Page images
PDF
EPUB

il termina sa lugubre tâche dans l'ombre de la nuit! Sylvie dormait en souriant pendant que l'apoplexie foudroyait son second père; aucun pressentiment n'éveilla la fidèle Nanon; mais Lion s'échappa de la Terrade, et des passants attardés l'entendirent hurler sous les fenêtres du vieillard.

Quelques semaines plus tard, les roses fleurissaient dans le jardin de l'oncle Abel; mais personne ne songeait à les cueillir, et les herbes folles envahissaient librement les allées que ratissait naguère la main du maître; les oiseaux favoris gazouillaient encore dans les cages suspendues aux fenêtres; mais aucun joyeux visage n'apparaissait à ces fenêtres closes. Dans la cour plantée d'arbustes, peu de traces de pas se marquaient sur le sable et le silence régnait ininterrompu; mais dans la maison la vieille cuisinière s'agitait avec maussaderie, rejetant sa mauvaise humeur sur une jeune voisine qui l'aidait maladroitement.

« C'est-il Dieu possible de se donner tout ce tintouin pour une étrangère, grommelait-elle, quand mon pauvre maître ne pensait pas seulement à faire laver les vitres! ça n'est pas pour lui qu'il fallait récurer les casseroles et démolir les toiles d'araignées! Il n'en cherchait pas si long, le cher homme ! il n'y regardait pas de si près ! » Un bruit de verre cassé, accompagné d'un cri, coupa court à son monologue.

Catisson, en exerçant son activité contre une vitre crasseuse, l'avait traversée de son poing rougeaud :

Ceci prouve les inconvénients de la propreté, n'est-il pas vrai Nanon?

Tiens! c'est vous, monsieur Jean? Je ne vous avais pas vu entrer. Que voulez-vous ! on est si tellement occupé à la Châtaigneraie depuis deux jours qu'il faudrait quatre bras et quatre-z-yeux pour y suffire.

Ah! dame ! maître Pousselin ne badine pas : il tient à prouver son zèle à sa cliente.

- Aux dépens d'autrui, n'est-ce pas ? Voyezvous, monsieur Jean, j'ai tant lavé, tant frotté, tant brossé, tant épousseté, depuis quarante-huit heures, que l'estomac m'en tire; je tousse comme notre vieux chevau. Et vous verrez qu'il ne sera pas encore satisfait, ce notaire de malheur!

Comme pour justifier la supposition de la vieille servante, maître Pousselin qui descendait de voiture devant la porte, donnait, dès le seuil, plusieurs preuves de mécontentement :

Comment! des balais dans la cour, des baquets -dans le vestibule, des brosses dans l'escalier! mais cela n'en finit pas ! en vérité les écuries d'Augias furent mondées plus vite que cette maison.

« Augias toi-même, fit la vieille Nanon, mise

en défiance par cette incompréhensible comparaison.

Le train de Paris sera à Aubusson dans deux heures, reprit le notaire; je tiens à ménager mon cheval, je n'ai donc pas de temps à perdre. Où est la petite?

[ocr errors]

Mademoiselle n'est pas habillée », répondit Nanon, appuyant d'un air de dignité, sur le mot mademoiselle.

Le notaire haussa les épaules avec impatience. « Vite, qu'on la débarbouillle, et en route! » Nanon sortit avec une lenteur affectée ressemblant à une protestation.

Tandis qu'elle procédait sommairement à la toilette de Sissi, maître Pousselin entra dans le salon, où il trouva Jean feuilletant des brochures. Monsieur le baron de la Courtine, votre serviteur de tout mon cœur. Êtes-vous là depuis longtemps? Pour moi, « je n'arrive que » dit le notaire, fidèle aux locutions du pays. Seriez-vous des nôtres, par hasard?

« Ce n'est point par hasard, Monsieur Pousselin, mais pour adoucir à Sissi, par la présence d'un ami, la petite épreuve qu'elle va subir. »

Une épreuve, monsieur le baron, une épreuve ! Se rendre au-devant de Madame la Comtesse de Létang sa tante bien-aimée, vous appelez cela une épreuve !

