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de quelque nom sacré qu'ils se couvrent, patriotisme ou religion, atteignent rarement le but visé par eux, et se retournent souvent même contre leurs auteurs. Le massacre du 24 août est de ce nombre. Sur tout le territoire français, les réformés échappés au carnage avaient repris les armes; de toutes parts on escarmouche, on se tue sans merci ni pitié. Aubigné, l'un des premiers, ne s'y épargne pas. Il voudrait se rendre en Saintonge, où se concentrent les forces de son parti; mais il en est loin, l'argent lui manque. Isolé, entouré d'ennemis et de périls, que peut-il faire? Pour se donner le temps de la réflexion, il se retire près du bon sire de Talcy. Il y retrouve Diane et toutes les émotions que sa vue lui a causées; néanmoins, toujours ferme dans la résolution de se taire et d'obéir à l'honneur, il confie au vieux seigneur son intention de gagner la Rochelle, et le triste état de pénurie qui l'empêche de mettre ce dessein à exécution.

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« Le vieillard répliqua : Vous m'avez dit >> autrefois que les originaux de l'entreprise » d'Amboise avoient esté mis en depost entre les » mains de vostre père, et qu'en l'une des pièces, » vous aviez vu le seing du chancelier de l'Hos»pital, qui pour le présent est retiré en sa maison » d'Estampes. C'est un homme qui ne sert plus » de rien, et qui a desadvoué vostre party; si › vous voulez que je luy envoye un homme pour l'advertir que vous avez cet acte en main, je me fais fort de vous faire donner dix mille es» cus, ou par luy ou par ceux qui serviroient ⚫ contre luy. »

S'il est un nom vénéré dans nos annales, c'est celui du chancelier de l'Hôpital. L'associer à l'idée d'un complot ne peut venir à l'esprit de personne. Quelle était donc la pièce compromettante qu'Aubigné avait en sa possession Il n'en dit rien. Mais la modération et le patriotisme désinteressé sont, en temps de guerre civile, suspects aux partis extrêmes. Des tentatives d'apaisement faites par le chancelier lors de la conspiration d'Amboise, des relations qu'elles avaient nécessitées de sa part avec les chefs protestants, sans doute il subsistait quelques traces. Elles suffisaient pour l'incriminer devant la politique violente qui prévalait dans les conseils de la royauté. Déjà n'avait-il pas fallu qu'un ordre exprès et personnel de Charles IX vint arrêter les coups d'arquebuse de la Saint-Barthélemy, qui

couraient chercher l'illustre vieillard jusque dans sa retraite, et lui permit d'y déplorer en silence les maux de la patrie, qu'en vain il s'était efforcé de conjurer?

Quant au conseil que le sire de Talcy donnait à son jeune et besogneux ami, à moins que, par là, il ne voulût secrètement l'éprouver, comme la suite du récit autorise à le croire, que peut-on bien en dire, si ce n'est que ce conseil était tout simplement infâme? Il semble qu'aux époques troublées, le sens moral individuel se trouble aussi et perde le droit chemin. « C'est un homme qui ne sert plus de rien, » dit naivement l'honnête seigneur. Cet homme dès lors n'a droit à aucun ménagement. Voyons l'usage qui va être fait de ce principe utilitaire.

« Sur ces paroles, Aubigné va quérir un sac › de velou fané, fit voir ces pièces, et, après y » avoir pensé, les mit au feu: ce que voyant, le » seigneur de Talçy le tança; la réponse fut: » Je les ai bruslées, de peur qu'elles ne me brus» lassent, car j'avais pensé à la tentation. Le » lendemain, le bonhomme prit l'amoureux par » la main avec tel propos : Encore que vous » ne m'ayez pas ouvert vos pensées, j'ai de trop » bons yeux pour n'avoir pas descouvert votre » amour envers ma fille. Vous la voyez recherchée > par plusieurs qui vous surpassent en biens, →→ » Ce qui estant advoué, il poursuit ainsi : Les » papiers que vous avez bruslés de peur qu'ils » ne vous bruslassent m'ont eschauffé à vous » dire que je vous désire pour mon fils. Au» bigné respond: - Monsieur, pour avoir mes» prisé un thrésor médiocre et mal acquis, vous » m'en donnez un que je ne puis mesurer. »

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La leçon de loyauté généreuse donnée par le jeune homme au vieillard avait profité, et la façon dont le sire de Talcy la paie nous réconcilie avec lui.

Le père, la fille, le jeune amoureux étaient d'accord; mais à côté d'eux, étrangère à leurs affections et à leurs espérances, la famille s'émeut. Diane de Talcy et Agrippa d'Aubigné n'appartenaient pas au même culte. Un oncle, chevalier de Malte, se révolte à l'idée que sa nièce puisse devenir la femme d'un huguenot. Devant cette opposition qui se déclare, le seigneur de Talcy recule, et finit par retirer sa parole. APHÉLIE URBAIN.

(La suite au prochain numéro.)

BIBLIOGRAPHIE

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POÈTES

Impressions de Voyages et d'Art.

