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hommes à tout âge. Il faut toujours ref pecter leur amour propre devant les autres: Hæc omnia magis monitoris non fatui, quàm magiftri eruditi.

CHAPITRE II.

Importance de la Prononciation Oratoire.

MAIN

AINTENANT on me permettra d'adreffer ici un mot aux Orateurs & de leur faire fentir la liaifon qu'il y a entre l'élocution du gefte & du ton de voix, & celle des mots; & de quelle importance il eft que les mots, les tons de voix, les geftes foient parfaitement d'accord dans celui qui parle.

Notre objet ici n'eft nullement de donner des regles. Nous nous bornerons à un feul point c'eft de faire entrevoir au moins l'étendue & le nombre des chofes que comprend l'art de déclamer; afin que fi quelqu'un s'avifoit de l'étudier pour fon propre ufage, il connût à-peu-près fon objet. Nous conviendrons même, fi on veut, que chacun doit prefque être fon propre maître dans ce genre, & que les avis donnés, fur-tout par écrit, font, pour ainsi dire, en pure perte.

Les Anciens avoient fur les geftes & fur les tons de voix une collection de pré

ceptes qui faifoit un Art, & qui fervoit
de regle à ceux qui devoient parler en
public. Ils croyoient même que cette par-
tie étoit une des plus confidérables de
l'art de perfuader & de toucher.

Pour nous, nous avons cru qu'il étoit plus court de croire & de dire fans ceffe, qu'il faut s'abandonner à l'instinct dans la déclamation, qu'il n'y a point de regles pour cette partie, & que, fi on vouloit s'avifer d'y en mettre, ce feroit un moyen infaillible de détruire la nature, ou au moins de la gâter. Si ce raifonnement étoit jufte, il ne faudroit point de regles non plus pour l'élocution; parce que l'éLocution naturelle eft toujours celle qui a le plus de charmes & le plus de forces. Il en feroit de même de tous les autres arts, dont l'objet est de régler, de polir, de fortifier les facultés naturelles, pour les porter plus furement à leurs fins.

Tout le monde a entendu parler des défis que fe faifoient entr'eux Ciceron & Rofcius. L'Orateur exprimoit une pensée par des mots. Le Comédien fur le champ l'exprimoit par des geftes. L'Orateur changeoit les mots, en laiffant la penfée : le Comédien changeoit les geftes, & rendoit encore la penfée. Voilà donc deux moyens de s'exprimer, qui fe fuffisent à eux-mêmes pour repréfenter les penfées, la parole & le gefte.

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Les Pantomimes repréfentoient des piéces entieres avec le feul gefte, Ils en faifoient un difcours fuivi, que les fpectateurs écoutoient pendant plufieurs heures. Qu'eût ce été, s'ils euffent encore employé l'autre partie de la déclamation, qui eft le ton de voix ?

La Mufique qui n'a pour elle que cette derniere expreffion, exprime par ce langage une infinité de chofes. Elle peint la joie, la trifteffe, la langueur, Elle imite la force, la foibleffe, la fierté, un orage, la terre qui mugit. Elle nous échauffe, nous tranfporte, quoiqu'elle ne nous par le que par des fons, Que feroit-ce fi elle étoit unie au gefte, qui remue l'ame, en paffant par les yeux, & à la parole, qui fe porte en même tems à l'efprit & au cœur?

Démofthene interrogé quelle étoit la premiere, la plus excellente partie de l'Orateur, répondit, l'action: quelle étoit la feconde, l'action encore; la troisieme, encore l'action, jusqu'à ce qu'on eût ceffé de l'interroger: voulant faire entendre par-là que fans l'action, toutes les autres parties qui compofent l'Orateur, doivent être comptées pour peu de chofe.

Il l'avoit trop fenfiblement éprouvé, pour n'en être pas convaincu. Cet Orateur le plus éloquent qui fut jamais, mal

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gré la force de fon génie, & la vigueur de fon élocution, fut toujours mal accueilli tant qu'il ne fut point l'art de ma-nier fes armes. La leçon que lui donna un Comédien, fut pour lui un trait de feu qui l'éclaira, & qui lui fit voir clairement que fans l'action, les plus belles chofes ne font qu'un cadavre fans vie, plus propre à morfondre l'auditeur, qu'à l'échauffer. Il s'y appliqua donc de toutes fes forces: & les efforts prodigieux qu'il fit, joints à la gloire immortelle qu'il s'eft acquife en conféquence, feront une juftification plus que fuffifante pour ceux qui voudront fuivre fon exemple, & fe livrer tout entiers à l'art de déclamer.

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L'étude de cet art ne fert pas feulement aux orateurs, aux acteurs de profeffion, à tous ceux qui font obligés de paroître quelquefois en public. Comment, fans lui, quiconque veut lire les bons Auteurs, en pourra-t-il fentir les beautés ? Reprenons notre comparaifon du cadavre, toute hideufe qu'elle eft. Les livres que nous lifons, ne font que des ombres vaines, des phantômes vuides de fang, que le lecteur doit ranimer, s'il veut en retrouver les traits. Il faut qu'il leur prête fa voix, fes geftes : qu'il voie Œdipe fe frappant le front, & hurlant de douleur : qu'il entende les éclats de Démofthene :

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qu'il s'enflamme comme Cicéron contreles Clodius, les Catilina, & qu'il entende autour de lui les auditeurs qui frémiffent. Sans cela, les plus beaux écrits ne font que des figures glacées, des deffeins ébauchés, demi-effacés, des traces légeres d'un pinceau célebre.

Et l'Auteur qui compofe, comment pourra-t-il animer fon ftyle, s'il ne s'imagine dans fon cabinet apoftropher le ciel, ouvrir les enfers ? Où prendra-t-il la grace, la force, l'énergie, s'il n'effaye, au moins à demi-voix, les tons de la nature?

Puifque l'art de déclamer eft également utile à celui qui compofe, qui écrit, qui parle en public; il eft au moins raifonnable de s'arrêter un moment pour voir ce qu'il contient.

CHAPITRE III.

Combien il y a de chofes à confidérer dans la prononciation Oratoire.

A Déclamation, ou comme parlent les Rhéteurs, l'action, eft une forte d'éloquence du corps, une expreffion qui confifte dans les geftes & dans les tons de voix: Eft actio quafi corporis quædam eloquentia, cùm conftet motu atque voce.

Cette efpece d'élocution a, auffi-bien

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