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mestiques agréables, des traits de caractère bien étudiés, une héroïne imparfaite et malheureuse, qui, sous l'action du temps, de la réflexion et de l'épreuve, devient parfaite et heureuse, c'est là tout le roman, il se lit volontiers, et il ne saurait laisser aucune impression mauvaise. Un peu plus de mouvement ne nuirait pas à son succès, mais nous sommes convenus que c'est un roman de l'ancienne école : alors que Richardson contait en quatorze volumes l'histoire de sa Clarisse, celuici ne compte qu'un tome qui se lit avec plaisir, car l'histoire de Suzanne Fleming est celle d'une âme courageuse, qui triomphe d'elle-même en s'appuyant sur le Ciel (1).

LA PETITE PROMISE (2)

PAR ISABELLE FRANCE

Ceci est une fille encore de Fabiola. Depuis que le cardinal Wiseman, de douce et savante mémoire, a trouvé dans les annales de l'Église le sujet d'un livre émouvant et pathétique, que d'auteurs ont glané après lui dans ce champ fertile, mais qui ne donne pas à tous dans la même mesure, car tous n'y apportent pas la foi vive et la profonde science de l'auteur anglais, cette foi qui lui a permis de peindre avec tant d'âme les saints et les martyrs, cette science qui lui a permis de donner de la société chrétienne toute entière une image si exacte et si vivante! Mademoiselle France, dans sa Petite Promise, a choisi pour héroïne une prêtresse de Vesta, qu'une suite de trahisons pousse au dernier supplice; elle est enterrée vivante, mais tirée de son sépulcre par le grand-prêtre qui l'a persécutée; elle lui échappe, elle se convertit à la foi chrétienne, et elle épouse un jeune homme qu'elle aime, et qui, comme elle, a reçu le baptême. Tout ce récit animé, bien conduit, n'est pas dénué de charme; peut-être l'auteur a-t-il butiné dans quelques ouvrages déjà anciens, peut-être s'est-il un peu souvenu de la tragédie de Guiraud, le Gladiateur, et de quelques autres romans, issus eux-mêmes de Fabiola, mais peut-on lui en faire un crime, et l'invention pure n'est-elle pas plus rare que l'or et les perles ?...

CŒURS VAILLANTS

PAR MADAME RAOUL DE NAVERY

Le talent souple et brillant de madame de Navery s'est engagé depuis quelques années dans une voie peu digne de lui. Les affaires de cours d'assisses, les crimes mystérieux, les actions violentes, les mélodrames l'ont tentée, et elle a porté ce goût jusque dans les études historiques. Son nouveau volume en est la preuve. Sa plume a abandonné

(1) Se vend à Lausanne, chez Bridel. Prix, 3 fr. 50 c. (2) Chez Didier, 35, quai des Grands-Augustins. Un volume in-12, prix : 3 fr.

les nuances délicates qui lui étaient familières; elle n'a plus que trois couleurs le noir et le rouge, pour peindre d'affreux brigands, le bleu céleste pour peindre des créatures séraphiques qui passent, immaculées au milieu des orages et des flots de sang. Nous regrettons cette tendance chez un auteur si bien doué, si bien intentionné et qui devait aspirer à d'autres succès qu'à ceux des dramaturges du boulevard : elle pouvait employer la corde énergique qui vibre chez elle, sans abandonner la mesure, toujours compagne du beau, et les tons délicats et vrais.

Ce nouveau volume, très brillamment édité, renferme quatre nouvelles historiques : Sabine de Steinbach, jolie création, qui ne manque ni de grâce ni de mouvement; Giannino, roi de France, est le petit roi Jean, fils posthume de Philippe le Bel, que l'auteur fait agir et parler, quoique, l'histoire le dit, il soit mort peu de jours après sa naissance; la Ménestrelle du Roi, la gentille Odette, dont la douce figure est entourée d'un chaos d'images sanglantes, sous le prétexte de peindre la lutte des Armagnacs et des Bourguignons; la Fille de l'Imagier, le meilleur récit du recueil. Tout ce volume atteste la facilité de style et le mouvement d'esprit de madame de Navery, mais, semblable à beaucoup d'écrivains, elle abonde trop dans sa manière; on a loué autrefois sa vigueur, elle a multiplié les tons chauds, les images forcées, les traits trop accentués, et nous la verrions avec joie, revenir à une forme plus féminine, et qui mettrait en relief la grâce brillante de ses premiers écrits, par exemple, d'Aglaé et de Paysans et Avocats. (1)

