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« Cela ressemble aux « Odeurs >> décrites par Louis Veuillot, lui dis-je.

«Vous parlez français, monsieur? répondit-il radieux et vous connaissez même notre grand Louis Veuillot? Que la baleine soit bénie pour me l'avoir révélé. »

En trois mots, notre connaissance était faite. On est si vite amis en pays étranger; du reste, j'avais trouvé, un français vraiment français, c'est-àdire foncièrement catholique, et cela nous rapprochait. Lui me parlait de la France, moi, je lui parlais longuement de la Norvège et de notre mission.

Il ne pouvait se rassasier d'admirer les énormes glaciers que nous rencontrions à chaque instant.

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NORVÈGE. L'ÉGLISE RUSSE DE BORIS GLEB EN LAPONIE; d'après une photographie.

Vous n'avez donc jamais été persécuté, Monseigneur? «Si, deux fois, j'ai été condamné à quinze jours de prison pour avoir défendu dans la presse les droits de mon Eglise, et une infinité d'autres fois j'ai dû comparaître devant les tribunaux pour le même crime. Il est vrai qu'ayant été élu membre de la Chambre des députés par les catholiques, révoltés de la manière dont le gouvernement traitait le catholicisme et ses serviteurs, ce dernier m'a fait grâce de 27 jours; mais, les trois autres jours, je les ai bel et bien faits entre les quatre murs de la prison. Mais, depuis, tout cela a changé, il s'est produit une sérieuse réaction, et on vit en paix.

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nombre d'articles et de brochures pour prouver que ces assertions étaient de pures calomnies, et ce sont surtout les Missions catholiques qui nous en ont fourni les preuves. Maintenant on est édifié sous ce rapport.

« Oui, on aime la France, et on étudie beaucoup le français. Presqu'en toutes nos stations, surtout à Christiania nos prêtres et nos religieuses ont à donner de nombreuses leçons de cette langue; c'est à peine si nos Sœurs peuvent suffire à toutes les demandes. Cela ne veut cependant pas dire que nos prêtres et nos Soeurs veulent favoriser votre nation en particulier. Nous sommes catholiques avant tout, puis enfants, soit nés, soit adoptifs, de la Norvège. Mais c'est un fait heureux pour la France, que depuis un certain temps, sa langue est très en faveur en Norvège. Dieu veuille que les publications françaises lues par nos Norvégiens leur soient toujours un sujet d'édification! »

Si ce touriste français avait pu assister, le 23 février dernier, au service funèbre pontifical, que nous avons fait dans la cathédrale pour M. Félix Faure, en même temps qu'on célébrait ses obsèques à Notre-Dame, il aurait vu combien je disais vrai. S. M. le roi Oscar s'y était fait représenter et tout ce que Christiana possède de distingué (membres du gouvernement, Bureau du Storting, corps consulaire, représentants de la science, de l'art, du commerce et de l'industrie) se pressait dans l'église Saint-Olaf, suivait avec le plus profond recueillement les cérémonies et écoutant avec une religieuse attention mon oraison funèbre. Le sympathique consul général de France, M. Mimaut, qui, quoique protestant, avait répondu avec le plus grand empressement au désir de son gouvernement de voir célébrer ici un service religieux pour le défunt Président, me dit ensuite qu'il n'aurait jamais cru que la France avait tant d'amis en Norvège.

Ainsi, vous le voyez, un Français peut être sûr d'être bien accueilli.

Autres étrangers en Norvège. Il y a encore d'autres étrangers en Norvège, surtout des Allemands. Cela se comprend; les langues, sinon les caractères, ont beaucoup de ressemblance. C'est surtout dans le commerce et dans l'industrie que les Allemands trouvent de l'occupation et comme ils sont très actifs et économes, ils font fortune. L'ouvrier allemand est en honneur ici; s'il gagne beaucoup, notre industrie lui doit également beaucoup.

