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de Nar a obtenu le plus grand succès, et tous ces bravos, ces rappels étaient mérités : c'est à l'artiste qu'ils s'adressaient bien plus qu'à la grande dame jouant pour les orphelines.

M. Lopez a chanté le rôle d'Elvino, en ténor qui possède les traditions de la brillante méthode italienne. M. Zimelli, le comte, a toujours sa puissante voix de basse.

Les chœurs étaient ceux du Théâtre-Italien, c'est-à-dire qu'ils ont bien marché. Tout avait été étudié, organisé sous la direction de M. Stanislas Ronzi, à qui l'on doit de vifs éloges.

Un public d'élite et des représentants de la presse assistaient à cette soirée. Les billets à 20 francs avaient été bien vite placés; et pour que la recette fût profitable à l'orphelinat, la princesse de Lusignan avait pris à son compte tous les frais de la représentation qui ont été très considérables, attendu que l'ouvrage a été donné en entier, comme à l'ex-salle Ventadour.

Impossible d'employer mieux ses talents et ses loisirs; se faire applaudir par les dillettante et

bénir par les pauvres est un double bonheur. «< D'autres salons aristocratiques se sont encore transformés en salle d'opéra. Citons surtout ceux de madame la marquise D***, où le Don Pasquale de Donizetti a été interprété de la manière la plus distinguée, par des artistes italiens de premier ordre, et ceux de madame la baronne de Marivaux, où réunissant l'opérette à l'oratorio, on a fait applaudir des choeurs d'une exécution irréprochable.

Recommandons, pour finir, à toutes ces vaillantes propagatrices de l'art, dont un grand nombre de nos lectrices fait partie, une perle vocale trop peu répandue. C'est l'hymne de Mendelssohn; Écoute ma Prière, une page superbe, dont l'introduction en France est due à l'initiative de M. Guillot de Sainbris, qui l'a fait traduire par M. Paul Collin, ce charmant poète que nous sommes heureux de compter parmi nos collaborateurs, et l'a fait entendre cet hiver dans les brillants concerts confiés à son habile direction. MARIE LASSAVEUR.

CORRESPONDANCE

JEANNE A FLORENCE

Si quelque âme altérée de silence et de paix, de solitude et de retraite, cherchait un désert pour ses méditations, sais-tu, ma Florence, vers quel point du monde je l'engagerais à prendre son vol en ce moment? Vers Paris!

Eh oui, vraiment, Paris est un désert. Si quelques rares caravanes s'y rencontrent, elles ne frappent point les échos de l'accent parisien; non, c'est celui de Mauléon, de Limoges, de Baume-les-Dames ou de Lamballe que se renvoient les ondes sonores; les provinciaux seuls ont le courage de se brûler les pieds sur notre asphalte, d'aspirer sans faiblir les miasmes culinaires qui montent écœurants des sous-sols, et de s'exposer aux insolations que rend imminentes la réverbération de nos murailles.

Pour nous, chère amie, nous fuyons tout cela; les uns, privilégiés, possèdent sous le ciel bleu des départements un coin de terrain quelconque où il y a des arbres, de l'eau et de l'herbe... ils vont dormir à l'ombre des feuillages, pêcher des écrevisses dans leur ruisseau ou des carpes dans

leur étang... à leur place, moi, je serais capable de brouter mon herbe; songe donc de l'herbe à soi!... Comme cela doit sentir bon ! Les autres se font découvrir par un médecin complaisant une maladie qui les oblige à prendre les bains de mer ou les eaux en vogue; d'autres encore, qui ne possèdent ni castel ni pigeonnier, qui ne sont pas assez riches pour se donner le luxe d'une maladie à noyer quelque part, se font inviter par des amis de province qui ne croient pas trop payer ainsi la tasse de thé qu'ils ont bue, la musique médiocre qu'on leur a fait subir et les quelques services de cicerone par lesquels on s'est efforcé d'engager leur reconnaissance, lors de leur dernière visite à Paris.

