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bien me faire fête me sont d'une trop utile fréquentation pour que je n'aille pas y glaner le plus d'épis possible au profit du Journal des Demoiselles.

Mais quelle fatigue pour le corps que ces sorties incessantes, ces veilles de tous les soirs qui hâtent l'agonie de la jeunsse et l'anéantissement de la beauté !

Quelle pénible gymnastique pour l'intelligence que cette obligation rigoureuse d'avoir de l'amabilité, de l'esprit, du brio même ou l'apparence de tout cela, à jour fixe, à heures réglées, avec tout le monde et partout!

Quelle pénible hygiène pour l'âme, que ce continuel contact avec le luxe de ceux qui possèdent beaucoup et l'envie douloureuse de ceux qui ne se trouvent pas assez riches! Les uns et les autres rivalisent de prétentions et d'efforts, et la scène du monde sur laquelle ils se trouvent aux prises devient une arène où la plupart des combattants reçoivent de nouvelles blessures. Et cependant, pour le spectateur novice, la fête reste une fête et ne dénégère pas en bataille; les mensonges et les trahisons s'y cachent sous le sourire et sous la louange; la trace des larmes est dissimulée par le fard du visage; le bourreau frappe dans un serrement de main, et la victime succombe sans interrompre la valse qui l'entraîne !

Nous, que l'expérience attriste avant l'âge, nous sommes frappés par les dissonnances de ce choeur fantastique; nous y voyons clair; nous entendons juste, et le monde ayant perdu son prestige à nos yeux, nous renonçons à en attendre ce qu'il ne peut plus nous donner; et tout en restant chargés des chaînes qu'il nous a rivées, nous nous demandons si leur poids a toujours été aussi lourd... Qu'en penses-tu, Florence?...

Pour moi, j'imagine que l'envie, le mensonge, l'orgueil et les autres fécondes semences répandues par le diable sont de tous les temps et de tous les lieux; je crois qu'elles germaient sous les pas des danseurs de la chacone et de la pavane, et qu'elles portaient leurs fruits entre la gavotte et le menuet tout comme aujourd'hui... Les ambitions déçues plissaient le front des hommes sous la perruque bouclée, à la lueur des lustres, quand régnait le roi-soleil, autant que de nos jours; et les espérances trompées déchiraient le cœur de nos aïeules sous le « corps baleiné » au son joyeux de l'orchestre et au murmure des flatteries... C'était alors néanmoins ce qu'on nommait le bon temps, le bon vieux temps... pourquoi ce qualificatif?

D

» Ah! c'est qu'il offrait des compensations, ce bon vieux temps! s'il pleurait d'un œil, de Pautre il riait franchement. Les amours-propres froissés sur les vastes scènes se consolaient dans les petits cénacles d'amis, dans les réunions de famille où la gaieté s'épanouissait sans contrainte; et le rapprochement, l'intimité, faisaient tomber

des préventions injustes, auxquelles succédaient souvent l'estime et l'amitié.

» En ce bon vieux temps, ces rapprochements se renouvelaient journellement, parce qu'ils étaient faciles.

>> Pourquoi ne le sont-ils plus ?

» Demandons-le à l'amour du luxe, au besoin de paraître et de briller qui entravent aujourd'hui notre sociabilité. Nous ne recevons plus nos hôtes pour leur faire passer une agréable soirée, pour leur laisser un riant souvenir; non : nous les convions à venir admirer notre luxe, s'inspirer de notre folie et souffrir, si elle dépasse la leur! Que c'est donc aimable, hospitalier, chrétien! et quel plaisir extrême procure cet échange de procédés hospitaliers !

> J'ignore si nous reviendrons aux saines traditions d'autrefois; si la simplicité dressera de nouveau nos tables et y mettra le couvert; si la restriction des besoins et la modération des désirs éteindront ces rivalités qui enfantent la malveillance; mais je vois trop les conséquences graves de ces causes prétendues frivoles pour ne point crier casse-cou. Sans doute, personne ne daignera m'entendre, et je subirai le sort de la pauvre Cassandre, qui ne pouvait convaincre aucun de ses auditeurs, habitués à lui crier : « Vous radotez, ma bonne! Mais j'aurai du. moins une satisfaction de conscience: celle de répéter aux passants, ou plutôt aux passantes qui s'égarent inconsidérément, le nez au vent, et les yeux à l'aventure: «Prenez donc garde, il pleut des tuiles sur le trottoir où vous errez ! »

Cependant, j'ai autre chose encore à leur dire, à ces jolies passantes insoucieuses et si je lance vers l'horizon quelques fâcheux pronostics ainsi qu'un oiseau de mauvais augure, je sais faire autre chose que hululer!

