Page images
PDF
EPUB

dans quelques heures, se rendaient aux églises pour s'y disposer à la solennité religieuse; ou visitaient les boutiques pour y préparer les réjouissances du foyer.

Dans un appartement de la rue d'Aguesseau plusieurs domestiques luttaient d'activité, car la journée s'avançait et il restait encore des lustres à garnir, des banquettes à placer, des arbustes à disposer pour le soir.

Au milieu du salon, dans une caisse dorée, un jeune sapin dressait jusqu'au plafond ses rameaux chargés d'innombrables bougies et de coû teuses bagatelles, et devant cette chatoyante pyramide s'émerveillaient deux petites filles :

« Décidément, c'est réussi ! constatait l'une d'elles d'un air capable. L'arbre de Noël de madame Verne était cent fois moins beau l'an dernier sa fille Laure sera furieuse.

[blocks in formation]

Pour te déguiser en Auvergnate?

Non pour les donner au pauvre ramon

neur qui a des souliers percés. »

En ce moment, le cri du Savoyard retentit dans la rue. Sylvie s'approcha de la fenêtre et souleva le rideau :

« Ses coudes aussi sont percés, remarqua-t-elle avec compassion. Tiens, Marthe, je suis toute triste de penser que nous aurons des costumes neufs pour tirer une loterie et danser pendant que tant de pauvres petits enfants ne tirent jamais de loteries et manquent d'un tas de choses.

Certainement, c'est triste. Voilà pourquoi il n'y faut pas penser. Parlons plutôt de notre bal d'enfants. Tu n'en as jamais vu, ma pauvre cousine, et cela te paraîtra le plus joli rêve du monde. J'aimerais mieux...

[ocr errors]
[blocks in formation]
[blocks in formation]

Mais oui, Marthe... l'oncle Abel y était... Madame Delétang, qui inspectait les préparatifs, survint alors pour modifier plus d'un arrangement; tout en rectifiant quelques fautes de goût des domestiques, elle faisait répéter aux deux enfants une révérence à la mode.

Du premier coup, Marthe avait saisi la manière en vogue d'incliner la tête et d'arrondir le bras; mais Sylvie montrait moins de dispositions aux belles manières et sa tante commençait à s'impatienter quand parut l'importante Palmyre. < Une demoiselle mal mise demande si madame peut la recevoir, dit-elle.

[blocks in formation]

La troisième manquait absolument de jeunesse et de beauté.

« C'est une étiquette bourgeoise, cette fille! Cherchons ailleurs. >>

La quatrième pouvait remonter la chronologie de ses aieux jusqu'à Louis VII.

« Il nous faut moins de quartiers ! »

L'une parlait trop de langues étrangères pour savoir bien la sienne; l'autre possédait la sienne trop à fond pour entrer dans les finesses d'un idiôme différent. Celle-ci, excellente artiste, n'en. tendrait rien à un enseignement général et pratique; l'esprit très mathématique de celle-là ne saurait s'élever jusqu'aux domaines de la poésie. D'autres se contentaient d'émoluments si minimes que cela semblait un aveu d'infériorité; et d'autres encore exprimaient de telles prétentions que madame Delétang s'en effrayait pour ses comptes de tutelle.

Cependant, lasse de chercher sans succès, elle se trouvait dans une phase de découragement qui l'exposait à la merci des circonstances, quand Palmyre annonça d'un air quelque peu dédaigneux :

« Mademoiselle Philomène Ludre.

[blocks in formation]

approcha de ses yeux un lorgnon pour la regarder et attendit dans un silence qu'elle trouvait fort majestueux.

A son grand étonnement, cette attitude ne déconcerta nullement la visiteuse, qui parut à peine la remarquer. Tirant de sa poche un carnet défraîchi, qu'elle ouvrit sans hâte ni lenteur, elle en sortit une enveloppe parfumée et la remit à madame Delétang.