Je ne possède, moi, pas le moindre « héritage pas un seul ami campagnard à exploiter! mais, en revanche, mon médecin, qui n'est pas complaisant du tout, m'impose l'obligation de prendre les eaux, malgré mon vif désir de n'en rien faire. J'ai gagné au sortir du Salon, où l'on étouffait, un refroidissement qui eut pour consé.

quence un rhumatisme aigu; cette crise passée, le docteur veut en prévenir le retour et, de par sa tyrannique autorité, me voici à... mais ton mari serait capable de lire par-dessus ton épaule et de publier dans toute votre petite ville le nom de cette localité. Juge un peu ce qui pourrait en résulter Si je médis de l'établissement, son propriétaire et les naturels du pays me voueront aux divinités infernales. Si, au contraire, je vante le site pittoresque, la richesse des eaux, l'affabilité des baigneurs, l'excellence de la cuisine, etc., on criera certainement à la réclame et les stations rivales me demanderont effrontément :

Mademoiselle Jeanne, combien vous paye-t-on la ligne ?

Donc, tu auras le vrai nom de cette « localité » sous pli cacheté.

Je t'écrirai un peu au jour le jour ce que j'y vois et ce que j'y fais; pour aujourd'hui, j'arrive, je suis fatiguée; je dîne et je me couche.

Bonjour, Florence, j'ai bien dormi; et toi? Je prends d'abord possession des lieux: un entonnoir au fond duquel jaillissent des filets d'eau bouillante; en se hissant jusqu'aux bords de cet entonnoir, on découvre des montagnes, des vallées, des rivières, des rochers et des arbres. Nous verrons cela.

L'établissement thermal est assis sur les sources mêmes. Elles sont merveilleuses mais peu connues et par suite peu fréquentées, si ce n'est toutefois par les personnes de la contrée. Tant mieux! J'y trouverai le calme et la simplicité qu'on chercherait en vain partout ailleurs aujourd'hui. O robes de toile à quinze francs, façon comprise; souliers de veau pour les promenades champêtres; chapeau de paille défendant le visage contre le hâle, je pourrai donc vous saluer encore! Causeries naïves émaillées de termes cham. pêtres, de sentiments sans art et d'idées locales, vous allez reposer mon esprit des banalités à la mode et des opinions stéréotypées! Je vais mener ici une bonne petite vie patriarcale et primitive, recommencer l'âge d'or entre une piscine et une étuve, me refaire à neuf et nager dans le vrai... en pleine eau thermale.

On sonne le déjeuner. Je suis coiffée de mes seuls cheveux; je n'ai pas même gardé au bras mon simple porte-bonheur, et ma robe sans garniture semble empruntée à Jenny l'ouvrière, la Jenny d'autrefois, celle qui ne portait ni bottes à cinquante francs, ni gants à huit boutons. Pourvu que je ne paraisse pas encore par trop merveilleuse aux baigneuses de cette région inconnue, qui viennent barboter dans cette cuvette souterraine et cachée !

Bon appétit, Florence; je meurs de faim.

Première déception: elles se font habiller à Paris! Leurs robes de toile coûtent deux cents francs, et leurs chaussures sont des œuvres d'art. Elles m'auront prise pour une femme de chambre, certainement; et, entre la côtelette et le pied de porc, on aura dû se renseigner près du maître d'hôtel pour savoir si l'on pouvait me tolérer à table. Je n'ai rien dit à personne, et personne ne m'a honorée d'un pauvre mot, ce qui m'a permis d'écouter la conversation d'autrui. J'étais d'ailleurs la seule ainsi occupée, chacun parle pour soi, c'est-à-dire pour vanter avec redondance ou fausse modestie ses avantages, ses mérites, ses privilèges personnels, et moi je me sens écrasée sous toutes ces supériorités de l'intelligence, du nom, de la fortune qui s'affirment et s'étalent. Ce gros monsieur en face de moi trouve tout détestable, bien qu'il dévore:

• Quelles côtelettes impossibles! après tout, on n'en arrange de bonnes que chez Tortoni! Ce vinlà ferait du vinaigre au bout de vingt-quatre heures; c'est à ne pas y goùter quand on est habitué à la cave de Véfour! »

Décidément, ce monsieur, c'est Rothschild qui oublie d'être de bonne compagnie, Florence!

La voisine du gros monsieur a reçu hier une lettre de la baronne Chaudoin, son amie; elle en attend une autre de la vicomtesse d'Ambord, sa jeune sœur; la comtesse de Clers, l'appelle avec impatience dans son manoir féodal; son cousin, le duc Gordoni, lui a promis deux petits chiens; et sa cousine, la princesse de la TourPrends-Garde, sollicite ses conseils et copie ses toilettes. Elle même ne porte aucun titre, mais s'appelle de la Souterrinière.

