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« retirer dans la Légation d'Angleterre : le ministre d'Alle<< magne est bien réellement tué et son interprète blessé; << la légation d'Autriche est évacuée et va flamber. Le pro«jet de quitter Pékin est abandonné préparons-nous au « dernier voyage: mais espérons encore. >>

De son côté, M. Darcy, lieutenant de vaisseau, supérieur de M. Paul Henry, lui écrit : « Vous avez dû recevoir l'ordre « de rallier, mais restez à votre poste pour le moment. >> Le bon Dieu a permis que cet ordre de rallier ne soit jamais arrivé, sans cela nous étions tous perdus. La situation est grave irons-nous rejoindre nos martyrs de Tien-Tsin? Nous nous préparons à tout. (A suivre.)

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MANDCHOURIE

Fuite des sœurs de la Providence à travers la Chine et la Sibérie jusqu'à Nagasaki.

M. Hinard, directeur du Séminaire des Missions Etrangères de Paris, nous confirme les différentes nouvelles qu'il nous a déjà données et nous envore un récit émouvant de l'exode jusqu'au Japon des sœurs de la Providence de Portieux, compagnes des héroïques religieuses brûlées à Moukden. Nous publions ces pages vraiment dramatiques, et nous nous faisons les interprètes de la reconnaissance de la mission de Mandchourie envers les troupes russes. C'est, après Dieu, grâce à leur secours que les Soeurs ont pu être sauvées.

LETTRE DE SOEUR GÉRARDINE FREYBURGER A LA REVERENDE MERE SUPÉRIEURE GÉNÉRALE DES SOEURS DE LA PROVIDENCE, A PORTIEUX.

Nagasaki, 19 août 1900. Depuis l'époque de notre installation à Tié-ling, je ne vous ai pas encore donné de nos nouvelles. Mon intention était de travailler pendant quelques mois, pour voir ce qu'il nous serait possible de faire dans cette ville presque toute païenne, et de vous rendre compte ensuite de nos travaux et de nos succès. Nous étions heureuses ici. Au bout de deux mois, nous commencions à sortir en ville; les païens nous respectaient et nous voyaient d'un bon œil, surtout quand nous donnions des médecines à leurs enfants. Ils venaient nous chercher pour visiter les bébés et les grandes personnes malades; notre réputation était faite et, en huit mois, nous avions récolté la belle gerbe de

1.100 baptêmes d'enfants moribonds. Notre nouvel orphelinai était à peu près terminé, et ma sœur Praxede se réjouissait déjà à la pensée d'y installer bientôt nos 35 orphelines. Mais, hélas! quel orage, quelles tribulations allaient fondre sur nous!

Ici commence pour nous une suite ininterrompue de souffrances, d'émotions, de fatigues qui ne devaient finir que quand nous aurions le bonheur de retrouver nos sœurs à Nagasaki. Vous donner, ma chère Mère, tous les détails de notre périlleux voyage de 38 jours à travers la Mand

chourie et la Sibérie orientale, serait trop long. On peut le dire, c'est par miracle que nous avons échappé à la mort. Nous n'étions pas dignes de cueillir la palme du martyre je le regrette vivemennt.

Nous avons quitté notre maison de Tie-ling dans la nuit du 3 au 4 juillet pour chercher un refuge au poste des soldats russes. Nous avions avec nous deux vierges chinoises et deux autres venues de Fa-Kou-men.

Le 5 juillet, nous prenions le train pour Ing-tse. Entre Tié-ling et Ing-tse, nous fumes attaquées par une bande de

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Boxeurs qui tiraient sur nos wagons. Nous passâmes la nuit dans une anxiété mortelle. Le 6, premier vendredi du mois, nous retournâmes à Tié-ling impossible d'aller à Ing-tse, la voie ferrée étant complètement détruite.

Les Russes, connaissant mal la fourberie des Chinois, ne se tenaient pas assez sur leurs gardes.

