Page images
PDF
EPUB

si l'on s'en rapporte à son dire, quand le coup de lance maladroit de Montgomery vint frapper son père à mort. Le premier souvenir qu'elle puise dans son passé pour nous en faire part se rattache, non à cet événement, mais à cette époque.

Peu de jours avant celui qui devait lui être si fatal, Henri II badinait avec la petite princesse, qu'il tenait sur ses genoux. Près de là jouaient deux autres enfants, compagnons habituels de Marguerite. Le roi, les montrant à sa fille, lui demande avec un sourire lequel, du prince de Joinville ou du marquis de Beaupréau, elle désire avoir pour son serviteur.

[blocks in formation]

« Il me dit : Pourquoy? Il n'est pas si beau, » (car le prince de Joinville estoit blond et blanc, » et le marquis de Beaupréau avoit le teint et les » cheveux bruns.) Je luy dis pource qu'il estoit » plus sage, et que l'autre ne peut durer en pa» tience qu'il ne fasse tous les jours mal à quel» qu'un, et veut partout estre le maistre. »>

Très-différents furent, assure-t-on, les sentiments de la jeune fille; mais l'enfant jugeait bien. Savez-vous qui était ce blondin à l'esprit dominateur, que l'on nommait le prince de Joinville? C'était Henri de Lorraine, « qui fut depuis, dit sympathiquement Margerite, « ce grand et infortuné duc de Guise, » destiné à tenir plus tard une place si importante dans son existence, et une plus importante encore dans l'histoire..

[ocr errors]

A ce trait de sagacité précoce, que l'auteur nous cite à son éloge, s'en ajoute bientôt après un autre de non moins précoce fermeté.

-

C'était au temps où le colloque de Poissy mettait toute la Cour en goût de controverses. Hauts seigneurs et nobles dames prenaient ardemment parti pour ou contre la Réforme; les enfants mêmes s'en mêlaient. Le fils préféré de Catherine de Médicis, entre autres, ce duc d'Anjou, qui devait, lui, se nommer un jour Henri III,-se met on tête, avec quelques compagnons de son âge, de convertir sa jeune sœur aux doctrines de Calvin. Grave apôtre de dix ans, le voilà donc à l'œuvre; mais il y perd son temps et ses peines. Les livres de psaumes qu'il lui apportait, Marguerite les remettait, sans les ouvrir, aux mains de sa gouvernante; les Heures et les chapelets qu'il lui brûlait, elle trouvait à les remplacer par d'autres. Les amis du prince, outrés d'une telle résistance, accablaient la catéchumène récalcitrante de mépris et d'injures.

Et mon frère d'Anjou y adjoutant les me»> naces, disoit que la Reyne ma mère me ferait » fouetter... Je luy respondis, fondant en larmes » comme l'âge de sept à huit ans où j'estois lors » y est assez tendre, qu'il me fist fouetter, et » qu'il me fist tuer, s'il vouloit, que je souffrirois

» tout ce qu'on me sçauroit faire plutost que de » me damner... >>

L'enfant gâté, dans cette occasion, présumait trop pourtant de la complaisance maternelle. ·

« La Reyne ma mère ne sçavoit point l'erreur » où il estoit tombé. Et soudain qu'elle le sceut, » le tansa fort, luy et ses gouverneurs. »

Par là se termina cette lutte lilliputienne, reflet et diminutif des passions qui agitaient alors toute la France.

Onze ans après, Henri d'Anjou était un des promoteurs les plus impitoyables de la SaintBarthélemy. En lui, les idées avaient changé, mais non le naturel.

Marguerite ne nous raconte rien de plus des premiers temps de sa vie. Ce n'est pourtant pas faute de matière.

« Assez d'autres responses, » dit-elle, « assez » d'autres telles marques de jugement et de ré» solution pourroient-elles s'y trouver, à la re» cherche desquelles je ne veux peiner, voulant » commencer mes mémoires seulement du temps » que je fus à la suite de la Reyne ma mère pour » n'en plus bouger. »>

Ce moment n'était pas encore très-prochain. Les guerres civiles éclataient. La reine met en lieu de sûreté ses deux plus jeunes enfants.