Mon voisin de droite sourit d'un air narquois. C'est un vieillard dodu, aux yeux ronds, aux narines dilatées et dont les larges dents blanches semblent toujours prêtes à mordre quelqu'un ou quelque chose. Il surveille particulièrement les amabilités échangées entre madame de la Souterrinière et le monsieur qui dévore: celui-ci produit une grande fille maigre, un peu rougeaude, qui doit avoir une bien belle dot. Cellelà est flanquée d'un fils trop grand seigneur, sans doute, pour se commettre avec des commensaux d'aventure, car il ne dit mot à qui que ce soit.

Il sera pourtant de la promenade projetée pour cette après-midi entre les membres de cette aristocratie financière et nobiliaire. Mon excellent père, supposant que cette promenade m'intéresserait, fait une « invite » à mon intention. Chacun feint de ne pas comprendre. Lemonsieur aux yeux ronds sourit de toute la longueur de ses dents blanches.

Ces dames vont changer de toilette pour la promenade; elles reviennent avec le costume ad hoc, ou prétendu tel, aussi coûteux qu'incommode. Mais qu'y faire? Toute femme qui se respecte doit avoir aujourd'hui la mise appropriée

à chaque heure du jour : robe du matin, robe de midi, robe du soir! robe de chambre, robe de salon, robe de rue! robe de visites, robe de réceptions, robe de promenade aux champs! robe de voyage en chemin de fer, robe de séance académique, robe de station dans les musées, robe de perquisitions dans les magasins! robe de pluie, robe de vent, robe de soleil! robe de mariage, robe de baptême, robe de bal et robe d'enterrement! J'en passe et des meilleures. Dieu ! que cela doit être profitable à l'esprit et au cœur, que cela est bien fait pour élever l'intelligence et ennoblir les sentiments, cet emploi du temps qui consiste à changer de robes du matin au soir! Changez, changez, mesdames! amoncelez le velours, la soie, les dentelles et tout ce qui s'en suit entre vous et la porte du paradis ! Je ne vous assure point que cette chatoyante montagne ne vous gênera pas un peu pour y entrer, par exemple!

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Je suis un peu en retard pour le déjeuner. Ces dames ont de nouvelles robes... Eh bien! qu'estce que cela veut dire ? On m'accueille aujourd'hui comme une puissance..., malgré la simplicité de Jenny l'ouvrière! Des compliments qui ont l'intention d'être spirituels et fins m'arrivent à travers les verres et les carafes; on m'appelle mademoiselle Jeanne tout court, on me demande des nouvelles de ma Florence... Je voyais bien, hier, que mon père parlait trop! Et l'on se déchaîne contre les enfants terribles! Les parents terribles sont plus à redouter cent fois!

Il me faut être maintenant de toutes les promenades, où j'ai le supplice d'entendre comparer la nature à des décors d'Opéra! Conçois-tu rien de plus odieux, Florence?

Les hommes lisent des journaux; les femmes font de la tapisserie autour d'une table dans le parc. Voici le facteur. Il vide sa boîte sur la table en un seul tas: Tirons-nous-en comme nous pourrons! Un coup de vent éparpille les missives; toutes les mains s'entre-choquent à leur poursuite... gare aux erreurs!

Madame de la Souterrinière déchire une enveloppe qu'elle croit à son adresse, mais qui, en réalité, porte le nom du Crésus gourmet. Un avertissement d'huissier s'en échappe... d'un geste tragique, elle le tend au destinataire... coup de théâtre!

Le destinataire riposte par une autre enveloppe, soulignant de l'ongle l'adresse ;

<< Madame de la. Souterrinière, couturière. »> Autre coup de théâtre!...

Le monsieur aux yeux ronds en rit à pleines dents; mais c'est triste!... Pourquoi donc cette soif de paraître toujours, partout et quand même? ce besoin de s'élever dans la mauvaise acception du mot? cette manie générale du mensonge et de la vie fatice?...

Ta JEANNE.

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Le mot de la Charade contenue dans le numéro de Juillet, est: Feuilleton.
Explication du Rébus de Juillet: La résolution double la force.