Arrêtez-vous donc un instant à ma voix, chères passantes du Journal des Demoiselles, pour que je vous annonce... Ah! grand Dieu! combien de figures nouvelles, combien de visages inconnus! A contempler tous ces astres récemment apparus, on se croirait en pleine voix lactée. Et dire que c'est toi, Florence, toi-même en personne naturelle, qui as allumé ce rayonnement, toi qui as opéré ce prodige!... Oui, mon amie, tes sages conseils ont porté leurs fruits, ou plutôt leurs fleurs, car j'aime autant comparer les nouvelles venues à des lis et même à des roses qu'à des pêches; les abonnées d'hier qui ont des oreilles pour entendre ont compris qu'une intelligente propagande est autant de leur intérêt que du nôtre; elles nous ont renvoyé nos bulletins signés, en les accompagnant souvent de beaucoup d'autres, et les abonnées d'aujourd'hui nous permettent de faire un pas de plus dans cette voie de progrès où, nous l'espérons, les abonnées de demain nous verront marcher d'un pas plus hardi chaque jour.

En voici pour preuve une des annexes de ce nu

méro. Que diras-tu, Florence, toi qui t'y connais, de ce dessin correct, ferme et gracieux à la fois? de ce coloris chaud, mais délicat? On a des souvenirs de Van Huysem, ou du peintre Saint-Jean, n'est-il pas vrai, devant ces fleurs que les abeilles croiraient vivantes? et pas une de vous, certainement, ne voudra priver son piano de cette élégante décoration.

Et puis, quel attrayant travail!... les doigts entraînent souvent l'esprit à leur suite, il faut le reconnaître en tricotant les gros bas de laine destinés aux pauvres, nous songeons salutairement à leurs misères; en faufilant le chiffon » qui nous parera, nous entrevoyons le succès, et il nous monte au cerveau des bouffées de vanité. Mais tandis que, frilousement enveloppées, les pieds entre les chenets comme Cendrillon, nous tirerons activement l'aiguille, au bruit du vent qui pleure et de la pluie fouettant les vitres, nos

yeux fixés sur ces fleurs charmantes retrouveront en elles une image saisissante de leurs sœurs parfumées; le souvenir des souriantes matinées de printemps passées à la campagne, nous ensoleillera l'esprit... nous croirons respirer le parfum des foins coupés, entendre les chants des moissonneurs ou le joyeux brouhaha des vendanges. Quels gais tableaux, ma chère Florence; et qu'il fera bon les opposer aux froides maussaderies de l'hiver!

Assortissons donc bien vite nos laines et nos soies; choisissons notre drap et mettons-nous à l'oeuvre! Il y aura certainement émulation entre nous toutes et cette émulation, je n'en doute pas, fera surgir de petits chefs-d'œuvre.

En attendant que le tien se produise au grand jour, je t'embrasse avec toute la tendresse de ta

MOSAIQUE

Fait-on une chose uniquement pour son plaisir, presque toujours on reconnaît qu'on n'en a pas eu pour sa peine et pour son argent.

Mme Swetchine.

JEANNE.

Comparer ce qu'il y a de mauvais dans son existence avec ce qu'il y a de bon dans celle des autres est la commune injustice. Ch. Rozan.

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Le mot de la charade contenue dans le numéro de Janvier est: Marionnette. Explication du Rébus de Janvier L'espérance est la fortune du malheureux.

9-180

Le Directeur-Gérant: JULES THIERY

PARIS. MORRIS PÈRE ET FILS, IMPRIMEURS BREVETÉS, RUE AMELOT, 64.

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DES

DEMOISELLES

HISTOIRE ET ROMANS

MARGUERITE DE VALOIS

(SUITE ET FIN)

Henri III ne borne pas là sa vengeance. Forcé par les remontrances de la reine-mère d'épargner la personne de Marguerite, il veut du moins la frapper aussi douloureusement que possible dans ses affections.

Mademoiselle de Thorigny, en quittant la cour, s'était retirée chez le seigneur de Chastelas, son cousin. Des gens armés s'y présentent; ils ont ordre du roi de venir la prendre, et de la lui amener. Toutes les portes leur sont ouvertes sans défiance. A peine entrés, ils s'emparent violemment de mademoiselle de Thorigny, la garrottent, et faisant halte, sous prétexte de laisser rafraîchir leurs chevaux, la déposent et l'enferment, en attendant mieux, dans une chambre inhabitée.

Ce rude traitement servait de prélude à quelque chose de plus terrible: derrière l'ordre apparent de la conduire au roi, l'ordre véritable était de la noyer dans la rivière voisine.

