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Je le désire; mais comment faire?

- Comment faire? Avoir confiance en nous qui te voulons du bien. Nous t'avons déjà indiqué, depuis douze ans, une Lucie, une Claire, une Pauline, une Stéphanie; tu n'a pas pu te décider. Cette année, poursuivant notre œuvre, malgré l'extrême difficulté, nous te parlons d'une jeune veuve, une Emilie, dont ma femme connaît l'éducation, le caractère, les solides vertus. Voyons? Laisse-toi donc persuader! Tu t'ennuies, tu me le dis souvent; cette vie de vieux garçon te pèse.

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Je n'en doute pas, madame; mais...

Mais quoi? Achève donc! Tu ne parles que par monosyllabes. Peut-être ne la trouves-tu pas assez jolie? Non, ses traits ne sont point réguliers; mais quelle expression douce, et quelle bonté dans le sourire. Si tu pensais à ce que peut devenir parfois la beauté absolue, tu n'y attacherais pas tant de prix. Je voudrais que tu rencontrasses cette femme triste, engourdie, monotone, qu'on appelait, il y a douze ans, la belle Henriette.

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Toi! Il est vrai que tout a contribué à son malheur. D'abord, ayant été épousée pour sa beauté, par enthousiasme, elle a vu promptement baisser cet enthousiasme; on s'habitue si vite à une jolie figure! Son mari, homme imprudent, quoique fort honorable, a eu le malheur de faire de mauvais placements; sa fortune a été compromise dans une faillite; la situation a changé en quelques jours, et il a fallu, pour ne pas sombrer tout à fait, quitter Paris, aller vivre en province.

» Ma femme a cherché à les attirer ici afin d'adoucir, autant qu'elle le pourrait, le chagrin de son amie. Alors, qu'a-t-on trouvé sous cette forme superbe, seul et frivole avantage de la belle Henriette? On a trouvé une complète nullité, beaucoup de larmes, et une incapacité absolue. La seule pensée de vivre en province la jeta dans le marasme. On eût dit que Paris était le seul cadre qui convînt à cette femme tout extérieure et qui, sans mauvaise intention assurément, mais par futilité, par puérilité, éprouvait le con. tinuel besoin de paraître, d'être entourée d'hommages, et d'échapper aux silencieux labeurs d'une véritable maîtresse de maison, qui doit porter sur son intérieur un œil attentif et vigilant

-Tu oublies de dire, Charles, qu'Ilenriette a fait, depuis quelques années, de grands progrès, et qu'elle s'efforce de surmonter les tendances de sa fausse éducation.

— Grâce à toi. Oui, c'est vrai, la pauvre femme, éplorée, languissante, a fini par suivre tes conseils et s'est efforcée de mieux faire; mais pas de ressort dans cette organisation rendue molle par l'oisiveté, la flatterie, l'excès du bien-être, l'exemption du sacrifice. Ses forces physiques l'ont trahie; elles s'est fanée, flétrie sous l'épreuve, comme une plante de serre chaude exposée aux brusques variations de la température. Les vicissitudes, la privation des plaisirs vifs auxquels on l'avait accoutumée, cet ensemble de devoirs, de fatigues, en ont fait, à trente-trois ans, une vieille femme!...

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J'en suis! Du thé bien chaud, bien sucré, fait par sa femme, c'est, je te le confie, Raoul, une des joies de la vie conjugale. »

Si Charles ne l'eût pas dit, Raoul l'eût deviné. Il comprenait tout ce qu'il y avait de tranquille bonheur dans cette vie à deux, où, sans toucher à des hauteurs dont un jour ou l'autre il eût fallu descendre, chacun trouvait ce qui lui suffisait, ne rêvant pas un poétique mirage, n'exigeant pas plus que la terre ne donne.

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Émilie le fait bien mieux que moi, dit en riant madame de Cueilly.

— Eh bien, mon cher, ce dernier et puissant argument ne triomphera-t-il pas de tes hésitations?

-Ce qui a triomphé, dit sérieusement M. de Vierceux, c'est la paix et l'amitié que je vois entre vous. Oui, je vous rends les armes, et je regrette de ne pas l'avoir fait plus tôt.