» Nous fumes, mon petit frère d'Alençon et » moy, à cause de notre petitesse, envoyez à Am» boise, où toutes les dames du pays se retirèrent

avec nous. »

Trois ans se passent. Dans un intervalle de paix, Catherine, menant avec elle le jeune Charles IX et toute une cour brillante, entreprend, à travers la France, la promenade politique et sentimentale qui aboutit dans le Midi à une entrevue avec sa fille Elisabeth, l'intéressante et malheureuse reine d'Espagne. Marguerite, à cette occasion, quitte le château d'Amboise, et la voilà désormais, selon son désir, à la suite de la Reine sa mère, « pour n'en bouger plus. >> - Elle avait alors environ treize ans, non pas tout à fait à son propre compte, mais d'après la date authentique de sa naissance. Une intelligence vive et soigneusement cultivée la mettait à même de sentir avee netteté, et de réfléchir déjà sur ses impressions; on doit regretter qu'elle ait jugé à propos de les taire ici au lecteur, sous prétexte qu'en raison de sa trop grande jeunesse à cette époque, les divers incidents de la tournée royale ne lui ont laissé dans l'esprit qu'un souvenir confus. Toutefois, elle s'arrête un moment aux fêtes splendides qui signalent cette célèbre entrevue de Bayonne, où, derrière les pompes officielles, s'agitaient secrètement les intérêts des Etats et des partis. De tant de grands personnages, tètes couronnées, princes, ministres ou généraux fameux, venus en foule pour y assister; de cette sœur aînée, douce amie de sa toute jeune enfance, qu'elle revoyait après cinq années de séparation; des conseils ténébreux qui se tenaient entre Catherine

de Médicis et le terrible duc d'Albe, Marguerite ne nous dit pas un mot. Dans tout cela, elle n'a rien vu, rien éprouvé. Ce que sa plume fleurie se plaît à décrire, ce sont les somptuosités du festin champêtre qui, par les soins de la reine-mère, aussi habile à préparer les divertissements ingénieux que les massacres, - réunit les cours de France et d'Espagne dans une île verdoyante de l'Adour, artistement transformée en élégante salle de banquet. Concert harmonieux d'instruments et de voix, scènes pittoresques et variées se succédant sans interruption sous forme d'entrées de ballet; allégories mythologiques, danses et costumes caractéristiques des diverses provinces de France, représentées par des groupes de gracieuses bergères; rien n'est oublié pour captiver les oreilles et les yeux des convives émerveillés. On croirait lire déjà la relation d'une de ces fêtes de Versailles, que Louis XIV, encore dans la fleur de la jeunesse, aimait à offrir à sa cour, et l'on se dit qu'on fait de plaisirs organisés sur une grande échelle, notre imagination moderne est singulièrement pauvre comparée à celle de nos aïeux.

La pastorale de l'île d'Aiguemeau, si bien ordonnée, devait avoir un dernier acte, sur lequel on n'avait pas compté.

« Le festin fini, l'on veit avec une grande » trouppe de satyres musiciens entrer ce grand >> rocher lumineux, mais plus esclairé des beau»tés et pierreries des nymphes qui faisoient » dessus leur entrée que des artificielles lumiè» res; lesquelles descendant, vinrent danser ce >> beau ballet, duquel la fortune envieuse ne pou>> vant supporter la gloire, fit orager une si es»trange pluye et tempeste, que la confusion de » la retraite qu'il fallait faire la nuit par bateaux, » apporta le lendemain autant de bons contes » pour rire que ce magnifique appareil de festin » avoit apporté de contentement. »

On prenait bien les choses à la cour de Catherine de Médicis. Mais ne dirait-on pas qu'il dût toujours «orager» à la suite de ses fêtes? Heureux les invités quand l'orage n'amenait pas une pluie de sang!

Bientôt après, la guerre civile recommençait avec toutes ses violences et ses déloyautés, pour ne plus s'arrêter durant plusieurs années. Le duc d'Anjou y trouve l'occasion d'acquérir une gloire peu ordinaire à son âge. Vainqueur à Jarnac, il exprime un tendre désir, avant de risquer sa vie dans de nouveaux combats, d'embrasser sa mère et son frère Charles, peut-être pour la dernière

fois.