Il y a aussi des Autrichiens, surtout dans les verreries et fabriques de produits céramiques. Quant aux Italiens, en dehors de quelques artistes qui font des travaux de stue, ce sont surtout des porteurs d'orgues de Barbarie, qui honorent la Norvège de leur présence. Mais ces derniers, eux aussi, ont une âme immortelle, et bon nombre d'entre eux qui, en pays catholique, avaient entièrement négligé leur religion, se souviennent de leur Mère et reviennent à elle dans ce pays protestant.

(A suivre).

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Port illicite de croix et médailles. quatre oreilles. Un baptême de pirates dans la prison de Nam Dinh. Visite de l'amiral Courbet.— Un garde-chiourme qui n'a pas de chance. placement d'un grand homme par un autre. — Le P. Mollard défenseur de la Communauté de Ké-So. — Le chef pirate Cai-Chang. Un combat singulier. La victoire de Huong-Ngai. — Un beau coup manqué.

Peu de jours après, le colonel Brionval, débarrassé de toute inquiétude du côté de Ninh Binh, pouvait courir sus au DeDoc. J'eus l'occasion de le voir un instant avant son départ et il me conta que, lorsqu'il s'était présenté à la porte d'un village pirate, près de Nui Già (la vieille montagne), les chefs de céans, scapulaires, croix et médailles sur la poitrine et autour du cou, étaient venus lui offrir des bananes, des œufs et des poulets, en se proclamant catholica de pères en fils:

Tiens, avait pensé le colonel, le Père m'aurait-il même dénoncé ses ouailles? Il est vrai que ces gens-là avaient de vilaines têtes..... Enfin, nous allons tirer la chose au clair avec le secours de l'interprète.

«Eh, dis-done, toi, là-bas, approche un peu; récite-moi le Credo. »

Ahuri, l'interpellé se jeta à genoux en criant :

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Khong biet (moi pas savoir).

Eh bien, fais au moins le signe de la croix !
Khong biet (moi pas savoir).

Ces lapins là, ajouta le colonel, furent pris à leur propre piège, et toutes leurs croix et médailles, volées aux victimes de l'incendie de Phung Xa, ne les conduisirent pas en paradis. Cependant, j'ai ramené un pauvre diable de pirate pour essayer d'en tirer quelques renseignements, et figurez-vous qu'en le fouillant minutieusement, on a découvert en sa possession...deux oreilles...en plus des deux qu'il a encore attachées à la tête. Quatre oreilles! c'est deux de trop pour un honnête homme ! Si ça vous fait plaisir, vous pouvez aller voir ce client à la prison où il est encore, mais pas pour bien longtemps. »>

Et pendant que le colonel Brionval s'en allait assiéger le De Doc retranché dans le Phu Kien, tout en regrettant peut-être, avec Montluc, «que la nécessité de la guerre nous force en despit de nous-mêmes, à faire mille maux et faire non plus d'estat de la vie des hommes que d'ung poulet », moi je m'en fus à la prison, en priant Dieu de faire miséricorde à l'homme aux quatre oreilles.

(1) Voir les Missions Catholiques des 23, 30 mars; 6, 13, 20, 27 avril, 4, 11, 18, 25 mai; 1er, 8, 15, 22, 23 juin, 31 août, 7, 14, 21, 28 septembre, 5, 12 et 19 octobre.

Je trouvai à la chaîne et à la cangue un individu à mine patibulaire, solide, trapu et musclé, un vrai pirate, l'œil njecté de sang, la lèvre insultante.

Que se passa-t-il dans l'âme de cet assassin, quand il vit tout à coup devant lui la longue robe noire du missionnaire?... Je ne sais; mais, extérieurement, ce malheureux m'accueillit avec respect et sans trop de défiance. Il avoua son crime en maudissant sa sottise: engagé dans les bandes rebelles, il avait tué un chrétien et il avait eu l'imprudence de garder sur lui les oreilles de sa victime dans l'espoir de toucher la prime promise par le tu Ly. Hélas! en temps de guerre, au Tonkin, deux oreilles de plus ou de moins il n'y a pas là de quoi faire dresser les cheveux sur la tête... et cependant on allait bien lui faire voir le contraire, à ce malheureux, en lui coupant le cou !

