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la loi au point de vue de l'hygiène. Comme nos travaux de défrichements sont loin d'être terminés et que nous et nos enfants nous vivons encore d'aumônes, nous ne sommes pas en mesure de faire face à ces dépenses. Donc, que les chers bienfaiteurs des Missions catholiques accueillent favorablement notre requête. Leurs aumônes retomberont en pluie de grâces sur eux-mêmes, sur leurs familles et sur la France qui occupe toujours dans nos coeurs une si large place. >>

Congo français. On nous communique l'extrait suivant d'une lettre du R. P. Doppler, de la congrégation du SaintEsprit, missionnaire à Linzolo :

« Notre œuvre d'enfants en comprend actuellement quatrevingts. Au début, ce n'est pas sans peine qu'on arrive à discipliner ces petits Noirs; on y parvient cependant avec de la patience, et alors c'est plaisir de voir leur entrain au travail. « Nous nous efforçons de préparer parmi eux des auxiliaires comme catéchistes et instituteurs. Quand ils sauront lire le français et la langue de leur pays, ils nous seront d'un grand secours. Après trois ou quatre ans de séjour à la station, nous les renvoyons chez eux, pour faire de la place à d'autres. Dans leurs villages, ils acquièrent bientôt de l'influence, par suite de leur éducation, et, stimulés par le missionnaire, ils aident à la diffusion du saint Evangile. En ce moment, nous avons déjà cinq catéchistes dévoués et zélés. Ils comprennent leur belle mission et bien des âmes leur devront leur salut.

« Depuis longtemps, nous jouissons d'une influence considérable sur les indigènes, et nous en profitons pour propager de plus en plus la Bonne Nouvelle. Tous les dimanches, nombre de païens assistent à l'office du matin et au catéchisme. Un village entier se prépare actuellement à devenir chrétien; d'autres suivront son exemple.

<«La plupart de nos chrétiens s'approchent des sacrements tous les mois; tous, sans exception, le font aux jours de fêtes. Alors, pendant les offices, auxquels nous donnons le plus d'éclat possible, notre nouvelle église, aujourd'hui complètement achevée, présente un aspect vraiment consolant. Elle est toute en briques et couverte en tole galvanisée. Ainsi on n'a pas à craindre qu'elle devienne la proie des flammes, comme la précédente. La bénédiction en a été faite solennellement en janvier 1899. Jamais la Mission n'avait vu pareille affluence. Nos confrères de Brazzaville étaient venus pour prêter leur concours; une immense foule d'indigènes était accourue de tous les côtés. La poudre parla du matin au soir, et de copieuses libations de vin de palme mirent le comble à la joie des assis

tants.

« Une autre solennité, bien belle aussi, a été la procession de la Fête-Dieu, faite pour la seconde fois. Elle a revêtu un caractère particulièrement grandiose et touchant, dans le paysage montagneux et verdoyant de Linzolo. Du haut de la colline, au pied d'une grande croix où était dressé le reposoir, Notre-Seigneur embrassait de ses regards de miséricorde tous les environs, et, pendant que l'écho répétait les chants liturgiques et les salves des fusils de nos chrétiens, il bénissait et appelait à Lui ces multitudes qui ne le connaissent pas

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pour qu'on laissât en paix les villages placés sous la sauvegarde du signe sacré de la Rédemption. »

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Madagascar Central. Le R. P. Gardes, de la Compagnie de Jésus, nous écrit de Tananarive:

« Ambatolampy sur la route de Fianarantsoa, à une journée et demie de marche de Tananarive, est un centre important. «En 1897, quelques habitants demandèrent une chapelle; peu après une école fut ouverte et les principaux villages du district suivirent l'exemple du chef-lieu; les écoles catholiques se multipliérent peu à peu, et nous avons maintenant vingt-deux postes avec plus de 1500 élèves dans ce district d'Ambatolampy. Vingt de ces villages ont une église. Mais l'église et l'école d'Ambatolampy se distinguent entre toutes les autres. A leur construction tout le district a travaillė; à toutes les grandes fêtes, c'est à Ambatolampy que se réunissent les chrétiens des vingt-deux paroisses; là, deux fois par semaine, tous nos instituteurs vont recevoir l'explication du catéchisme et les éléments du français: là, enfin, les meilleurs élèves de chacune des autres écoles viennent chercher un enseignement un peu plus relevé qui les prépare à leur admission à l'école normale ou au pensionnat d'Arivonimamo.

