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M. BOURGEOIS.

M. LE GUEVEL. M. VIAUD. M. AGNIUS. M. BAYART. LES MISSIONNAIRES DE LA SOCIETE DES MISSIONS ÉTRANGÈRES DE PARIS RÉCEMMENT MASSACRES EN MANDCHOURIE

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Le premier militaire se rangea à gauche, le deuxième, le troisième et ainsi de suite jusqu'à la queue de la colonne. Il n'y eut qu'une seconde d'hésitation des deux côtés, quand le mandarin, qui était en palanquin couvert, porté sur les épaules pliantes de deux soldats, mit le nez au vent et demanda discrètement :

Quel est donc cet individu-là?

« Un missionnaire français ! », répondis-je sans hésiter, mais la main sur la crosse de mon fusil, que portait toujours le petit élève bien cogné contre moi.

Et nous continuâmes notre chemin en sens inverse. Hélas, un mois plus tard, le cher P. Béchet, qui venait me voir à Nam Dinh, ne passa pas aussi facilement que cela.

C'était pour m'envoyer comme aumônier des troupes à Nam Dinh que mon évèque me faisait venir à Ké So chercher ses instructions. Cette nouvelle destination, malgré mon goût naturel pour le soldat, me causa plus de peur que de joie. Je sentais parfaitement que je n'avais pas encore assez de barbe au menton. Seul, jeune missionnaire tout frais émoulu, qu'est-ce que je pourrais bien faire dans cette galère? Monseigneur m'encouragea, me donna sa bénédiction et je pris place, comme un oiseau de passage, sur l'hospitalière Fanfare, qui traversait Ké So se rendant à Nam Dinh. Le commandant Gadaud et les officiers de son bord eurent pour moi les attentions les plus délicates.

La Fanfare, qui devait stopper la journée du dimanche 1er mai, à Luc Bo, à l'entrée du canal de Nam Dinh, me déposa, le samedi soir, à Ké Vinh où je reçus la bonne visite du P. Ravier. Dans la soirée, ce cher confrère me reconduisit jusqu'en vue de la Fanfare.

Que j'ai eu de bonheur de rencontrer sur le chemin de la vie cet ami sincère, le jour où il me fit pivoter autour de la montagne de Ninh Binh! Hélas! je n'y tournerai plus avec lui que par le souvenir, car je viens de recevoir la nouvelle de sa mort en France, à Montbeton, au sanatorium des Missions étrangères, où ce cher Père a rendu l'âme, le 29 novembre 1899, à la suite d'une douloureuse opération héroïquement supportée. Et moi, qui espérais le voir bientôt revenir au Tonkin complètement rétabli. Oh! que la mort se moque de nos affections et de nos désirs! Mais Dieu est bon, et j'ai la confiance qu'll a déjà accordé la récompense éternelle à ce digne missionnaire. Cher P. Ravier, au revoir près du bon Dieu; mais, vous le savez, maintenant mieux que jamais, il faut me tendre la main; j'en ai besoin pour ne pas chavirer.

Piloté avec distinction et bienveillance par le commandant de la Fanfare, j'arrivai à Nam Dinh, le lundi 1er mai, à 10 heures du matin. Au débarcadère près de la rue des Chinois, c'était un brouhaha insensé : coolies transportant du matériel de troupes et de guerre, porteuses d'eau ou marchandes des quatre saisons, sampaniers et barquières, boys et con gai (filles) plus ou moins louches, tout ce monde curieux et remuant ne me disait pas grand'chose de bon et

je me trouvais moins à l'aise qu'avec les braves gens de la campagne. Je crois même que, le jour où j'avais rencontré les guerriers du roi sur la grande route, j'avais meilleure contenance et faisais meilleure figure.

Grâce au commandant Gadaud, je me tirai d'affaire; il eut la bonté de me présenter lui-même au commandant Badens, qui me fit le plus aimable accueil, en me disant qu'envoyé par Mgr Puginier, je ne pouvais être que le bienvenu pour tout le monde militaire de Nam Dinh, les bien portants comme les malades de l'Ambulance.

