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TONKIN OCCIDENTAL.- PONT DE CAU-CHO, SUR LA ROUTE DE SON-TAY A HA-Nor; d'après une photographie envoyée par M. GIROD, des Missions Etrangères de Paris (voir p. 499).

CHINE

Le courrier de samedi dernier a apporté les détails les plus navrants sur les pauvres missions de Chine. Nous publions les lettres venues des vicariats des Lazaristes, des Missions Etrangères et des Franciscains. Toutes montrent combien les missionnaires ont besoin de secours en ce moment pour soulager leurs infortunés chrétiens.

I PÉKIN

On a enfin des nouvelles de Mgr Favier. Nous recevons communication de la lettre suivante que l'éminent vicaire apostolique de Pékin a adressée à M. Fiat, Supérieur général de la Congrégation des Lazaristes, à Paris.

LETTRE DE MGR FAVIER

Pékin, 16 août 1900.

Hier, les troupes sont entrées à Pékin. Ce matin, nous avons été délivrés par les Français. Dans les deux mois de siège, le Pe-tang a reçu 2.400 obus ou boulets; tout est bien avarié, l'église est à recom

No 1637. 19 OCTOBRE 1900.

mencer; des mines ont sauté et nous ont tué beaucoup de monde, ainsi que les balles et la faim. Nous n'avions plus que pour deux jours de vivres, à raison de deux onces par personne! On a mangé tous les animaux, toutes les feuilles d'arbres, racines, etc., etc.; plus de 120 enfants sont morts et 51 ont été ensevelis sous une explosion; nous avons 400 tombes au jardin! Enfin, nos 3.000 chrétiens et chrétiennes sont sauvés.

M. Chavanne est mort d'une blessure et de la petite vérole pendant le siège MM. Garrigues et Doré sont morts martyrs, massacrés dans leur paroisse. M. d'Addosio, hier soir, égorgé dans la rue, en voulant venir au Pé-tang. Nous connaissons la mort de quatre ou cinq Pères chinois et probablement il y a beaucoup d'autres victimes, je vous en écrirai plus tard.

A Pékin, tout est brûlé, moins le Pé-tang qui a fait une défense héroïque défendu par 40 marins! A plus tard d'autres détails. Nous avons beaucoup souffert, mais le bon Dieu, la sainte Vierge et les saints ont fait des miracles tout le temps.

Votre bénédiction s'il vous plaît. « Or, sus, tenons

<«<< bon, tout est à refaire; eh bien, on refera tout « avec la grâce de Dieu. » Rien que dans notre vicariat, nous avons au moins vingt mille martyrs, ils nous aideront dans le Ciel! Il n'y a pas eu de défaillances et tout le monde va bien.

Voici des extraits de différentes autres lettres arrivées par le même courrier et que nous communique Mgr Geurtz, vicaire apostolique du Tche-ly oriental.

On sait, en effet, que Mgr Favier, quelque temps avant les troubles, avait divisé son vicariat et avait obtenu pour luimême un coadjuteur, Mgr Jarlin.

Mgr Geurtz, sacré dernièrement en Hollande, n'a pu se rendre aussitôt dans son vicariat et est à Paris.

C'est à sa bienveillance que nous devons les nouvelles suivantes :

LETTRE DE M. FRANCÈS

Shanghai, 3 septembre 1900. Enfin, après deux longs mois d'attente et d'angoisse, deux lettres parties de Pékin le 23 août nous sont arrivées hier soir. D'après ces lettres, signées l'une de M. Ducoulombier, et l'autre de Mgr Jarlin (coadjuteur de Mgr. Favier), voici les noms des morts avec les circonstances dans lesquelles ils ont succombés.

