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tière des Grecs. Ils passèrent près de nous, étendirent le corps du pestiféré sur la terre, enveloppé de ses habits, et se mirent à creuser en silence son dernier lit, sous les pieds de nos chevaux. La terre autour de la ville était fraîchement remuée par de semblables sépultures que la peste multipliait chaque jour ; et le seul bruit sensible, hors des murailles de Jérusalem, était la complainte monotone des femmes turques qui pleuraient leurs morts! Je ne sais si la peste était la seule cause de la nudité des chemins et du silence profond autour de Jérusalem et dedans. Je ne le crois pás, car les Turcs et les Arabes ne se détournent pas des fléaux de Dieu, convaincus qu'ils peuvent les atteindre partout, et qu'aucune route ne leur échappe. Sublime raison de leur part, mais qui les mène à de funestes conséquences!

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salem est à gauche avec le temple et ses édifices, sur lesquels le regard du roi ou du poète pouvait plonger sans en être vu. Devant lui, des jardins fertiles, descendant en pentes mourantes, le pouvaient conduire jusqu'au fond du lit du torrent dont il aimait l'écume et la voix. Plus bas, la vallée s'ouvre et s'étend ; les figuiers, les grenadiers, les oliviers l'ombragent; c'est sur quelques-uns de ces rochers suspendus sur l'eau courante; c'est dans quelques-unes de ces grottes sonores, rafraîchies par l'haleine et par le murmure des eaux; c'est aux pieds de quelques-uns de ces térébinthes, aïeux du térébinthe qui me couvre, que le poète sacré venait sans doute attendre le souffle qui l'inspirait si mélodieusement ! Que ne puisje l'y retrouver pour chanter les tristesse de mon cœur et celle du cœur de tous les hommes, dans cet âge inquiet, comme il chantait ses espérances dans un âge de jeunesse et de foi! Mais il n'y a plus de chant dans le cœur de l'homme, car le désespoir ne chante pas. Et tant qu'un nouveau rayon ne descendra pas sur la ténébreuse humanité de nos temps, les lyres resteront muettes, et l'homme passera en silence entre deux abîmes de doute, sans avoir ni aimé, ni prié, ni chanté ! Mais je remonte au palais de David. I plonge ses regards sur la ravine alors verdoyante et arrosée de Josaphat; une large ouverture dans les collines de l'est conduit de pente en pente, de cime en cime, d'ondulation en ondulation, jusqu'au bassin de la Mer Morte, qui réfléchit là-bas les rayons du soir, dans ses eaux pesantes et épaisses, comme une épaisse glace de Venise, qui donne une teinte matte et plombée à la lumière qui l'effleure. Ce n'est point ce que la pensée se figure, un lac pétrifié dans un horizon triste et sans couleur ! C'est d'ici un des plus beaux lacs de Suisse ou d'Italie, laissant dormir ses eaux tranquilles entre l'ombre des hautes montagnes d'Arabie, qui s'étendent, comme des Alpes, à perte de vue, derrière ses flots, entre les cimes élancées, pyramidales, coniques, légères, dentelées et étincelantes des dernières montagnes de la Judée. Voilà la vue de Sion! Passons.

A gauche de la plate-forme, du temple et des murs de Jérusalem, la colline qui porte la ville s'affaisse tout-àcoup, s'élargit, se développe à l'œil en pentes douces, soutenues çà et là par quelques terrasses de pierres roulantes. Cette colline porte à son sommet, à quelques cents pas de Jérusalem, une mosquée et un groupe d'édifices tures, assez semblables à un hameau d'Europe couronné de son église et de son clocher. C'est Sion! c'est le palais! C'est le tombeau de David ! C'est le lieu de ses inspirations et de ses délices, de sa vie et de son repos! lieu doublement sacré pour moi, dont ce chantre divin a si souvent touché le cœur et ravi la pensée. C'est le premier des poètes du sentiment ! c'est le roi des lyriques! Jamais la fibre humaine n'a résonné d'accords si intimes, si pénétrans et si graves! jamais la pensée du poète ne s'est adressée si haut et n'a crié si juste! jamais l'âme de l'homme ne s'est répandue devant l'homme et devant Dieu en expressions et en sentimens si tendres, si sympathiques et si déchirans ! Tous les gémissemens les plus secrets du cœur humain ont trouvé leur voix et leurs notes sur les lèvres et sur la harpe de cet homme! et si l'on remonte à l'époque reculée où de tels chants retentissaient sur la terre; si l'on pense qu'alors la poésie lyrique des nations les plus cultivées ne chantait que le vin, l'amour, le sang et les victoires des muses et des coursiers dans les jeux de l'Élide, on est saisi d'un profond étonnement aux accens mystiques du roi-prophète qui parle à Dieu créateur comme un ami à son ami, qui comprend et loue ses merveilles, qui admire ses justices, qui implore ses miséricordes, et semble un écho anticipé de la poésie évangélique, répétant les douces paroles du Christ avant de les avoir entendues. Prophète ou non, selon qu'il sera considéré par le philosophe ou le chrétien, aucun d'eux ne pourra refuser au poète-roi une inspi-en jetant un cri de tristesse et d'horreur qui semble y ration qui ne fut donnée à aucun autre homme! Lisez de l'Horace ou du Pindare après un psaume! Pour moi, je ne le peux plus !