« Après cet exposé, vous comprendrez aisément avec quelle ardeur tout le district s'était préparé aux fêtes de la bénédiction de l'église d'Ambatolampy. Pendant plus d'un mois, ie missionnaire parcourut le district, prêchant de petites missions de quatre ou cinq jours, à chacune desquelles prenaient part trois ou quatre paroisses environnantes.

« Je ne décrirai pas la bénédiction faite par Mgr Cazet. Tant de gens n'avaient pu trouver place dans l'église, que, pour ne pas les priver du spectacle réconfortant des grandes cérémonies catholiques, le prélat résolut d'administrer au dehors le Sacrement de confirmation.

« Ce qui frappait le plus, ce fut le recueillement de cette foule. Et pourtant quelles multitudes étaient accourues! On le vit bien lorsque se déroula la procession. Le village ne suffisant pas pour les interminables files aux vêtements de soie et d'indienne, de nuances variées mais où domine le blanc, il fallut faire une serpentine sur la place. Le coup d'oeil etait ravissant. Monseigneur en cappa-magna, mitre en tete, crosse en main, précédé de douze enfants de choeur, entouré de trois missionnaires et immédiatement suivi de tous les militaires français en garnison à Ambatolampy, les cantiques entonnés à la fois sur dix points de la procession, le chapelet dit par d'autres groupes à haute voix, les centaines d'oriflammes et les drapeaux tricolores criant à tous que catholique et français c'est tout un, et au retour de la procession, toute cette foule, Français et Malgaches, tous tombant à genoux sur la terre nue, sous la main benissante de l'évêque qui depuis trente-cinq ans s'en va à travers la grande ile, faisant aimer Dieu et la France, vrai! c'était un spectacle empoignant. »

Tobago (Antilles anglaises). Sous ce titre: Une visite à Tobago, nous trouvons dans le journal La Religion de Caracas, une relation où il est question d'un missionnaire bien connu de nos lecteurs, le R. P. Sarthou:

« Nous arrivâmes à la magnifique baie de Scarborough, port principal de Tobago, le matin à la pointe du jour. Cette île, quoique moins connue et moins prospère que les autres petites Antilles, offre cependant un intérêt tout particulier au voyageur. Là, point de chemin de fer, de tramway, de diligence, de bicyclette, pas même l'american buggy, si commun à Tri

nidad.

« Quelques minutes suffirent à notre canotier pour nous débarquer. Au même moment, je vis passer un ane magnifique conduit par deux enfants noirs. Une idée heureuse traversa mon esprit ; à l'aide de cette noble créature, je pourrai visiter l'ile tout à mon aise. Tobago n'a pas de commerce; ses ports sont déserts, elle ne possède pas de monuments qui puissent intéresser le voyageur; mais elle offre des paysages attrayants.

<«< Cependant mon humble et patient coursier gravissait péniblement les pentes rapides des chemins, j'avais tout le temps

d'admirer les beautés des environs, lorsque mon attention fut attirée par les deux enfants noirs qui se disputaient. J'appris alors que l'âne n'était pas un animal de louage, mais qu'il était la propriété du curé, lequel s'en servait pour faire porter au presbytère l'eau et le bois dont il avait besoin. J'allai aussitôt au presbytère pour présenter mes excuses au prêtre catholique.