Le commandant de Nam Dinh, encore jeune, trente-six ans, passait pour un homme très fin. On voyait au premier abord que sa réputation ne devait pas être surfaite. Son il intelligent et vif vous enveloppait du premier coup, en même temps que sa voix flutée, d'accent gascon, vous distillait lentement, tout doucement, le fluide sympathique à la dose désirée. Si la Garonne avait voulu,

elle aurait certainement passé à Nam Dinh; mais non, elle s'était contentée d'y envoyer un des plus brillants enfants qui soient nés sur ses bords. A ce moment de sa carrière, le commandant Badens était ce que l'on appelle un homme heureux : tout lui souriait, le plus bel avenir s'ouvrait devant lui et les circonstances allaient le servir admirablement.

Mais attendons les événements. En sortant de la pagode royale qui était le logement du commandant d'armes, je fus m'installer à la cure, chez le P. Majesté.

Le Curé de Nam-Dinh, le Père Majesté, pour lui donner le nom sous lequel il est connu de nos compatriotes, est un prêtre indigène de la plus grande vertu et un homme de la plus haute valeur. On le prétend descendant d'une vieille famille japonaise réfugiée en Annam à l'époque de la persé cution qui mit à feu et à sang toutes les chrétientés du Japon. Il ne m'a jamais dit lui-même un mot de cette origine; mais je ne serais pas surpris qu'il en fût ainsi, car ce digne prêtre a une fierté de maintien rare chez les Annamites: il porte donc bien son nom, Nghiêm (Majestueux).

Moi, jeune missionnaire, je ne l'étais pas du tout majestueux, de sorte que je fis toujours bon ménage avec mon hôte au presbytère. Je ne fis pas percer des fenêtres, ni construire une vérandah pour avoir de l'air dans la chambre haute où...

En dépit des volets, le soleil irrité

Formait un poële ardent au milieu de l'été.

N'ayant pas de chaise, je m'asseyais sur le plancher. Ce qu'il y a de certain, c'est que le P. Majesté fut aux petits soins pour moi et que je me trouvais plus en sûreté dans sa maison en briques que dans une paillotte, quelque bien aérée qu'elle puisse être. Quelques semaines plus tard, les mandarins ont bien failli m'y percer des fenêtres à coup de canon sans me demander mon avis.

Bref, une fois mes pénates installés, j'allai visiter l'ambulance. Pour dire la vérité tout entière, je dois avouer que je n'ai jamais franchi le seuil d'une salle de malades européens sans appréhension, craignant toujours de les effrayer. Aussi je m'efforçais de trouver un petit mot qui mit tout le

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Permettez-moi de citer à l'appui de cctte assertion l'exemple suivant qui est significatif.

A la tête d'un sous-gouvernement du Cercle d'Arivonimamo, on mit un jeune homme, dont le père avait été très longtemps évangéliste-quaker au chef-lieu même de ce sous-gouvernement. Ce jeune homme est un protestant très ardent et intelligent; il a choisi et fait nommer gouverneur de plusieurs districts de son sous-gouvernement les instituteurs quakers, qui se sont trouvés de ce fait représentants de l'autorité française là où, hier encore,ils étaient instituteurs à la solde des Anglais.

Alors on vit des faits comme le suivant :

Trois jeunes gens avaient toujours eu le même àge, de

l'avis de leurs parents et même officiellement, ainsi qu'il résulte de leurs « Livrets individuels ». Or, cette année, le moment de subir le sort arrivait, moment redouté entre tous dans la vie des Malgaches. Jugez donc cinq ans de service en perspective ou 150 francs à débourser! Deux de ces jeunes gens, protestants comme le gouverneur qui avait été leur maître d'école, se réveillèrent un beau matin. âgés de 27 ans. Ils avaient fourni en un sommeil - merveille plus prodigieuse que celle des 7 frères dormants 7 années de leur carrière et, sans fatigue ni dépenses, avaient, en une nuit, passé à pieds joints par-dessus la conscription et le service militaire. Leurs camarades qui, comme le commun des mortels, n'ajoutent une année à

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« Il ne faut pas nous dire protestants ici, mais Français. » Cette pensée est vraie en ce qu'elle affirme que les Malgaches ne veulent pas du protestantisme; mais elle est fausse si elle prétend que les Malgaches accueilleront volontiers le ministre protestant, même français.