PAR MADAME ALPHONSE DAUDET (1)

Dans ce volume, première publication d'une jolie plume féminine, nous choisirons quelques vers qui nous semblent empreints de grâce et de poésie domestique, car c'est là, semble-t-il, la pente du très véritable talent de madame Daudet; ce talent sort de sa voie lorsqu'il admire et recommande les écrits des chefs de l'école naturaliste, et quoique ses éloges soient remplis de tact et de mesure, il est certains noms, il est certaines œuvres que l'auteur devrait ignorer : une plume aussi chaste ne doit ni les écrire, ni les décrire. Mais qui n'aimerait ces gentils vers, si vrais et si doux, si maternels, que toutes les jeunes mères liront avec plaisir ?

LA CHAMBRE AUX JOUJOUX

Voici la première gelée:
Nous ferons du feu le matin,
Pour fondre à la vitre étoilée
Ces ramages de blanc satin.

Le soleil, dans sa brume rose,
N'a plus ni chaleur, ni clarté.

Il faut, dans la chambre bien close,
Ranger tous les joujoux d'été.
Quelques gouttes de la fontaine
Se glacent dans l'arrosoir vert,
Car la fin de l'automne est pleine
De la menace de l'hiver.
Il reste une fine poussière
Sur la brouette de bois peint,
Le ballon, dans sa rondeur fière
Et grise, semble un astre éteint.
Laissons les volants, blanches ailes,
Sur les raquettes, nids vibrants,
Ils attendront les hirondelles
Et tous les oiseaux émigrants.
Mets auprès ta petite pelle,
Par qui ton jardin fut tracé;
Le rateau menu me rappelle

Les beaux jours de l'été passé.

(1) Chez Charpentier, rue de Grenelle-Saint-Germain, 13. Prix : 3 fr. 50.

Plaçons sur les plus hautes planches
Les flèches; de ton arc doré

Elles s'élançaient vers les branches
Dans un vol court, désespéré.
Nous plierons la gaze fragile,
Où se prenaient les papillons.
Il faut nouer la corde agile

Du cerf-volant plein de rayons.

Et tes nacelles, suspendues

Aux murs comme au flanc des vaisseaux,
Attendront que les caux fondues

Se séparent en clairs ruisseaux.

Cela est jeune et vif et riant; les vers suivants plus graves, charment l'oreille et la pensée :

Je voudrais revivre ma vie,
Jour par jour, avec la raison
D'une intelligence asservie
Que ne tente plus l'horizon.
Relire tout entier mon livre
Sans me håter et sans frémir,
De la page où l'on se sent vivre
A celle où l'on se voit mourir.

Plus d'attente ni de surprises,
Et les bonheurs sans lendemain,
Feuilles roses all revers grises,

Ne feraient pas trembler ma main.

J'aime à louer ce gracieux auteur, et il y aurait certes davantage à lui emprunter et à en citer, mais un autre petit volume demande un mot d'introduction: il ne fut pas tracé par une main blanche, ni écrit sous de beaux ombrages; les Poésies d'un Ouvrier forgeron qnt fait la consolation d'un homme courageux, voué à de rudes labeurs et que la muse rafraîchissait de son souffle; ces chants n'ont pas de gaieté; ils ne peignent pas la vie élégante et douce d'une femme du monde, mais, oserai-je le dire? les sentiments chrétiens et résignés de ce pauvre artisan sont souvent peut-être plus élevés que ceux de la brillante parisienne. Il dit ses ennuis, ses fatigues, ses travaux, et il chante Dieu qui l'a soutenu et fortifié : Dieu est si bon pour les petits et les humbles! Voici des vers où Jean Reignier nous peint son atelier, et certes, l'on peut compatir aux peines qu'un sort inclément inflige à une âme délicate :

Comment suis-je tombé vivant dans cet enfer,
Où l'énorme pilon, qui broie et tord le fer,

Où les pesants marteaux et les limes mordantes
Jettent dans l'air troublé leurs notes discordantes,
Pendant que la vapeur, de son souffle brutal,
Ebranlant les parois de son corps de métal,
Sur leurs axes polis, que le calcul dirige,

Fait tourner cent métiers, à donner le vertige !...
Sur leurs gradins luisants fait siffler et courir,

Et descendre, et monter, de longs serpents de cuir;
Fait heurter à grand bruit les dents des engrenages,
Pivoter en tous sens d'innombrables rouages,
Grincer le dur acier, sous l'outil qui le mord,
Comme un rival qui lutte et cède avec effort,
Et gronder dans leur coin le tour et la cisaille,
Deux géants noirs, scellés dans la pierre de taille.
Mes tristes compagnons, ayant pour la plupart
Une orgie à l'esprit, sur la lèvre un brocard,
Entonnent des chansons, mille fois répétées,
Filles des carrefours, par le peuple adoptées;
Ou sifflent de vieux airs en battant le pavé
D'un énorme sabot, lourdement soulevé ;
Ou se tordant le corps, se contractant la face,
Provoquent un gros rire en faisant la grimace!...
Seigneur.....