« Si ces paroles touchèrent au cœur une si » bonne mère, qui ne vivoit que pour ses enfants, » abandonnant à toute heure sa vie pour conser » server la leur et leur estat, et qui surtout ché >> rissoit celuy-là, vous le pouvez juger. »

La cour se transporte donc au Plessis-lez-Tours, où, de son côté, l'attendait le duc d'Anjou. Gé

néral en chef à dix-huit ans, le jeune prodige ne montrait pas moins d'aptitude pour la politique que pour la guerre. Empêcher que ses intérêts ne souffrissent, à la Cour, de son absence, était alors sa principale préoccupation. A qui en confier la garde?

-

Son regard s'arrête sur sa sœur. Marguerite n'était sa cadette que d'un an; entre eux, pourtant, quelle distance! Tout le monde la traitait encore en enfant; elle-même ne songeait point à être autre chose. Mais lui, la juge différemment, Un jour, il la prend à part dans une allée du parc,-où planait peut-être sournoisement l'ombre cauteleuse de Louis XI, et lui ouvrant son cœur en apparence avec un affectueux abandon, il lui rappelle comment, plus qu'aucun de ses autres frères, il l'a constamment et spécialement choyée. Il lui demande aujourd'hui de lui rendre la pareille, de s'associer à sa fortune, et de veiller à ce que rien ne vienne en détourner le cours. Les bonnes grâces de la Reine leur mère l'ont porté au degré d'honneur auquel on le voit parvenu; mais il craint une concurrence dangereuse.

« Le roy mon frère est toujours auprès d'elle, » la flatte et luy complaist en tout. Je crains qu'à » la longue cela ne m'apporte préjudice, et que » le roy mon frère prenant de l'âge, estant cou» rageux comme il l'est, ne s'amuse pas toujours » à la chasse, mais devenant ambitieux, ne » veuille changer celle des bestes en celle des >> hommes, m'ostant la charge de lieutenant du » roy qu'il m'a donnée pour aller luy-mesme aux » armées. Ce qui seroit une ruyne et un desplai» sir si grand, qu'avant recevoir une telle cheute, » j'eslirois plustost une cruelle mort. »

Pour obvier à ce danger, il sent la nécessité d'avoir dans l'intimité de la Reine quelques personnes dévouées qui sachent en toute occasion lui parler en sa faveur; or, il n'en connaît aucune aussi propre que Marguerite à lui rendre ce service. « Vous avez, » dit-il, « toutes les

--

« parties qui s'y peuvent désirer, l'esprit, le juge, <«< ment et la fidélité. » Il la prie donc, dans les termes les plus insinuants, de se tenir assidûment auprès de leur mère, d'y être à son lever, à son coucher, à tout instant du jour, et de s'employer pour lui.

Marguerite écoute ce langage étudié avec une sorte de stupeur. Il lui semble étrangement nouveau, à elle, qui jusqu'alors, selon son heureuse expression, a vécu sans dessein, ne pensant qu'à danser ou aller à la chasse.

« N'ayant mesme la curiosité de m'habiller et » paroistre belle, pour n'estre en âge de telle » ambition, et avoir esté nourrie en telle con» trainte auprès de la reyne ma mère, que non» sculement je n'osois luy parler, mais quand » elle me regardoit, je transissois de peur d'avoir » fait quelque chose qui luy déplust. Peu s'en » fallut que je luy respondisse comme Moïse à

si l'on s'en rapporte à son dire, quand le coup de lance maladroit de Montgomery vint frapper son père à mort. Le premier souvenir qu'elle puise dans son passé pour nous en faire part se rattache, non à cet événement, mais à cette époque.

Peu de jours avant celui qui devait lui être si fatal, Henri II badinait avec la petite princesse, qu'il tenait sur ses genoux. Près de là jouaient deux autres enfants, compagnons habituels de Marguerite. Le roi, les montrant à sa fille, lui demande avec un sourire lequel, du prince de Joinville ou du marquis de Beaupréau, elle désire avoir pour son serviteur.

« Le marquis, » répond Marguerite sans hésiter.

Le roi s'étonne.

