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« Après avoir pleuré mon fidèle serviteur, j'ajouterai que la perte de mes deux chevaux me cause un gros chagrin. C'étaient de vieux et dévoués serviteurs! Combien de fois ne m'ont-ils pas porté par le froid, par la neige, pendant les chaleurs de l'été ! Ils étaient devenus mes compagnons inséparables dans les missions tous deux m'étaient chers. Je prie Dieu d'inpirer à quelque âme pieuse de me procurer les moyens de les remplaser. J'en ai un besoin urgent pour continuer mon œuvre d'évangelisation rurale. »

Pondichery (Hindoustan). — M. Durier, des Missions Etrangères de Paris, nous écrit de Pluchipallam, près Pondichéry: <«< Voulez-vous me permettre de présenter aux lecteurs des Missions Catholiques le P. Gnanadicam, un jeune prêtre indigène, dont le zèle et les œuvres me paraissent bien mériter la sympathie et les faveurs des âmes généreuses?

« Il est à la tête d'un nouveau poste, qui est composé entièrement de parias récemment baptisés par le P. Fourcade.

« Il y a deux ans, la famine amenait ces pauvres gens à Pondichery, où ils reçurent le baptême. Ils n'étaient d'abord qu'une cinquantaine: pusillus grex! Mais le petit troupeau se multiplia si bien qu'à la fin de 1898, leur nombre montait à deux mille.

« Jusqu'au mois de septembre de l'année dernière, cette nouvelle chrétienté était rattachée à Pondichery et n'avait pas de prêtre fixe. Dernièrement Mgr Gandy voulut bien constituer pour ces néophytes dispersés dans une quinzaine de villages autour de Pluchipallam, un district spécial.

<< Parmi ces néophytes, il en est qui montrent la ferveur et la foi d'anciens chrétiens. J'en ai vu qui se reprocheraient de ne pas assister tous les jours à la sainte messe. Et le soir, après une pénible journée de travail dans les champs, avec quel empressement ils accourent faire leurs prières devant la statue de saint Antoine! Leurs dévotions finies, ils viennent saluer le prêtre, puis ils retournent à leur village, en chantant quelque cantique à la Vierge. Qu'il est touchant d'entendre dans le lointain les échos de leurs voix rustiques, célébrant, sous le beau ciel étoilé, les louanges de la Mère de Dieu.

« Lecteurs des Missions Catholiques! c'est avec vos aumônes que ces âmes ont été amenées à la foi. Allez-vous laisser votre œuvre inachevée ? Je ne parle pas de l'église, du presbytère, de l'école, encore à créer ces choses-là, à la rigueur, peuvent se différer. Ce qui ne saurait attendre, ce sont les besoins occasionnés par la famine. Car la famine, qui recommence à poindre, menaçante, à l'horizon, donne au P. Gnanadicam l'espoir de pouvoir jeter ses filets et ainsi d'étendre les conquêtes. Demain, quand le dernier grain de riz aura disparu, que d'affamés soit de Pluchipallam, soit des villages d'alentour, vont venir se jeter à ses pieds en lui disant :

«- Père! nous aussi. fais-nous chrétiens! »

« Quelques sceptiques (mais il n'y en a pas parmi les lecteurs des Missions Catholiques) diront:

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<< - C'est la faim qui les pousse; ce ne seront pas de bonnes « conversions. >>

« Oh! si, ce seront de bonnes, d'excellentes conversions! Il aut voir l'indignation des premiers néophytes si l'on s'avise de leur dire qu'ils se sont faits chrétiens pour avoir un peu de riz! Comme ils s'empressent de répondre : « Non! non! « c'est pour devenir enfants du bon Dieu!»>

Tokio (Japon). M. Fournier, des Missions Etrangères de Paris, écrit de Mito:

« Depuis mon arrivée au Japon, les misères ne m'ont pas manqué. Les quelques àmes que j'envoie en Paradis me coùtent cher. Je me trouve absolument à bout de ressources, et personne ne peut me venir en aide. Non seulement je suis à bout de ressources, mais j'ai des dettes que je ne puis pas payer. Il me faudrait de 8 à 10.000 francs, et je n'ai que 660 franes par an pour me nourrir, me vêtir, me loger, voyager et entretenir mon catéchiste qui a six enfants. Ces 660 franes par an, c'est tout ce que peut me donner la Propagation de la Foi. Comment j'ai contracté ces dettes, je vais vous le dire.