Si tu bénis les pleurs de l'homme, ton enfant,
Tu m'as beaucoup remis, car j'ai pleuré souvent.
Tu m'as beaucoup aimé, Seigneur !... Je me rappelle
Qu'au milieu des écarts de mon passé rebelle,
Au sein de la nuit sombre où j'étais sans secours,
L'orgue et les hymnes saints m'attendrissaient tou-

[jours; ]

Que je ne passais point près de l'humble chapelle
Sans mettre avec plaisir chapeau bas devant elle,
Et que tout près du Christ qu'on voit parfois au bord
Du chemin isolé, mon cœur battait plus fort.
Je me rappelle aussi que, dans le cercle impie
Où chacun te jetait la pierre et l'ironie,
Des quolibets honteux qui t'allaient outrager,
J'éprouvais le besoin pressant de te venger.
Il me semblait entendre une voix bien connue,
Triste, qui me disait : « Celui que l'on conspue,
» Que dans ce lieu coupable on traîne au pilori........
>> Malheureux! lève-toi! c'est ton meilleur ami! »>

Le sentiment le plus vrai palpite dans ces beaux vers (1). De même une ardeur patriotique a dicté à un vieux soldat une série de petits poèmes, intitulés la France héroïque (2). Toutes les gloires de la patrie y sont noblement célébrées, dans des vers pleins d'âme et d'une allure facile, auxquels on regrette pourtant que se puisse reprocher parfois quelque peu de prosaisme. Je citerai des strophes de la préface. Elles recommanderont ce livre aux frères de nos lectrices.

Non; j'ai pris des héros à la mémoire pure,
Que l'histoire les ait ou non glorifiés;
De ces cœurs dévoués sans calcul, sans mesure,
Qui, martyrs du Devoir, se sont sacrifiés!
Leur vertu n'était pas une vaine apparence:
Pour sauver le Pays quand ils se sont offerts,

Ils n'avaient qu'un seul but : le salut de la France,
Et la France a gémi des maux qu'ils ont soufferts.

(1) Chez Danel, Lille. Prix, 50 c.

(2) Librairie Fischbacher, 33, rue de Seine. Prix: 3 fr.

De ces types d'honneur l'auréole est sans tache :
Ils laissèrent au monde un nom immaculé:
Nom humble quelquefois que le passé nous cache,
Et j'aurai du mérite à l'avoir révélé;

Car je les ai choisis, ces modèles sublimes,
Avec un soin sévère, où je les ai trouvés;
Prenant mon idéal dans les classes infimes,
Comme je le cherchais dans les rangs élevés.
C'est pourquoi j'ai dépeint l'audace, la bravoure
De nos fiers paysans, de nos preux villageois;
Dessinant, à côté du héros qui laboure,
L'admirable profil d'intrépides bourgeois.

C'est pourquoi dans mon livre une héroine obscure,
Mais digne du grand jour, apparaît tout en deuil
Derrière Jeanne d'Arc, ravissante figure,

Et près de Jeanne Hachette au front brillant d'orgueil.
C'est pourquoi dans mes vers soldat ou capitaine
Occupent tous les deux le même piédestal;
C'est pourquoi l'on y voit l'épaulette de laine,
Le casque du guerrier, l'habit du général.

LA FILLE AU VAUTOUR

PAR MADAME DE HELLERIN

Ce livre, œuvre d'une dame autrichienne, est certainement un des plus beaux romans que l'on puisse lire; il retrace admirablement les mœurs des habitants du Tyrol, et il est empreint d'une grandeur et d'une énergie que la délicate plume française atteint bien rarement. Les paysages sont peints avec un art et une vérité admirables, et le caractère de Wally, la Fille au Vautour, si ardente, si rude, si noble néanmoins, intéresse comme s'il s'agissait d'une personne vivante. Madame de Hellerin a donné à cette sauvage Wally une vie que madame Sand n'a jamais su insuffler à aucune de ses héroïnes; on plaint Wally maltraitée par son père, on plaint Wally dans sa solitude des Alpes, seule avec son vautour, on la plaint encore lorsqu'un amour méprisé la pousse au crime, on prend compassion de sa pénitence, et l'on se réjouit lorsqu'après tant de malheurs se lève enfin pour elle une aube de félicité. Le caractère du curé est original et touchant; seul ami, seul conseiller de Wally, il la conduira au repentir et au bonheur, et il communique à cet ouvrage une empreinte de grandeur morale qui éclate au milieu des passions mises en jeu et de la nature pastorale qui leur sert de cadre, comme les chapelles que l'on trouve dans ces âpres montagnes et qui dominent ces pauvres hameaux. Aux personnes qui lisent des romans, nous recommandons la Fille au Vautour. La traduction en est très élégante et très facile (1). M. B.

(1) Un volume, chez Hachette. Prix: 3 fr. 50.

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Costumas de

Coilettes de Melle vida], p Richelion. 104. Modes de M. Tarot, r. Favart 4-M"." Lacroix, Spécialité pour petits Garçons. B. Hausmann: 62– Foulards de la Compagnie des Indes. 13 Haussmann 34. Parfums de la M. Guerlain, i do la Tine:

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