1o M. Garrigues, brûlé vif dans le Toung-tang avec son confrère indigène Ly Barthélemy, vers la fin juin ;

20 M. Doré brûlé dans le Sitang (église de Notre-Dame des sept douleurs) pendant sa messe ;

30 M. Chavanne, mort pendant le siège de la petite vérole; 1° M. D'Addosio, du Nan-tang, qui, ayant quitté la légation où il s'était réfugié, pour aller au Pétang chez Mgr Favier, avait à peine fait quelques pas qu'il fut tué par les soldats du prince Tuan;

5° M. Pierre Nié, lazariste chinois, dans le district de Tien-tsin;

6° MM. Ly André et Pao Thomas, prètres séculiers chinois tués ou brûlés ;

7° Deux Frères Maristes de Cha-la-Eul, à savoir : le Frère Visiteur et le Frère Directeur. Un d'eux occupé avec des ouvriers à couper un fil électrique destiné à allumer une mine qui devait faire sauter le Petang, fut tué par l'explosion avec les ouvriers.

Mgr Favier et Mgr Jarlin se portent bien avec tous les confrères de Pékin. Quant aux autres confrères en dehors de Pékin, on n'a de nouvelles positives que des confrères de Tien-tsin par M. Guilloux. M. Desrumeaux a suivi comme aumônier le corps expéditionnaire français à Pékin. Enfin MM. Dehus et Che Jacques (Lazaristes Chinois), sauvés miraculeusement.

Des sœurs (filles de la Charité) qui étaient à Pékin, sœur Jaurias, seule, est morte des suites de ses émotions, le 22 août, six jours après la délivrance.

Figurez-vous les Sœurs avec 500 enfants et un millier de réfugiés. Les boulets et les balles pleuvaient dans les cours et sur leur maison. On avait muré les portes extérieures et ouvert une communication avec le Pétang où étaient

40 matelots français et italiens,défendant les deux maisons. Les Sœurs devaient se transporter avec tout le personnel d'un côté ou d'un autre, selon le côté où les obus pleuvraient. La sainte messe et la sainte communion, à 2 heures du matin, venaient les fortifier et leur donner le courage dont elles avaient besoin. Elles avaient toujours la mort devant les yeux le plus terrible, c'étaient les explosions; les bandits, ne pouvant pénétrer dans les maisons, avaient pratiqué des mines en dessous; il y a eu trois ou quatre explosions, beaucoup d'enfants et de chrétiennes ont péri, mais aucune religieuse n'a été blessée! c'est miraculeux !

Le Jen tse tang (établissement des Sœurs), est bouleversé, les toits enfoncés, les murs lézardés, écroulés en plusieurs endroits, de sorte qu'à la fin de juillet, pendant plusieurs jours de grandes pluies, elles ne pouvaient se mettre à l'abri.

Ajoutez à cela le manque de nourriture: depuis le commencement d'août, on ne pouvait donner aux femmes et aux enfants que deux bols de riz bien clair et les quatre derniers jours un bol; après le 15, il ne devait rien rester.

Au Pétang, même situation : on avait tué toutes les bêtes; porcs, ânes, mulets, tout y avait passé, et les provisions. étaient épuisées dans les deux maisons. C'est dans la nuit du 14 que les troupes sont entrées. Le 16, enfin les officiers et matelots français et japonais escaladèrent les murs pendant que d'autres balayaient à coups de canon les assiégeants. Les missionnaires et les Sœurs étaient délivrés!!! On se mit à visiter partout pour trouver les mines: il y en avait une préparée pour le lendemain, assez longue pour faire sauter les deux établissements.

Les Sœurs de l'hôpital ont été emmenées par M. Chamot, à 2 heures de la nuit. A peine étaient-elles parties que les Boxeurs arrivèrent avec des voitures pour les emporter à la Pagode. Que seraient-elles devenues aux mains de ces tigres! Ils étaient enragés et disaient que, s'ils les trouvaient, ils les couperaient en morceaux. Dans leur fureur, ils ont massacré tout le monde, catéchumènes, réfugiées, infirmes, employés. Puis ils ont pillé et mis le feu.