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Un sentiment moral élevé et une remarquable élégance de forme distinguent les ouvrages de Maryan, et forment une belle compensation à ce qui leur manque peut-être d'imprévu et de mouvement. Kate est une jeune orpheline, qui devient pour la famille où elle est accueillie un ange de paix : elle élève et soigne des enfants abandonnés, elle relève une âme aigrie par l'infortune, elle console un homme généreux du chagrin que lui fait éprouver un amour non payé de retour; elle demeure modeste parmi les éloges, humble et silencieuse dans son dévouement, et si on pouvait lui reprocher quelque chose, ce serait un excès de perfections. L'action se passe en Touraine (nous échappons à la Bretagne cette fois-ci), et les jolis paysages de ce jardin de la France sont décrits avec charme. Nous recommandons cette œuvre à toutes nos lectrices.

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UN RÊVE ACCOMPLI

(SUITE ET FIN)

XIX

PARIS

Amaury rentra dans la ville huit jours avant qu'elle ne fût complètement investie. Il aurait pu fuir encore, se dérober, comme tant d'autres, aux privations, aux périls; il lui semblait qu'il devait au sang dont il était sorti et qui avait donné tant de serviteurs à la patrie, cette marque de dévouement et de fidélité.

Ce sentiment le soutint durant ces longs jours, ces interminables semaines, ces mois pareils à des siècles, où rien n'arrivait dans la ville assiégée, rien que des rumeurs de plus en plus sinistres, moins sinistres pourtant que ne le fut la réalité; il endura avec patience les privations matérielles, les fatigues et l'ennui des marches, des gardes, des froides nuits passées au rempart; il se battit avec un courage d'autant plus réel qu'il n'était pas soutenu par l'espérance, et que nul rayon de gloire ne devait tomber sur le front des soldats obscurs et vaincus à l'avance; il se battit si bien qu'à Buzenval, il fut blessé au bras droit. Il fut forcé de rentrer chez lui et de se laisser soigner par un vieux domestique qu'il avait pris, en congédiant les servantes, devenues inutiles. Ces jours de fièvre et de souffrance physique furent lugubres; le canon tonnait au-dessus de Paris, on prévoyait la chute prochaine de la malheureuse cité, l'avenir se montrait plein de menaces, on se demandait s'il y aurait encore une France; et, dans un autre ordre d'idées et de soucis, les priyations devenaient intolérables, et Amaury, qui n'avait reçu aucune nouvelle de ses filles depuis qu'il était enfermé dans Paris, éprouvait, grâce à la faiblesse et à l'insomnie, les plus sombres pressentiments. Il savait que les Prussiens étaient en Normandie, son imagination travaillait et lui offrait les plus tristes images: Courseulles en feu, ses enfants en fuite dans les bois : il les voyait pales, épouvantées, et il les appelait en leur tendant les bras; elles disparaissaient sans qu'il pût les atteindre.

Son ami Beauvais n'avait pas non plus quitté Paris, il venait assidûment voir Amaury et lui rapportait, en les commentant, les bruits du dehors.

« Nous serons bientôt délivrés, lui dit-il, la ville ne peut plus tenir, mais après les Prussiens, gare à nous nous aurons la guerre civile. Les

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Je vais y aller, je veux le voir!

Tu es fou! tu peux à peine te tenir debout! Tu m'aideras, tu me conduiras... >> Beauvais n'était pas contrariant; il aida son ami à s'habiller, lui arrangea bien le bras dans une écharpe, le couvrit chaudement et, le soutenant, il le conduisit jusqu'à la porte de l'ambulance. Le blessé, on les en informa, vivait encore, mais il était très bas. Beauvais s'assit dans un petit parloir, et Amaury entra seul dans la vaste pièce, encombrée de lits où souffraient et se plaignaient de pauvres gens, qui n'étaient pas nés pour être soldats. Benjamin était au fond de la salle. Une bonne sœur conduisit Amaury, en lui disant tout bas :

« Il n'en a plus que pour quelques heures, mais il s'est confessé. >>

Benjamin avait la tête posée droite sur l'oreiller, les yeux fermés; on l'aurait cru mort: il se réveilla de ce sommeil, frère qui précède la sœur, comme disait Saint Vincent de Paul, au cri d'angoisse que poussait un de ses malheureux voisins, et ouvrant les yeux, il regarda Amaury. « C'est moi, le mari de Lucie, me reconnaisezvous, Benjamin ? »

Il essaya de se détourner, et de ramener, de sa faible main, le drap sur son visage. Amaury serra cette main :

« Vous ne m'en voulez donc pas ? dit le pauvre garçon. Vous me pardonnez?