« Il me dit: Pourquoy? Il n'est pas si beau, » (car le prince de Joinville estoit blond et blanc, » et le marquis de Beaupréau avoit le teint et les » cheveux bruns.) Je luy dis pource qu'il estoit » plus sage, et que l'autre ne peut durer en pa>> tience qu'il ne fasse tous les jours mal à quel» qu'un, et veut partout estre le maistre. »

Très-différents furent, assure-t-on, les sentiments de la jeune fille; mais l'enfant jugeait bien. Savez-vous qui était ce blondin à l'esprit dominateur, que l'on nommait le prince de Joinville? C'était Henri de Lorraine, « qui fut depuis, » dit sympathiquement Margerite, « ce grand et infortuné duc de Guise, » destiné à tenir plus tard une place si importante dans son existence, et une plus importante encore dans l'histoire.

A ce trait de sagacité précoce, que l'auteur nous cite à son éloge, s'en ajoute bientôt après un autre de non moins précoce fermeté.

[ocr errors]

C'était au temps où le colloque de Poissy mettait toute la Cour en goût de controverses. Hauts seigneurs et nobles dames prenaient ardemment parti pour ou contre la Réforme; les enfants mêmes s'en mêlaient. Le fils préféré de Catherine de Médicis, entre autres, ce duc d'Anjou, qui devait, lui, se nommer un jour Henri III,-se met on tête, avec quelques compagnons de son âge, de convertir sa jeune sœur aux doctrines de Calvin. Grave apôtre de dix ans, le voilà donc à l'œuvre; mais il y perd son temps et ses peines. Les livres de psaumes qu'il lui apportait, Marguerite les remettait, sans les ouvrir, aux mains de sa gouvernante; les Heures et les chapelets qu'il lui brûlait, elle trouvait à les remplacer par d'autres. Les amis du prince, outrés d'une telle résistance, accablaient la catéchumène récalcitrante de mépris et d'injures.

Et mon frère d'Anjou y adjoutant les me»> naces, disoit que la Reyne ma mère me ferait. » fouetter... Je luy respondis, fondant en larmes » comme l'âge de sept à huit ans où j'estois lors » y est assez tendre, qu'il me fist fouetter, et » qu'il me fist tuer, s'il vouloit, que je souffrirois

» tout ce qu'on me sçauroit faire plutost que de » me damner... »

L'enfant gâté, dans cette occasion, présumait trop pourtant de la complaisance maternelle.

« La Reyne ma mère ne sçavoit point l'erreur » où il estoit tombé. Et soudain qu'elle le sceut, » le tansa fort, luy et ses gouverneurs. »

Par là se termina cette lutte lilliputienne, reflet et diminutif des passions qui agitaient alors toute la France.

Onze ans après, Henri d'Anjou était un des promoteurs les plus impitoyables de la SaintBarthélemy. En lui, les idées avaient changé, mais non le naturel.

Marguerite ne nous raconte rien de plus des premiers temps de sa vie. Ce n'est pourtant pas faute de matière.

« Assez d'autres responses, » dit-elle, « assez » d'autres telles marques de jugement et de ré» solution pourroient-elles s'y trouver, à la re» cherche desquelles je ne veux peiner, voulant » commencer mes mémoires seulement du temps » que je fus à la suite de la Reyne ma mère pour n'en plus bouger.»>

Ce moment n'était pas encore très-prochain. Les guerres civiles éclataient. La reine met en lieu de sûreté ses deux plus jeunes enfants.

» Nous fumes, mon petit frère d'Alençon et » moy, à cause de notre petitesse, envoyez à Am» boise, où toutes les dames du pays se retirèrent

avec nous. »

Trois ans se passent. Dans un intervalle de paix, Catherine, menant avec elle le jeune Charles IX et toute une cour brillante, entreprend, à travers la France, la promenade politique et sentimentale qui aboutit dans le Midi à une entrevue avec sa fille Elisabeth, l'intéressante et malheureuse reine d'Espagne. Marguerite, à cette occasion, quitte le château d'Amboise, et la voilà désormais, selon son désir, à la suite de la Reine sa mère, « pour n'en bouger plus. » — - Elle avait alors environ treize ans, non pas tout à fait à son propre compte, mais d'après la date authentique de sa naissance. Une intelligence vive et soigneusement cultivée la mettait à même de sentir avec netteté, et de réfléchir déjà sur ses impressions; on doit regretter qu'elle ait jugé à propos de les taire ici au lecteur, sous prétexte qu'en raison de sa trop grande jeunesse à cette époque, les divers incidents de la tournée royale ne lui ont laissé dans l'esprit qu'un souvenir confus. Toutefois, elle s'arrête un moment aux fêtes splendides qui signalent cette célèbre entrevue de Bayonne, où, derrière les pompes officielles, s'agitaient secrètement les intérêts des Etats et des partis. De tant de grands personnages, têtes couronnées, princes, ministres ou généraux fameux, venus en foule pour y assister; de cette sœur aînée, douce amie de sa toute jeune enfance, qu'elle revoyait après cinq années de séparation; des conseils ténébreux qui se tenaient entre Catherine