« Celui-ci me reçut avec beaucoup d'amabilité et s'amusa de mon aventure. Ce prêtre, le seul qui soit à Tobago, a à sa charge cinq chapelles situées dans différentes parties de l'île. C'est un Irlandais, de l'ordre de Saint-Dominique; il relève de l'archevêque de Trinidad. Selon toute apparence, il est d'une pauvreté extrême: la rayonnante blancheur de sa robe dominicaine est le seul luxe qu'il s'offre. Son habitation est misérable. Sa chapelle est petite, mais proprette et gracieuse. C'était un jour de fête et le Saint-Sacrement était exposé. Le sanetuaire occupe une situation ravissante au sommet d'une éminence d'où l'on descend presque à pie sur la mer. Quand on est à l'intérieur, on aperçoit les vagues de l'Océan, qui viennent frapper les rochers des deux côtés du promontoire; on a sous les yeux une représentation symbolique de la barque de Pierre réalisée d'une manière saisissante.

<< Bientôt arriva l'heure du départ. Lorsque le steamer quitta lentement la baie, qu'entoure un rivage toujours verdoyant, je m'assis sous la tente du pont et contemplai la petite chapelle de Scarborough, jusqu'à ce que l'éloignement l'eût fait disparaître... »

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LE NORANGSFJORD

A Aalesund je retrouve en même temps les régions décrites antérieurement dans ma Tournée pastorale en Norvège (voir les Missions Catholiques de 1895) où je dois renvoyer le lecteur pour les détails de la suite de notre voyage.

Comme notre exploration proprement dite finissait à Aalesund, notre confrère de Bergen nous quitta pour regagner son cher troupeau.

Pour ce qui regarde Aalesund, centre intellectuel et commercial d'une immense population, c'est la première station fixe à laquelle nous devions songer. Dieu merci, un noble touriste français, un de ces touristes qui ne voyagent pas seulement pour s'amuser et s'instruire, mais encore pour faire le bien, y a pensé en même temps que nous, et m'a proposé d'être le fondateur de cette station. Il m'est défendu de dire son nom; mais le Pasteur des pasteurs le connaît, et il est gravé à jamais dans mon âme.

Dans une prochaine relation j'espère vous raconter l'inauguration de cette station.

Départ pour le Gudbrandsdal.

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Pour que le lecteur ne s'ennuie pas trop pendant le long trajet d'Aalesund à Trondhjem, il me permettra de lui raconter, chemin faisant, un intéressant voyage qu'au mois d'août passé, j'ai dû entreprendre pour inspecter les travaux de notre nouvel hôpital de Bergen et pour éviter un procès qu'un voisin voulait nous intenter.

On dit que tous les chemins conduisent à Rome. De même on pourrait dire que de Christiania tous les chemins conduisent à Bergen. Comme on peut atteindre cette ville par plusieurs voies différentes, aussi chères les unes que les autres, je tâche de choisir, chaque fois que je dois gagner Bergen, une route nouvelle, pour mieux apprendre à connaître le pays et en étudier les besoins religieux. Cette fois je pris celle du Gudbrandsdal, qui, par la vallée Romsdalen, débouche au Romsdalsfjord.

Mais je ne pouvais pas me permettre le luxe d'un compagnon, car le voyage se faisait aux frais de la caisse de la mission, qui fait toujours d'affreuses grimaces, lors

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que je lui demande des fonds. Poveretta! elle ne peut pas donner ce qu'elle n'a pas.

Lorsque je voyage seul par monts et vaux, au milieu des protestants, il va de soi que je prends l'habit civil. A la maison et dans toutes les occasions officielles, nous portons la soutane; du reste, nous nous conformons absolument en tout aux prescriptions du Rituel romain et de la Sacrée Congrégation des Rites. Ceux à qui le bon Dieu a accordé de la barbe, la portent aussi. Nous devons encore nous priver de la tonsure, parce qu'elle entraînerait pour nous, en certaines occasions, de sérieux inconvénients et que le grand froid de ce pays ne permet guère de trop entamer la chevelure.