J'aurais, moi, humble poète d'un temps de décadence et de silence, j'aurais, si j'avais vécu à Jérusalem, choisi le lieu de mon séjour et la pierre de mon repos précisément où David choisit le sien à Sion. C'est la plus belle vue de la Judée, et de la Palestine, et de la Galilée. Jéru

Il y aurait une autre scène de paysage de Jérusalem que je voudrais me graver à moi-même dans la mémoire; mais je n'ai ni pinceau ni couleur. C'est la vallée de Josaphat; vallée célèbre dans les traditions de trois religions, où les Juifs, les Chrétiens et les Mahométans s'accordent à placer la scène terrible du jugement suprême. — Vallée qui a vu déjà sur ses bords la plus grande scène du drame évangélique : les larmes, les gémissemens et la mort du Christ! Valléeoù tous les prophètes ont passé tour à tour,

retentir encore! Valiée qui doit entendre une fois le grand bruit du torrent des âmes roulant devant Dieu, et se présentant d'elles-mêmes à leur fatal jugement!

— Même jour. Nous rentrons, sans avoir violé aucune condition du pacte conclu avec les religieux, au couvent de Saint-Jean dans le désert. Nous sommes reçus avec une confiance etune charité qui nous attendrissent;

car si nous n'étions pas des hommes d'honneur, si un de nos Arabes seulement avait échappé à notre surveillance, et communiqué avec ceux qui portaient les pestiférés tout au milieu de nous, ce serait la mort que nous rapporterions peut-être à tout le couvent.

29 octobre 1832. — Parti à cinq heures du matin du désert de Saint-Jean, avec tous nos chevaux, escortes, arabes d'Abougosh, et quatre cavaliers envoyés par le gouverneur de Jérusalem. Nous établissons notre campà deux portées de fusil des murs, à côté du cimetière turc, tout couvert de petites tentes où les femmes viennent pleurer. Ces tentes sont pleines de femmes, d'enfans et d'esclaves, portant des corbeilles de fleurs qu'elles plantent pour la journée autour du tombeau. Nos cavaliers de Naplouse entrent seuls dans la ville et vont avertir le gouverneur de notre arrivée. Pendant qu'ils portent notre message, nous ôtons nos souliers, nos bottes et nos sous-pieds de drap, qui sont susceptibles de prendre la peste, et nous chaussons des babouches de maroquin; nous nous frottons d'huile et d'ail, préservatif que j'ai imaginé d'après le fait connu, à Constantinople, que les marchands et les porteurs d'huile sont moins sujets à la contagion. Au bout d'une demi-heure, nous voyons sortir de la porte de Bethleem le kiaya du gouverneur, l'interprète du couvent des moines latins, cinq ou six cavaliers revêtus de costumes éclatans et portant des cannes à pommeaux d'or et d'argent, enfin nos propres cavaliers de Naplouse et quelques jeunes pages aussi à cheval. Nous allons à leur rencontre, ils forment la haie autour de nous, et nous entrons par la porte de Bethléem. Trois pestiférés, morts de la nuit, en sortaient au même moment, et nous disputent un instant le passage avec leurs porteurs, sous la voûte sombre de l'entrée de la ville. Immédiatement après avoir franchi cette voûte, nous nous trouvons dans un carrefour composé de petites et misérables maisons, et de quelques jardins incultes, dont les murs d'enceinte sont éboulés. Nous suivons un moment le chemin le plus large de ce carrefour; il nous mène à une ou deux petites rues aussi obscures, aussi étroites, aussi sales; nous ne voyons, dans ces rues, que | des convois de morts qui passent d'un pas précipité, en se rangeant contre les murailles à la voix et sous le bâton levé des janissaires du gouverneur. Çà et là, quelques marchands de pain et de fruits, couverts de haillons, assis sur le seuil de petites échoppes, avec leurs paniers sur leurs genoux, et criant leurs marchandises à la manière de nos halles de grandes villes. De temps en temps, une femme voilée paraît à la fenêtre grillée en bois de ces maisons, un enfant ouvre une porte basse et sombre, et vient acheter, pour la famille, la provision du jour. Ces rues sont partout obstruées de décombres, d'immondices amoncelées, et surtout de las de chiffons de drap ou d'étoffe de coton teinte en bleu, que le vent balaie comme les feuilles mortes, et dont nous ne pouvons éviter le contact. C'est par ces immondices et ces lambeaux d'étoffes, dont le pavé des villes d'Orient est couvert, que la