[ocr errors]

de Médicis et le terrible duc d'Albe, Marguerite ne nous dit pas un mot. Dans tout cela, elle n'a rien vu, rien éprouvé. Ce que sa plume fleurie se plaît à décrire, ce sont les somptuosités du festin champêtre qui, par les soins de la reine-mère, aussi habile à préparer les divertissements ingénieux que les massacres, réunit les cours de France et d'Espagne dans une île verdoyante de l'Adour, artistement transformée en élégante salle de banquet. Concert harmonieux d'instruments et de voix, scènes pittoresques et variées se succédant sans interruption sous forme d'entrées de ballet; allégories mythologiques, danses et costumes caractéristiques des diverses provinces de France, représentées par des groupes de gracieuses bergères; rien n'est oublié pour captiver les oreilles et les yeux des convives émerveillés. On croirait lire déjà la relation d'une de ces fêtes de Versailles, que Louis XIV, encore dans la fleur de la jeunesse, aimait à offrir à sa cour, et l'on se dit qu'en fait de plaisirs organisés sur une grande échelle, notre imagination moderne est singulièrement pauvre comparée à celle de nos aïeux.

La pastorale de l'île d'Aiguemeau, si bien ordonnée, devait avoir un dernier acte, sur lequel on n'avait pas compté.

« Le festin fini, l'on veit avec une grande » trouppe de satyres musiciens entrer ce grand >> rocher lumineux, mais plus esclairé des beau»tés et pierreries des nymphes qui faisoient » dessus leur entrée que des artificielles lumiè» res; lesquelles descendant, vinrent danser ce >> beau ballet, duquel la fortune envieuse ne pou>> vant supporter la gloire, fit orager une si es>>trange pluye et tempeste, que la confusion de » la retraite qu'il fallait faire la nuit par bateaux, » apporta le lendemain autant de bons contes » pour rire que ce magnifique appareil de festin » avoit apporté de contentement. >>

On prenait bien les choses à la cour de Catherine de Médicis. Mais ne dirait-on pas qu'il dût toujours «orager» à la suite de ses fêtes? Heureux les invités quand l'orage n'amenait pas une pluie de sang!

Bientôt après, la guerre civile recommençait avec toutes ses violences et ses déloyautés, pour ne plus s'arrêter durant plusieurs années. Le duc d'Anjou y trouve l'occasion d'acquérir une gloire peu ordinaire à son âge. Vainqueur à Jarnac, il exprime un tendre désir, avant de risquer sa vie dans de nouveaux combats, d'embrasser sa mère et son frère Charles, peut-être pour la dernière fois.

<< Si ces paroles touchèrent au cœur une si >> bonne mère, qui ne vivoit que pour ses enfants, » abandonnant à toute heure sa vie pour conser » server la leur et leur estat, et qui surtout ché>> rissoit celuy-là, vous le pouvez juger. »

La cour se transporte donc au Plessis-lez-Tours, où, de son côté, l'attendait le duc d'Anjou. Gé

néral en chef à dix-huit ans, le jeune prodige ne montrait pas moins d'aptitude pour la politique que pour la guerre. Empêcher que ses intérêts ne souffrissent, à la Cour, de son absence, était alors sa principale préoccupation. A qui en confier la garde?