Celle-ci la décacheta, toujours silencieusement, et lut:

◄ Chère belle,

» J'ai trouvé « l'oiseau rare» bletti dans un trou • qui lui servait de nid ou de cage, comme vous » voudrez. Ladite cage ou ledit trou se nomme › Saint-Michiel, une bourgade meusienne. On » n'y fabrique ni des confitures épépinées, comme › à Bar-le-Duc, ni des dragées surfines comme à › Verdun, ni des madeleines incomparables » comme à Commercy, ni aucune des merveilles › gastronomiques originaires de ce gourmet pays. » En revanche, la cour d'assises y tient ses quatre ⚫ sessions annuelles et les horticulteurs du ter› roir y poursuivent la découverte du dahlia bleu. » Entre les émotions de la cour d'assises qu'elle » évitait et la culture du dahlia couleur des » cieux, hors de sa portée, l'oiseau rare qui s'ap⚫ pelle Philomène Ludre vivait sans autre raison » d'être que d'enseigner l'orthographe à quel» ques bambines mal peignées, uniquement pour » subvenir aux frais d'éducation d'un jeune gar

› nement qu'elle se reconnaît pour neveu. Les » frais s'élevant hors de proportion avec les res» sources de Philomène et la bonne fille ne pouvant imiter l'héroïsme du grand pélican blanc, › je l'ai engagée à déployer ses ailes pour aller » chercher au loin les nombreux grains de mil › nécessaires à l'engraissement intellectuel du » lycéen.

» Elle se rend à mes avis; je vous l'expédie par » le premier train; remerciez-moi d'avance et » prenez-la. Je vous le répète, c'est l'oiseau rare : > instruite et modeste; sérieuse, et cependant »> naïve comme une pensionnaire, sévère pour ⚫ elle-même, indulgente pour autrui; dévote sans étalage ni superstition.

› Ajoutez à ces perfections que, les ignorant, » elle n'est nullement gênante et se contente du › dernier rang, et vous aurez la photographie » morale de ce précieux objet!

» Il est cependant quelques taches à son soleil, » je dois l'avouer : Philomène raccommode ses » gants, porte des bas de filoselle et dit « sa › dame !!!>

› Mais vous saurez tirer ses gants, tirer ses bas, » tirer « sa dame, » et moi je vous tire... ma révé

>> rence.

» Vicomtesse FOLSK.

› P. S. A propos, elle a aussi le tort de faire un signe de croix ostensible au Benedicite! » MÉLANIE BOUROTTE. (La suite au prochain numéro.)

ÉCONOMIE DOMESTIQUE

SAUCES

Sauce au vin de Madère.

Un demi-kilo de maigre de bœuf coupé en tranches que l'on fait roussir dans du beurre. Quand la viande est colorée et que le jus commence à s'attacher au fond de la casserole, ajoutez un peu de bon bouillon, et laissez cuire pendant une heure. Pétrissez de la farine et du beurre jusqu'à ce que les deux substances soient bien mélangées. Passez dans ce mélange le jus de la cuisson du bœuf, ajoutez un verre de vin de Madère, faites cuire pendant six minutes; au moment de servir, encore une goutte du même vin, mais plus d'ébullition.-Cette sauce accompagne un filet de bœuf, un jambon.

SOLES A LA DIEPPOISE.

Faites cuire des filets de soles dans du vin blanc, faites cuire à l'eau quelques moules, sortez-les de la coquille, ajoutez-les autour des soles, avec un peu de ciboulette et d'estragon finement hachés

SALADE D'ARTICHAUTS.

Épluchez quelques artichauts, ôtez-en le foin, coupez les fonds en morceaux, assaisonnez comme une salade ordinaire et, si vous le pouvez, ajoutez-y quelques tranches de truffes cuites dans du vin blanc.

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small]

› Pour régner sur ta race, il lui faut des prophêtes, Sa grâce, des sermons, des théologiens,

» D'interminables chants dans de lugubres fêtes, » Des légions d'abbés et d'anges gardiens.

Il lui faut des martyrs, l'innocence des vierges, » Les veilles dans le jeûne et dans le célibat, » Les mille objets bénis à la lueur des cierges, L'éternelle prière et l'éternel combat.