Le samedi soir, la colonie russe était cernée par les soldats et les Boxeurs de Tié-ling. Bientôt un combat terrible s'engagea nous étions toutes deux à genoux dans une cour, attendant la mort avec calme et résignation, heureuses de prouver notre amour à Notre-Seigneur par le sacrifice

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de notre vie. Quel touchant spectacle de voir les 300 chrétiens qui nous accompagnaient agenouillés devant les Pères et demandant une dernière absolution! Nous étions au premier rang pour mourir à côté des Pères Lamasse et Vuillemot. Il n'en fut rien : les cosaques se défendirent bravement et firent reculer les Chinois.

La nuit du samedi au dimanche fut employée aux préparatifs du départ; nous nous trouvâmes prêtes les premières, car nous n'avions d'autres bagages à emporter que nos personnes; c'était peu pour aller en Sibérie.

Près de Tié-ling, les soldats russes avaient arrêté la poste

chinoise. Le courrier apportait un édit de l'Impératrice ordonnant de massacrer tous les Européens qui se trouvaient dans l'empire, c'est ce qui explique la précipitation de notre départ. Il était grand temps que nous partions! A peine avions-nous fait une demi-lieue que les établissements de la mission étaient en feu.

Nous avons marché toute la journée du dimanche sans faire la moindre halte la caravane comptait près de 500 personnes. Le soir, on s'arrêta dans une plaine; mais nous n'avions pas encore assez faim pour nous décider à manger de l'herbe et nous nous contentâmes de nous dire : « Qui dort dîne ». Le sujet de méditation fut facile à trouver : «Notre Seigneur aussi a eu faim. »

Pendant quinze jours consécutifs nous avons pu prendre le même sujet d'oraison, avec cette différence qu'il fallut nous résigner en fin de compte à manger tout ce qui était mangeable: feuilles de pois verts, racines de carottes, feuilles de sorgho..., etc.

Malgré la faim, le bon Dieu nous envoya, ce soir-là, un sommeil réparateur sous la voûte du firmament. Néanmoins je me réveillai plusieurs fois; je trouvais alors que le plafond de notre chambre était fort haut ! Le lendemain, notre déjeuner se composa d'un petit morceau de chocolat et d'une tasse d'eau. Nous voilà en route, évitant autant que possible l'approche des grandes villes. Nous venions de gravir péniblement la première montagne au nord de Kaiiuen, quand tout à couples balles se mirent à siffier à droite et à gauche : les soldats chinois nous poursuivaient. Notre premier mouvement fut de nous blottir dans des ravins, mais nous ne pouvions y rester longtemps, il fallait à tout prix gagner le milieu de la plaine.

Pendant trois heures nous courùmes à travers champs sous un soleil de plomb. Un catholique russse, voyant que j'avais heaucoup de peine à marcher, eut la charité de me donner le bras. Enfin, comme nous n'en pouvions plus, ma compagne et moi, les Pères nous firent monter à cheval. Monter à cheval pour la première fois de notre vie et marcher au trot de pair avec les cosaques, c'était difficile pour nous, mais Dieu, aidant, et notre ange gardien nous soutenant, nous chevauchâmes comme comme deux Jeanne d'Arc.

Vers 5 heures du soir, nous atteignions une station du chemin de fer que les Chinois avaient épargnée. Après une si rude journée, il eût été bon de trouver une chambre, un souper et un bon lit; hélas! rien de tout cela ne nous attendait. On nous fit l'aumône d'une tasse de soupe et d'un verre d'eau pour nous réconforter un peu. Une gerbe de paille nous servit de matelas et nous nous endormîmes à la belle étoile.

