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à M. de Lamartine, bien qu'il les eût de mandés avec beaucoup de grâce.

La Némésis, rédigée par Méry et Barthélemy, fouetta rudement le poète.

Celui-ci, pour répondre, se plaça, comme un aigle outragé, au plus haut sommet d'un nuage, oubliant qu'il se trouvait à terre, près d'une urne électorale, quand il avait reçu des coups de

verge.

Humilié de ne pas entrer à la Chambre, M. de Lamartine résolut de priver son ingrate patrie de sa présence.

Il s'embarqua bientôt à Marseille avec sa femme et sa fille Julia, monté sur un navire qui lui appartenait et dont l'équi page était à ses ordres.

Si la politique perdit à ce départ, les lettres y gagnèrent un beau livre 1.

Lamartine, comme on dit vulgairement, faisait contre fortune bon cœur, et sacri-* fiait provisoirement à sa muse toutes ses prétentions parlementaires.

« Je brûlais, dit-il, du désir d'aller visiter ces montagnes où Dieu descendait ; ces déserts où les anges venaient montrer à Agar la source cachée pour ranimer son pauvre enfant banni et mourant de soif; ces fleuves qui sortaient du paradis terrestre; ce ciel où l'on voyait descendre et monter les anges sur l'échelle de Jacob. Je rêvais un voyage en Orient comme un grand acte de ma vie intérieure; je con

Le Voyage en Orient.

struisais éternellement dans ma penséc une vaste épopée dont ces beaux lieux seraient la scène principale. Il me semblait que les dontes de l'esprit, que les perplexités religieuses, devaient trouver là leur solution et leur apaisement. »

A la bonne heure!

Nous retrouvons notre poëte tel que nous aimons à le voir, tel qu'il aurait dù rester toujours s'il eût été conséquent avec lui-même.

Aimer, prier, chanter, voilà toute ma vie !

Hélas! le démon jaloux de la tribune devait couper les ailes au cygne harmonieux!

Lamartine, au point où nous en sommes, est à l'apogée de sa gloire.

Maintenant il va redescendre et s'égarer dans un labyrinthe. Le Voyage en Orient ct Jocelyn sont les derniers jalons de sa route poétique. Nous le verrons perdre de vue son étoile. Sa première chute sera la Chute d'un ange, et les Recueillements1 ne doivent plus être qu'un faible écho des Méditations et des Harmonies.

Ne croyez pas qu'en Orient il s'occupa

« Une révolution, dit Sainte-Beuve, s'opère ici chez M. de Lamartine. Il veut prendre dans son rhythme le trot de Victor Hugo, ce qui ne lui va pas. M. Hugo rachète ses duretés de détail par des beautés qui, jusqu'à un certain point, les supportent et s'en accommodent. Le vers de M. de Lamartine était comme un beau flot du golfe de Bafa: il le brise, il le saccade, il le fait trotter aujourd'hui comme le cheval bardé d'un baron du moyen âge. » Dans les Recueillements, le même critique signale une pièce de vers dont le titre de mauvais goût: A une jeune Fille qui me demandait de mes cheveux, rappelle assez disgracieusement pour le poëte un vaudeville burlesque du théâtre du Palais-Royal.

de ce vaste poëme dont il nous a solennellement parlé tout à l'heure.

D'Athènes et de Jérusalem il entretenait avec les électeurs de Dunkerque une correspondance active. Il rêvait le palais Bourbon sur la rive du Jourdain, et le portefeuille des affaires étrangères sous les murs de Jéricho.

Son plus grand désespoir était de penser que la France avait des illustrations politiques, et que lui Lamartine n'était pas au nombre de ces illustrations.

Dans ce Voyage d'Orient, raconté par lui-même, nous signalons un curieux épisode.

C'est la visite du poëte à lady Esther Stanhope, nièce de William Pitt, sorte de folle illuminée, riche à millions, qui, après

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