Lorsque je suis arrivé à Mito, tout était à fonder. Il m'a fallu acheter un terrain: coût 5.000 francs. Ensuite j'ai dû arranger deux maisons pour loger le bon Dieu, mon catéchiste et moi. Cette installation m'a coûté environ 3.000 francs. Mgr Osouf m'a bien promis de me venir en aide, mais le pauvre archevêque ne peut absolument rien. O mon Dieu! faut-il que l'argent soit si nécessaire pour faire un peu de bien! Plaie d'argent n'est pas mortelle ! dit-on. Non,sans donte, mais c'est une maladie bien grave qui paralyse les forces, brise l'énergie, anéantit le corps et l'âme. Qui viendra à mon secours dans ma détresse ? »

Bas-Congo.

Sous ce titre Un jeune apôtre noir, le R. P. Campana, préfet apostolique de cette mission nous racontait, à la date du 29 janvier 1900, le touchant épisodesuivant :

<«< Un mouvement remarquable vers notre sainte religion vient de se produire parmi la petite tribu des Nzobés, dans l'enclave portugaise de Cabinda.

« Nous avons là, sur la rivière Loucoula, une station de mission, consacrée à Notre-Dame des Victoires. Etablie depuis sept ans seulement, elle est déjà bien prospère. Cependant le bien ne se fait pas sans peine et sans difficulté parmi la population qui nous entoure. Il faut établir et payer des catéchistes, réunir les chefs et palabrer avec eux, pour arriver parfois à de faibles résultats.

« Or, ce que nous n'obtenons là qu'avec peine, voici qu'un de nos jeunes enfants vient de l'obtenir admirablement dans la petite tribu des Nzobès, à 20 kilomètres environ de la Loucoula.

« Ce brave enfant, qui porte bien son nom de Victor va trouver un jour le Supérieur de la station et lui dit :

«- Mon Père, j'ai besoin de retourner dans mon village! << Mes parents me demandent.

«1 - C'est bien, Victor; mais seras-tu fidèle à tes devoirs de chrétiens.

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- Oui! Père, je te le promets. Je tâcherai même de t'ame<< ner des membres de ma famille pour les faire aller un jour << au ciel. >>>

«<- Très bien, cher Victor, que le bon Dieu te bénisse et que << Notre-Dame des Victoires te donne la grâce de faire de nom« breuses conquêtes! »

« Or, voilà qu'à Noël, le jeune Victor revient à la Mission, amenant avec lui, pour les faire baptiser, onze jeunes filles et deux jeunes gens de sa parenté.

<< On les interroge. Ils répondent parfaitement et reçoivent le baptême avec bonheur.

« Le jeune Victor, rentré dans son village, a continué son œuvre avec zèle; et dans cette tribu des Nzobés où nous n'avions pas un seul chrétien, il y a quelques mois, on compte aujourd'hui une soixantaine de néophytes des deux sexes, tous adultes de 18 à 25 ans. Et ce qui montre leur attachement à la foi qu'ils ont reçue, c'est que, malgré les 25 kilomètres qui les séparent de la station, ils se font un devoir d'y venir chaque dimanche, pour assister à la messe et entendre la parole de Dieu.

« C'est une véritable révolution antifétichiste qui s'est faite <«< dans la contrée de Nzobé, m'écrivait le P. Eugène Bisch, su«périeur de la station de Notre-Dame des Victoires.

Venez

« nous aider, ajoutait-il, notre jeune chrétienté vous ré<< clame.... »

« Je me suis rendu avec bonheur à cette invitation; et j'ai eu la consolation de présider à Loucoula une belle cérémonie de première communion et de conférer le sacrement de confirmation à toute une nombreuse jeunesse, bien préparée, bien edifiante.

« Le jour de l'Epiphanie, j'ai prêché six fois. Les jours suivants, les Pères de la station en ont fait autant. Ces noirs sont avides de la parole de Dieu. >>

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A KIMBERLEY

PENDANT LA GUERRE DES BOERS ET DES ANGLAIS

Par le R. P. PORTE

OBLAT DE MARIE IMMACULÉE

L'article suivant dont nous n'avons pas besoin de faire remarquer l'actualité, donne les impressions d'un témoin oculaire dans une guerre qui a passionné et qui, malgré même les évènements de Chine, passionne encore l'opinion. L'auteur enfermé à Kimberley pendant le siège est, on le voit, et c'est naturel, sous la vive impression des maux amenés par la guerre dans la mission qui lui est confiée.