Ces quelques considérations qui, à propos des progrès du catholicisme dans le district d'Arivonimamo, se sont échappées de ma plume, me semblent bien suggestives.

A Arivonimamo, les deux Trano lava (maisons longues) bâties pour les Normaliens par le R. P. Cassagne, ne suffisaient plus. En 1897, un nouveau bâtiment en terre fut construit avec 52 mètres de façade. Seize appartements, pour nos Normaliens mariés, y ont trouvé place, ainsi que deux grandes classes au centre. Le nombre des ménages qui s'y préparent aux fonctions d'instituteurs catéchistes, varie de 30 à 35. Le pensionnat abrite de 20 à 25 internes. Au mois d'avril 1899, un arrêté du général Gallieni créait à Madagascar une triple catégorie d'écoles. Après notre collège de Tananarive et notre école normale d'Ambohipo, celle d'Arivonimamo fut, en septembre de la même année, classée dans la première catégorie, distinction qu'aucune autre école à Madagascar n'avait encore obtenue à cette époque.

Eh bien! le croiriez-vous? Arivonimamo, centre d'un district catholique dans lequel on compte 120 postes avec 328 instituteurs ou institutrices et 11.321 élèves, avec son école normale et son pensionnat, Arivonimamo a, pour toute église, quelque chose comme un grand hangar en terre, couvert en chaume et ne mesurant que 17 mètres sur 7.

Le jour de Noël aux trois messes, l'église était bondée de fidèles; mais bien plus nombreux étaient ceux qui avaient dû rester au dehors. La dernière messe finie, on fit sortir tout le monde, et ceux qui n'avaient pu encore y trouver une place entrèrent. On chanta quelques cantiques, on récita deux dizaines de chapelet et une instruction fut donnée. Après cela on fit de nouveau évacuer l'église et de nouveau jusque sur le marche-pied de l'autel elle se remplissait. Ainsi fallut-il faire quatre fois, en ce jour de Noël! Voilà pourquoi nous avons besoin d'une grande église à Arivonimamo. Mais il y a encore une autre raison.

Visiter chaque année 120 postes, croyez-vous que ce soit possible. Il faudrait être toujours en course sans jamais s'arrêter et ne passer dans chacun d'eux que deux ou trois jours! Mais comment former des chrétiens sans les instruire, et comment les instruire si on ne les visite pas?

Or voici l'idée qui me vint, il y a près de deux ans. Faire une grande église ici à Arivonimamo. Chacun des villages voisins, dans un rayon de 10 à 15 kilomètres, y viendrait un dimanche de chaque mois, à tour de rôle. Dans ces paroisses il y a beaucoup de chrétiens: ils entendraient la messe, on leur adresserait une bonne instruction et le catéchisme leur serait enseigné. Les uns se prépareraient ainsi sérieusement au baptême, et les baptisés auraient une occasion de s'approcher chaque mois des Sacrements.

Ce serait pratique, car il y a toujours deux Pères à Arivonimamo, dont l'un à résidence fixe. Mais comment faire cela sans une grande église? Aussi beaucoup de baptisés ont pris l'habitude de ne pas venir à la messe le dimanche parce que souvent ils doivent rester à la porte de l'église et rentrer chez eux sans avoir pu assister aux offices.

Le jour de Pâques, nous avons été obligés de célébrer en plein air la sainte Messe. Mais, s'il avait plu alors, un dixième seulement des chrétiens accourus pour assister aux solennités aurait pu satisfaire ce pieux désir; les autres auraient du chercher asile dans les maisons voisines, puis retourner à leurs villages, n'emportant que fatigue et déception avec la résolution de ne plus se déranger inutilement une autre fois.

