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LA FEMME ET LA FAMILLE AU CONGO

Par le R. P. LEJEUNE

DE LA CONGREGATION DU SAINT- ESPRIT

I. Chez les Fans.

Suite (1)

Conclusion. De tous ces faits, il résulte qu'un grand devoir incombe à la France, celui de donner des lois aux Pahouins. A la Chambre des députés, dans la séance du 11 décembre 1899, M. Doumergue, rapporteur du budget des colonies, disait qu'il fallait laisser aux populations sauvages leur statut personnel. C'est fort bien, quand elles ont un statut; mais le vol, le rapt, les guerres continuelles des Pahouins à propos de leurs femmes ne sont pas un statut. Un grand pays comme la France ne peut pas tolérer de telles monstruosités dans les territoires soumis à son gouvernement. Vouloir laisser vendre les petites filles malgré elles, avant 13 ou 14 ans, est, à proprement parler, en faire des esclaves, moins que des esclaves...

..

Une mère a, d'après l'ordre naturel, des droits sur son enfant. Or, dans la plupart des familles pahouines, elle n'en a aucun, ou si peu que c'est chose dérisoire. La France doit décréter que, chez les Pahouins, le consentement de la mère sera désormais nécessaire pour le mariage de sa fille, au moins jusqu'à la majorité de cette dernière. Le père tout seul ne pourra ni la vendre, ni la prêter, ni l'échanger; dans les cas où il y aurait conflit entre les deux chefs de la famille, l'autorité interviendrait.

D'après ce qui se passe tous les jours, les jeunes gens arrivent rarement à se marier parce qu'ils ne possédent rien. Tout ce qu'ils ont, tout ce qu'ils gagnent, sauf leurs habits, est à leur père. Ceux-là seulement sont pourvus qui ont la bonne fortune de voir leur père ou leur oncle décéder; alors, ils héritent; ou encore ceux-là, qui, hardis brigands, capturent une femme dans les champs ou à la

guerre.

Eh! bien, une plus grande facilité pourrait être procurée aux jeunes gens pour s'établir, et cette facilité, ils l'auront, lorsque les filles seront elles-mêmes libres d'accepter le mari qu'on leur propose. Qui d'entre elles ne préférerait un jeune homme à un vieillard décrépit?

Les femmes seraient toujours achetées; mais, une fois mariées, ce serait fini; la loi civile interviendrait pour sanctionner l'union, et définitivement, sans divorce possible. Le grand mal, en effet, est que le père de la fille ne se trouve jamais satisfait. Il réclame toujours un supplément de dot. Il faudrait que le mariage une fois fait, tout fût dit.

La dernière grosse question est celle des héritages. Il est évidemment inadmissible qu'une mère échoit en partage à son fils, ainsi que les autres femmes de son père. Il y a là (1) Voir les nos deз 13, 20, 27 avril, 4 et 11 mai, et la carte p. 210.

un monstrueux inceste. Il faut que les veuves aient dorénavant la liberté de choisir leur nouvel époux entre un certain nombre de candidats parmi les héritiers; il faut qu'elles puissent ne plus se marier, si elles le jugent à propos; enfin, quitter, si bon leur semble, la famille de leur mari défunt, et retourner dans la leur, sans être obligées de rembourser la dot apportée à leur père.

Quant aux héritiers, il en est un certain nombre qu'il faut exclure au nom de la loi naturelle, des lois de l'Eglise et du Code français. Le fils, par exemple, n'hériterait pas des femmes de son père et vice versá; un grand-oncle ou des oncles n'hériteraient pas de jeunes femmes, si ce n'est à la condition formelle de les donner comme épouses à leurs neveux en âge; le chef du village serait également exclu des successions de femmes, et toute intimidation, toute violence, toute contrainte, seraient punies par des peines déterminées.

J'ajouterais encore un dernier article: les enfants seuls, garçons et filles, hériteraient de la fortune de leurs pa rents cases, moutons, ivoire, champs, pirogues, fusils.

Avec toutes ces marchandises, le jeune homme trouvera facilement de quoi se constituer une dot et se marier honnêtement. La jeune fille gardera son patrimoine pour élever sa famille plus tard et venir en aide à son mari dans son commerce, son métier et toutes ses entreprises.

Il me semble qu'avec ces données, des hommes de loi pourraient formuler un petit Code. Ce ne serait pas tout à fait la législation française, mais quelque chose d'approchant. Et ainsi se trouverait aboli tout ce qu'il y a de contraire à la loi naturelle, à l'Evangile et à l'honneur, tout ce qui engendre le trouble et les guerres partout où il y a des Pahouins, tout ce qui empêche l'extension du progrès matériel et moral du Gabon.

Certaines gens disent bien, et tout haut, qu'il ne faut souhaiter qu'une chose : l'extinction complète de la race noire. Ceux-là sont fous.