Les amis des Missions ont dû suivre avec un palpitant intérêt les diverses phases de cette grande guerre Sud-Africaine qui a jeté tant de troubles et causé tant de misères dans nos Missions du Transvaal, de Natal et de l'Etat libre d'Orange, y compris le Bechuanaland. Il ne m'appartient pas de porter mon verdict sur cette guerre. En Europe surtout, la presse est si partialement divisée, qu'il faudra renvoyer la question à cent ans, suivant l'usage de l'Areopage. Ce que je sais,c'est que les Boers ont, depuis le commencement de ce siècle, un grief contre les Anglais, celui de leur avoir volé la colonie du Cap de Bonne-Espérance; ce grief s'accentua davantage au moment de la libération des esclaves, environ en 1835, et il alla toujours grandissant avec les exodes en masses des Boers quittant le Cap, Natal, le fleuve Orange, pour se soustraire à la domination britannique. Ce sont des faits connus, que les Boers n'appellent les Anglais que du terme de « Rooi necks » les cous rouges; tandis que les Anglais, en guise de revanche, nomment les Boers << Vaalpeux les ventres jaunes. Mais le grand tort du Transvaal ce sont les mines d'or. Si ce pays était resté inconnu avec ses troupeaux, ses pâturages et sa population patriarcale, les «Rooi necks » n'auraient probablement jamais troublé le repos des « Vaalpeux ». « Nous n'avons que faire de ces quelques arpents de sable, » disait le grand Gladstone, en 1881 après la défaite de Mayula; mais en cela le ministre anglais se trompait fortement: ces quelques arpents de sable contenaient de l'or. Or le poëte l'a dit :

« Nous irons chercher l'or, malgré l'onde et le vent,

« Aux lieux où le soleil le forme en se levant. >>

En réalité, les chercheurs d'or ont causé la guerre directement ou indirectement, car c'est à cause d'eux que le Transvaal a inventé une foule de lois d'ostracisme et que l'Angleterre a trouvé des raisons à ses yeux plausibles à l'appui surout de la raison du plus fort.

Canon fondu à Kimberley, durant le siège,

8 livres de poudre, 5 pouces de diamètre à la bouche.

ley pendant quatre mois de siège. Les Boers annexèrent le Griqualand West dès les premiers jours, leurs troupes inondèrent les villes et les villages. S'ils l'avaient voulu, ils eussent emporté Kimberley d'assaut, car la place n'était défendue que par 450 hommes de troupes régulières.

Leur retard et leurs hésitations donnèrent le temps à la ville d'organiser la défense. M. Rhodes, le roi des diamants, avait tenu à se faire enfermer dans la ville assiégée, avec son or et celui de la compagnie « de Beer's » La ville fut étonnée de sa valeur; elle résista à un siège de quatre mois, malgré la rareté des vivres, car on en était réduit à quatre onces de pain par personne et à un quart de livre de viande de cheval par jour. Les bombes de 100 livres ne brisèrent jamais le courage de la petite garnison.

Pendant les longs jours du siège, M. Rhodes fit fondre un canon de gros calibre, il fit préparer des bombes et des obus, et chose digne d'un homme d'état, pour empêcher

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C'est le Vicariat de l'Etat libre d'Orange, on peut le dire, qui a été, depuis le commencement de la guerre, le théâtre des opérations, par suite c'est celui-là qui aura probablement le plus souffert. Une partie du Vicariat est formée de l'Etat libre d'Orange, tandis que le reste se trouve dans le Griqualand West et le Bechuanaland. Par suite des hostilités entre les Boers et les Anglais, nos Missions de Bloemfontein, d'Harrismith, de Jagersfontein et de Clocolan se sont trouvées sevrées de communication avec notre Vicaire apostolique, Mgr Gaughan, lequel se trouva enfermé à Kimber

La tour d'observation à Kimberley, d'où partait la lumière

électrique.

l'inaction et le vol, il entreprit d'ouvrir des voies publiques autour de la ville, occupant ainsi des centaines d'ouvriers tant Européens qu'indigènes. Aucun des établissements catholiques n'eut à souffrir du bombardement continu. Les Pères avec Monseigneur, les Soeurs de Nazareth, les Sœurs de la Sainte-Famille et les Frères des écoles chrétiennes se dévouérent avec un zèle admirable au soulagement des blessés et des fiévreux. Après la prise de Cronje à Paardeberg, tous les édifices de la Mission furent remplis de blessés boers. Les soins attentifs et dévoués des Sœurs à leur égard firent plus que vingt sermons en notre faveur.