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peste se communique le plus. Jusqu'ici nous ne voyons, dans les rues de Jérusalem, rien qui annonce la demeure d'une nation; aucun signe de richesse, de mouvement et de vie; l'aspect extérieur nous avait trompés comme nous l'avions été si souvent déjà dans d'autres villes de la Grèce ou de la Syrie. La plus misérable bourgade des Alpes ou des Pyrénées, les ruelles les plus négligées de nos faubourgs abandonnés aux dernières classes de nos populations d'ouvriers, ont plus de propreté, de luxe et d'élégance, que ces rues désertes de la reine des villes. Nous ne rencontrons que quelques cavaliers bédouins, montés sur des jumens arabes, dont le pied glisse ou s'enfonce dans les trous dont le pavé est labouré. Ces hommes n'ont pas l'air noble et chevaleresque des scheiks arabes de la Syrie et du Liban. Ils ont la physionomie féroce, l'œil du vautour et le costume du brigand.

Après avoir circulé quelque temps dans ces rues toutes semblables, arrêtés de temps en temps par l'interprète du couvent latin, qui, en nous montrant une maison turque en décombres, une vieille porte en bois vermoulu, les | débris d'une fenêtre moresque, nous disait : Voilà la Maison de Véronique, la Porte du Juif-Errant, la Fenêtre du prétoire; paroles qui ne faisaient qu'une pénible impression sur nous, démenties qu'elles étaient par l'aspect évidemment moderne et par l'invraisemblance parlante de ces démonstrations arbitraires; pieuses fraudes dont personne n'est coupable, parce qu'elles datent de je ne sais qui, et qu'on les répète peut-être depuis des siècles aux pélerins dont la crédulité ignorante les a elle-même inventées. — On nous montre enfin le toit du couvent latin, mais nous ne pouvons y entrer. Les religieux sont en quarantaine, le monastère est fermé en temps de peste. Une petite maison qui en dépend reste seulement ouverte aux étrangers sous la direction du religieux, curé de Jérusalem; elle n'a qu'une ou deux chambres; elles sont occupées, nous n'y allons pas. On nous introduit dans une petite cour carrée, enceinte de toutes parts par de hautes arcades qui portent des terrasses; c'est la cour d'un couvent. Les religieux viennent sur les terrasses et s'entretiennent quelques momens avec nous en espagnol et en italien. Aucun d'eux ne parle français ; ceux que nous voyons sont presque tous des vieillards à la physionomie douce, vénérable et heureuse. Ils nous accueillent avec gaité et cordialité, et paraissent regretter beaucoup que la calamité régnante leur interdise toute communication avec des hôtes exposés comme nous à prendre et à donner la peste. Nous leur apprenons des nouvelles d'Europe; ils nous offrent les secours que leur pays comporte. Un boucher tue des moutons pour nous, dans la cour. On nous descend des pains frais par une corde, du haut des terrasses. Nous recevons d'eux, par la même voie, une provision de croix, de chapelets et d'autres pieuses curiosités, dont ils ont toujours des magasins abondamment fournis ; nous leur remettons en échange quelques aumônes, et des lettres dont leurs amis de Chypre et de Syrie nous ont chargés pour eux. Chaque objet qui passe de nous à eux est soumis d'abord à une rigoureuse fumiga