Lorsqu'il n'y aura plus de noirs au Gabon, qui cultivera le pays?

Les colons? Les concessionnaires ne sont pas de cet avis. Ils prétendent, bien au contraire, se servir des naturels, car les colons ne seront jamais assez nombreux pour exploiter et cultiver eux-mêmes cet immense territoire.

Les Kroomen? Mais la République de Liberia a vendu le monopole de leur enrôlement aux Allemands, comme elle a vendu celui du caoutchouc aux Anglais.

Les Mayoumba de la côte du Gabon ? Ils sont tous au Congo belge et au Cameroun allemand.

Les Galoas, les Mpongoués, les Oroungous? Il n'y en a plus les races sont épuisées, parce que l'administration a précisément respecté leur statut personnel, et que ce statut, au contact de la civilisation, a laissé tout ce qu'il avait de bon tomber en désuétude, gardé au contraire tout ce qu'il avait de mauvais et pris aux étrangers tous les usages contraires à la morale, à la propagation de l'espèce humaine et même, à ce que nous appelons communément en France, l'honneur.

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Dans une lettre écrite par le Commissaire général à l'ancien ministre des Colonies, M. Guillain, au sujet d'une réglementation pour les mariages indigènes au Congo français, on lit qu'une des grandes difficultés serait la différence des statuts des indigènes : les us et coutumes des Pahouins ne sont pas ceux des Galoas et des Mpongoués; ceux du fleuve Ogowé ne sont pas les mêmes qu'à Brazzaville et dans la Sanga. La remarque est juste.

Mais la grande différence est celle-ci : chez les Fans ou Pahouins, l'enfant appartient au père; chez les autres peuplades, il appartient à la famille de la mère, c'est-àdire au frère de la mère ou au frère de la grand' mère maternelle.

Dans une étude qu'a publiée dernièrement le Correspondant, j'ai traité principalement de cette dernière catégorie d'indigènes plus en contact avec les Européens. Je rapporterai ici quelques détails spéciaux pour les lecteurs des Missions catholiques.

1. L'histoire de Jeanne: la livraison. L'histoire de deux de ces femmes galoas, Jeanne Ntyaga et Louise Aganga, donnera une idée de la condidion faite à toutes les autres.

Jeanne ne se rappelle pas l'âge qu'elle avait lorsque son oncle Mentchoua fut accusé d'avoir occasionné la mort d'une de ses belles-mères par des sortilèges. Elle pouvait avoir de deux à trois ans, car elle commençait à marcher; mais elle n'avait pas encore oublié le goût du lait de sa mère, puisqu'elle le redemandait toujours et pleurait pour l'avoir; c'est du moins ce que lui apprit plus tard une de ses compagnes d'infortune plus âgée qu'elle.

On exigeait de Mentchoua une somme de 150 francs environ pour parfaire une dot. Il alla trouver la famille de sa belle-mère pour conclure un arrangement. Mais auparavant, en bon païen galoa, il ensorcela un poil de cabri en le trempant dans une bouillie faite avec des champignons vénéneux, du sang de chat-tigre, un foie de panthère et différentes herbes sacrées. C'est ce qu'on appelle dans le pays le Ndjali ogouèra (fusil de la nuit), le plus redouté des fétiches, celui qui passe pour faire le plus de victimes.

Le palabre était compliqué. Le frère de sa belle-mère, Ajojé, venait de se marier, et, à l'occasion de ce mariage, il se trouvait en guerre avec ses beaux-parents, lesquels prétendaient que les marchandises avancées pour la dot étaient de qualité inférieure. Mentchoua, en qualité de gendre, aurait dû prendre fait et cause pour Ajojé. Il n'en fit rien; il refusa même de lui prêter un fusil et de lui livrer un baril de poudre pour attaquer la famille de la femme d'Ajoje. De là des querelles, des insultes et des menaces, des imprécations:

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La sœur d'Ajojé, belle-mère de Mentchoua, prit fait et cause pour son frère; elle fut maudite à son tour et menacée par son gendre de mourir par le Ndjali ogouèra.

Mystère! Huit jours après, elle vomissait le sang à pleine bouche, du sang noir comme de l'encre, et quelques heures plus tard, elle expirait.

Naturellement on se rappela les paroles de Mentchoua et son fameux « fusil de ténèbres ». Reconnu coupable et jugé par les autorités du pays, il fut ccndamné à payer aux parents de sa victime trois esclaves et quantité de fusils, de poudre et de pagnes; il devait en outre donner à Ajojé deux femmes de sa famille, dont l'une deviendrait immédiatement la femme d'Ajojé, et l'autre, Ntyaga, notre Jeanne, âgée de deux ans à peine, serait confiée à la garde d'une matrone.