Je témoignai à mon pauvre client toute la charité chrétienne dont j'étais capable, lui parlant de son âme à sauver, de l'enfer à éviter, du paradis à gagner; et dans cette vieille prison de Nam-Dinh où tant de martyrs de Jésus-Christ avaient attendu avec joie et courage l'heure si désirée du sacrifice suprême, la grâce de Dieu descendit et changea le loup en agneau. L'eau sainte coula sur le front de ce nouveau bon larron, et dans le Ciel les Anges chantèrent un hosannah de plus à la miséricorde divine.

Le caporal, de garde ce jour-là à la prison, était un petit Parisien de vingt ans, qui... tout chose... accepta de servir de parrain à ce catéchumène peu ordinaire. Avec le sens chrétien qui distingue l'ancien élève des catéchismes de Saint-Sulpice, mon jeune caporal pensa qu'il ne convenait pas de laisser la cangue au cou et les chaînes aux pieds de celui à qui Dieu pardonnait tout, et, sans cesser d'avoir l'œil sur son prisonnier, il lui enleva toutes ses entraves pendant la cérémonie du baptême. Pour que rien ne manquàt à cette scène renouvelée des prisons antiques, au temps des martyrs, quand

Rome offrait un festin à leur élite sainte,

le prêtre et le soldat firent apporter le repas libre, l'agape funèbre, à celui qui allait mourir.

J'aurais désiré accompagner mon néophyte jusqu'au lieu du supplice; mais comme pareil spectacle ne s'était pas encore vu à Nam-Dinh, je craignis que mon rôle de missionnaire ne fût pas bien compris de la population païenne de la ville et je confiai à un catéchiste le soin d'assister le condamné, qui reçut le coup de sabre en criant: Jésus, Maria...

Je m'en allais faire ma visite habituelle à l'ambulance, quand l'adjudant de place me prévint que l'amiral Courbet venait d'arriver et que l'on m'invitait à aller à la Pagode royale avec les officiers pour le saluer.

Je me rendis avec joie à pareille invitation: tous les officiers de la garnison formait déjà cercle autour de l'amiral : Le vainqueur de Son-Tay, en casque colonial et petite tenue, sans autres insignes que ses étoiles, n'en paraissait que plus grand on eût dit qu'un nuage de tristesse assombrissait déjà son front couronné par la victoire. Il nous dit à peine quelques mots de politesse, la haute politesse du marin français, et, préoccupé sans doute, n'ayant passé que dix

minutes, un quart d'heure, dans la citadelle, il fit demi tour pour regagner la chaloupe sur laquelle il visitait le Tonkin à toute vapeur.

L'amiral m'avait fait une bienveillante inclination de tête en me donnant de bonnes nouvelles de Mgr Puginier ; le lieutenant-colonel Badens était venu me serrer la main; cela me suffisait : j'avais eu l'honneur de voir passer la figure déjà glorieuse de Courbet. Sans oser me joindre au brillant cortège qui reconduisait l'amiral, j'étais resté à la Pagode royale en attendant, pour rentrer chez moi, que ces Messieurs fussent sortis de la citadelle. Voilà qu'un interprète saïgonais, tout de soie habillé, accourt, essoufflé : «— Père, Monsieur l'amiral vous demande. »>

Je hâte le pas, mais avec le plus de dignité possible, et j'aperçois l'amiral qui se détache du cortège arrêté au milieu de la citadelle, et à travers les troupes formant la haie, revient sur ses pas... à ma rencontre, s'il vous plaît. J'allais me mettre au fossé pour le laisser passer, quand il me prit la main, et, casque bas, me fit un petit speech tout à fait gentil, auquel je ne sus répondre que par un... point d'orgue. Ce qui n'empêche pas que, trois ou quatre jours après, Mgr Puginier m'écrivait :

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Qu'avez-vous donc bien pu dire à l'amiral? il a été enchanté de votre réponse. »

Pas difficile, l'amiral !.... et comme il savait conquérir l'admiration de tous ceux qui l'approchaient ! On sentait l'homme supérieur, mais sans l'orgueil qui écrase....