Pendant tout le temps du siège, le Pétang (résidence de l'évêque) et les légations sont restés sans communications à cause des bandes de Boxeurs et de soldats chinois qui campaient dans les rues et se cachaient dans les maisons; à cause aussi de la distance, qui est d'une bonne heure de voiture pékinoise. Voilà pourquoi on n'a pas pu dans les télégrammes parler de Mgr Favier, ni des autres missionnaires. De même entre Pékin et Tien-tsin les communications n'ont pas cessé d'être coupées par les Boxeurs et les troupes chinoises. Mgr Jarlin et M. Ducoulombier pouvaient encore, avec leurs armes, tenir tête aux Boxeurs; mais ils allaient mourir de faim, eux et tous les chrétiens n'ayant plus de vivres que pour 48 heures !

Les lettres ajoutent que le siège a été impitoyable jus

qu'à la fin, et les troupes européennes ont dû débloquer chaque quartier l'un après l'autre.

En ce moment toute la Chine est surexcitée.

A Pékin, les pertes sont considérables, et les missionnaires sont effrayés de tant de ruines. Des quatre églises de la capitale il ne reste plus que celle du Pétang; encore estelle trouée d'obus et de mitraille. Tous les chrétiens sont ruinés, on a mis le feu à leurs maisons et il ne leur reste plus qu'à périr de faim, car il n'y a pas eu de récoltes à cause des troubles; la famine menace même les Européens.

Au sujet de la mort de sœur Jaurias, M. Bettembourg, procureur général des Lazaristes, nous communique cette touchante lettre adressée par sœur Ducurtyl à la très honorée Mère Kieffer, supérieure générale des Filles de la Charité.

Péking, maison de l'Immaculée Conception, 27 août 1900.

« Une dépêche vous aura appris depuis longtemps, à la réception de ces lignes, la grande épreuve qui vient encore de nous frapper : la perte de notre sœur Jaurias; c'est le plus grand de nos malheurs.

«Je ne vous parlerai pas de notre martyre de ces trois mois, d'autres le feront; ce que je tiens à vous dire, c'est que, sous le coup de l'épreuve, au milieu de la fusillade, des boulets, qui jour et nuit se croisaient sur notre maison; des flèches incendiaires, de tout ce que l'enfer peut inventer contre ceux qui sont à Dieu, sœur Jaurias s'est toujours montrée admirable de courage, de calme, de résignation; elle avait l'assurance que Dieu nous sauverait au moment où tout semblerait perdu. Mais, lorsqu'elle vit nos pauvres enfants, nos réfugiées, tout notre monde languir, faute de nourriture, puisque les derniers grains étaient épuisés au 15 août, toutes les feuilles, les herbes dévorées, elle commença à faiblir; puis l'explosion de quatre mines, qui engloutit en deux fois 90 victimes, dont 52 de nos chères petites de la crèche, 5 de nos braves marins, une vingtaine de catéchumènes, lui porta le coup fatal.

« Le 15 août, veille de notre délivrance, sœur Jaurias eut une attaque, qui nous décida à lui faire administrer les derniers sacrements. Elle les reçut avec un calme, une paix, qui adoucit un peu nos larmes. Nous avions encore l'espoir que Dieu nous la laisserait. Mais, le 16 août, au matin, nouvelle alerte: il fallut en toute hâte la transporter à la résidence des Missionnaires à cause d'une nouvelle mine dont on redoutait l'explosion. Heureusement en ce moment même, nos sauveurs arrivaient jusqu'à nos murs et repoussaient nos ennemis.

«La joie de la délivrance rendit un peu de vie à notre vénéré malade. Le 18, elle était sur pied; le 19, elle fit la sainte communion à 4 heures à la chapelle, entendit deux messes, passa une partie de la matinée écrire à nos supérieurs de Shang-Hai. Tout à coup sa tête s'inclina, et elle perdit connaissance. Cet état dura deux jours. Le mardi 21, elle reprit un peu ses esprits et à 3 heures du soir elle rendait sans agonie sa belle âme à Dieu.