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je me servis du chemin de fer, pour m'embarquer ensuite sur le plus grand lac de la Norvège, le Mjoesen; il a 100 kilomètres de long, 15 de large et sa profondeur maxima atteint 480 mètres. Après quelques heures de traversée, nous abordions à Hamar.

Hamar, c'est, je l'ai déjà dit, mon grand cauchemar. Cette ville de 7.000 habitants, résidence d'un gouverneur et d'un évêque luthérien, doit son origine à un évêché catholique, qui y fut fondé dès 1152, par le délégué apostolique Nicolas Breakspeare, qui plus tard occupa le siège de Saint-Pierre sous le nom d'Adrien III. Lors de l'introduction de la Réforme en Norvège, son dernier évêque, Mogen, fut fait prisonnier, la veille de la Saint-Jean 1537, et conduit en exil. Trente années plus tard la ville et son

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PARTIE DU GEIRANGERFJORD; d'après une photographie envoyée par Mgr FALLIZE, vicaire apostolique (voir p. 260).

ancienne cathédrale furent détruites par les Suédois. Jusqu'au milieu de ce siècle quatre arcades de la cathédrale marquaient seules la place où florissait jadis la ville épiscopale de Hamar. En 1848, elle fut fondée à nouveau et, un peu plus tard, eut un évêque protestant. Quant à l'Eglise catholique, elle n'y est représentée que par les ruines de l'ancien sanctuaire.

Dans tout cet antique diocèse nous n'avons pas la plus modeste chapelle; le curé de Saint-Olaf à Christiania, au district duquel cet évêché appartient, a soin des rares catholiques de la contrée, une des plus fertiles et des

mieux peuplées de la Norvège. Que c'est déplorable! Mais que faire, sinon prier le Seigneur de nous mettre en état de cultiver cette importante portion de sa vigne?

Hamar est relié par chemin de fer avec Christiania, Trondhjem et le Gudbrandsdal, où je dois pénétrer. Je continuai cependant en bateau mon voyage jusqu'à la petite ville de Lillehammer, parce que, de cette manière, je pouvais examiner d'un peu plus près une autre petite ville, Gjovik, où il y a quelques catholiques, et où une station fixe serait également bien nécessaire.

(A suivre).

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Après ces incidents mouvementés, je regagnai le district de Kê Vinh, le cher P. Cadro étant toujours malade à HongKong. A peu près au courant de la manière de donner la Mission, je parcourus plusieurs chrétientés, prenant de plus en plus goût à la vie du missionnaire en campagne.

Deux fois par mois, je descendais à Phuc Nhac pour régler mes comptes spirituels avec le Père Deux, puis le Père Ravier me reconduisait jusqu'au Dài, tantôt à un bac, tantôt à un autre, selon la direction dans laquelle les canards ou les oies nous avaient attirés. Oh! les excellents souvenirs du vieux temps! Oh! les beaux jours de mes jeunes années de Tonkin!

Quelquefois on agitait la question politique et, si j'ai bonne souvenance, le soir du 1er janvier 1882, que j'avais eu le bonheur de passer en famille avec ces vénérés confrères, réunis dans la grande chambre du P. Dumoulin,

PORTE-DRAPEAU DES PAVILLONS NOIRS

(1) Voir les Missions catholiques des 23, 30 mars 6, 13, 20, 27 avril, 11, 18, 25 mai et 1er juin.

LES PAVILLONS NOIRS

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supérieur du Collège, nous eûmes une longue séance dans laquelle nous parlâmes de l'avenir,qui n'avait rien de bien rassurant. Dans les provinces du Nord-Ouest, les Pavillons Noirs, brigands chinois campés sur les bords du fleuve Rouge, s'installaient de plus en plus fortement avec l'agrément du gouvernement annamite, qui s'était déjà servi d'eux contre Francis Garnier et espérait bien encore nous les opposer le jour où la France voudrait imposer sa volonté à Tu Duc.