Il avait arboré son pavillon sur le Bayard; il était, lui aussi, un chevalier sans peur et sans reproches. Hélas! son âme de patriote et sa haute intelligence durent cruellement souffrir de voir sur place les fautes de notre politique et de notre diplomatie rendre inutiles tant de dévouements et tant de sacrifices... Le vainqueur de Son-Tay quitta bientôt le Tonkin, en regrettant qu'on ne lui eût pas laissé le temps de prendre Bac-Ninh. Il devait bientôt mourir, dévoré par le chagrin et la maladie, martyr de l'honneur et de la discipline militaire, martyr du devoir !

Mais revenons un instant à la prison de Nam-Dinh. Lors de la prise de la ville par Françis Garnier en 1873, tous les prisonniers indigènes avaient été remis en liberté. C'était un précédent on ne peut plus digne d'envie. Or, un jour, je rencontrai au pied des marches de la tour un vieillard annamite d'une tournure tout à fait honnête qui prévenait en sa faveur; cependant il avait la cangue au cou et faisait la corvée de balayage. Il se prosterna devant moi en soupirant :

Père, je vous en prie, ayez pitié de moi. Qu'est-ce qu'il y a donc, mon pauvre vieux ? Ah! que je suis malheureux. J'étais capitaine des gardiens de la prison des mandarins au moment de la deuxième prise de Nam-Dinh par les Français, et, pour être sûr de n'avoir pas de mal et d'obtenir la liberté, je me suis fait mettre la cangue sur le cou..... mais, contrairement à mon espoir, cette fois-ci on m'a laissé dedans et je suis bien malheureux ! >>

En effet, il en avait l'air et la chanson. Le pauvre homme

était un chrétien du Nghé-An (Tonkin méridional). Comme il ne possédait aucun papier, aucune carte d'identité, je dus écrire aux Pères de sa mission à son sujet, et,quelque temps après, on vint le reconnaître. Son cas parut original et le commandant de Nam-Dinh fit mettre en liberté un homme qui avait témoigné tant de confiance dans la générosité française.

Quelques semaines après son passage à Nam-Dinh, l'amiral Courbet devait remettre le commandement du corps expéditionnaire au général Millot qui arrivait avec deux brigades, la première commandée par le général Brière-del'Isle, la deuxième par le général de Négrier. Les marins et les marsouins cédaient le pas aux troupes de la guerre. Cela ne leur faisait pas plaisir, comme on le pense bien. On disait le nouveau commandant en chef personna gratissima. Nous verrons bientôt si cela devait porter bonheur aux affaires du Tonkin.

En attendant, je vais tranquillement mon petit traintrain à Nam-Dinh, ou plutôt dans les environs, où la tranquillité, rétablie solidement par le colonel Brionval, me permet de donner la mission sans crainte.

On commença, en effet, à respirer pour tout de bon, du jour où la colonne de Phu-Kien revint chargée de pavillons multicolores qui furent plantés en trophées sur toute la face des remparts de la citadelle regardant la ville. Cela n'empêchait pas les régents de Hué de continuer avec une opiniâtreté enragée leurs menées haineuses contre la France.

Mais, pendant que se déroulaient tous les événements que je viens de conter, que devenait la communauté de Ke-So?

Le manque de troupes au Tonkin n'avait pas permis d'y maintenir le petit poste français qu'y avait placé le commandant Badens en mai 1883; mais Monseigneur avait obtenu du général en chef une cinquantaine de vieilles carabines et les avaient confiées au P. Mollard, supérieur du grand séminaire, avec permission et même injonction de s'en servir en cas de besoin. Les lecteurs des Missions vont pouvoir juger de quelle fière façon le P. Mollard remplit son rôle de défenseur général de la communauté je lui dois cet intéressant chapitre.