« C'est la victime, que Dieu s'est choisie, pour représenter, dans le choeur des martyrs de cette persécution, la petite Compagnie des Filles de la Charité. Si elle n'a pas péri sous le glaive des persécuteurs, c'est que Dieu, dans sa miséricorde, a voulu nous laisser jusqu'à la fin ce beau modèle; mais que de fois elle avait fait le sacrifice de sa vie ! »

A Tchang-ting-fou (vicariat de Mgr Bruguière), personne n'a été inquiété, au dire de M. Jadot, ingénieur en chef du chemin de fer.

II KIANG-SI

Voici ce qui s'est passé au Kiang-si depuis le commencement des troubles.

Malgré toutes les promesses de défense énergique et effi cace, Kin-té-tcheng a été ravagé le 11 juillet. Résidence, chapelles, écoles et maisons des chrétiens, tout a été brûlé jusqu'à la dernière planche.

M. Dauverchain restait à Yao-tcheou avec deux confrères. Il durent se réfugier au tribunal. Le sous-préfet loua aussitôt une barque et les fit diriger sur la ville de Kiou-Kiang. Au moment de l'embarquement, la foule, ayant reconnu M. Dauverchain, se rua de nouveau sur lui. Il ne fut sauvé cette fois que grâce à l'énergie d'un soldat chinois qui, de sa baïonnette, perça plusieurs agresseurs. C'est ainsi que les missionnaires de Yao-tcheou purent s'échapper; de tous leurs établissements de Yao-tcheou rien n'est resté debout. Plusieurs personnes furent là, comme ailleurs, brûlées vives dans l'incendie, surtout des infirmes et des orphelins. Dans le district de Fou-tcheou, Toung-lou fut brûlé et les orphelins furent enlevés. Fou-tcheou fut assiégé. M. Donjoux put se sauver. Actuellement, de toutes les missions de Mgr Vic, il ne reste que Fou-tcheou et Kien-tchang; tout le reste est anéanti, brùlė.

Dès que j'appris à Nan-tchang le désastre de Yao-tcheou nous fimes nos préparatifs et nous nous dirigeâmes vers Kiou-Kiang. Les protestants étaient déjà partis depuis près de deux mois. Après notre départ, les chrétiens de Nantchang ont eu beaucoup à souffrir. Mais, à part une seule chapelle, toutes nos maisons sont encore debout dans trois districts (vicariat de Mgr Bray).

Il n'en a pas été de même à Kiou-Kiang, où, en ces dernières années, le zèle de M. Fatiguet avait opéré tant de conversions. Là, il y a eu plusieurs chapelles détruites et tous les chrétiens ont été chassés de chez eux. Les Sœurs de Kiou-Kiang sont à Shanghaï. Tous les missionnaires sont dans cette ville, en attendant que les événements nous permettent de rentrer chez nous. Toutes nos oeuvres sont licenciées ou suspendues pour le moment. Quelle besogne pour le retour! Que le Bon Dieu nous aide!

Ainsi, de tout le Vicariat de Mgr Vic et de celui de Mgr Coqset, il ne reste plus rien, ni églises, ni résidences, ni chrétienté. Mgr Coqset, MM. Pérès et Festa sont attendus à Kiou-Kiang.

Trois mille Pavillons-Noirs viennent de traverser la province de Kouang-tong en répandant la dévastation sur leur passage. Le consul anglais de Kiou-Kiang fait d'inutiles démarches auprès des autorités chinoises, pour que l'on refoule ces insurgés.

Il y a peu d'espoir de les voir rebrousser chemin; ils se rendent à Nankin par le lac Poyang.

Un croiseur anglais est dans le port de Kiou-Kiang, prêt à recevoir les résidents, qui n'ont pas encore quittė KiouKiang.

Voilà nos nouvelles jusqu'au 10 septembre.

III

MANDCHOURIE MÉRIDIONALE

Nous nous empressons de publier les nouvelles suivantes qui nous arrivent de Mandchourie. Dans les districts qu'ils occupent encore, les Boxeurs continuent à massacrer les chrétiens; dans la partie qu'ils ont dû abandonner, des bandes de brigands les remplacent, rançonnant tout le monde et tuant tous ceux qui ne veulent pas les suivre. Quand donc le calme reviendra-t-il pour permettre aux missionnaires de commencer à relever tant de ruines !

