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tiste, que nous apercevons devant nous. Des Arabes, à la sés avec eux nous ont laissé la meilleure impression de physionomie féroce, nous regardent du haut des terras- leur caractère, de leur charité et de la pureté de leur vie. ses de leurs maisons; les enfans et les femmes se pres- Le père supérieur, surtout, est le modèle le plus accomsent autour de nous dans les rues étroites du village; les pli des vertus du chrétien: simplicité, douceur, humireligieux, épouvantés du tumulte qu'ils voient du haut lité, patience inaltérable, obligeance toujours gracieuse, de leur toit, du nombre de nos chevaux et de nos hom- zèle toujours opportun, soins infatigables des frères et mes, et de la peste que nous leur apportons, refusent des étrangers sans acception de rang ou de richesse, foi d'ouvrir les portes de fer du monastère. Nous revenons naturelle, agissante et contemplative à la fois, sérénité sur nos pas pour aller camper sur une colline voisine du d'humeur, de parole et de visage, qu'aucune contravillage; nous maudissons la dureté de cœur des moines; riété ne pouvait jamais altérer. C'est un de ces rares exemj'envoie mon drogman parlementer encore avec eux et ples de ce que peut produire la perfection du principe releur adresser les reproches qu'ils méritent. Pendant ce ligieux sur une âme d'homme; l'homme n'existe plus que temps, la population tout entière descend des toits; les dans sa forme visible; l'âme est déjà transformée en quelscheiks nous enveloppent et mêlent leurs cris sauvages que chose de surhumain, d'angélique, de déifié, qui fuit aux hennissemens de nos chevaux épouvantés; une hor- l'admiration, mais qui la commande. Nous fûmes tous rible confusion règne dans toute notre caravane; nous également frappés, maîtres et domestiques, chrétiens ou armons nos fusils. Le neveu d'Abougosh, monté sur le Arabes, de la sainteté communicative de cet excellent retoit d'une maison voisine du couvent, s'adresse tour à ligieux; son âme semblait s'être répandue sur tous les tour aux religieux et au peuple. Enfin nous obtenons, Pères et les Frères du couvent; car, à des degrés différens, par capitulation, l'entrée du couvent; une petite porte nous admiràmès dans tous un peu des qualités du supéde fer s'ouvre pour nous; nous passons en nous cour- rieur, et cette maison de charité et de paix nous a laissé bant un à un; nous déchargeons nos chevaux, que nous un ineffaçable souvenir. L'état monacal, dans l'époque faisons passer après nous. Le neveu d'Abougosh et ses où nous sommes, a toujours profondément répugné à cavaliers arabes restent dehors et campent à la porte; mon intelligence et à ma raison; mais l'aspect du couvent les religieux, pâles et troublés, tremblent de nous tou- de Saint-Jean-Baptiste serait propre à detruire ces récher; nous les rassurons en leur donnant notre parole pugnances s'il n'était une exception, et si ce qui est conque nous n'avons communiqué avec personne depuis traire à la nature, à la famille, à la société, pouvait jaJaffa, et que nous n'entrerons pas à Jérusalem tant | mais être une institution justifiable. Les couvens de la que nous serons dans l'asile que nous leur empruntons. Terre-Sainte ne sont pas au reste dans ce cas ; ils sont Sur cette assurance, les visages irrités reprennent de la utiles au monde par l'asile qu'ils offrent aux pélerins d'Ocsérénité; on nous introduit dans les vastes corridors du cident, par l'exemple des vertus chrétiennes qu'ils peumonastère; chacun de nous est conduit dans une petite vent donner aux peuples qui ignorent ces vertus; enfin cellule pourvue d'un lit et d'une table, et ornée de quel- par les rapports qu'ils entretiennent seuls entre certaines ques gravures espagnoles de sujets pieux. On fait camper parties de l'Orient et les nations de l'Occident. nos soldats, nos Arabes et nos chevaux, dans un jardin inculte du couvent; l'orge et la paille sont jetées pardessus les murailles; on tue pour nous, dans la rue, des moutons et un veau envoyés en présent par Abougosh; et, pendant que mon cuisinier arabe prépare, avec les frères servans, notre repas dans la cuisine du couvent, chacun de nous va prendre un moment de repos dans sa cellule, rafraîchie par la brise des montagnes, ou contempler la vue étrange qui entoure le monastère.