- Tu te fusses épargné, mon cher ami, de grands ennuis, beaucoup d'accès de mélancolie, des rhumes mal soignés et des bronchites par suite; sans compter tes désespoirs de vieux garçon, qui te reprennent chaque fois que, venant à Tours, tu me vois si heureux en ménage! Cette jeune veuve mérite vraiment la recherche d'un honnête homme, et nous disions l'autre jour, ma femme et moi, qu'elle réalise de très près le plan de l'illustre évêque d'Orléans, qui a laissé de si belles pages sur l'éducation des filles. As-tu lu cet ouvrage? Mais c'est une question oiseuse ! Les vieux garçons ne s'intéressent pas à l'éducation des filles.

- J'avoue qu'effectivement je n'ai pas lu cet ouvrage; mais j'ai ouï dire que l'auteur y profes se une juste admiration pour la femme régénérée par le christianisme et cultivée par l'éducation.

- Oui; un mot touchant est tombé de sa plume, se reportant aux pages de la Genèse. Il revoit l'Ève du paradis terrestre avant sa chute et parle de cet être que Dieu a créé si parfait, « si simple, si pur, qu'un jour il en a fait sa mère !» Suivant la femme à travers les abaissements du paganisme, il la retrouve ensuite rehaussée, quoique soumise à son chef, et fait d'elle ce portrait : «Plus faible que l'homme, elle est dans les choses » du cœur plus élevée; elle est, si je puis ainsi >> dire, plus âme que l'homme. Elle sent plus le »> noble besoin d'aimer purement, et son affec» tion, moins personnelle, est plus prompte au sacrifice, plus résistante à la douleur et à l'an» goisse. >>

- C'est juste; voilà ce que la religion et la vertu ont fait de l'élite des femmes.

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· Ah! tant mieux. Je déteste les filles et les femmes moqueuses.

- Tu as bien raison. La moquerie est un esprit facile et indique ordinairement l'infériorité. Au contraire, Emilie a de la largeur dans les idées, de l'esprit naturel et beaucoup d'acquis. Je sais bien que nous ne cherchons pas dans notre compagne une intelligence supérieure; mais du moins faut-il une intelligence cultivée, car, dit l'auteur que je citais tout à l'heure : « A mesure que la » femme perd les charmes de la jeunesse, il faut » que la valeur de son esprit l'élève aux yeux de » son mari, et que l'estime perpétue l'affection. » Tout cela est parfaitement sage, dit M. de Vierceux, tombé dans une rêverie profonde, comme un homme qui vient de briser avec son passé et de s'engager dans une voie nouvelle.

Le patriarche avait appris qu'il faut battre le fer pendant qu'il est chaud. Il lança donc ce dernier trait:

« Sache bien, Raoul, que tout l'éloge d'Emilie est contenu dans ce mot: c'est une femme raisonnable.

-Oh! c'est bien vrai, reprit gaiement madame de Cueilly, en offrant à l'ami de son mari une seconde tasse de thé; aussi demain matin, de très bonne heure, pour être sûre de la trouver, j'irai lui parler de vous. »

Raoul, ému, se tourna vers madame de Cueilly: « Madame, répondit-il, je ne puis rien faire de mieux que de mettre mon bonheur entre vos mains... »

Un grand coup de sonnette arrêta le discours. Charles ne put s'empêcher de maudire la sonnette. On était si bien là, au coin du feu, tous les trois!... « Allons! bon! une visite! >>

On annonça M. et madame Rennecourt. Force saluts et révérences! On avança des fauteuils, et l'on ne sut plus que dire; c'est toujours l'effet d'un coup de sonnette mal à propos.

Madame de Cueilly cependant s'efforça d'être aimable; et, s'étant assise près de la nouvelle arrivée, ellelia conversation avec elle, à demi-voix, pendant que son mari essayait de mener le monde, se jetant dans la politique, et laissant l'ami Raoul en proie à ses réflexions philosophiques sur la jeune veuve qu'on allait demander pour lui le lendemain matin.... de bonne heure avait-on dit. Il sentait qu'il devait se fier à Emilie, puisqu'elle ressemblait à Hélène. Ne

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Journal des Demoiselles

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savait-il pas depuis longtemps quelle était la valeur morale de madame de Cueilly? Ses rapports intimes avec Charles lui avaient permis de juger cette admirable épouse qui, elle aussi, avait eu ses épreuves. Il se rappelait ce que son ami lui avait dit tant de fois de la sagesse et de la raison de sa compagne.