LETTRE DE M. CHOULET, DES MISSIONS ETRANGÈRES DE PARIS, PROVICAIRE DE LA MANDCHOURIE MÉRIDIONALE.

Ing-tse, 25 août 1900.

Aujourd'hui, j'ai une bonne nouvelle à vous annoncer. N'ayant pas le temps de vous écrire longuement, je vous envoie la dernière lettre du P. Corbel. Quand je pense à notre pauvre mission, j'en ai le cœur brisé. Il ne nous reste que Tcha-Koou (N.-D. des Neiges) et Ing-Tse. Je comptais encore un peu sur San-tai-tsé; mais, hélas! le clocher de l'église est complètement démoli, les deux ailes sont abattues..... Mais les chrétiens ont vu grandir leur foi au lieu de la perdre. C'est le principal.....

LETTRE DE M. CORBEL A M. CHOULET (')

San-tai-tse, 19 août 1900. Nous sommes encore en vie, et c'est par un vrai miracle. Je ne saurais vous dire toutes les tribulations par lesquelles nous avons passé.

Trois longues semaines durant, nous avons soutenu un siège formidable contre 1.500 soldats et 1.000 Boxeurs. Presque chaque jour il a fallu combattre : nos ennemis ont déchargé sur nous plus de 600 coups de canon et 50.000 coups de fusil.

Notre église, la résidence et le couvent sont criblés par les boulets et à moitié détruits. L'orphelinat de la SainteEnfance et presque toutes les maisons des chrétiens ont été incendiés.

Nous avons une quinzaine de morts, entre autres le fils de Tou-Ki-Sien, décédé lui-même l'an dernier au service de Mgr Guillon. Nos blessés sont au nombre de 20. Le fils de Ouang-in-houai, de Cha-ling, a reçu une blessure très grave. Ce jeune homme se distinguait entre tous par sa piété et son dévouement. Je l'avais établi chef de mes soldats. Il remplissait trop bien son rôle et j'avais trop de confiance en lui; le bon Dieu a voulu nous priver de son concours pour nous apprendre à ne nous appuyer que sur lui. Maxime Tou, élève du collège, a été atteint à l'oil gauche et son état me donne beaucoup d'inquiétude.

Le jour de l'Assomption, le P. Caubrière et moi, nous avons célébré la Messe vers 2 heures du matin. Nous nous

(1) Dans le numéro du 21 septembre dernier, nous avons parlé de la vaillante conduite de M. Corbel.

attendions ce jour là à monter au ciel avec la Sainte Vierge et nous nous réjouissions à la pensée de voir finir nos misères et nos combats.

Je donnai donc une dernière absolution générale et la sainte communion à nos chrétiens. Nous étions sur le quivive et nous attendions les obus et les balles.

Vers midi, on aperçoit dans le voisinage quelques païens du village qui s'approchent timidement de nos retranchements et finissent par entrer. Ils nous apprennent que les soldats sont partis la veille. Vous devinez la joie que nous causa cette bonne nouvelle.

Les jours suivants, nos gens s'enhardirent, allèrent sur la place, voire même dans les villages voisins pour prendre des informations et acheter quelques provisions. Le village de San-tai-tse est à peu près détruit. Les païens de tous les environs ont été eux-mêmes dévalisés par les soldats et les Boxeurs. Ils ont reçu la punition de leur crime; car ce sont eux qui nous avaient dénoncés au mandarin et avaient excité les Boxeurs à venir nous massacrer.

Nos ennemis se sont retirés la honte au front et la rage dans le cœur. Avec une poignée de soldats improvisés, nous les avons tenus en respect pendant vingt jours et nous leur avons tué plus de 150 hommes, sans compter les blessés.