tion, puis plongé dans un vase d'eau froide, et hissé enfin au sommet de la terrasse, dans un bassin de cuivre suspendu à une corde. Ces pauvres religieux paraissent plus terrifiés que nous du danger qui les environne. Ils ont si souvent éprouvé qu'une légère imprudence dans l'observation des règles sanitaires enlevait en peu de momens un couvent tout entier, qu'ils les observent avec une rigoureuse fidélité. Ils ne peuvent comprendre comment nous nous sommes jetés volontairement et de gaîté de cœur dans cet océan de contagion, dont une seule goutte les fait pâlir. Le curé de Jérusalem, au contraire, forcé par état de courir les chances de ses paroissiens, veut nous persuader qu'il n'y a point de peste.

Après une demi-heure de conversation avec ces religieux, la cloche les appelle à la messe. Nous leur faisons nos remercîmens; ils nous adressent leurs vœux de bon voyage; nous envoyons à notre camp les provisions et les vivres dont nous nous sommes pourvus et nous sortons de la cour du couvent.

fané par la main des hommes: au contraire, on se dit involontairement : Voilà ce que j'attendais ! L'homme a fait ce qu'il a pu de mieux. Le monument n'est pas digne du tombeau, mais il est digne de cette race humaine qui a voulu honorer ce grand sépulcre ; et l'on entre dans le vestibule voûté el sombre de la nef sous le coup de cette première et grave impression.

A gauche, en entrant sous ce vestibule qui ouvre sur le parvis même de la nef, dans l'enfoncement d'une large et profonde niche qui portait jadis des statues, les Turcs ont établi leur divan ; ils sont les gardiens du Saint-Sépulcre, qu'eux seuls ont le droit de fermer ou d'ouvrir. Quand je passai, cinq ou six figures vénérables de Turcs, à longues barbes blanches, étaient accroupies sur ce divan recouvert de riches tapis d'Alep; des lasses à café et des pipes étaient autour d'eux sur ces tapis ; ils nous saluèrent avec dignité et grâce, et donnèrent ordre à un des surveillans de nous accompagner dans toutes les parties de l'église. Je ne vis rien sur leurs visages, dans leurs propos ou dans leurs gestes, de cette irrévérence dont on les accuse. Ils n'entrent pas dans l'église, ils sont à la porte; ils parlent aux chrétiens avec la gravité et le respect que le lieu et l'objet de la visite comportent. Posses

ils ne le détruisent pas, ils n'en jettent pas la cendre au vent; ils le conservent, ils y maintiennent un ordre, une police, une révérence silencieuse que les communions chrétiennes, qui se les disputent, sont bien loin d'y garder elles-mêmes. Ils veillent à ce que la relique commune de tout ce qui porte le nom de chrétien soit préservée pour tous, afin que chaque communion jouisse, à son tour, du culte qu'elle veut rendre au saint tombeau. Sans les Turcs, ce tombeau que se disputent les Grecs et les

Après avoir descendu quelques autres rues semblables à celles que je viens de décrire, nous nous trouvâmes sur une petite place, ouverte au nord sur un coin du ciel et de la colline des Oliviers; à notre gauche, quelques marches à descendre nous conduisirent sur un parvisseurs, par la guerre, du monument sacré des chrétiens, découvert. La façade de l'église du Saint-Sépulcre donnait sur ce parvis. L'église du Saint-Sépulcre a été tant et si bien décrite que je ne la décrirai pas de nouveau. C'est, à l'extérieur surtout, un vaste et beau monument de l'époque bysantine; l'architecture en est grave, solenneile, grandiose et riche, pour le temps où elle fut construite ; c'est un digne pavillon jeté par la piété des hommes sur le tombeau du fils de l'homme. A comparer cette église avec ce que le même temps a produit, on la trouve supérieure à tout. Sainte-Sophie, bien plus colos-catholiques, et les innombrables ramifications de l'idée sale, est bien plus barbare dans sa forme; ce n'est au dehors qu'une montagne de pierres flanquées de collines de pierres; le Saint-Sépulcre, au contraire, est une coupole aérienne et ciselée, où la taille savante et gracieuse des portes, des fenêtres, des chapiteaux et des corniches, ajoute à la masse l'inestimable prix d'un travail habile, où la pierre est devenue dentelle pour être digne d'entrer dans ce monument élevé à la plus grande pensée humaine, où la pensée même qui l'a élevé est écrite dans les détails comme dans l'ensemble de l'édifice. Il est vrai que l'église du Saint-Sépulcre n'est pas telle aujourd'hui que sainte Hélène, mère de Constantin, la construisit; les rois de Jérusalem la retouchèrent et l'embellirent des ornemens de cette architecture semi-occidentale, semimoresque, dont ils avaient trouvé le goût et les modèles en Orient. Mais telle qu'elle est maintenant à l'extérieur, avec sa masse bysantine et ses décorations grecques, gothiques et arabesques, avec les déchirures mêmes, stigmates du temps et des barbares, qui restent imprimées sur sa façade, elle ne fait point contraste avec la pensée qu'on y apporte, avec la pensée qu'elle exprime; on n'éprouve pas, à son aspect, cette pénible impression d'une grande idée mal rendue, d'un grand souvenir pro