Mentchoua profita d'un moment où sa sœur, la mère de la petite fille, était au travail; il prit donc l'enfant, la coucha au fond de sa pirogue et la conduisit chez Ajojé, qui fit un geste de mépris en la voyant si petite.

Lorsque la pauvre mère revint des champs, courbée sous le poids d'un énorme panier de bananes, elle demanda : ((— Où est ma fille? »

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Il n'y en a pas; je l'ai donnée pour mon procès. » Et la pauvre mère pleura, pleura toute la nuit sa pauvre enfant.

Et Jeanne pleurait de son côté, appelait le sein maternel; et sa marâtre, la vieille à qui on l'avait confiée, la battait pour faire cesser ses cris.

Jeanne a maintenant 50 ans environ, et est << postulante >> chez les Sœurs de l'Immaculée-Conception à Lambaréné. une postulante bien rassise, et sur la vocation de laquelle l'enthousiasme de la jeunesse et la ferveur sensible n'ont guère d'influence.

NOTRE PRIME

(A suivre.)

Carte des Missions Catholiques aux Etats-Unis.

Nous avons déjà publié, il y a une vingtaine d'années, une carte de la grande République américaine; mais celle que nous offrons aujourd'hui à nos lecteurs est infiniment plus complète, plus instructive, plus détaillée; elle est, de tout point, supérieure à la précédente.

Toutes les données de géographie générale que l'on rencontre dans les cartes les plus soignées se retrouvent dans cette œuvre consciencieuse : orographie, hydrographie, divisions administratives, chemins de fer, etc.

Mais naturellement c'est surtout au point de vue des indications relatives au progrès du catholicisme que ce travail mérite d'attirer l'attention. Nul n'ignore l'importance prise par la véritable Eglise de Jesus-Christ au sein de I'Union américaine; les conquêtes de l'apostolat, l'afflux incessant des immigrants irlandais, italiens, espagnols, ont, en ces dernières années, grossi démesurément le pusillus grex d'autrefois et groupent aujourd'hui dix millions de fidèles autour de 12 archevêques, de 80 évêques et de

11.119 prêtres dont 2.756 appartiennent à des Ordres religieux ou des Congrégations. Les récents développements de la hiérarchie sainte aux Etats-Unis suffiraient seuls à justifier la publication de cette carte.

Un tableau statistique minutieusement dressé donne pour chacune des 87 circonscriptions religieuses qui se partagent l'immense territoire, le détail du personnel et des établissements ecclésiastiques ainsi que la population catholique. Cette superbe prime est un travail du plus haut mérite et nous remercions chaleureusement tous les collaborateurs dévoués qui en ont patiemment réuni les éléments, en particulier M. Milon, secrétaire général des Lazaristes.

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TONKIN OCCIDENTAL.

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PROCESSION EN L'HONNEUR DE LA SAINTE VIERGE; 'après une photographie envoyée par M. GIROD, des Missions Etrangères de Paris (voir p. 247).

Les Missions à l'Exposition de 1900

Nous avons, à diverses reprises, entretenu nos lecteurs de l'Exposition des Missions qu'organisait un Comité créé à Paris dans ce but. Depuis peu de semaines, le pavillon était terminé extérieurement et les visiteurs pouvaient se rendre compte que les missionnaires auraient, dans la grande synthèse de l'activité du siècle qu'est l'Exposition. Universelle de 1900, sinon la place que, par leur action, ils doivent occuper vraiment, au moins une place très honorable. Le gracieux et petit pavillon où sont logés les envois de nos missionnaires est d'une étendue suffisante, et chaque objet exposé dans les vitrines, ou accroché aux murs, offre un intérêt, a souvent son histoire.

L'inauguration de l'Exposition des Missions catholiques françaises, a eu lieu le jeudi 17 mai à 3 heures. Le Viceamiral Lafont, président du Comité spécial, assisté de plusieurs membres de son bureau, et notamment de MM. du Teil et Grenier, a fait les honneurs du Pavillon aux représentants des diverses congrégations de missionnaires qui No 1616.25 MAI 1900.

avaient répondu à l'invitation reçue. Tous les assistants d'ailleurs, se sont sentis en famille, et nous n'avons vu que des visages connus et sympathiques. NN. SS. Le Roy et Allgeyer représentaient les Vicaires apostoliques. Les divers Procureurs des Sociétés de missionnaires, MM. Fleury et Grosjean, des Missions Etrangères de la rue du Bac, le T. R. P. Bourgeois, dominicain, les RR. PP. de Villèle, Tournade, Piolet, Jésuites, M. Planson, de la Congrégation des Lazaristes, le R. P. Alazard, des Pères des SacrésCoeurs, le R. P. Fayard, des Oblats de Marie, le R. P. Ferdinand de la Mère de Dieu, de l'ordre des Carmes, etc., avaient tenu à être exacts au rendez-vous.