Dès le second jour de l'attaque (26 juillet), nous avons failli succomber. Les ennemis allaient entrer il n'y avait plus d'espoir. Je donnai l'ordre de faire une sortie. Hommes, jeunes filles et femmes, une soixantaine de personnes en tout, se lancèrent sur les assaillants avec couteaux, faucilles et batons; une lutte corps à corps s'engagea à la suite de laquelle les assaillants furent repoussés et deux de leurs soldats restèrent sur le terrain. On enleva les fusils et les cartouchières des soldats morts. Ces deux magnififiques fusils nous ont rendu plus tard de grands services. En cette sortie nous ne perdîmes qu'un homme. Nos ennemis ont déployé d'autant plus d'ardeur à nous combattre qu'ils nous savaient peu nombreux et mal outillés. Mais nous avions pour nous Dieu et le courage de nos chrétiens.

Quand les soldats sont partis, il ne nous restait plus que cinq livres de poudre. Chaque jour nous tâchons de faire nos provisions, car nous sommes encore loin de nous croire délivrés.

Si vous pouvez quelque chose pour nous auprès des Russes, venez-nous en aide. Si vous pouviez aussi nous procurer une vingtaine de bons fusils avec poudre et plomb, quel service vous nous rendriez !

Le porteur de cette lettre dit que la route du port est assez tranquille. Si nous n'avions une foule de malades, d'enfants et de femmes, le P. Caubrière et moi nous pourrions nous rendre à Ing-tse, mais alors beaucoup de nos gens seraient massacrés et San-tai-tse serait rasé. Somme toute, il vaut mieux attendre en paix la suite des événements. Le bon Dieu, qui nous a sauvés d'une manière si miraculeuse, peut nous continuer sa protection. Le P. Caubrière est décidé à mourir avec tous ses chrétiens et ne demande qu'à aller rejoindre nos martyrs; moi, en ma qualité de curé, je ne dois pas rester en arrière sur mon vicaire.

Nous avons cru bien faire en nous défendant. Nous avons pris un moyen licite pour procurer un très grand bien. Nous croyons que le bon Dieu aura égard à notre intention qui était excellente, car nous n'avons eu en vue que sa gloire et le salut de nos ouailles.

Nos chrétiens ont été pleins de courage pendant toute la durée du siège et une vingtaine de nos soldats se sont battus comme des lions. Je n'aurais jamais cru les Chinois capables de pareil enthousiasme. Les jeunes filles ellesmêmes voulaient sortir dans la rue et poursuivre les agresseurs. Madeleine Tou, supérieure du couvent, malgré ses 60 ans, a commandé une sortie brillante, armée d'un râteau en fer. Dans cette sortie, nos gens ont rapporté les dépouilles de plusieurs Boxeurs.

Je vous ai dit que nos maisons sont presque entièrement détruites ou incendiées. Notre misère est profonde. Nous sommes plus de 700 personnes (dont 500 femmes ou enfants) entassées dans les quelques maisonnettes qui sont restées debout. La plupart couchent dehors ou dans des caves creusées sous terre. Pour votre édification, je vous dirai que le P. Caubrière et moi, nous résidons actuellement dans la petite cabane qui se trouve au fond du jardin et qui nous servait naguère encore de « water-closets ». Nous sommes certainement les mieux partagés de toute la famille.

On commence à sentir la fraîcheur des nuits et nos pauvres chrétiens sont sans habits. Ils sont venus au moment des grandes chaleurs et, dans l'incendie de leurs maisons, ils ont perdu tout ce qui leur appartenait.

Si nous échappons à la mort, j'espère que vous nous viendrez en aide de tout votre pouvoir. Pour soulager l'infortune des chrétiens, je donnerai tout ce que j'ai et même les biens de l'Eglise Sed quid haec inter tantos?

Nous avons ici six élèves du collège : ils se portent bien et voudraient écrire à leur supérieur, mais je ne leur permets pas de le faire, par crainte de grossir imprudemment le petit paquet de lettres que je vous envoie. Confiez au porteur quelques médecines européennes pour soigner les blessures de nos pauvres chrétiens. Aidez-nous autant que vous le pourrez, mais au reste ne vous inquiétez pas de nous outre mesure; s'il faut mourir, nous mourrons contents, et notre position est moins intolérable que vous ne le croyez peut-être.