Les chevaux sont au ratelier, les hommes s'attablent, « se gorgeant jusques au crever de tout » ce qui estoit de meilleur en cette maison. » Le maître du lieu les laisse faire.

« N'estant pas marry qu'aux dépens de son >> bien on pust gagner ce temps pour retarder le »partement de sa cousine, espérant que qui a » temps a vie, et que peut-être Dieu changeroit le » cœur du Roy qui contre-manderoit ces gens-cy » pour ne me vouloir si aigrement offenser. » Le cœur du roi ne change pas; mais à un quart QUARANTE-SEPTIÈME ANNÉE. No III.

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de lieue de là, passaient en ce moment deux gen tilshommes, connus de Marguerite, La Ferté et Avantigny, qui, à la tête de deux cents cavaliers, s'en allaient rejoindre l'armée du duc d'Alençon. Ils voient des gens affolés de frayeur courir à travers la campagne; c'étaient des serviteurs du manoir de Chastelas, mis en déroute par les brutalités de ces démons, « qui battoient et frap» poient là-dedans comme en une maison de pil» lage.» Instruits par l'un des fuyards de ces violences et du péril de mademoiselle de Thorigny, les deux capitaines, hâtant le pas, se portent, avec toute leur troupe, vers le château saccagé. Ils arrivent, ils entrent dans la cour. Hélas! il était temps. Les soldats, s'apprêtant au départ, attachaient leur victime sur un cheval pour la conduire à la mort.

Les survenants mettent l'épée à la main :—Arrêtez-vous, bourreaux! s'écrient-ils. Si vous lui faites le moindre mal, vous êtes morts!

Ils tombent sur les soldats, les chargent, les dispersent la prisonnière est sauvée!

Dans un transport indicible de reconnaissance et de joie, elle rend grâce à Dieu et aux libérateurs qu'il lui a envoyés. Toujours escortée par eux, toujours accompagnée de son dévoué cousin, elle part dans le «chariot » de la dame de Chastelas, et se rend au camp du duc d'Alençon, qui l'accueille avec honneur.

Très-ayse, dit Marguerite, «ne me pouvant

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» avoir auprès de luy, d'y avoir une personne » que j'aymasse comme elle. >>>

Dénoûment heureux d'un drame dont le dernier acte s'annonçait d'une manière si tragique.

Une chose doit frapper le lecteur qui parcourt les Mémoires de cette époque : c'est le sans-façon avec lequel on traitait la vie humaine. Une personne gènait les calculs de votre politique, nuisait à vos intérêts, vous ennuyait seulement ou déplaisait à vos amis?

Rien de plus simple que de s'en défaire : on la tuait.

L'aventure de mademoiselle de Thorigny n'est pas la seule, dans les Mémoires de la reine de Navarre, qui vienne à l'appui de cette observation. Dans ceux d'Aubigné et d'autres encore, les exemples analogues abondent. Les auteurs les rapportent sans manifester aucun étonnement.

La séquestration de Marguerite se prolonge durant plusieurs mois; mais, conformément au bon conseil que sa mère lui avait donné en lui signifiant son arrêt, elle prend patience, et, par un emploi judicieux des heures, en abrège le cours

monotone.

« Ayant » dit-elle, « passé le temps de ma » captivité au plaisir de la lecture où je com» mençay lors à me plaire, n'ayant cette obliga» tion à la fortune mais plutost à la Providence >> divine, qui dès lors commença à me produire » un si bon remède pour le soulagement des >> ennuis qui m'estoient préparés à l'advenir. Ce >> qui m'estoit aussi un acheminement à la dé»votion, lisant en ce beau livre universel de la >> nature tant de merveilles de son Créateur. »>

Rien de mieux pensé ni de mieux dit. Il n'y aurait qu'à féliciter Marguerite des biens que, selon son expression, elle avait » receus de la « tristesse ct de la solitude, » si elle ne se fût contentée d'en faire un simple plaisir de l'esprit, au lieu d'en appliquer l'usage à la conduite de sa vie.

Cependant, au dehors, on ne l'oubliait pas. D'un côté, le duc d'Alençon, apprenant les rigueurs dont elle était l'objet, jetait feu et flamme; de l'autre, lui venaient, comme l'avait prévu l'expérimentée Catherine, des lettres affectueuses de son mari, qui, réchauffé pour elle par l'absence, avouait ses torts, et lui redemandait son amitié. La reine-mère manoeuvrait en même temps, avec son talent et son succès ordinaire, pour amener la paix entre ses enfants.