Un mot en passant sur ces fameux brigands dont le lugubre pavillon vit tomber tant des nôtres et des meilleurs! Depuis une quinzaine d'années, deux bandes de rebelles Chinois avaient pénétré au Tonkin pour y vivre plus grassement que chez eux. Ceux qui portaient des bannières Noires occupèrent la vallée du Haut Fleuve Rouge : les Jaunes choisirent les bords de la rivière Claire. Bientôt une lutte acharnée éclata entre eux et, selon le proverbe annamite: «quand les buffles et les boeufs se battent à coup de cornes, ce sont les mouches et les moustiques qui sont tués », les malheureux Tonkinois payèrent la casse. Quand les Pavillons Noirs furent débarrassés de la présence des Jaunes, ils devinrent les véritables maîtres du pays; ne pouvant les déloger, les mandarins les caressèrent, sentant qu'ils auraient besoin d'eux pour entraver l'occupation française. Or, la France prenait précisément prétexte de la présence des Pavillons Noirs pour intervenir au Tonkin.

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Des navires de guerre français, avisos ou canonnières, avaient paru devant Hai-phong, et tout bas on disait qu'un ultimatum imposant le Protectorat allait être porté à la cour de Hué. En cas de refus, la parole serait aux canons. Mais alors ce ne serait plus avec les seuls Pavillons Noirs, mais encore avec les masses annamites que nos soldats devraient se mesurer. Dans ce cas, nous pouvions nous attendre aux pires événements : le pays serait en révolution, les chrétientés mises à feu et à sang. Les vieux missionnaires qui avaient vu l'expédition de 1873-74 ne dissimulaient pas leurs inquiétudes, tandis que moi, avec mon inexpérience, j'aimais à me figurer que nos braves soldats n'avaient qu'à se montrer pour que le Tonkin fût français. Les anciens avaient raison. Le P. Dumoulin qui, en qualité d'ancien secrétaire de Mgr Puginier, était, plus que personne, à même de bien juger des choses, rappelait que, dans un entretien, M. Motty, administrateur des affaires indigènes, venu au Tonkin à cette époque néfaste, avait dit carrément : Garder ce riche pays conquis par une poignée d'hommes, en un mois et demi, non, c'est vraiment trop beau! Philastre le rend aux mandarins qui vont se préparer tranquillement à nous résister sérieusement, et, plus tard, quand nous serons obligés de revenir, nous devrons sacrifier des milliers d'hommes et des centaines de millions. Le pays sera ruiné. Alors il sera temps de proclamer le Protectorat français pour le remettre en valeur. »> De fait, c'est ce qui arriva.

Bref, l'année 1882 nous paraissait grosse d'événements. Pour moi personnellement, elle commença d'une bien douloureuse façon. Vers la mi-février, à l'époque du tét (nouvel an annamite), je quittai la paroisse de Ké Dai pour me rendre dans celle de Ké Bang. Plusieurs jeunes gens avaient été chargés de porter mes effets; deux d'entre eux s'esquivèrent pour ne pas faire la corvée. Mécontentement des camarades. Mon catéchiste crut devoir faire acte d'autorité et, en mon absence (j'étais alors à Ké Sô), fit donner quelques coups de rotin aux coupables. La chose en soi, vu les us et coutumes du pays, n'avait rien de bien extraordinaire. Mais les parents des deux délinquants résolurent d'en appeler aux mandarins. Avec une ruse satanique, un renégat, scribe à la capitale, leur fit apposer des signatures au bas d'une feuille blanche sur laquelle il écrivit ensuite un acte d'apostasie qu'il porta au Gouverneur de Nam Dinh, espérant sans doute obtenir grades et honneurs pour prix de sa trahison.