Le couvent de Saint-Jean dans le désert est une succursale du couvent latin de Terre-Sainte à Jérusalem. Ceux des religieux dont l'âge, les infirmités, ou les goûts de retraite plus profonde, font des cénobites plus volontaires, sont envoyés dans cette maison. La maison est grande et belle, entourée de jardins taillés dans le rocher, de cours, des pressoirs pour faire l'excellent vin de Jérusalem; il y avait une vingtaine de religieux quand nous y vinmes ; la plupart étaient des vieillards espagnols ayant passé la plus grande partie de leur vie dans l'exercice des fonctions de curé, soit à Jérusalem, soit à Bethléem, soit dans les autres villes de la Palestine. Quelques-uns étaient des novices assez récemment arrivés de leurs couvens d'Espagne ; les huit ou dix jours que nous avons pas

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Les Pères nous réveillèrent vers le soir pour nous conduire au réfectoire où leurs serviteurs et les nôtres avaient préparé notre repas. Ce repas, comme celui de tous les jours que nous passàmes dans ce couvent, consistait en omelettes, en morceaux de mouton enfilés dans une brochette de fer et rôtis au feu, et en pilau de riz. On nous donna, pour la première fois, d'excellent vin blanc des vignes des environs ; c'est le seul vin qui soit connu en Judée. Les Pères du désert de Saint-Jean-Baptiste sont les seuls qui sachent le faire; ils en fournissent à tous les couvens de Palestine : j'en achetai un petit baril, que j'expédiai en Europe. Pendant le repas, tous les religieux se promenaient dans le réfectoire, causant tour à tour avec nous; le Père supérieur veillait à ce que rien ne nous manquât, nous servait souvent de ses propres mains, et allait nous chercher, dans les armoires du couvent, les liqueurs, le chocolat et toutes les petites friandises qui lui restaient du dernier vaisseau arrivé d'Espagne. Après le souper, nous montâmes avec eux sur les terrasses du monastère : c'est la promenade habituelle des religieux en temps de peste, et ils restent souvent reclus ainsi pendant plusieurs mois de l'année. Au reste, nous disaient-ils, cette réclusion nous est moins

pénible que vous ne pensez, car elle nous donne le droit | au couvent, mais que nous retirerions nos effets et notre

de fermer nos portes de fer aux Arabes du pays qui nous importunent sans cesse de leurs visites et de leurs demandes. Lorsque la quarantaine est levée, le couvent est toujours plein de ces hommes insatiables: nous aimons mieux la peste que la nécessité de les voir; je le compris après les avoir moi-même connus.

monde, et camperions dans les environs de Jérusalem. Ces conditions acceptées, et sans autre gage que notre parole et notre véracité, nous partimes.

JÉRUSALEM.