Après trois heureuses années de mariage, ayant vu son beau-père tomber, à la suite d'une longue maladie, dans un état d'affaiblissement moral digne de compassion, elle avait proposé à son mari de le prendre sous le toit commun, afin de préserver sa vieillesse des mains des mercenaires. Supportant plus que tout autre le poids de cette affliction, elle s'était réservé la surveillance du pauvre valétudinaire, et l'avait entouré d'égards, palliant autant qu'elle le pouvait les petits travers et les ridicules provenant de l'infirmité; passant de pénibles heures à faire une interminable partie de cartes, sa seule distraction à lui. En ces rudes années, le courage de Charles avait souvent faibli: il l'avouait luimême. Sa femme au contraire avait grandi sous cette épreuve, lassante comme le sont les épreuves sans nom, obscures et journalières.

Le pauvre beau-père avait terminé ses longues souffrances. Alors une crise politique avait momentanément brisé l'avenir de M. de Cueilly. Il lui avait fallu accepter un poste qui n'était pas fait pour lui, et fixait sa résidence dans une petite ville sans ressource d'aucun genre; Hélène avait mis toute son habileté féminine à soutenir le moral de son mari; elle avait revêtu de charmes sa nouvelle demeure, pourtant si antipathique à ses goûts; affectant de voir surtout les bons côtés du pays, les compensations que l'on pouvait trouver en ce lieu. Cette espèce d'exil avait été rendue supportable à M. de Cueilly par les innocentes adresses de sa femme, dont la bonne humeur, l'esprit de conversation et l'entente du ménage épargnaient à Charles des ennuis qui au fond leur étaient communs, et dont elle avait l'air de ne pas souffrir. Ainsi la raisonnable Hélène avait gagné du temps, et, la roue ayant tourné, M. de Cueilly avait pu revenir à Tours, sa ville natale, et y reprendre sa position.

Raoul, absorbé et tout à fait étranger aux entretiens de droite et de gauche, se représentait à lui-même le passé de son ami, et tirait de cette méditation de puissants motifs pour exciter son esprit à la confiance et au repos. Il entendait néanmoins un aimable roucoulement; c'était la conversation des deux femmes parlant à demivoix; un instant, la visiteuse s'avisa de prendre le dessus, et Raoul, distrait de ses pensées graves, se dit :

Cette voix ne m'est pas inconnue. » Ayant tourné la tête de ce côté, il remarqua que madame Rennecourt avait relevé sa voilette, et se dit encore:

QUARANTE-SEPTIÈME ANNÉE. No XI

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Oh! se dit-il, tout confus de s'être si fort mépris sur l'étoile en question, si le télescope pouvait s'appliquer aux objets de nos rêves, qu'il y aurait donc peu de ces mariages d'entraînement que l'on prétend être les meilleurs! Plus Raoul s'étonnait de ce que cette soirée lui révélé touchant ses anciennes et très aveugles sympathies, plus il sentait de quiétude d'esprit en songeant à cette Emilie, vraiment bonne, qui allait, il l'espérait, lui donner ce qu'Hélène donnait à Charles : l'honneur et la joie de la maison.

avait

Lorsque les Rennecourt se retirèrent, l'heure étant assez avancée, Raoul craignit de se rendre importun en demeurant plus longtemps au salon. Après un quart d'heure, que Charles voulut absolument consacrer à une sombre élégie en l'honneur de la beauté d'Henriette, Raoul salua madame de Cueilly avec un respect affectueux et cordial; une bonne poignée de main fut entre les trois amis comme la sanction du projet arrêté, et chacun s'en alla chercher le repos, Hélène en famille, entourée de ses chers enfants, et M. de Vierceux dans un joli pavillon faisant face à la maison et donnant sur un jardin dont les allées étaient couvertes de neige.

Il faisait grand froid. Raoul quittant le coin d'un bon feu fut pris de frisson. Était-ce bien le froid qui le faisait frissonner à cette heure? Non, car il trouva dans sa chambre un feu brillant, et pourtant Raoul ne se réchauffa point! Raoul voulut dormir, et pourtant Raoul ne dormit point! Oh! de quelles mauvaises nuits sont capables les hommes de sa trempe!

A peine le jour commençait-il à poindre que l'on voyait sur la neige de nouvelles empreintes de pas. C'étaient les pas de Raoul. I guettait, dans une anxiété profonde, le réveil des domestiques, pour leur remettre un billet très pressé à l'adresse de M. de Cueilly.

Ce billet, sans donner aucun détail, contenait ce peu de mots :

« Impossible, mon cher, impossible! je n'ai » pas dormi de la nuit! Attendons; je ne puis » pas me décider.... un peu plus tard peut» être.... RAOUL »>

Un peu plus tard, Émilie n'était plus veuve, et Raoul était encore garçon.

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