chrétienne, aurait déjà été cent fois un objet de lutte entre ces communions haineuses et rivales, aurait tour à tour passé exclusivement de l'une à l'autre, et aurait été interdit, sans doute, aux ennemis de la communion triomphante. Je ne vois pas là de quoi accuser et injurier les Turcs. Cette prétendue intolérance brutale, dont les ignorans les accusent, ne se manifeste que par de la tolérance et du respect pour ce que d'autres hommes vénèrent et adorent. Partout où le Musulman voit l'idée de Dieu dans la pensée de ses frères, il s'incline et il respecte. Il pense que l'idée sanctifie la forme. C'est le seul peuple tolérant. Que les chrétiens s'interrogent et se demandent de bonne foi ce qu'ils auraient fait si les destinées de la guerre leur avaient livré la Mecke et la Kaaba. Les Turcs viendraient-ils de toutes les parties de l'Europe et de l'Asie, y vénérer en paix les monumens conservés de l'islamisme?

Au bout de ce vestibule, nous nous trouvâmes sous la large coupole de l'église. Le centre de cette coupole, que les traditions locales donnent pour le centre de la terre, est occupé par un petit monument renfermé dans le grand, comme une pierre précieuse enchassée dans une autre. Ce monument intérieur est un carré long,

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orné de quelques pilastres, d'une corniche et d'une sa foi dans le grand événement que ce lombeau rappelle ; coupole de marbre, le tout de mauvais goût et d'un des- chacun de nous y resta environ un quart d'heure, et nul sin tourmenté et bizarre; il a été reconstruit en 1817, n'en sortit les yeux secs. Quelle que soit la forme que les par un architecte européen, aux frais de l'église grec- | méditations intérieures, la lecture de l'histoire, les anque qui le possède maintenant. Tout autour de ce pavillonnées, les vicissitudes du cœur et de l'esprit de l'homme, intérieur du sépulcre, règne le vide de la grande cou- aient donnée au sentiment religieux dans son âme, soit pole extérieure ; on y circule librement, et on trouve, qu'il ait gardé la lettre du christianisme, les dogmes de de piliers en piliers, des chapelles vastes et profondes qui sa mère, soit qu'il n'ait qu'un christianisme philosophique sont affectées chacune à un des mystères de la passion et selon l'esprit, soit que le Christ pour lui soit un dieu du Christ; elles renferment toutes quelques témoignages crucifié, soit qu'il ne voie en lui que le plus saint des réels ou supposés des scènes de la Rédemption: la partie hommes divinisé par la vertu, inspiré par la vérité sude l'église du Saint-Sépulcre qui n'est pas sous la coupole prême et mourant pour rendre témoignage à son père; est exclusivement réservée aux Grecs schismatiques; une que Jésus soit à ses yeux le fils de Dieu ou le fils de séparation en bois peint, et couverte de tableaux de l'homme, la divinité faite homme, ou l'humanité divinil'école grecque, divise cette nef de l'autre. Malgré la sée, toujours est-il que le christianisme est la religion de bizarre profusion de mauvaises peintures et d'ornemens ses souvenirs, de son cœur et de son imagination; qu'il de tous genres dont les murs et l'autel sont surchargés, | ne s'est pas tellement évaporé au vent du siècle et de la son ensemble est d'un effet grave et religieux; on sent vie que l'âme où on le versa n'en conserve la première que la prière, sous toutes les formes, a envahi ce sanc- odeur, et que l'aspect des lieux et des monumens visibles tuaire, et accumulé tout ce que des générations supersti- de son premier culte ne rajeunisse en lui ses impressions, tieuses, mais ferventes, ont cru avoir de précieux devant et ne l'ébranle d'un solennel frémissement. Pour le chréDieu; un escalier taillé dans le roc conduit de là au som- tien ou pour le philosophe, pour le moraliste ou pour met du Calvaire où les trois croix furent plantées : le l'historien, ce tombeau est la borne