Notre caravane a été attaquée treize fois en quinze jours; nous avons reçu la dernière absolution à sept ou huit reprises différentes. A la troisième attaque, la plus longue et la plus terrible, un cosaque fut tué et plusieurs autres blessés. Ce jour-là, nous avions voyagé toute la nuit, et il était midi. Tout le monde était harassé de fatigue, et l'estomac criait famine. En route, un employé avait partagé son butin avec nous et nous avait donné une poule. Il faut

vous dire que les soldats et les employés russes n'étaient guère en peine pour leur nourriture. Arrivés dans un village, ils faisaient main basse sur tout les poules, les oies, les canards et les cochons. Vers midi donc, on fit halte. Immédiatement, chacun prépare sa nourriture. Nous étions heureuses d'avoir, pour notre part, une poule à rôtir; mais nous n'avions pas fini de la plumer quand une grèle de balles vint fondre sur nous. Tout le monde cherche alors à sauver sa vie! Nous restàmes blotties dans une petite cour avec les deux Pères et tous les chrétiens jusqu'à 4 heures du soir. Comme la position devenait périlleuse, on nous fit changer de place, et nous allâmes nous cacher entre deux tas de paille et de bois de chauffage. C'est là que nous avons reçu l'absolution deux fois. Chacun se préparait à mourir; les employés russes catholiques venaient eux-mêmes chercher une dernière absolution. Quand on est si près de la mort, tout respect humain disparaît, et on montre hardiment ses convictions. Ainsi j'ai entendu un schismatique qui disait à haute voix : « Pas peur, nous voguons sous la protection des prètres. » C'est là, à quelques pas de nous, qu'un pauvre chrétien a été tué à coups de sabre par un cosaque qui le prenait pour un espion. Les assaillants ne se retirèrent qu'à la fin du jour.

Nous quittâmes notre refuge vers minuit à la dérobée, l'avant-garde mettait le feu partout sur notre passage pour effrayer les Chinois. La marche fut très pénible; personne ne songeait à manger, mais la soif nous dévorait, et nous ne trouvions pas une goutte d'eau. Nous ne voyions que le feu, à droite, à gauche, devant, derrière.

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Après huit jours de marche, il n'y avait plus de place sur les chariots. A chaque attaque, nous avions quelques blessés; les femmes et les enfants des chrétiens furent obligés de quitter les voitures; à la fin, ne pouvant plus suivre, les pauvres gens se sont dispersés. Que sont-ils devenus? Sans doute, beaucoup de grandes personnes ont été tuées par les Boxeurs, et beaucoup d'enfants sont morts ou ont été perdus en route.

Pour éviter la ville de Kouan-tch'eng-tse, nous fîmes un détour de dix lieues, ce qui n'empêcha pas les soldats chinois de venir nous attaquer : ils étaient plusieurs milliers, et nous n'avions avec nous que cent cinquante cosaques. Le général chinois fut tué, et aussitôt son armée jeta bas les armes et se dispersa. Les soldats russes nous rejoignirent après avoir pris le drapeau chinois et les provisions des ennemis qui furent partagées entre les voyageurs. Le P. Lamasse nous apporta notre part, et ce fut notre repas de midi.

Nous assistâmes dans la soirée à l'enterrement de trois cosaques morts au combat. Leur chef invita le Père à bénir la tombe. La cérémonie était touchante : les schismatiques ont un chant magnifique, et ils restent fervents dans leur religion.

Cependant les Russes, voyant tous les dégâts causés par les Chinois: ligne de chemin de fer coupée, poteaux télégraphiques sciés, gares brûlées, devenaient de plus en plus

furieux. Ils massacraient sans pitié tous les Chinois qu'ils pouvaient rencontrer; en moins de cinq minutes, nous en avons vu tuer six. Nous étions terrifiées devant cet horrible spectacle. J'avais mon mouchoir sur la tête, à ce moment-là, pour me garantir du soleil; un cosaque s'en aperçut et m'apporta l'ombrelle d'un de ces malheureux qui venait d'expirer. Malgré ma répugnance, je l'acceptai pour ne pas contrister celui qui me l'offrait; d'ailleurs nous étions littéralement brûlées par le soleil.