Notons en passant que le mauvais génie qui avait mis la discorde entre Marguerite et son frère Henri, n'était plus là pour lui nuire.

« Le Guast, » a-t-elle raconté, quelques pages auparavant, « estoit mort, ayant esté tué par un » jugement de Dieu... Et fut donnée son âme aux » demons, à qui il avait fait hommage par ma» ie, toutes sortes de méchancetés. »>

Qui. Du Guast avait été tué, et tué dans son lit, par une main qu'armait la vengeance. Naguère

ce même Du Guast tentait de faire assassiner le fameux Bussy d'Amboise, favori du duc d'Alençon. Maintenant c'était lui qui périssait égorgé, à l'instigation de qui? Certains historiens accusent le duc; d'autres Marguerite. Nous n'avons aucune raison d'admettre cette imputation. En tout cas, l'inimitié entre le Roi et sa sœur n'en subsiste pas moins.

Henri III se lasse pourtant de la guerre civile. Il prête l'oreille aux représentations de la Reinemère, et lui donne tout pouvoir de négocier.. Mais pour que la négociation réussisse, il faut que Marguerite cesse d'être traitée en prisonnière; il faut à Catherine le concours et la présence de sa fille auprès du duc d'Alençon. Le roi cède enfin. Il se rend en personne chez sa sœur, et, dans les termes les plus caressants, l'assure de tous ses sentiments d'affection. Marguerite, prévenue par sa mère, accueille ces avances d'un front serein, sans récrimination des injures présentes ou passées.

« Ce que je fesois, » — a-t-elle soin de remarquer, « plus par le mespris de l'offense que pour sa satisfaction. »

Son intervention humblement réclamée, dédaigneusement accordée, facilite à la reine-mère l'œuvre de conciliation entreprise par elle. La paix se conclut; cette paix que l'histoire, d'après les contemporains, appelle la paix de Monsieur, non sans raison, car si ses associés y trouvaient leur compte, le frère du roi y trouvait surtout le sien. La fameuse question d'apanage est réglée; Monsieur, à partir de là ne porte plus le titre de duc d'Alençon, mais celui de duc d'Anjou.

Ce prince revient à la cour. Le roi de Navarre continue à s'en tenir prudemment éloigné. Il demande qu'on lui renvoie sa femme; elle-même insiste pour aller le rejoindre et ne peut en obtenir la permission ni de sa mère, ni du Roi. -Laisser partir la reine de Navarre, répond gracieusement Henri III à l'envoyé de Henri de Bourbon, serait priver la cour de son plus bel ornement; impossible à lui d'y consentir. Encore moins consentira-t-on, dit-il rudement à sa sœur, qu'elle aille vivre avec un mari retourné à l'hérésie. Force est à Marguerite de se soumettre, et de rester à titre de précieux décor dans le mobilier des palais

royaux.

Peu de temps après, elle assistait en grande parure à l'ouverture solennelle des premiers États de Blois. Henri III adhérait à la Ligue qui venait de se former, et la guerre était déclarée au roi de Navarre.

Le nouveau duc d'Anjou est chargé de commander l'armée royale contre ce même beau-frère, son allié d'hier. Une si prompte volte-face ne le brouille pas avec sa sœur; toutefois, la position de Marguerite entre sa famille et son mari lui rendait son séjour à la cour de France des plus difficiles. On l'autorise enfin à s'en éloigner; mais

quel prétexte donner au public, et de quel côté ira-t-elle ?

Le prétexte est aisé à trouver. Il en est un dont quiconque s'ennuie au logis use tous les jours, et dont nos pères usaient également on va prendre les eaux n'importe où. Cela ne fait jamais de mal, et les santés les plus florissantes les réclament toujours à propos, dès que la politique l'exige. Celles de Spa étaient déjà en grande réputation. Avec l'approbation des médecins, Marguerite ira faire. une cure à Spa; mais le vrai médecin qui la lui ordonnait en secret, dit-elle ingénieusement, e'était le duc d'Anjou. Monsieur comptait sur les talents de cette soeur bien-aimée pour seconder ses projets ambitieux dans les Pays-Bas, qu'elle allait traverser, et dont les provinces catholiques, soulevées comme les autres contre l'Espagne, songeaient à le mettre à leur tête, de préférence au prince d'Orange, chef des insurgés protestants. Il ne pouvait mieux placer sa confiance, et n'eut pas à s'en repentir.