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qui mourait sans laisser de regrets, avec cette courte oraison funèbre :

« C'est bien heureux pour lui! »

Le lendemain fut le dernier jour du siège; quatre jours après, Amaury, convalescent à demi, partit pour Courseulles, le cœur rempli d'une joie inquiète; il se sentit peu à peu reprendre à la vie, en revoyant la campagne, belle encore sous sa robe d'hiver, ce qui délassait ses yeux fatigués des tristes spectacles qu'offrait Paris. A mesure qu'il avançait vers Courseulles, le calme devenait plus grand, on ne voyait plus de casques à pointe, les paysans travaillaient dans les champs, des chèvres broutaient le long des fossés ; cette série de tableaux paisibles calma l'esprit enfiévré d'Amaury. Il arriva à Courseulles, et courut à la maison où vivaient ses enfants: son cœur battait à rompre.

Les portes et les volets de la maison étaient clos: il frappa, on n'ouvrit point. La petite voisine qu'il connaissait accourut, le reconnut, et lui dit :

Entrez chez nous, Monsieur. >>

Il la suivit machinalement, elle le fit entrer : <Mes filles? ma belle-mère, où sont-elles? ditil d'une voix tremblante, car une inexprimable inquiétude l'oppressait.

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XVI

ON SE RETROUVE.

Il ne put trouver de chevaux ce soir-là, et il dut coucher à Courseulles; ce ne fut que le lendemain, à une heure, qu'il arriva rue Royale, et que la voiture le déposa à la porte d'une fort belle maison.

« Mademoiselle d'Hivray et les enfants y sontelles?

Oui, Monsieur, entrez. »

On l'introduisit dans un joli salon, qu'une portière séparait d'une autre pièce, où l'on entendait des voix confuses d'enfants.

« Les petites filles sont là? dit-il, en levant le rideau, il entra. »

Les deux enfants jouaient auprès du feu, Louise habillait un enfant de carton, Odile lisait un volume rose. Elle leva la tête, reconnut son père, quoiqu'il fût bien pâle, et bousculant le poupon qui ne cria pas, elle courut se jeter à son cou, en criant:

<< Papa, c'est toi! c'est toi, enfin ! »>

Louise vint à son tour, mais elle regarda son père, elle avait peine à le reconnaître; il la serra fortement sur sa poitrine, et elle dit alors:

Papa, je te reconnais, c'est toi ! tu m'embrassais comme ça ! »

Il avait tout oublié, en reprenant ses enfants, en retrouvant les chères épaves de son passé, la voix de Berthe le tira de son extase.

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Oui, notre bonne cousine; nous sommes chez elle, et elle a eu la pensée de me faire sortir du couvent et de me faire habiter sous son toit. Elle a appris, je ne sais comment, que la pauvre grand'mère de tes enfants n'était plus au monde, et elle est allée les chercher.... Mais, tiens, elle va t'expliquer elle-même toute cette histoire, mais ce qu'elle ne dira jamais, c'est combien elle est bonne ! »

Valentine entrait dans la chambre et de l'air simple, naturel, qu'elle avait toujours, elle vint vers Amaury :

« Je suis heureuse de votre retour, cher cousin, dit-elle en lui tendant la main ; vous avez couru bien des dangers?

- Il est blessé, dit Berthe.

Ce n'est rien, une misère. Ma cousine, comment vous remercier de vos bontés envers mes enfants!

- C'est bien simple, répondit-elle; pouvionsnous les abandonner? J'ai appris par un de mes fermiers de Courseulles, qui venait me prier de retarder son fermage, j'ai appris la mort de madame Thory; je suis accourue... vos chères petites filles m'ont bien payée de ma peine... elles nous ont souvent consolées des malheurs de notre pauvre pays. »

On causa longtemps.

Mais, dit enfin Amaury, comment se fait-il que vous ayez remis à la petite voisine la carte de Berthe et non la vôtre?

Parce que, dit-elle en rougissant un peu, j'avais pris, dans la précipitation de mon départ, le porte-cartes de Berthe, au lieu du mien; j'ai pensé, du reste, que son nom vous attirerait.

Et le vôtre! s'écria-t-il. »>

Valentine ne répondit pas : les petites filles grimpaient sur ses genoux, lui disaient des mots tout bas; elles semblaient dans les termes les plus intimes. On causa encore de Paris, du siège, et enfin, après avoir épuisé la coupe du passé, on parla de l'avenir.

« Vas-tu toujours rester à Paris? dit Berthe à son frère.

