient. Il faut être court dans le Récit: nous l'avons dit en parlant de l'Apologue (a), & nous avons ajouté qu'on n'est jamais long, quand on ne dit que ce qui doit être dit. C'eft à celui qui parle à fentir les bornes de fon fujet. Nous dirons dans le dixieme Traité ce que c'eft que la naïveté du difcours, (b) & par conféquent celle du Récit. Quant à l'intérêt, nous en avons défini la nature, & diftingué les efpeces dans le fecond volume en traitant de l'Epopće. Nous obferverons feulement ici que l'intérêt du Récit véritable eft in (a) Tome II. 7 fintment plus grand que celui du Récit fabuleux; parce que la vérité historique tient à nous, & qu'elle eft comme une partie de notre être : c'est le portrait de nos femblables, & par conféquent le nôtre. Les fables ne font que des tableaux d'imagination, des chimeres ingénieuses, qui nous touchent pourtant, parce que ce font des imitations de la nature, mais qui nous touchent moins qu'elle, parce que ce ne font que des imitations: In omni re procul dubio vincit imitationem veritas. Quint. Il y a en général trois fortes de Récits: le Récit oratoire, le Récit historique, & le Récit familier. Nous avons parlé du premier en traitant de l'Oraifon; & du dernier en parlant de l'Apologue. Nous nous bornons ici au Récit hiftorique. Le Récit hiftorique a autant de caracteres qu'il y a de fortes d'hiftoires. Or il y a l'hiftoire des hommes confidérés dans leurs rapports entr'eux : c'eft l'hiftoire profane; & l'hiftoire naturelle, qui a pour objet les productions de la nature, fes phénomenes, fes variations. L'hiftoire de la religion fe fous-divife en deux efpeces, dont l'une eft l'histoire facrée, écrite par des hommes infpirés; l'autre l'hiftoire eccléfiaftique, écrite par des hommes aidés de la feule lumiere naturelle. K2 CHAPITRE II. Caractere de l'Hiftoire Sacrée. Sto on veut connoître l'Hiftoire dans toute fa grandeur & toute fa nobleffe, c'est dans les Livres faints qu'il faut l'envifager. L'auteur dépouillé de tout fentiment étranger à fon objet, livré entiérement, uniquement à la vérité qu'il peint, la préfente telle qu'elle eft, avec. la naïveté, la force, la candeur qui lui font propres. Nul penchant pour un parti contre un autre, nul artifice pour exciter l'amour, l'envie, l'étonnement, l'admi-: ration. La vérité lumineufe opere par elle-même fur les efprits, fans le fecours artificiel de l'éloquence. Quelle sublimité dans le récit de la création de l'Univers! Mais quelle fimplicité ! C'étoit en commençant l'hiftoire du Monde une belle occasion pour étaler toutes les richeffes du génie & de l'art. On pouvoit peindre Dieu marquant un point dans l'immenfité, pour être le lieu des corps, & dans l'éternité un autre point, pour être l'époque des tems. On l'auroit vu franchir par. une puiffance incompréhensible, l'espace qui fépare l'être & le néant; difpofer enfuite toutes les parties de la substance |