D'abord, la comtesse dont il s'agit n'a droit à aucun titre; ensuite, elle ne s'appelle pas de Létang, mais Delétang en un seul mot; et puis, elle n'est pas la vraie tante de Sissi, mais seulement la veuve de son oncle; enfin, elle ne peut pas être bien-aimée de ma petite amie, puisqu'elle ne lui a point donnée signe de vie jusqu'à ce jour. Le notaire se mordit les lèvres.

Et c'est pour ces quatre raisons, reprit-il, que monsieur le baron donne le nom d'épreuve à...

Mon Dieu, mon cher notaire, pour me prodiguer ce titre, attendez que je sois en âge de le porter dignement, comme mon père l'a fait. Quant à l'épreuve en question, je maintiens le mot Sissi, plongée dans ses regrets, voit avec peine une étrangère remplacer son oncle bienaimé, dans sa propre maison où elle le cherche encore. D'après ce que vous lui en avez dit, cette étrangère, sa tutrice, dont la fille partage avec Sylvie la succession du vieil oncle, veut désormais apporter ici de complets changements; elle n'y laissera d'ailleurs pas sa pupille, et se propose de l'emmener quand...

Est-ce la chambrière, Nanon, qui peut faire l'éducation de cette personne, avec Catisson pour sous-maîtresse, monsieur?

Jean baissa la tête et, d'un air dépité, martela de ses doigts un guéridon.

La porte s'ouvrit. Une forte odeur de pommade rance emplit le salon, et Sissi parut. Ses boucles blondes écrasées sous un pot de graisse se collaient lourdement à ses tempes; sa robe noire taillée dans des prévisions de croissance par une

couturière du crû, lui tombait jusqu'aux talons et un petit châle reteint, découvert par Nanon dans le fond d'une armoire, l'étranglait, retenu à son cou par une grosse épingle.

« Mademoiselle est habiliée ! fit Nanon, du ton d'un maître d'hôtel annonçant :

Madame est servie.

Pauvre petite Sissi ! le deuil a tant de majesté, l'enfance est tellement touchante, que nul, en vérité, n'eût osé sourire devant son invraisemblable accoutrement.

Jean la regardait avec stupeur. Elle répondit à ce regard en se cramponnant à lui :

« Tu viens, n'est-ce pas ?

Il répondit par un signe affirmatif.

< Partons ! fit laconiquement le notaire. » La route fut mélancolique, en dépit des efforts de Jean, pour distraire sa petite amie. Elle ne rompait le silence que pour le questionner avec inquiétude :

• Jean, penses-tu qu'elle soit sévère? qu'elle me fasse étudier des fables tristes? qu'elle me serre dans un corset à baleines?

« Jean, dira-t-elle comme Monsieur Pousselin, que les jolis oiseaux de l'oncle Abel font un fier vacarme ? D

« Jean, penses-tu qu'elle ressemble à madame Tapageaud, la femme de l'huissier, qui est si grosse dans son châle à ramages; si noire et si rouge, sous son chapeau à fleurs, et qui bat ses servantes?

Jean, je sens que je l'aimerais bien, va, si elle était toute pareille à ta maman ! »

« Jean, m'aimera-t-elle ? »

Il semblait impossible au jeune garçon que l'on n'aimât point Sissi; cette dernière question ne reçut donc pour toute réponse qu'un éloquent sourire. MÉLANIE BOUROTTE. (La suite au prochain numéro.)

[blocks in formation]

REVUE MUSICALE

[blocks in formation]

Le carnaval perd de plus en plus son prestige. Ce mot, autrefois d'un magique effet sur un certain nombre, n'éveille plus aucune vélléité de gaieté. Peut-être arrivera-t-on à lui rendre sa véritable signification. Et, d'ailleurs, est-il donc dit vraiment qu'on doive plus s'amuser à une époque qu'à une autre? Est-ce qu'il n'y a pas toute l'année les douces joies de la famille, les substantielles causeries autour du foyer, la musique qui charme les heures, les promenades l'été, la lecture l'hiver? Qu'entend-t-on par carnaval? Si nous interrogeons l'étymologie, nous voyons que nous avons fait de ce mot un étrange contre-sens.

Carnaval dérive du latin et vient de carni, à la chair, et vale, adieu: adieu à la chair. Ne trouve-t-on pas la locution piquante?

Pendant cette époque du carnaval, il est beaucoup de gens qui ne vivent que par les yeux, les oreilles et les jambes. Que leur reste-t-il de tout ce bruit, de tout ce mouvement? Le vide et la lassitude.