Le village de Saint-Jean du Désert est sur un mamelon entouré de toutes parts de profondes et sombrès vallées dont on n'aperçoit pas le fond. Les flancs de ces vallées, qui font face de tous les côtés aux fenêtres du couvent, Le 28 octobre, nous partons à cinq heures du matin, sont taillés presque à pic dans le rocher gris qui leur sert du désert de Saint-Jean-Baptiste. Nous attendons l'aurore de base. Ces rochers sont percés de profondes cavernes à cheval, dans la cour du couvent, fermée de hautes que la nature a creusées et que les solitaires des premiers murailles, pour ne pas communiquer, dans les ténèbres, siècles ont approfondies pour y mener la vie des aigles ou avec les Arabes et les Turcs pestiférés du village et de des colombes. Çà et là, sur des pentes un peu moins Bethleem. A cinq heures et demie, nous sommes en raides, on voit quelques plantations de vignes qui s'élè- | marche; nous gravissons une montagne toute semée de vent sur les troncs des petits figuiers et retombent en roches grises énormes, et attachées en bloc les unes les rampant sur le roc. Voilà l'aspect de toutes ces solitudes. | autres, comme si le marteau les avait cassées. — QuelUne teinte grise, tachetée d'un vert jaune, couvre tout ques vignes rampantes, aux feuilles jaunies par l'aule paysage; du toit du couvent, on plonge de toutes parts tomne, se traînent dans de petits champs défrichés dans sur des abîmes sans fond; quelques pauvres maisons les intervalles des rochers, et d'énormes tours de pierre, d'Arabes mahométans et chrétiens sont groupées sur les semblables à celles dont parle le Cantique des Cantirochers, à l'ombre du monastère. Ces Arabes sont les ques, s'élèvent dans ces vignes : des figuiers, dont plus féroces et les plus perfides de tous les hommes. Its le sommet est déjà dépouillé de feuilles, sont jetés sur les reconnaissent l'autorité d'Abougosh. Le nom d'Abougosh | bords de la vigne, et laissent tomber leurs figues noires fait pâlir les moines. Ils ne pouvaient comprendre par sur la roche. A notre droite, le désert de Saint-Jean; quelle puissance de séduction ou d'autorité ce chef nous où retentit la voix, vox clamavit in deserto, avait accueillis ainsi, et donné son propre neveu pour creuse, comme un immense abîme, entre cinq ou six guide; ils soupçonnaient en ceci quelque grande intelli-hautes et noires montagnes, et dans l'intervalle que gence diplomatique, et ne cessaient de me demander ma laissent leurs sommets pierreux, l'horizon de la mer protection auprès du tyran de leurs tyrans. Nous rentrà-d'Égypte, couvert d'une brume noirâtre, s'entr'ouvre à mes lorsque la nuit fut venue, et passâmes la soirée dans le corridor du couvent, dans les douces conversations avec l'excellent supérieur et les bons Pères espagnols. Ils étaient étrangers à tout; aucunes nouvelles d'Europe ne franchissent ces inaccessibles montagnes. Il leur était impossible de comprendre quelque chose à la nouvelle révolution française. Enfin, disaient-ils pour conclusion à tous nos récits, pourvu que le roi de France soit catho-écroulées quelques voûtes de verdure jaune et pâle : un lique et que la France continue à protéger les couvens de Terre-Sainte, tout va bien. Ils nous firent voir leur église, charmante petite nef, bâtie à l'endroit où naquit le précurseur du Christ, ornée d'un orgue ainsi que de plusieurs tableaux médiocres de l'école espagnole.

Le lendemain, nous ne pûmes résister au désir de jeter au moins de loin un regard sur Jérusalem.

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se

nos yeux à notre gauche, et tout près de nous, voici une ruine de tour ou de château antique, sur la pointe d'un mamelon très élevé, qui se dépouille, comme tout ce qui l'entoure on distingue quelques autres ruines, semblables aux arches d'un aquéduc, descendant de ce château sur la pente de la montagne; quelques ceps croissent à leurs pieds, et jettent sur ces arches

ou deux térébinthes croissent isolés dans ces débris; c'est ́ Modin, le château et le tombeau des derniers hommes héroïques de l'histoire sacrée, les Machabées. Nous laissons derrière nous ces ruines étincelantes des rayons les plus hauts du matin. Ces rayons ne sont pas fondus, comme en Europe, dans une vague et confuse clarté, dans un rayonnement éclatant et universel; Nous fimes nos conditions avec les Pères; il fut con- ils s'élancent du haut des montagnes qui nous cachent venu que nous laisserions au monastère une partie de nos Jérusalem, comme des flèches de feu, de diverses teintes, gens, de nos chevaux et de nos bagages; que nous ne réunies à leur centre, et divergeant dans le ciel à mesure prendrions avec nous que les cavaliers d'Abougosh, les qu'ils s'en éloignent les uns sont d'un bleu légèrement soldats égyptiens et les domestiques arabes indispensa- argenté, les autres d'un blanc mat; ceux-ci d'un rose bles aux soins de nos chevaux de selle; que nous n'en- tendre et pâlissant sur leurs bords, ceux-là d'une couleur trerions pas dans la ville; que nous nous bornerions à de feu ardent, et chaude comme les rayons d'un incenen faire le tour, en évitant le contact avec les habitans; die, - divisés, et cependant harmonieusement accordés, que dans le cas où, par accident ou autrement, ce con- par des teintes successives et dégradées : ils ressemblent tact aurait eu lieu, nous ne demanderions plus à rentrerà un brillant arc-en-ciel, dont le cercle se serait brisé

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