Une dépêche postérieure à cette lettre annonce que les deux Pères ont été de nouveau investis. On n'a aucune nouvelle sur leur situation actuelle.

Quelques jours après sa première lettre, M. Choulet écrivait ce qui suit:

Ing-tse, 29 août.

Que vous dire aujourd'hui ? Depuis mon dernier courrier, je ne vois pas beaucoup d'amélioration dans notre situation. De l'intérieur je ne puis avoir aucune nouvelle sûre; des environs, celles qui m'arrivent ne sont guère satisfaisantes. Les Boxeurs ont perdu beaucoup de leur ancien prestige, il est vrai : on les maudit avec rage; les païens commencent à comprendre qu'ils ont été dupés; mais l'anarchie règne dans le pays et tout le monde en souffre. Je

ne puis comprendre d'où sont sortis tous ces bandits qui rançonnent les paysans. De tous côtés, on entend parler de leurs méfaits. Pour le moment, les Russes ne s'occupent pas d'eux. Ils repoussent bien doucement les soldats chinois vers Moukden, refont leur chemin de fer, débarrassent les villes de leurs richesses et laissent les Chinois se manger les uns les autres. Les brigands sont vraiment les maîtres du pays.

Que de soucis, que de tracas depuis trois mois ! Je n'en puis plus. En présence de tant de maux je sens le découragement s'emparer de moi. Je ne voudrais pas y penser; mais, jour et nuit, le triste tableau que présente notre mission est là devant mes yeux. Evêque martyrisé, missionnaires massacrés ou perdus, ou bien encore exposés à toute espèce de dangers..... Je suis à Ing-tse, en sûreté, il est vrai, mais impuissant à soulager les infortunes de mes frères.

IV

CHAN-SI, HOU-NAN et HOU-PE

Nous recevons des missions dirigées par les RR. PP. Franciscains en Chine les plus tristes nouvelles. Les massacres du Hou-Nan méridional et du Chan-si septentrional sont confirmés. Le nombre des victimes serait même plus grand qu'on ne l'avait annoncé tout d'abord. Parmi elles il faudrait compter le P. André, religieux alsacien français, parti pour la Chine il y a deux ans. Le chiffre des Européens tués en plein tribunal serait de soixante-dix.

Au Chan-si méridional, la situation est des plus pénibles. Le vicaire apostolique, Mgr Hofman, se trouve chez Mgr Scarella, au Ho-nan septentrional, dans une résidence fortifiée. Le provicaire général écrit que les missionnaires sont assiégés dans leur résidence où ils ne pourront plus résister longtemps; il demande l'envoi de soldats européens pour les délivrer.

Voici, maintenant, des lettres des trois Hou-pé. C'est d'abord le R. P. Piccoli, procureur des Franciscains, qui écrit de Han-Kow (Hou-pé oriental):

La persécution continue. L'espérance que nous avions concue d'avoir un peu de répit, grâce à l'entrée à Pékin des troupes européennes, a été illusoire.

Ici, la situation est déplorable. Les chrétiens sont forcés par les mandarins d'apostasier. On brûle leurs maisons et on les empêche de les rebâtir; on fauche leurs moissons, on leur interdit de vendre leurs produits, de sorte qu'il leur est impossible d'échapper à l'alternative: ou mourir de faim, ou renier Jésus-Christ. La mission fait tout ce qu'elle peut pour leur venir en aide. Plaise à Dieu de mettre fin à cette tempête!

..

Ecoutons maintenant Mgr Verhaegen, vicaire apostolique du Hou-pé méridional.

Notre pauvre vicariat, déjà si éprouvé par la terrible persécution qui amena le martyre du Père Victorin, ne paraît pas encore arrivé à la fin de ses épreuves. Ces jours derniers, un de nos prêtres chinois était vivement recherché par un mandarin dont la prétention était de mettre en

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