A 2 heures au sud de Ke-So, au village de Lang-Chang, sur le bord du Dai, habitait un chef de canton, Dinh Cong Trang, plus communément connu sous le nom de Cai Chang C'était un brigand des plus dangereux, influent et audacieux. Depuis le commencement des troubles, il ramassait un tas de clients suspects; sous prétexte de fidélité au roi, il ranconnait les barques et pillait les villages. Le P. Mollard avait l'œil sur lui, sans croire cependant qu'il oserait attaquer la mission.

Voilà qu'un beau jour, le 19 février, vers 10 heures du matin, pendant le cours de théologie, on entend des détonations formidables, et, un moment après, on aperçoit d'épaisses colonnes de fumée le village de Huong-Ngai, à une demi-heure de Ke-So, flambait. Bientôt les soldats du préfet de Phu-Ly,battus par les giacs (rebelles, pirates, bri

gands, tout ce que l'on veut de ce genre-là) arrivent au galop, laissant aux mains de l'ennemi un fusil de rempart chargé et leur doi (capitaine), ainsi qu'un soldat, qui furent décapités sur le marché de Hong-Ngai.

Les brigands, au nombre de 350, disait-on, avaient planté triomphalement leurs drapeaux sur la route royale à un kilomètre et demi de la communauté.

Le P. Mollard, croyant le chiffre de 35 exagéré, prend 15 hommes de la Maison de Dieu armés de fusils et une ving taine de chrétiens de So-Kien, armés de lances et de bâtons, et les voilà partis, recrutant en chemin une dizaine de soldats du préfet. Absolument novice dans l'art de la guerre, mon brave P. Mollard se figurait que les brigands allaient décamper en l'apercevant. Ah! bien oui ! Les giacs, couchés à plat ventre sur la route le reçoivent à coups de fusils; les nôtres ripostent, mais faiblement. L'ennemi, enhardi, fait mine de vouloir avancer.

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Ah! pas de ça, dit le Père, non, la Sainte-Vierge ne peut pas permettre que nous soyons battus! >>

Il charge alors avec des chevrotines le fusil de chasse à deux coups qu'il tenait à la main et, suivi de deux hommes seulement, il s'élance au beau milieu de la route en criant: <«En avant! » Cinquante mètres à peine les séparaient de l'ennemi. Aussitôt deux pirates foncent sur lui: l'un, couvert depuis les yeux jusqu'aux genoux par un grand bouclier, brandit un sabre; l'autre est armé d'une lance avec un étendard roulé autour de la hampe. Le Père les met en joue, ils continuent à avancer. A quinze pas, notre brave confrère lache un premier coup dans les jambes de celui que protège le bouclier. Les pirates n'y prennent garde ils se jettent sur le missionnaire qui reçoit un coup de sabre sur le bras et rend un coup de fusil : le brigand qui en fut honoré se sauva avec du plomb dans l'aile. Quant au lancier, il perdit contenance et ne fit qu'érafler l'épaule du Père qui lui cassa son fusil dans le ventre, lui prit sa lance et lui en donna deux coups dans le dos au moment où il tournait casaque.

La bande de Philistins, qui assistait à ce combat singulier, s'inclina devant le jugement de Dieu: elle prit la fuite comme un troupeau de chèvres qui a le tigre à ses trousses. Les nôtres, après avoir reçu des renforts de la communauté, se mettent à la poursuite de l'ennemi qui incendie le petit village chrétien de Dong-Haï, sur la route. On s'empare de tout le butin des brigands en train de préparer une petite fête buffles, boeufs, riz tout chaud, cochons tout saignés, etc. Mais la bande tout entière tire sur la droite à travers champs et va se réfugier chez le Cai-Chang. Il n'eut pas été prudent de l'y poursuivre. Le P. Mollard rentra à ké-So, avec trois drapeaux, une dizaine de sabres, vingt cuirasses, deux fusils de rempart et 4 prisonniers qui furent livrés au Préfet de Phu-Ly. Celui-ci envoya le lendemain en présent au Père un boeuf pour offrir un repas aux vaillants combattants de So-Kien, et une belle pancarte couverte de grands cachets rouges, témoignage authentique, disait-il, des félicitations et de la gratitude du gouvernement, qui ne pourrait jamais reconnaître assez dignement le service signalé que la Mission venait de lui rendre.