Enfin, après avoir souffert tout ce que l'on peut imaginer de plus pénible, nous devions arriver le soir à la station du Soungari. L'avant-garde parvenue au sommet de la montagne qui nous séparait encore du fleuve se mit à pousser des cris de joie « Hurrah! hurrah! » C'était un renfort de cent cinquante cosaques qui venaient à notre rencontre. Malheureusement un orage éclata soudain accompagné d'une pluie torrentielle et la nuit nous surprit dans les ravins de la montagne. Du soir au matin, nous fîmes à peine une lieue. Au lever du soleil, nous aperçumes enfin le Soungari sur l'autre versant. Quel admirable point de vue! Nous commencions à respirer, tout danger sérieux avait disparu.

L'ingénieur russe de la station nous invita à déjeuner. Pas de refus; nous n'avions rien pris depuis la veille à midi. Les Russes sont « sans cérémonie », comme nous disons en France la table est servie, personne ne vous invitera à vous asseoir ou à manger; chacun se sert à sa guise, prend ce qu'il lui plaît, debout ou assis, sans s'occuper de son voisin. Nous avons fait comme les autres.

Après le déjeuner, nous avons traversé le fleuve pour prendre le train jusqu'à Harbin. Nous espérions dormir un peu et passer une bonne nuit en chemin de fer; notre espoir fut déçu. La souffrance nous suivait partout. Nous étions à peine installées et couchées dans un wagon de marchandises, qu'un terrible orage vint nous arracher au sommeil. Les voyageurs, qui se trouvaient dans les wagons découverts, accoururent près de nous, cherchant un abri. Toute la nuit, nous demeurâmes entassés les uns sur les autres! Quelle nuit, mon Dieu! vraiment si nous sommes encore en vie, c'est le bon Dieu qui l'a voulu.

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Le lendemain à midi, nous étions à Harbin; la réception fut splendide; tous les Européens se trouvaient à la gare pour nous recevoir; ils pleuraient de joie. On nous croyait massacrés depuis longtemps. La musique militaire nous salua à la descente du train; des calèches étaient là pour nous conduire en ville. Dans une immense salle était préparée une table de plus de 200 couverts. Un général nous fit prendre place au haut de la table. Ma chère Mère, vous n'auriez pu reconnaître vos deux filles au milieu de ce beau monde. Il y avait près de nous une dame et deux demoiselles russes. Notre extérieur ne ressemblait plus à celui d'une sœur de la Providence! A table nous avions comme vis-àvis un prêtre schismatique. Il prononça un speech sur notre courage, notre générosité, etc., en langue russe; tout le monde cria : « Hurrah! » et s'avança poliment vers nous pour trinquer à la santé des sœurs missionnaires françaises. Après le dîner on photographia les invités en groupe; il

fallut nous prêter à toutes ces formalités. Tout pour le bon Dieu !...

Nous nous arrêtames à Harbin, non pas pour changer de linge : nous n'étions pas assez riches pour nous payer un pareil luxe, mais pour nous débarrasser, en partie du moins, de la vermine qui nous dévorait? Un cilice ne nous aurait pas fait plus souffrir que ces centaines d'insectes qui nous mangeaient toutes vives.

A Harbin, nous avons trouvé le Père Delpal de la Mandchourie du nord, et le lendemain sont venus nous rejoindre les Pères Monnier et Roubin de Pa-ien-sou-sou.

Nous pensions nous reposer quelques jours dans la colonie russe ; mais non, il faut nous hâter de partir. Le général a reçu une dépêche des vice-rois de Ghirin et de Tsitsicar, lui enjoignant de faire partir au plus tôt les' femmes et les enfants, parce que la guerre entre la Russie et la Chine est déclarée, et lui interdisant d'armer les' transports sur lesquels ces femmes et ces enfants seraient embarqués. Les Russes croyaient les Chinois capables d'un tel acte d'humanité. Les Pères n'en jugeaient pas ainsi, ils . voyaient la dessous un piège de la part des Chinois et ils ne se trompaient point. Ils redoutaient surtout le passage devant la forteresse de San-sing. Nous étions plus de 3.000 personnes sur deux vapeurs; chaque vapeur remorquait en outre trois grandes barques. Nous avions chacun notre petit casier, pas moyen de changer de place, il fallait invariablement se tenir ou à genoux ou assis. Pour comble de malheur, la pluie nous inonda à deux reprises; le soir nous tordions nos couvertures avant de nous envelopper dedans. Après trois jours de navigation, nous étions en face de la ville si redoutée de San-sing; mais quel calme! On stoppe, un bateau qui nous attendait nous donne les nouvelles les plus rassurantes. O Providence! la pluie avait retardé d'un jour notre arrivée à San-sing, où 2.000 soldats s'apprêtaient à nous massacrer. Or, la veille de notre arrivée, 4.000 Russes, venus du Nord, avaient pris le fort, fait sauter l'arsenal et tué les 2.000 Chinois. Deo gratias! nous étions de nouveau sauvés.