Les choses en étaient là quand je rentrai à Kê Bang. Je fus complètement renversé, surtout quand l'apostat eut l'audace de venir me poser ses conditions pour faire retirer l'acte officiel du bureau des Mandarins. Heureusement le bon Dieu lui-même daigna s'en mêler.

Peu de temps après, l'instigateur de cette triste affaire retournait à la capitale où il avait laissé une concubine qu'il se proposait de ramener dans sa famille, bien qu'il fût déjà marié. C'était même la raison capitale de son apostasie. Le bateau sur lequel il faisait la traversée sombra en pleine mer. Cette nouvelle fut un coup de foudre pour les malheureux qui avaient cédé à sa mauvaise in

fluence. Tous revinrent à Dieu. Grâce sans doute aux mérites et aux prières de ses martyrs, cette chrétienté est aujourd'hui plus florissante que jamais.

Et voilà comme un jeune missionnaire doit s'attendre à en voir de toutes les couleurs. Tempus ridendi et tempus flendi.

Cependant, malgré tous les bruits de guerre qui circulaient dans le pays, je pouvais sans crainte et sans danger donner le Jubilé à Kẻ-Bang, à Van-Diêm, a Pung-Xa, à Thien-Mî, chrétientés situées sur la grande route de NinhBinh à Nam-Dinh. A Tien-Mî, j'eus un beau jour à l'improviste la visite du P. Ravier qui, pieds nus, en plein hiver, courait la province de Ninh-Binh dans tous les sens pour en dresser la carte que lui avait demandée Monseigneur... en prévision des services qu'un pareil travail pourrait rendre aux troupes françaises. Il me conta qu'il avait failli avoir peur. Au village de Cho-Gia, il avait été insulté, même on lui avait lancé des pierres et, sans son fusil de chasse, sérieux porte-respect, on aurait bien pu lui faire un mauvais parti.

Pendant que mon intrépide confrère continuait d'arpenter la province, j'allai m'installer à Dong-Doi pour y donner la mission de la Semaine Sainte et y célébrer la fête de Pâques. Je logeai là dans la maison d'un vénérable patriarche, Trûm-Lê, un des plus beaux vieillards que j'ai vus. Il me rappelait la tête du maréchal de Mac-Mahon. Deux fois déjà, le brave homme avait subi l'incendie de sa maison et la perte de tous ses biens; mais, avec l'aide de Dieu, il n'en était ni plus pauvre ni moins généreux. Jamais au Tonkin je n'ai été aussi bien traité que dans cette famille, pour qui le missionnaire, jeune ou vieux, était le représentant de Jésus-Christ et à ce titre l'hôte qu'on devait recevoir avec tous les égards possibles. Les cordons bleus de cette hospitalière maison m'empêchèrent de trouver le temps trop long, bien qu'au Tonkin à cette époque on fit encore maigre tout le temps de la Sainte Quarantaine. Mais ce n'est pas pour cela qu'on mourait plus vite que maintenant.

La Fête de Pâques (9 avril) 1882 fut célébrée à Dong Doi avec une solennité extraordinaire pour le pays, car cette petite chrétienté inaugurait en ce grand jour une belle église construite en briques et en bois de fer, pour remplacer celle que les Lettrés avaient détruite en 1874. A peine relevée, allait-elle subir le sort de la précédente ? On se le demandait avec anxiété. Alleluia! quand même! A la garde de Dieu!

Le mardi 11 avril, après avoir travaillé de mon mieux pendant tout le carême, je me crus parfaitement en droit de prendre une semaine de vacances pour n'en pas perdre la bonne habitude, et je me mis en marche pour Ke So où je saurais à quoi m'en tenir sur les bruits de guerre qui couraient le pays.

..

Chemin faisant, je fus surpris par un gros orage qui me contraignit à chercher un refuge dans la maison d'un richard de Trai Nhoi. Je ne pouvais coucher à la belle

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