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Le Père Mollard dut à une protection spéciale de la très sainte Vierge de n'avoir pas été écharpé. Sa blessure n'était qu'une simple égratignure : personne des nôtres n'eut de mal.

Cette rencontre absolument inopinée nous ouvrit les yeux sur les véritables intentions du Cai-Chang et sur le danger qui menaçait la communauté. Cette bande de 350 brigands avait bien été annoncée quelques jours auparavant comme devant descendre de Phu-Xuyen chez le fameux chef de canton de Lang-Chang: elle devait être suivie d'une autre de 500 hommes. Enfin, une troisième bande était en train de se former du côté de Phu-Dinh: toutes avaient Ke-So pour objectif.

A Hanoi, Mgr Puginier, prévenu de ce qui se passait, en

parla au général Millot qui donna immédiatement l'ordre au commandant de Nam-Dinh d'envoyer un détachement de 25 soldats d'infanterie de marine pour garder la Mission. Le 27 février, La Surprise arrivait de grand matin, amenant le détachement commandé par un sous-lieutenant, M. Bergelot, qui se trouvait être un cousin du Père Ravier. Naturellement on parla aussitôt avec le commandant de La Surprise, de l'histoire du Cai-Chang, et séance tenante, avant que rien ne fût ébruité, il fut résolu qu'on irait prendre l'oiseau dans son nid.

Voilà donc le détachement d'infanterie de marine qui part par voie de terre avec une troupe auxiliaire d'environ 200 catholiques pour se rendre à Lang-Chang. La canonnière y descend en même temps par le fleuve et dé

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TONKIN OCCIDENTAL.- PONT SUR UN ARROYO; d'après une photographie envoyée par M. GIROD, des Missions Etrangères de Paris (voir le texte).

barque 15 marins qui prennent le village par le côté sud; 15 soldats d'infanterie avec les gens de la Mission débouchent par le côté nord; 10 autres marsouins gardent le côté est sur la route royale, de manière qu'il ne reste aux pirates aucune issue. Tout va bien l'ennemi refoulé à coups de fusils se retranche dans la maison du Cai-Chang, maison construite en briques et aménagée depuis peu pour soutenir un siége. Devant cet obstacle inattendu - car CaiChang avait très bien masqué son jeu nos gens s'arrêtent pour prendre leurs mesures avant de donner l'assaut. Le commandant de la canonnière, qui, du bord, n'apercevait pas les murs crenelés de la maison, s'impatiente de cette lenteur et descend à terre. Il n'y a pas plutôt jeté un coup d'œil qu'il s'écrie :

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Nous ne pouvons rien faire là; c'est une forteresse, il n'y a qu'à nous en aller. »

Le Père eut beau insister en représentant les suites qu'aurait cette expédition avortée, la facilité de tourner le mur que, du reste, on pouvait démolir avec quelques coups de canon (il n'y avait qu'une seule brique d'épaisseur), tout fut inutile. Le commandant n'avait pas d'ordres, il ne pouvait exposer la vie de ses hommes, et il avait son heure fixée pour rentrer à Nam-Dinh.

«Eh bien, commandant, dit le Père Mollard, moi, j'y vais avec mes catholiques! >>

Ce fut alors au tour du commandant de La Surprise à essayer de dissuader le missionnaire. Mais celui-ci fut inébranlable dans sa résolution.

Ce que voyant, le lieutenant de vaisseau se fàcha pour tout de bon, reprochant au Père de vouloir lui faire perdre son commandement :

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