Nous quittons le Soungari et entrons dans l'Amour, fleuve quatre fois large comme la Seine à Paris. En quelques jours nous sommes à Kabarofka.

Kabarofka est une ville très pittoresque, mais humide et froide; nous y avons passé deux jours; il n'y a pas d'église catholique. De cette ville à Vladivostock il faut 36 heures de chemin de fer. Les fatigues ne comptaient pour rien du moment que les balles des Chinois ne sifflaient plus à nos oreilles. A Vladivostock une famille catholique nous a donné l'hospitalité; la dame se montra on ne peut plus charitable pour nous. Elle nous prodigua les soins d'une mère; elle aurait voulu, en trois jours, nous faire oublier tout ce que nous avons enduré dans ce périlleux voyage. Le 7 août, nous nous sommes embarquées avec les Pères sur un vapeur japonais. La mer nous fut favorable et après cinq jours de navigation, nous rejoignîmes nos sœurs à Nagasaki.

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HOU-NAN MÉRIDIONAL

Détails sur le meurtre de Mgr Fantosati.

Nous avons annoncé récemment la mort de Mgr Fantosati, vicaire apostolique du Hou-Nan méridional, et de deux de ses missionnaires, le P. Céside et le P. Joseph, tous trois victimes des tragiques événements qui ensanglantent présentement la Chine. Les détails nous manquaient alors sur ces horribles attentats. Le P. Quirin, de la même mission, nous les communique.

La persécution du Hou-Nan éclata à Hen-tchéou-fou, tandis que Mgr Fantosati était en visite pastorale à deux journées de distance de sa résidence ordinaire. J'habitais alors cette résidence en compagnie de deux Pères chinois et d'un jeune missionnaire italien, le P. Céside, de Fossa, qui y était de passage.

Dans la nuit du 3 au 4 juillet, un mandarin délégué vint m'annoncer qu'une foule ameutée avait détruit la maison du ministre protestant à Hen-tchéou-fou et que la mission catholique était menacée.

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Ayez soin, dis-je au délégué, s'il y a danger imminent, de faire protéger sans retard notre résidence et les orphelinats de la Sainte Enfance.

<«< -- Impossible de vous donner protection, répondit-il, mais vous pouvez prévenir votre évêque de rentrer promptement à Hen-tchéou-fou, d'où il lui sera aisé de se retirer à Han-kow avec ses missionnaires européens, s'il le trouve bon. »

Quelque étrange que me parùt ce message, alors que toute la préfecture semblait en paix, je le fis immédiatement transmettre à Mgr Fantosati, que je savais très occupé à surveiller la reconstruction d'une chapelle publique incendiée l'année dernière par les païens. Sa Grandeur ne s'émut pas de cette communication, croyant qu'il s'agissait d'une fausse alarme. Monseigneur ne se hâta donc pas de quitter cette chrétienté où il avait été rejoint par le P. Joseph Gambaro, missionnaire du district.