Combien est différente celle qui lui succède, par toutes les impressions grandes et profondes qu'elle laisse en nous! Les émouvantes solennités religieuses et musicales que nous apportent le sublime drame chrétien le Vendredi-Saint, la Passion, les Rameaux et Pâques fleuries nous ouvrent le chemin du ciel, les horizons de la foi, de l'espérance, en même temps que ceux plus visibles du printemps.

Oui, l'âme humaine est faite pour s'élever, et Dieu lui a donné pour cela les ailes du christianisme, les charmes de l'art pur, les merveilles de la nature, la contemplation des cieux et des milliers de mondes qui nous y semblent suspendus.

Quelle est celle de nous qui n'a rêvé en contemplant les étoiles! Radieuses constellations qui gravitez lentement dans le firmament; lueurs mystérieuses qui courez dans les horizons infinis, vous ressemblez à des regards étranges, penchés vers la terre! Qui nous racontera vos destinées, étoiles capricieuses! Qui nous apprendra ce poème immense de votre immortalité! D'où venez-vous, et vers quels cieux remontez-vous?

Êtes-vo s-vous les âmes des êtres aimés que nous avons perdus? Êtes-vous le tapis splendide foulé par les pieds des anges? Etes-vous le magnifique voile de notre prosaïque globe? Quand vous vous mirez le soir dans les nappes bleuâtres de nos lacs, vous demandez-vous si vous avez ici des sœurs lumineuses aussi, et parfois n'êtes-vous pas tentées de les rejoindre?

Mais, chères lectrices, par quelle poétique transition pouvons-nous vous ramener au terrestre compte rendu des œuvres musicales et lyriques, que nous voulons vous signaler? Voici le mois de mai, le mois de Marie, qui est aussi celui de toutes les jeunes filles et qui vient tout exprès pour me tirer d'embarras. Je n'ai donc plus qu'à vous engager à vous rendre le plus souvent possible, le soir, sous les voûtes sacrées des temples catholiques où vous entendrez, unie à la parole évangélique, la voix majestueuse de l'orgue, qui est la plus haute manifestation de l'art musical ici-bas

C'est par la Courte Echelle, de M. Edmond Membrée, que nous conduirons nos lectrices dans le domaine de la musique profane.

Comme nous l'avons dit déjà, le mois dernier, nous trouvons que ce ne sont pas là des libretti qui conviennent à notre première scène d'opéra-comique, et il est à regretter que M. Membrée, qui a plutôt la muse dramatique, la fibre large, le style sérieux, ait dépensé une aussi forte somme d'inspiration et de talent sur un scénario qui ne lui offrait pas de situations musicales assez complètes. Dans le texte de M. de la Rounat, il n'y a guère que l'étoffe d'une opérette ou d'une comédie; c'est ce qui explique pourquoi, malgré l'élévation du style, malgré une orchestration des plus remarquables, le trop grand développement donné à certains morceaux de la partition, eu égard au libretto, a nui à l'effet que l'auteur pouvait en attendre.

Nous ne citerons pas tous les morceaux de ces trois actes si copieux et véritablement écrits de main de maître la tâche serait longue, car on en compte dix-huit! Mais nous dirons quels sont ceux que le goût du public de Favart semble avoir désignés.

En première ligne, plaçons une ravissante sérénade d'une exquise distinction, puis une romance pleine de sentiment, un duo du second

acte, une chanson de table, et plusieurs duos bouffes d'un comique trop accentué peut-être pour que le musicien ait pu tout à fait isoler son talent de son lyrisme naturel.

C'est surtout dans les choeurs que l'on sent l'artiste véritablement à sa place et se livrant tout entier à ses savantes combinaisons: aussi sont-ils complétement réussis!

Il nous reste à parler à nos lectrices de la séance annuelle, avec orchestre, donnée salle Herz, par la Société chorale d'amaleurs, sous l'habile direction de son président-fondateur : M. Antonin Guillot de Sainbris.

On y a entendu trois œuvres de mérite, composées expressément pour la Société par des auteurs dont nous avons eu récemment l'occasion d'enregistrer les succès.