Mafeking, ce nom si populaire depuis des mois, Mafeking cette ville qui a si crânement tenu bon avec son colonel, Mafeking est au nord du British Bechua

naland. La ville est petite, située sur un plateau ouvert, au bord d'une rivière que vous appelleriez ruisseau ; elle n'a aucune redoute, aucun mûr, aucun rempart. Quand la guerre éclata elle n'avait pour sa défense qu'un régiment incomplet de troupes nouvellement recrutées, son artillerie était si microscopique que, même après le siège, on est surpris de voir si peu de canons sur la plateforme du Market square.

Les Boers, ayant Cronje à leur tête, arrivèrent au nombre d'environ 7.000 prendre Mafeking. Qui les arrêta? on n'en sait rien: ils ne donnèrent jamais réellement l'assaut durant huit mois qu'a duré le siège. Leur artillerie extrêmement supérieure jeta dans la ville près de 1.500 bombes de 100 livres et plus de 3.000 de calibre inférieur; cependant la ville ne se rendit pas. Certainement il y a eu des maisons renversées de fond en comble, nombre d'autres ont été

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KIMBERLEY (Afrique australe).

SOEURS DE NAZARETH A L'ENTRÉE DE LEUR SOUTERRAIN PROTECIEURS DES BOMBES; d'après une photographie communiquée par le R. P. PORTE, oblat de Marie (voir le texte).

percées par les obus. Le couvent des Sœurs de la Merci a surtout été le point de mire de l'ennemi. Avec ses vingt ouvertures dans la toiture et le pignon il est devenu inhabitable.

Grâce au temps que les Boers laissèrent à la garnison, en quelques jours des tranchées furent creusées tout autour de la ville, avec des redoutes bàties à la hâte en guise de fort. Une ligne légère de chemin de fer permettait au train armé de porter rapidement secours aux forts en danger; le téléphone et le télégraphe unissaient les diverses redoutes aux quartiers généraux au centre de la ville où se trouvait Baden-Powell, le défenseur de Mafeking.

La cloche de la Mission avait été réquisitionnée par les autorités militaires; elle devait sonner l'alarme toutes les fois qu'un obus allait partir dans la direction de la ville. Chaque maison avait dû pratiquer un souterrain près de la

porte d'entrée, comme lieu de refuge au moment du bombardement. Les vivres commençaient à manquer, mais néanmoins la ville résista jusqu'à la fin avec des pertes presque insignifiantes.

A Mafeking, les Soeurs rendirent des services immenses à la garnison en soignant les blessés et les malades. Leur zèle, qui ne se démentit jamais, leur a conquis une estime que cinquante ans de travaux n'auraient pas acquis. Tous, depuis le général jusqu'au troupier, bénissent le nom des Soeurs. Tous veulent et désirent que le couvent soit rebâti, tous ont promis leur obole. Deux Soeurs contractèrent la fièvre typhoïde auprès des malades; la Providence heureusement les épargna.

A part Mafeking, le reste du Bechuanaland n'offrit aucune

résistance. La partie habitée par des cousins ou des frères des Boers abandonna la cause anglaise; il en fut de même de toutes les fermes. Les fermiers fidèles et anglais furent chassés du pays. Ce ne fut qu'après trois mois de voyage qu'au nombre de 4 à 500 ils arrivèrent en contact avec les troupes anglaises qui les recueillirent.

Vrylung, autrefois la capitale du Bechuanaland est le siège de l'admnisttration, Vrylung fut loin d'imiter Mafeking, elle invita les Boers à s'en emparer sans combat.