Cependant des choses horribles se passaient près de Hentchéou-fou, dans la résidence épiscopale et à l'orphelinat de la Sainte Enfance. Le 4 juillet, vers midi, une dizaine d'heures après la visite tardive du mandarin délégué, une foule d'individus de la pire espèce envahirent tout à coup l'église adjacente à la résidence, puis la maison, les cours et les abords. Bientôt commencèrent des actes d'un atroce vandalisme, accompagnés de clameurs d'assassins. Les deux missionnaires chinois avaient pu s'esquiver de la résidence sans être reconnus; mais, le P. Céside et moi, nous n'eùmes que le temps de monter à l'étage et de nous enfermer dans ma chambre. Nous restâmes cachés là pendant deux heures, tandis qu'au dehors on hurlait : « Mort aux Européens! » Puis, soudain, plus près de nous, retentit un cri: «Ils sont dedans!» Les portes de ma chambre furent aussitôt enfoncées; nous étions pris! Toutefois les persécuteurs demeurèrent un instant comme étourdis en notre présence, ce qu

nous permit à tous les deux de passer au milieu de cette tourbe et de descendre ensemble l'escalier pour arriver jusqu'au seuil de la porte principale de notre résidence; mais là, dans la cour, une foule furieuse nous barra le passage. Déjà les coups de poings et de pierres pleuvaient sur moi de toute part et m'avaient renversé; j'allais périr sans le secours providentiel de quelques chrétiens courageux. Ces braves gens mirent leurs jours en danger pour m'arracher à la mort et me transporter à quinze kilomètres de là en lieu sûr.

Le bon Dieu disposa autrement du sort du P. Céside. Celui-ci, voyant les abords de la résidence occupés par les émeutiers, rentra et tenta de se sauver par une porte secrète que, malheureusement, il ne parvint pas à ouvrir. Il dut rebrousser chemin et tomba entre les mains de la bande forcenée qui le blessa mortellement à coups de lances et de bâtons, puis, tandis que le martyr ràlait, il fut enveloppé dans des liasses de paille arrosées de pétrole et consumé dans les flammes.

Ce forfait accompli, la horde païenne se mit à incendier l'église, la résidence, les maisons des chrétiens et les orphelinats voisins qui contenaient près de deux cents filles de la Sainte Enfance. Les barbares permirent aux orphelines de sortir de leurs asiles avant qu'on y mît le feu, mais ce ne fut qu'un piège infernal pour s'emparer de toutes à la fois!!!

Dès le lendemain de cette néfaste journée, Mgr Fantosati reçut la nouvelle de la mort du Père Céside et apprit, en même temps, les autres désastres. Le jour suivant, Sa Grandeur, accompagnée du Père Joseph Gambaro, descendit en barque vers Hen-tcheou-fou, espérant pouvoir recourir là aux autorités locales pour conjurer de plus grandes calamités : cruelle illusion du vénéré prélat !

A quelque distance de l'endroit où l'Evêque et le P. Joseph devaient débarquer, ils furent reconnus comme Européens, et, l'éveil ayant été donné le long du rivage, lorsque la barque accosta à Hen-tcheou-fou, elle se trouva, au bout de quelques instants, entourée de chaloupes pleines de scélérats. Aussitôt commenca une scène de sauvage brutalité. L'embarcation de Mgr Fantosati fut assaillie et, tandis qu'une partie de cette meute furibonde se jetait sur les bagages, l'autre partie s'acharnait sur sa personne. Un violent coup de bâton appliqué sur la tête le renversa; il fut ensuite traîné sur la rive, ainsi que le Père Joseph Gambaro.

C'était là, en présence d'une foule immense de spectateurs, que les attendait la palme du martyre, mais seulement après d'horribles souffrances.

L'un et l'autre devinrent le jouet de leurs bourreaux : le Père Joseph eut un oeil arraché et fut littéralement roué de coups; il expira au bout d'une heure. Son cadavre fut brûlé complètement par les auteurs du crime, à l'endroit même où il venait d'être mis à mort.

Les tortures souffertes par Mgr Fantosati furent plus affreuses encore et durèrent environ quatre heures. Au sortir de la barque, il eut les deux yeux arrachés; on le dépouilla de ses vêtements, on le couvrit de blessures; finalement, on l'empala; comme il respirait encore après ce cruel

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