[ocr errors]

Son regard s'arrête sur sa sœur. Marguerite n'était sa cadette que d'un an; entre eux, pourtant, quelle distance! Tout le monde la traitait encore en enfant; elle-même ne songeait point à être autre chose. Mais lui, la juge différemment. Un jour, il la prend à part dans une allée du parc,-où planait peut-être sournoisement l'ombre cauteleuse de Louis XI, et lui ouvrant son cœur en apparence avec un affectueux abandon, il lui rappelle comment, plus qu'aucun de ses autres frères, il l'a constamment et spécialement choyée. Il lui demande aujourd'hui de lui rendre la pareille, de s'associer à sa fortune, et de veiller à ce que rien ne vienne en détourner le cours. Les bonnes grâces de la Reine leur mère l'ont porté au degré d'honneur auquel on le voit parvenu; mais il craint une concurrence dangereuse.

« Le roy mon frère est toujours auprès d'elle, » la flatte et luy complaist en tout. Je crains qu'à » la longue cela ne m'apporte préjudice, et que » le roy mon frère prenant de l'âge, estant cou>>rageux comme il l'est, ne s'amuse pas toujours » à la chasse, mais devenant ambitieux, ne » veuille changer celle des bestes en celle des » hommes, m'ostant la charge de lieutenant du » roy qu'il m'a donnée pour aller luy-mesme aux » armées. Ce qui seroit une ruyne et un desplai» sir si grand, qu'avant recevoir une telle cheute, » j'eslirois plustost une cruelle mort. »>

Pour obvier à ce danger, il sent la nécessité d'avoir dans l'intimité de la Reine quelques personnes dévouées qui sachent en toute occasion lui parler en sa faveur; or, il n'en connaît aucune aussi propre que Marguerite à lui rendre ce service. « Vous avez, » dit-il, « toutes les « parties qui s'y peuvent désirer, l'esprit, le juge «ment et la fidélité. » Il la prie donc, dans les termes les plus insinuants, de se tenir assidument auprès de leur mère, d'y être à son lever, à son coucher, à tout instant du jour, et de s'employer pour lui.

Marguerite écoute ce langage étudié avec une sorte de stupeur. Il lui semble étrangement nou→ veau, à elle, qui jusqu'alors, selon son heureuse expression, a vécu sans dessein, ne pensant qu'à danser ou aller à la chasse.

<< N'ayant mesme la curiosité de m'habiller et » paroistre belle, pour n'estre en âge de telle » ambition, et avoir esté nourrie en telle con» trainte auprès de la reyne ma mère, que nonsculement je n'osois luy parler, mais quand » elle me regardoit, je transissois de peur d'avoir » 'fait quelque chose qui luy déplust. Peu s'en » fallut que je luy respondisse comme Moise à

» Dieu en la vision du buisson : Que suis-je, » moy? Envoye celuy que tu dois envoyer. » Presque aussitôt, néanmoins, cette première impression fait place au sentiment flatteur de sa valeur personnelle. Elle s'engage à justifier de tout son pouvoir la confiance que son frère lui témoigne. « Vous avez raison, dit-elle, « de » vous asseurer de moy, car rien au monde ne » vous honore et ayme tant que moy. »

-

Dès le soir, son rôle commence. La reine l'appelle dans son cabinet, lui dit qu'elle sait par le duc d'Anjou ce qui s'est dit entre eux le matin, et y donne sa pleine approbation. - << Rendez» vous subjette auprès de moy, ajoute-t-elle, et » ne craignez point de me parler en toute li» berté. »

« Ces paroles firent ressentir à mon âme ce » qu'elle n'avoit jamais ressenti; un contente» ment si démesuré qu'il me sembloit que tous >> les contentements que j'avois eus jusques alors » n'estoient que l'ombre de ce bien. »

Marguerite, entrée en exercice de ses fontions diplomatiques, les remplit consciencieusement, et le duc d'Anjou, dans l'éloignement où le retiennent les nécessités de la guerre, n'a qu'à se louer de l'agent officieux qu'il a laissé à la cour. Mais ce moment de faveur devait être de courte durée.

Le duc, poursuivant le cours de ses succès militaires, met le siége devant Saint-Jean-d'Angely. De là, il demande de nouveau à sa mère et au roi de s'y rendre auprès de lui, sous prétexte qu'ainsi l'exige le bien des affaires. Catherine part, et va le rejoindre, toujours escortée de Charles IX et de Marguerite. Mais quel changement inattendu dans les procédés dont celle-ci se voit l'objet! Plus d'épanchements affectueux chez le frère; chez la mère, plus de confiance; rien qu'une froideur de glace. Dès son arrivée, elle s'en aperçoit. Tous deux confèrent ensemble; Marguerite est présente: on lui ordonne de s'éloigner. On la tient maintenant à distance, on ne la compte plus pour rien.