Taungs étant une réserve cafre où l'on comptait avant la famine près de 25.000 habitants, ne fut pas très troublé par les troupes envahissantes du Transvaal. Pendant trois semaines, elles se réunirent ici, attendant avec impatience

la capitulation de Mafeking pour aller opérer sur Kimberley. Après ce temps perdu, Cronje descendit de Mafeking où il laissa son capitaine Suyman achever sa conquête. En passant à Taungs, les républicains détruisirent la ligne du chemin de fer et essayèrent de faire sauter le pont sur le Hartz River; mais, sort malheureux attaché à ce fléau qu'on appelle la guerre, les propriétés ne furent pas épargnées. Après avoir détruit le camp de la police, la gare et tous les édifices publics, les vainqueurs attaquèrent les boutiques des marchands anglais. Sur quatorze boutiques, on en pilla huit. Les six autres furent épargnées parce qu'elles étaient habitées, la plupart, par des femmes.

Vers le milieu d'octobre, quand les commandos boers nous quittèrent, nous eûmes la disette, la fièvre typhoïde

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SANATORIUM DE KIMBERLEY, HABITATION DE M. RHODES DURANT LE SIÈGE; d'après une photographie (voir le texte).

et la malaria. Pendant huit mois, plus de communications plus de possibilité de s'approvisionner, isolement cruel, égal à l'exil. Dire ce que nous avons souffert est impossible. Mais :

Dieu fit bien ce qu'il fit et je n'en sais pas plus.

Les braves petites Sœurs bretonnes de Saint-Gaent ne firent jamais entendre la moindre plainte. Elles surent se priver de tout et elles trouvèrent encore assez pour entretenir quelques dames européennes, réfugiées chez elles. On ne pourra jamais apprécier au juste tout le bien que font ces différents ordres de religieuses de l'Afrique du Sud. En présence de tant de courage, de dévouement et de bon exemple, les protestants anglais restent stupéfiés. Après cette guerre, il n'y aura pas une ville, pas un village où la « None », nun comme l'appellent les Anglais, ne soit reçue

à bras ouverts. En d'autres pays, on les persécute, ici on s'incline sur leur passage, car les voyant à l'œuvre, les protestants les considèrent comme « l'ombre du Bon Dieu.<< Aujourd'hui, le Bechuanaland est débloqué, mais les autorités militaires se sont emparées de la ligne et de tous les moyens de transport. Les vivres qui étaient montés à des prix fabuleux sont lents à descendre au taux raisonnable. Ce qui veut dire que la Mission va absorber, en un seul mois, les ressources qui lui suffisaient en temps ordinaire pour dix à douze mois.

Est-ce haine du diable ou permission spéciale du Bon Dieu qui veut éprouver nos œuvres, toujours est-il que depuis que la religion catholique est entrée en Bechuanaland, il y a cinq ans, tous les fléaux se succèdent pour nous éprouver.

Il y a deux ans un digne ecclésiastique, ami des Missions,

me disait : « Les missionnaires semblent avoir à leur service une douzaine de fléaux qui leur servent à tour de ròle pour exciter la commisération publique. » Je pris l'observation avec humour, car probablement ce sont les pays nouveaux, déserts et intraitables qui causent ces fleaux dans les Missions. Tenez, en cinq ans, j'ai vu la foudre me ravir douze bœufs sur quatorze dont se composait mon attelage; une circonstance insignifiante me tint en retard et me sauva la vie. J'ai vu la Rinder-Peste faire tomber plus d'un million de bêtes à cornes dans le sud d'Afrique, 25.000 dans la seule réserve de Taungs. La famine suivit la peste: elle décima si bien la population que le village de Taungs, qui comprenait environ 7 à 8.000 âmes autour de l'église, n'en compte plus que 3.000. Le scorbut de terre fit autant de victimes que la famine. Toutes les sauterelles furent poursuivies, les chenilles, les baies des buissons recueillies, les racines recherchées dans les champs; c'est ainsi que les survivants purent échapper à la mort. Or, voilà que maintenant la guerre, et une guerre à outrance, s'est répandue sur toute l'Afrique australe, à Natal, au Transvaal, dans l'Etat libre d'Orange, dans le Bechuanaland jnsqu'aux rives lointaines du fleuve Orange près de son embouchure.

A Peste, fame et bello, libera nos Domine. Ce cri de nos cœurs n'est pas sentimental, mais exprime une réalité: il indique aux amis des Missions les terribles ennemis avec lesquels le missionnaire a à lutter.