La première de ces partitions, qui a été interprétée, a pour titre : Aslėga, drame lyrique en trois parties, d'après une légende scandinave. La musique de M. Th. Gouvy a fait ressortir les qualités sérieuses de ce compositeur éminemment symphoniste. Beaucoup de verve, d'originalité; une orchestration riche, souvent pittoresque et une grande poésie dans le sentiment. Avec cela, nous ne doutons pas de voir arriver prochainement M. Th. Gouvy aux succès de la rampe. La seconde partie de cette intéressante séance a commencé par une scène lyrique empruntée à l'antique mythologie: l'Enlèvement de Proserpine, versifiée par le sympathique poète, M. Paul Collin qui fait de véritables vers

et dont la musique est due à la plume habile de M. Th. Dubois, musique charmante qui vous transporte dans ce monde raconté par Ovide et qui prouve combien de talent recèle une souplesse aussi grande, un tact aussi juste des situations.

La scène de Balthazar, poème de M. Guinaud, mis en musique par M. A. Guilmant, a consacré une fois de plus le succès incontestable obtenu par ce jeune maître dans son œuvre symphonique applaudie au Trocadéro, comme dans ses compositions de musique d'orgue.

Cette belle scène renferme un choeur, no 1, plein de verve, d'une couleur asiatique qui a charmé le public. L'air de Balthazar est d'une allure franchement guerrière; la Tempête, amenant le Mane, Thecel, Pharès, est une page de maître qui révèle une véritable science de l'orchestration et renferme des effets d'harmonie imitative des plus heureux.

L'entrée des Mèdes, avec son caractère sauvage, rend admirablement l'ivresse des farouches vainqueurs.

Il faut féliciter tous ces vaillants artistes compositeurs et exécutants, en même temps que l'éminent directeur de cette Société chorale pour les brillants résultats de leur œuvre commune.

Nous recommandons le nouveau recueil de Motets religieux, composé par M. A. Guillot de Sainbris, l'auteur de l'Eucharistie.

MARIE LASSAVEUR.

CORRESPONDANCE

FLORENCE A JEANNE

[blocks in formation]

fleurs d'autrefois, passées de mode aujourd'hui, comme si la mode avait quelque chose à voir dans l'œuvre du bon Dieu! Je me penche pour aspirer cet encens, et, parmi les ramures, j'entrevois la silhouette massive de mon Pierre, le sécateur à la main, les poches bourrées de cornets de semences et la mine aussi fière dans son empire fleuri qu'un triomphateur romain dominant du regard ses légions victorieuses. Victorieux de la pluie, du gel, du dégel, de l'hiver enfin, sont en effet ces arbustes qui se réveillent après un sommeil de plusieurs mois, ces arbrisseaux dont la pousse nouvelle porte plus haut le

front, ces grands arbres qui ont échappé comme par miracle à ce terrible ouragan du 20 février, qui a ruiné tant de vergers, tant de châtaigneraies et tant de bosquets! Les voilà frissonnant d'aise aux caresses de la brise matinale, sous leur verte parure, embellis par chaque année qui s'ajoute à leur âge, tout au rebours de l'espèce humaine pour la beauté de laquelle « le temps n'est pas un profit, » comme on dit chez nous. Ils ont impunément subi les rigueurs de la saison mauvaise; mais qui d'entre nous pourrait se vanter du même avantage? Durant les mois que nous laissons en arrière, quelles averses de tisanes, quelles grêles de pilules! quelles avalanches de cataplasmes et d'emplâtres! quels tonnerres d'éternuements et de toux! horreur! Arrière maintenant tout cela salut aux jeunes verdures, aux fraiches fleurs, aux doux parfums, au gai soleil de mai, enfin ! de mai, ce mois du renouveau chanté par les poètes de tous les temps. Les poètes d'aujourd'hui, cependant, lui dédient moins d'odes et d'odelettes... A qui la faute?

:

Aux poètes? Eh! non vraiment; mais à mai, à mai lui-même, qui s'est mis depuis quelque vingt-cinq ans à se hérisser de caprices comme une femme nerveuse, et qui emprunte des brouillards, des pluies, des gelées à ses frères les plus renfrognés. Espérons qu'il reprendra cette année ses allures d'autrefois, et que nous pourrons, depuis sa première aurore jusqu'à son dernier soleil, chanter, comme nos grand'mères, ses sou. rires et ses grâces.