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Mais à nous deux, Amaury, nous resterons en... indi... indi.... je sais ce que c'est, je l'ai entendu expliquer à mon tuteur. Nous vivrons ensemble, je te donnerai tout mon argent; tu verras, tout ira bien, à condition qu'on ne vende pas le château, le bon vieux château!

- Cela n'est pas si facile, chérie ! » dit Amaury avec tristesse.

Car il pensait à ce qui aurait pu être, à ce qui ne serait jamais.

Quand il se trouva seul avec ses filles, il causa, et, sans les interroger, il apprit de quelles tendres bontés on les avait environnées. Odile, la plus avancée, parlait de sa pauvre mère-grand avec un sentiment de regret et de reconnaissance, mais l'amitié et les perfections de Valentine l'enthousiasmaient:

« Papa, tu ne saurais croire comme elle est bonne! Ma petite mère chérie, si elle vivait, ne ferait pas davantage. Elle nous donne des leçons, elle nous amuse. Louise, ce gros baby qui ne savait pas ses lettres, lit très gentiment, et moi, je sais l'Histoire Sainte! Ma cousine me fait coudre de petites chemises pour des pauvres enfants, et nous leur portons! c'est si amusant,

Elle joue avec nous, et tante Berthe aussi.... je crois que tante Berthe joue plus volontiers que ma cousine... c'est égal, nous nous amusons bien. Puis ma tante nous parlait de toi, père; on voit qu'elle t'aime bien... Ma cousine ne disait rien : elle ne te connait peut-être pas beaucoup, dis? »

Ce babil lui allait au cœur: il trouvait chez Valentine cette bonté, la première des vertus, qu'elle dérobait sous son extérieur froid et fier, mais qu'il avait connue jadis, qu'il avait appréciée, alors qu'il pensait que sa cousine deviendrait sa femme, et que toute sa vie il jouirait de cette douceur, de ce dévouement profond qui devaient créer pour lui une atmosphère si paisible et si noble. Des qualités plus brillantes l'avaient ébloui et entraîné, mais que le cœur qui l'avait charmé était indifférent et léger en comparairaison de celui de Valentine, et qu'il avait souffert exilé de sa patrie morale et des premières inclinations qui l'avait subjugué! Il comprenait maintenant l'étendue de sa faute et de ses erreurs, mais qu'y faire? Valentine, qu'il avait dédaignée, ne l'accepterait plus; il connaissait la pureté de son âme, et il ne pouvait douter qu'elle n'eût éloigné, comme une pensée coupable, tout retour vers le passé, et que l'affection qu'elle témoignait à ses filles ne pouvait s'étendre à leur père.

« C'est une pitié délicate, se disait-il; et rien, rien de plus. Ne pensons plus à elle. Lucie, la mère de mes enfants, a tous les droits sur mon souvenir et sur mon âme! Pauvre Lucie! enlevée si jeune!

Il voulait se rapprocher de Lucie, mais ô fragilité de l'homme! c'était à Valentine qu'il songeait. N'était-elle pas le choix de. sa mère? n'avait-elle pas témoigné à ses filles une affection spontanée et touchante! Quelle seconde mère elle serait pour eux! quelle charmante compagne pour Berthe! Comme tout s'arrangerait si...

Ces pensées le suivaient partout, elles devinrent plus continues et plus profondes lorsque, de retour à Hivray-Saint-Ouen, il vécut dans le calme de la campagne, en compagnie de sa sœur et de ses filles. Là, le passé prenait un corps, et il semblait dire Relie-nous à ton avenir....... ne nous rejette pas une seconde fois...

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Il éloignait ces images séductrices de sa pensée, et il se plongeait dans les affaires et les chiffres, sorte de bain glacial qui chasse les bouffées de l'imagination; ni les affaires ni les chiffres qu'elles produisaient n'avaient rien de charmant, elles le ramenaient à la réalité, en lui rappelant qu'il avait dépensé sept années de sa vie, une belle partie de sa fortune, et qu'il ne lui restait du passé que des remords, des regrets et deux enfants sans mère... Pauvre Lucie ! il songeait à elle avec une tendre pitié, en se reprochant d'avoir dérangé, par une passion irréfléchie, cette humble destinée, et la sienne, qui devait être si heureuse. Il en demandait, et du fond de l'âme, pardon à Dieu.

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Coilettes des Magasins de la Scabreuse, rale l'a Paix. 10. Rubans & Passementeries de la Ville de Lyon, 6, de la Chausée d'Antin Canturerie Europeene de la Mineaud

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