› J'en ris. Il me suffit, à moi, d'une seconde,
» D'un jouet, d'une fétu pour vous déconvertir!...
» Enfin, il s'est donné pour racheter un monde
Qu'avec un peu de FOIN, je devais abrutir!...

Vois ces feuilles d'aspect et de senteur sauvage » Qui sur l'aile des vents viennent de l'autre bord: › LUI seul et moi pourrions calculer le ravage... » Mais le moine effrayé gisait comme un corps mort.

Le lendemain, quand l'aube eut ramené le calme,
Le saint homme aperçut, debout dans l'angle obscur
De sa chambre, tout près de sa couche, une palme...
La palme de Satan : UN PIED DE TABAC MUR!

ALPHONSE BAUDOUIN.

REVUE MUSICALE

1

[blocks in formation]

Celles de nos lectrices qui ont entendu la Symphonie Pastorale de Beethoven se souviennentelles de ce mystérieux piccicato qui ouvre l'Orage en fa mineur dans cette œuvre admirable?

Eh bien la pluie, une vraie pluie antédiluvienne, qui frappe et clapote contre les vitres de la croisée à l'instant même où nous écrivons, une pluie pareille, avec son bruit cristallin et mesuré, rappelle absolument ce piccicato que nous citions tout à l'heure.

Sommes-nous vraiment en mai? O Lune Rousse! tu n'en fais jamais d'autres. Avons-nous rêvé? Avons-nous bien vu le lilas prêt à s'épanouir et la haie se couvrir de ses mille petites feuilles verdoyantes? Est-ce que la belle fête de

Pâques n'a pas été illuminée par les gais rayons d'un soleil printanier? Mais oui ! Nous nous souvenons bien. Ce n'étaient que fêtes et que sourires; toute la population parisienne, clouée au labeur quotidien, se précipitait hors de la grande ville par tous les wagons en disponibilité. Le poète s'en allait déjà rêver, au bord du chemin, à quelque idylle nouvelle, et le collégien, charmé de cette halte au doux foyer, revoyait avec joie la famille, les longues courses, et les agrestes promenades. O Lune Rousse! tes cataractes se sont abaissées sur tant d'innocentes joies! Que nos malédictions te poursuivent!... Eh bien, non! En y réfléchissant, tu es moins rousse et moins maligne qu'on ne le croit généralement. Un été précoce menaçait d'enlever à notre Paris une bonne partie de ses habitants. Déjà, en plus d'un lieu, les préparatifs de départs prématurés s'acti vaient, s'accéléraient, se pressaient; c'était un presto sur toute la ligne, c'était à qui se hâterait,

à qui fuirait le plus vite... O Lune! et tu es arrivée, et tu as versé tes ondes menaçantes, et tu as soufflé tes bises glacées, et chacun s'est arrêté cloué au sol comme par le magique rameau de Robert le Diable. Merci donc, Lune Rousse; les amis avaient échangé le triste serrement de main de l'adieu, et, grâce à toi, le coin du feu s'est repeuplé; les aimables et folles causeries ont recommencé autour de la grande table de la veillée; enfin, grâce à tes aimables rigueurs, c'est un petit hiver qui surgit-hiver bien court, si court, qu'à l'heure où paraîtront ces lignes, les chauds rayons de juin auront sans doute effacé jusqu'au souvenir même de tes frimas agonisants.

Après tout, qu'il pleuve, qu'il grêle ou qu'il tonne, ce n'est pas précisément notre affaire. Il y a de belles et bonnes journées en toutes saisons, comme il y a des plaisirs pour tous les âges.

L'art musical, ce plaisir des délicats, qui tient une si importante place dans la vie parisienne et qui a le privilège de nous charmer depuis l'adolescence jusqu'à la vieillesse, n'a pas fermé ses temples, mais l'activité du culte semble s'y ralentir.

Sur nos principales scènes lyriques on n'a guère que des reprises à signaler; dans les théâtres de valeur secondaire nous avons renoncé à la difficile mission de glaner, car nos jeunes lectrices, dont pour la plupart le goût est à former, distingueraient avec peine quelques bons grains parmi tant d'ivraie.