Elle réclame. Qu'a-t-elle fait pour mériter sa disgrâce?

Catherine, cédant à ses instances, consent à lui en révéler la cause cachée.

Les princes lorrains, dans leur ambition illimitée, ont osé jeter les yeux sur la sœur du roi de France pour en faire la femme du duc Henri de Guise; et Henri de Guise lui-même ne dissimule ni ses prétentions ni ses espérances orgueilleuses. Voilà ce dont le duc d'Anjou a de prime abord averti la reine, en l'exhortant à user dorénavant de prudence et de discrétion à l'égard de sa fille. Marguerite se récrie. Jamais de tels projets ne sont venus à sa connaissance; s'ils y venaient un jour, elle s'empresserait d'en informer la reine.

Ses protestations sont écoutées d'un air de doute. Alors, exhalant son indignation en plaintes

amères sur la versatilité du duc d'Anjou, elle jure de garder un ressentiment éternel de l'injure qui lui est faite. Ces paroles ont pour unique effet d'irriter Catherine, et n'en tirent qu'un ordre absolu de supprimer avec soin, en faco de son frère, toute marque de mécontentement.

Marguerite dut obéir; on ne désobéissait pas à Catherine de Médicis. Mais elle reste fidèle à son serment; à dater de ce jour, elle ne voit plus dans son frère Henri qu'un ennemi attaché à lui nuire, et ne nous le dépeint pas autrement.

--

Un dépit si excessif donne beaucoup à penser, et l'on serait assez tenté de dire à l'auteur : Prenez garde, belle Marguerite; il n'y a, vous le savez, que la vérité qui blesse. Ce frère, contre lequel vous voilà si implacablement courroucée, n'aurait-il pas, par hasard, vu plus clair que vous ne le vouliez dans les plans des princes lorrains, et dans vos propres sentiments?

En vain voudrions-nous porter un œil curieux au fond du cœur de Marguerite; dans tout le cours de ses Mémoires, elle le tient ferme sur ce détail de sa vie, et fermé à double tour.

--

Après tout, n'est-il pas regrettable que cette union projetée par l'ambitieuse maison de Lorraine ne se soit pas conclue? Marguerite de Valois et Henri de Guise-l'ex-prince de Joinville, eussent formé un couple brillamment assorti; Marguerite de Valois et Henri de Bourbon eussent échappé aux ennuis d'une union disparate, et aux erreurs de conduite qui, de part et d'autre, en furent la conséquence.

Quoi qu'il en soit, les beaux jours de Marguerite étaient finis. La reine-mère lui ôte tout accès dans sa confiance et son intimité.

« Depuis ce jour-là, elle alla toujours en di>> minuant sa faveur, faisant de son fils son idole, » le voulant contenter en cela et en tout ce qu'il » désiroit d'elle. »

On était encore sous les murs de Saint-Jeand'Angely, quand une fièvre contagieuse so répand dans le camp royal. Marguerite, dont la santé avait souffert du grand chagrin qu'elle venait d'éprouver, en est atteinte. Nous voyons ici Catherine de Médicis so montrer à nous sous un aspect que peu de gens lui connaissent, et justifier pleinement ce titre de bonne mèro que sa fille lui donnait tout à l'heure. Chaque jour, malgré l'air empesté, elle venait assidûment visiter la malade, et lui prodiguer ses soins. Le duc d'Anjou en faisait de même, témoignant à sa sœur la plus vive tendresse. Marguerite ne voulait y voir qu'une vaine grimace; mais, comprimée par la crainte de la terrible reine, elle n'eût osé manifester en rien son inexorable rancune.

Cependant, au bout de quinze jours, le mal décroît. Saint-Jean-d'Angely a capitulé; l'armée va se cantonner à Angers. C'est là qu'on transporte aussi Marguerite. Entourée par sa famille d'une sollicitude continuelle, elle se plaît surtout à noter les attentions de son frère Charles, dont

« PreviousContinue »