Ah! veuillez bien prier pour nous, lecteurs des Missions catholiques. Si vous le pouvez, n'oubliez pas ceux que tant de fléaux éprouvent. Vos aumônes nous aideront à faire encore plus de bien et vous procureront encore plus de joie qu'à nous, selon le mot de l'apôtre: Melius est dare quan accipere. Il est meilleur de donner que de recevoir.

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Enfin, à 5 heures, nous arrivons à la première Posada (auberge) qui s'appelle Caracollo.

Nous descendons avec satisfaction de notre diligence, et nous nous installons dans notre caravanserail où deux lits en adobes (briques cuites au soleil) nous attendent. La couchette eût été un peu dur sans nos couvertures de voyage qui nous servent de matelas. Nous faisons une légère collation avec les provisions que nous avons achetées à Oruro.

Quant aux voyageurs qui n'ont pas pris cette sage précaution, ils doivent s'asseoir à la table d'hôte de l'auberge. Là, le service est fait par les Indiens Aymaras, aux culottes collantes courtes et aux longs cheveux, coiffés d'un bonnet à couleur éclatante. Notre frugal repas terminé, nous allons visiter l'église. Nous demandons à voir M. le curé; mais

(1) Voir Missions Catholiques du 27 juillet.

impossible d'arriver jusqu'à lui. Du moins, nous pouvons nous entendre avec le sacristain pour les messes du lendemain.

Le dimanche 5, nos deux messes sont dites à la fois et servies en même temps par le même Indien. Il est 4 h. 12 du matin, et pourtant plus de 100 personnes sont réunies dans l'église. Je les bénis après leur avoir adressé quelques mots. Ces braves Indiens s'empressent de venir nous baiser la main.

Nous partons sans avoir eu l'honneur de voir le curé de Caracollo.

Cette seconde journée sera plus fatigante que celle d'hier. Nous avons 24 lieues à franchir pour arriver à l'étape. Nous voyons tout le long de la route les tombes des anciens Indiens (los gentiles). Ces sépulcres en adobes (briques cuites au soleil) ayant une ouverture en V renversé (A) s'appellent acamaya. Les indigènes les respectent encore; mais des Européens ont bravé toutes les superstitions, et ont trouvé des pièces d'orfèvrerie curieuses qu'ils ont emportées. Un des relais s'appelle même Patacamaya, ce qui veut dire les 100 sépultures.

Nous voilà arrivės au samedi 4 novembre, jour fixé pour notre départ. Nos places à la diligence sont retenues et payées, car nous n'avons pas eu ici la chance d'avoir notre passage gratuit, c'est une entreprise allemande. J'ajouterai que, dans cette localité, il y a près de soixante maisons de commerce allemandes.

Le P. Darbois et moi, nous eûmes ce jour-là une surprise: c'était la saint Charles Borromée, et il y a eu au couvent une réunion du parti carliste pour célébrer la fête de leur roi si désiré. Il y eut messe solennelle. Le R. P. Barcelo, gardien et ex-carliste, officia avec diacre et sousdiacre, et ensuite fut servi au réfectoire des Péres un déjeuner, auquel mon compagnon et moi nous fûmes invités. Nous fumes frappés, au milieu de la fraternelle gaieté du repas, des sentiments profonds de religion de ces champions de la cause légitimiste, à plus de trois mille lieues de la Patrie. Leurs toasts se résumèrent dans leur belle devise: « Dieu, Roi et Patrie! >>

L'heure du départ est arrivée; nous prenons congé des bons Pères Franciscains et de ces braves carlistes; mais tous veulent nous accompagner jusqu'à la voiture. Comme, presque toujours, en Amérique, où on n'est jamais pressé, ce n'est qu'à 11 h. 1.2 (au lieu de 10 heures) que notre diligence se met en mouvement. Nous échangeons une dernière poignée de main avec ces bons amis qui, hier, étaient des inconnus pour nous, et dont le souvenir sympathique restera gravé dans notre mémoire. Nous voilà en route, nous sommes bientôt en dehors de la ville, et nous entrons dans la Pampa. Alors seulement, je jette un coup d'œil sur notre véhicule : c'est une berline du XVII° siècle, une véritable caisse traînée par quatre mules. Nous sommes au grand complet, 10 voyageurs dont 9 à l'intérieur, le 10 qui est

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