Il les doit bien au culte de Marie qui va toujours grandissant, à la fête de l'Ascension et aux trois jours de Rogations qui la précèdent.

En province, le silence plane encore sur nos villes et sur nos villages quand la procession franchit le seuil de l'église. A chaque pas, elle se grossit des fidèles isolés qui l'attendent au passage; tout le long des faubourgs, les portes s'ouvrent et les ménagères qui ne peuvent quitter leurs pauvres logis s'agenouillent sur le seuil ; aux fenêtres, de petits enfants, les yeux encore gros de sommeil et la chevelure emmêlée, se penchent pour voir; et les pittoresques détails des humbles intérieurs se révèlent à demi, ponctués par le soleil levant. Voici enfin la double ligne des pieux promeneurs en pleine campagne! On ira loin, car le territoire de la paroisse est étendu les plus jeunes enfants des écoles, tout fiers de s'être levés matin, ne se plaindront point de la fatigue; et les vieillards sentent leurs forces renaître en parcourant les sentiers familiers à' leur jeune âge... Entre des haies fleuries, le pieux cortège traverse les prairies humides où bondissent les agneaux parmi les grands bœufs immobiles dont l'œil étonné contemple cette foule inconnue; plus loin, les champs de blé ondulent, les vergers fleurissent, les vignes bourgeonnent; partout, le travail de l'homme a porté ses fruits; partout l'espoir de la récolte répond à son effort.

:

Mais ceux qui ont creusé les rigoles de la prairie, semé le grain des sillons et taillé la vigne savent bien que Dieu seul assure la récolte; et, tête nue, les laboureurs aux épaules voûtées, les vignerons aux mains calleuses, suivent aussi la croix et mêlent de graves ora pro nobis aux voix claire des enfants de chœur.

Parfois, des pluies récentes ont changé les chemins en torrents; parfois même les nuages versent leurs dernières larmes sur la procession. Qu'importe! Elle marche toujours; et des incidents, qui seraient grotesques en se produisant ailleurs, se succèdent dans leur naïveté, sans éveiller d'autres sourires que ceux des espiègles écoliers. On salue en passant les croix des chemins enguirlandées de lierre ou revêtues de mousse; et quand le but est atteint, quand le son de la clochette bénie fait ployer tous les genoux et courber tous les fronts, c'est un spectacle touchant que celui de cette foule prosternée sur laquelle le prêtre, les mains étendues, appelle les grâces d'en haut...

Il y aura neuf ans dans quelques jours, nous atteignions ainsi le but du pèlerinage annuel; c'était une vaste lande, au sommet d'une colline; une croix de pierre, vieille de plusieurs siècles, la dominait, et les troupeaux de la commune s'y ébattaient sous la garde des chiens aux longs poils et des bergères en capes de droguet, tandis que l'école des tambours du régiment s'y livrait à ses bruyantes études. Les chiens noirs, attirés par l'inconnu, détachaient leurs profils sur la crête dénudée, et les brebis, curieuses, se pressaient autour de nous comme si les animaux, ces intermédiaires entre la plante et l'homme, eussent réclamé aussi leur part de bénédictions. Tout à coup, au son grêle de la clochette se mêla, sonore, un bruit inattendu : les tambours battaient aux champs. Je n'oublierai jamais l'effet de cette puissante note militaire dans la grande symphonie chrétienne et champêtre de ce moment. Quelques mois plus tard, ceux qui avaient rendu cet expressif hommage au dieu des armées et des moissons faisaient retentir les champs de mort du son des mêmes tambours... Ils battaient des charges héroïques et de poignantes chamades... Plus d'un, certainement, n'a pas achevé la batterie commencée; mais, pour ces morts glorieux, l'espérance est facile, car ils étaient chrétiens.

Pendant que j'épanche avec toi mes impressions et mes souvenirs, l'heure s'écoule, ma chérie, et je perds de vue le programme assez chargé de ma journée. Un billet de madame R... me le rappelle à temps. Elle doit venir passer l'après-midi chez moi, ainsi que plusieurs de nos amies très désireuses d'étudier l'appendice au Manuel de travaux que tu m'as envoyé. L'administration du journal n'a jamais été mieux inspirée que pour cette nouvelle publication: ma cousine Berthe en a déjà tiré le crochet-étoile pour une fanchon, deux cravates et un paletot

« PreviousContinue »