qui sépare deux Calvaire, le tombeau et plusieurs autres sites du drame | mondes, le monde ancien et le monde nouveau; c'est le de la Rédemption, se trouvent ainsi accumulés sous le point de départ d'une idée qui a renouvelé l'univers, toit d'un seul édifice d'une médiocre étendue ; cela semble d'une civilisation qui a fout transformé, d'une parole peu conforme aux récits des évangiles, et l'on est loin de qui a retenti sur tout le globe: ce tombeau est le sépulcre s'attendre à trouver le tombeau de Joseph d'Arimathie du vieux monde et le berceau du monde nouveau; aucune taillé dans le roc hors des murs de Sion, à cinquante pas pierre ici-bas n'a été le fondement d'un si vaste édifice; du Calvaire, lieu des exécutions, renfermé dans l'enceinte aucune tombe n'a été si féconde; aucune doctrine ensedes murailles modernes ; mais les traditions sont telles et velie trois jours ou trois siècles n'a brisé d'une manière elles ont prévalu. L'esprit ne conteste pas sur une pareille aussi victorieuse le rocher que l'homme avait scellé sur scène, pour quelques pas de différence entre les vraisem- | elle, et n'a donné un démenti à la mort par une si éclablances historiques et les traditions; que ce fût ici ou tante et si perpétuelle résurrection ! là, toujours est-il que ce ne fut pas loin des sites qu'on nous désigne. Après un moment de méditation profonde et silencieuse donnée, dans chacun de ces lieux sacrés, au souvenir qu'il retraçait, nous redescendîmes dans l'enceinte de l'église, et nous pénétrâmes dans le monument intérieur qui sert de rideau de pierre ou d'enveloppe au tombeau même ; il est divisé en deux petits sanctuaires; dans le premier, se trouve la pierre où les anges étaient assis quand ils répondirent aux saintes femmes : Il n'est plus là, il est ressuscité; le second et dernier sanctuaire renferme le Sépulcre, recouvert encore d'une espèce de sarcophage de marbre blanc qui entoure et cache entièrement à l'œil la substance même du rocher primitif dans lequel le Sépulcre était creusé. Des lampes d'or et d'argent, alimentées éternellement, éclairent cette chapelle, et des parfums y brûlent nuit et jour; l'air qu'on y respire est tiède et embaumé ; nous y entrâmes un à un, séparément, sans permettre à aucun des desservans du temple d'y pénétrer avec nous, et séparés par un rideau de soie cramoisie du premier sanctuaire. Nous ne voulions pas qu'aucun regard troublât la solennité du lieu ni l'intimité des impressions qu'il pourrait inspirer à chacun, selon sa pensée et selon la mesure et la nature de

J'entrai à mon tour et le dernier dans le Saint-Sépulcre, l'esprit assiégé de ces idées immenses, le cœur ému d'impressions plus intimes, qui restent mystère entre l'homme et son âme, entre l'insecte pensant et le Créateur: ces impressions ne s'écrivent point: elles s'exhalent avec la fumée des lampes pieuses, avec les parfums des encensoirs, avec le murmure vague et confus des soupirs; elles tombent avec les larmes qui viennent aux yeux au souvenir des premiers noms que nous avons balbutiés dans notre enfance, du père et de la mère qui nous les ont enseignés, des frères, des sœurs, des amis avec lesquels nous les avons murmurés; toutes les impressions pieuses qui ont remué notre âme à toutes les époques de la vie, toutes les prières qui sont sorties de notre cœur et de nos lèvres au nom de celui qui nous apprit à prier son père et le nôtre; toutes les joies, toutes les tristesses de la pensée dont ces prières furent le langage, se réveillent au fond de l'âme, et produisent, par leur retentissement, par leur confusion, cet éblouissement de l'intelligence, cet attendrissement du cœur qui ne cherchent point de paroles, mais qui se résolvent dans des yeux mouillés, dans une poitrine oppressée, dans un front qui s'incline et dans une bouche qui se colle silencieusement

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