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Le dimanche, 20 mai, le commandant Badens me fit dire de ne pas l'attendre pour la Messe; toutes les troupes de la citadelle étaient consignées. Je célébrai la Messe sans me douter qu'il s'etait passé quelque chose d'extraordinaire. Immédiatement après, un lieutenant de vaisseau et M. de Montagnac, chef du service des Douanes à Nam-Dinh, vinrent à la sacristie et précipitamment, en quelques mots, me mirent au courant de la sanglante tragédie qui venait de se jouer à Phu-Hoai, à quelques kilomètres d'Ha-Noï, sur la route de Son-tay, le samedi 19: le commandant Rivière était tué, le capitaine Jacquin, l'aspirant Moulun, le souslieutenant de Brisis tués, le commandant Berthe de Villers mortellement blessé, plusieurs officiers blessés plus ou moins grièvement, 26 soldats et marins tués, 54 blessés!

J'allai voir le Commandant qui me confirma la fatale nouvelle il allait partir pour Ha-Noï dans la soirée, mais ne tarderait pas à revenir à Nam-Dinh.

(1) Voir les Missions Catholiques des 23, 30 mars; 6, 13, 20, 27 avril; 4, 11, 18, 25 mai; 1er, 8, 15, 22, 29 juin et 31 août.

A une heure du soir, des lettres des curés de Ke-Bang et de Ke-Trinh m'apportaient simultanément la nouvelle que le P. Béchet venait d'être décapité au village de Ke-Hau avec six chrétiens qui l'accompagnaient. Impossible de douter du sort fatal de ce pauvre confrère qui m'avait écrit le 16, c'est-à-dire quatre jours auparavant, une aimable petite lettre m'annonçant son intention de venir passer quelques jours à Nam-Dinh. Je m'étais empressé de lui répondre que « je n'osais pas l'inviter à venir, car je croyais les chemins peu sûrs; étant en dehors de la ville, il devait mieux savoir que moi ce qui se passait dans la campagne, et s'il jugeait prudent de se mettre en marche, à l'arrivée il serait le bienvenu. >>

Aussi, le dimanche matin, à la nouvelle de la mort du commandant Rivière, je n'avais pu m'empêcher de dire au P. Majesté :

<< Comme j'ai bien fait de ne pas inviter le P. Béchet! » Mais lui, hélas! n'avait pas eu le temps d'apprendre l'affaire de Phu-Hoai, tandis que les mandarins qui tenaient la campagne dans les environs de Nam-Dinh, en avaient connaissance. Ce fut la cause de la perte de mon jeune confrère, qui se mit joyeusement en marche après avoir célébré la messe de la Sainte Trinité à Ke-Tien, chrétienté voisine de Ke-Dai.

Mais je ne peux mieux faire que de transcrire ici la

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notice nécrologique envoyée par Mgr Puginier au Séminaire des Missions Etrangères :

« Gaspard-Claude Béchet, qui a eu le glorieux privilège de verser son sang pour Jésus-Christ, était né le 3 septembre 1856 dans la ville de Lyon, sur la paroisse Saint-Pierre. Il était entré au Séminaire des Missions Etrangères le 10 septembre 1878, et était parti le 11 mai 1881 pour le Tonkin occidental où il arrivait à la fin du mois de juin de la même année. Le jeune missionnaire se mit avec ardeur à l'étude de la langue annamite et, au bout de quelques mois de travail, il commençait à prêcher et à entendre les confessions des. indigènes. Je l'envoyai alors avec un ancien Missionnaire, le P. Hébert, pour s'exercer auprès de lui au

ministère apostolique dans le district formé par la province de Thanh Hoa. Le P. Béchet y travailla avec zèle jusqu'à la fin de février de cette année (1883); mais alors il fut éprouvé par un rhume tenace qui dégénérait en phtisie; obligé de cesser toute occupation pénible, il faisait de petits voyages pour se distraire, et c'est en passant d'une paroisse dans une autre qu'il a été arrêté dans la province de Nam-Dinh, le 20 mai, fête de la Sainte-Trinité, vers 9 heures du matin. << En traversant le grand village de Ke-Hau, le P. Béchet trouva un groupe de soldats qui, comptant sur une forte récompense, s'emparèrent de lui et le livrèrent avec toute sa suite à leur chef, ennemi juré de la religion chrétienne. Il est bon de noter que le nouveau général de la province

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