C'est donc à la source inépuisable des concerts que nous voulons aujourd'hui emprunter les éléments de notre rapide analyse.

Pour être fidèle à notre promesse, il nous faut remonter tout d'abord au festival Gounod, donné dans le palais des fêtes du Trocadéro, avec le concours de quatre cents exécutants. L'orchestre et les chœurs, placés sous la direction du grand compositeur, ont exécuté plusieurs œuvres de ce maître avec une remarquable entente, et toute la gravité de style que réclame la majesté du sentiment religieux.

La messe de Sainte Cécile, où se trouvent de nombreuses pages d'un splendide effet, et dont madame Brunet-Lafleur, messieurs Fürst et Taskin ont encore relevé le mérite par leur interprétation irréprochable; Gallia, où mademoiselle Bloch chanté les solos d'une voix si pénétrante, si désolée, qu'un frisson involontaire a parcouru tout l'auditoire, ont été salués par de vifs applaudissements.

Un accueil enthousiaste a été fait à la Marche funèbre pour l'enterrement d'une Marionnette, << une perle, un véritable bijou », comme l'a dit avant nous un juge des plus compétents. Aussi les honneurs du bis qui lui ont été décernés en ont fait le plus grand succès de la séance. Nous n'avons pas pu nous expliquer pourquoi, parmi toutes ces pages magistrales et d'une si haute va

leur, l'auditoire n'a trouvé que cette unique pièce digne d'être bissée.

Nous aurions voulu rendre compte plus tôt d'un événement artistique du plus haut intérêt, et qui malgré notre involontaire retard ne saurait manquer de captiver l'attention des amateurs de choix.

Il s'agit de la fête, presque sans précédent, que madame la princesse Marie de Nar vient de donner en son hôtel de l'avenue d'Eylau pour l'inauguration de la charmante salle de spectacle qu'elle y a fait construire dans un but où l'art et la charité se tiennent par la main.

Cette solennité musicale, donnée au profit de l'Orphelinat de jeunes filles de la paroisse SaintHonoré, et aux frais personnels de la princesse, réunissait l'élite de la société parisienne et cosmopolite, qui, naguère encore, faisait les beaux soirs du Théâtre-Italien.

Nous ne serions pas éloignée de croire qu'à la noble pensée de créer une œuvre philanthropique est venue s'ajouter celle non moins élevée de réparer l'outrage fait à l'art et aux célèbres maîtres italiens par le vandalisme contemporain.

Si le temple est détruit, les idoles demeurent, et la hache de la spéculation ne saurait entamer celles qui se nomment: Il Barbiere, Sémiramide, Lucia, I Puritani, Norma, La Sonnambula, etc., etc.

Il ne restait donc plus à madame la princesse de Nar qu'à leur faire les honneurs du nouveau et poétique palais qu'elle leur destine, et elle s'en est acquittée en grande artiste, autant qu'en noble dame.

Aussi, les idoles charmées ont-elles manifesté leur reconnaissance sous la forme d'une véritable pluie d'or, tombant tout entière dans la caisse de l'Orphelinat.

C'est pour la représentation de la Sonnambula, de Bellini, que l'hôtel de Nar a ouvert les portes de son théâtre au dilettantisme parisien.

La grande attraction de la soirée était d'entendre la princesse de Nar, dans le rôle si difficile d'Amina, à côté d'autres artistes italiens fort distingués.

Dès les premières mesures de ce vaporeux cantabile:

Come per me sereno,

il a été facile de se convaincre que l'on était en présence d'une grande artiste et d'une cantatrice de véritable talent on sent que de sérieuses études sont venues féconder une nature admirablement douée.

Dans la magnifique phrase du premier duetto.

Ah! vorrei trovar parola,

qu'elle a dite avec une expression si vraie, si bien sentie, de chaleureux bravos se sont élevés sur tous les points de la salle, tant il est vrai qu'une seule note qui va au cœur et l'émeut fait

« PreviousContinue »