Le Directeur-Gérant: JULES THIERY

9-2412 PARIS.

MORRIS PÈRE ET FILS, IMPRIMEURS BREVETÉS, RUE AMELOT, 64

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MODES

Les dessins cachemire à palmes de toutes dimensions sont fort en vogue en ce moment, quelle que soit l'étoffe; les fonds sont rouges, bleus, vert-mousse ou noirs.

Les tussors de l'Inde et le foulard s'emploient pour les costumes élégants; la toile de Jouy et la satinette foulard pour les plus ordinaires.

Une idée assez originale consiste à composer un costume entier avec de petits fichus à dessins encadrés d'une bordure, qu'ils soient en soie ou en coton. L'encadrement ou bordure se dispose de différentes manières. J'ai vu, pour des enfants, les plus jolies petites toilettes possible, en foulard de coton rouge, à palmes de cachemire. La bordure faisait le bas de la jupe toute plissée, ainsi que celui du long corsage anglais, également plissé. Grand col et revers aux manches encadrés de bordures. Il y a aussi de ces petits fichus encadrés, dont l'intérieur est à pois blancs; on en fait des costumes de campagne. La toile de Jouy, à rayures, fait de très jolis jupons à volants. Généralement on met trois fichus, un peu étagés et plissés; je suppose les rayures rouges, l'une unie et l'autre à petits dessins. Le corsage à paniers et habit Louis XV, sera en toile unie marron. Le col à revers et les parements des manches, en rayures rouges. Il est de bon goût d'avoir l'ombrelle semblable au jupon. Chapeau cloche en paille marron, avec guirlande de roses rouge foncé.

Les batistes unies se garnissent de dentelle bretonne, de Valenciennes ou de broderies anglaises.

Le dos des corsages se fait plat, et les devants un peu froncés à la taille et à paniers Une ceinture ronde, à boucle sous chaque bras.

Le rouge caroubier est tout à fait la nuance adoptée pour les enfants, filles ou garçons. Quand ils sont habillés en blanc, en rose ou en écru, les larges ceintures, les cravates et les plumes de leurs chapeaux sont toujours rouges. On leur

fait de jolis costumes pour tous les jours, en toile gros bleu, avec ceinture, col et revers de manches en cachemire rouge. Chapeau-cloche, avec aile rouge. Pour les bébés, on ajoute de petits souliers anglais en peau rouge.

Le tussor uni, nuance écrue ou vieil or, compose des toilettes élégantes très pratiques, et convenant à l'incertitude du temps. Quelquefois on ne fait que la jupe, plus ou moins bouillonnée ou plissée, en tussor uni, et le corsage-habit est en autre tissu foulard cachemire, satin broché Pompadour ou pékin rayé, grenat et écru, bleu et écru, etc, le pékin est en soie ou en coton. J'aime beaucoup la toilette que je vais décrire. Toute de même couleur, en tissu foncé, un peu vieil or. Jupon rond, garni tout autour de deux petits volants avec biais de satin, même nuance, plissé à assez petits plis. Le devant de ce jupon est plissé en travers de plis non plaqués, mais un peu vagues, quoique fixés en dessous. Ce devant a, dans le bas, la largeur de 30 centimètres. Il diminue en remontant à la taille.

La seconde jupe est fixée sur ce devant, de chaque côté, par un petit coquillé froncé de temps en temps, et entre ces froncés, le bord de la jupe, doublé de satin, se retourne en revers. Les deux côtés plissés rejoignent le lé de derrière, qui forme quelques draperies, et retombe sur le jupon en un pan carré garni de deux petits biais de satin. Le corsage-jaquette a des basques rapportées, garnies d'un biais de satin. Elles sont relevées en paniers par deux ou trois plis fixés sous les basques du dos formant habit. Une draperie de plis de satin est posée sur le corsage; de petites fronces la fixent derrière, après chaque épaule et à la taille où elle est très resserrée, et se termine en pointe, forme d'un V. Mêmes draperies aux manches qui sont étroites et un peu ouvertes.

Avec ce costume, peut se mettre n'importe quel chapeau. Un tout noir, avec roses teintées de jaune, le rend simple et distingué. Mêmes roses au côté gauche du corsage, près du cou. Gants de saxe et ombrelle de tussor, à bordure

AOUT 1879

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