La reine de Navarre se met donc en route, portée dans une superbe litière, dont elle a soin de nous décrire l'ornementation artistique et accompagnée d'une suite nombreuse. Partout, de ville en ville, depuis Paris jusqu'à Liége, elle est reçue avec les plus grands honneurs, et c'est à travers les festins, les bals, les illuminations resplendissantes, qu'elle arrive au terme de ce voyage, qui tient une assez grande place dans ses Mémoires. Nous ne relaterons pas, malgré l'intérêt qu'ils présentent, tous les détails où elle s'attarde avec complaisanee, ni les incidents, soit politiques, soit romanesques, qui s'y rattachent. Arrêtons-nous toutefois un moment avee elle dans la capitale du Hainaut.

Le comte de Lalain, issu d'une des plus illustres familles des Pays-Bas, et gouverneur de la province, vient la recevoir respectueusement à Valenciennes, et la conduit à Mons, où la comtesse, entourée d'une compagnie de nobles dames, lui fait un accueil qui de prime abord l'enchante.

« Le naturel des Flamandes estant d'estre pri» vées, familières et joyeuses, et la comtesse de » Lalain tenant de ce naturel; ayant davantage » un esprit grand et élevé. »

Les habitants du Hainaut n'ont jamais été Flamands de leur vie, mais l'usage étendait alors le nom de Flandre à tous les territoires belges. Marguerite n'oublie rien, de son côté, pour se rendre aimable à la comtesse. L'attrait qui les porte l'une vers l'autre prend toutes les allures de la confiance et de l'amitié. Madame de Lalain fait à la royale visiteuse les honneurs de sa table, et s'y assied auprès d'elle dans une parure splendide, mais dont un détail particulier offre quelque chose d'étrange.

«Robbe à l'espagnole de toile d'or noire, » avec des bandes de broderies de cannetille d'or » et d'argent, et par-dessus un pourpoint de toile

» d'argent blanche en broderie d'or, avec de gros » Boutons de diamants, (habit approprié à l'office » de nourrice) »

Le choix de cet ajustement spécial n'était pas, de la part de la comtesse, l'effet d'une pure fantaisie. Sans quitter sa place ni la société de la reine de Navarre, sans même lui en demander la permission, elle se fait apporter son jeune fils, emmaillotté dans des langes non moins magnifiques que son propre accoutrement, le pose sur la table, entre elle et Marguerite, puis déboutonnant son riche pourpoint comme s'il n'eût été que le corsage de laine d'une bonne paysanne, se met en devoir de remplir, séance tenante, cet office de nourrice, singulièrement disparate avec les habitudes de la cour de France; trait de simplicité familière qui, loin d'offenser la reine, la ravit.

<< Elle le faisoit avec tant de grâce et de naif» veté, comme toutes ses actions en estoient ac » compagnées, qu'elle en receut autant de louan»ges que la compagnie de plaisir. »

Après une semaine passée en joie et en divertissements, on se quitte à regret. Marguerite, digne fille de Catherine de Médicis, avait bien employé ce temps sans qu'il y parût; elle laissait le comte et la comtesse de Lalain tout acquis aux intérêts de son frère.

A Namur, c'est don Juan d'Autriche, en personne, qui la reçoit et la fête. Elle y trouve une maison meublée somptueusement pour elle, avec des tapis et des objets d'autant plus précieux qu'ils sont le présent offert par la reconnaissance d'un pacha turc au jeune vainqueur de Lépante, qui lui avait rendu, sans rançon, un fils chéri, fait prisonnier dans la bataille. Le prince-évêque de Liége ne se montre pas moins hospitalier à son égard, et Marguerite juge à propos d'arrêter là sa course triomphante, le pauvre village de Spa, où il n'y a ni palais, ni fêtes, n'étant pas un séjour qui l'attire. D'ailleurs, les eaux renommées de l'endroit, bues commodément à Liége, au milieu des plaisirs, sont tenues par elle pour aussi salutaires que prises sur place, ses médecins « l'assurant qu'elles auroient autant de force et » de vertu, estant apportées la nuit, avant que le » soleil fust levé. »

Le temps s'écoule; les eaux, grâce sans doute à cette sage précaution, ont produit leur effet, et Marguerite songe au retour.

La voilà de nouveau en chemin; mais elle sort des Pays-Bas tout autrement qu'elle n'y est entrée. Le voyage, cette fois, fourmille de difficultés, et même de dangers. Don Juan a pris déloyalement possession de la citadelle de Namur; contrée est en feu, la division partout. Les États, le prince d'Orange, le duc d'Anjou, l'Espagne, ont chacun leurs partisans. Marguerite ne peut repasser par où elle est venue, et ne revoit plus ses nobles amis de Lalain. Elle suit les bords de

la Meuse, bords pittoresques et charmants dont elle ne dit mot. Qu'étaient-ce que les splen

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