Mgr Péchenard, vicaire général de Paris et recteur de l'Institut catholique, président du Comité de patronage pour la participation des Euvres catholiques à l'Exposition universelle, honorait également de sa présence l'inauguration du pavillon des Missions.

Les grandes œuvres d'apostolat étaient, elles aussi, représentées. Un peu avant 3 heures, arrivait à l'Exposition des Missions catholiques l'un des ecclésiastiques les plus aimés du clergé lyonnais, membre du Conseil central de Lyon de l'Euvre de la Propagation de la Foi, le vénéré Mgr Gourgout, curé de Saint-François, accompagné de Mgr Th. Morel, directeur du Bulletin hebdomadaire, et

de M. A. Guasco, secrétaire du Conseil central de Paris. Mgr Demimuid, directeur général de la Sainte-Enfance; Mgr Charmetant, de l'Euvre des Ecoles d'Orient, étaient également présents. Citons encore MM. Le Myre de Vilers et Monteil, ainsi que le comte de Fontaine de Resbecq, trésorier de la Société antieselavagiste de France. Il serait trop long de donner une énumération complète, et nous craindrions de commettre des oublis, aussi nous garderons-nous de chercher à le faire.

Notons, toutefois, que M. Benjamin Constant,qui termine en ce moment un très beau portrait de S. S. Léon XIII, était également venu. La belle toile sur laquelle le célèbre artiste a fixé les traits de son auguste modèle, doit, selon les intentions du Pape, figurer à l'exposition des Missions: elle sera placée en face de la vitrine renfermant les objets envoyés par le Musée Borgia. Puisqu'il est question de vitrine, nous ne pouvons passer sous silence celle de notre (Euvre qui, avec certains objets du musée de la Propagation de la Foi, renferme des spécimens de nos Annales en diverses langues, du Bulletin hebdomadaire et des Almanachs.

Un grand tableau encadrant quelques-unes des cartes données en prime par les Missions catholiques, a été fixé sur l'une des cloisons de la classe 14, groupe 3, à la Géographie, mais on en verra aussi au Pavillon de l'avenue d'léna.

Et, maintenant, nous souhaitons à l'Exposition des Missions de nombreux visiteurs, comme nous souhaitons au Comité, des ressources lui permettant de faire face aux frais importants qui lui sont imposés.

Si nos lecteurs croyaient devoir participer à ces frais, nous nous ferions un plaisir de faire parvenir leurs offrandes à M. le vice-amiral comte Lafont.

CORRESPONDANCE

KUMBAKONAM (Hindoustan)

Besoins de ce diocèse.

Nous nous empressons de publier cette lettre du vénérable évêque mis à la tête du diocèse de Kumbakonam récemment créé et nous nous faisons un devoir de recommander sa touchante requête à nos lecteurs.

LETTRE DE MGR BOTTERO, DES MISSIONS ÉTRANGÈRES DE PARIS, PREMIER ÉVÊQUE DE KUMBAKONAM Depuis le jour de mon sacre, c'est-à-dire depuis le 30 novembre dernier, on me presse de porter à la connaissance des lecteurs des Missions catholiques les difficultés au milieu desquelles ce diocèse nouveau-né se débat, faute de ressources matérielles. Je suis certainement l'un des évêques les plus besogneux de la catholicité. J'ai, pour deux raisons prin

cipales, évité jusqu'à présent de faire appel à la charité. Je voulais d'abord, avant de solliciter des aumônes, me rendre compte de l'état réel des choses; puis, il me répugnait de tendre la main aux abonnés du Bulletin et de détourner, en ma faveur, une partie des dons qu'ils font si généreusement aux missionnaires de l'Inde éprouvés par la peste et la disette.

La vérité me force à dire que les populations de diocèse souffrent terriblement de l'excessive cherté des vivres; mais, jusqu'à ce jour, elles ne sont pas en proie à une vraie famine, telle qu'on la voit ailleurs, par exemple dans les provinces du centre, le Rajpoutana et peut-être plus encore dans le Gujerat. En ces malheureux pays, malgré tout ce qu'opère la charité privée, en dépit des sommes énormes dépensées par le gouvernement anglais et d'autres sommes considérables envoyées des quatre coins du monde, le fléau fait des victimes sans nombre, et parmi les pauvres Indiens, et parmi leurs bêtes à cornes. La sécheresse, une sécheresse presque absolue, désole ces contrées depuis deux et trois années successives. Le grain est rare, l'argent plus rare encore; et par dessus tout, l'eau même fait défaut.

Dieu merci, dans ce diocèse, à l'exception de quelques localités, nous n'en sommes pas arrivés à ce point extrême de détresse. Nous n'avons été privés que des récoltes de la dernière année; peut-être des pluies abondantes viendront-elles bientôt permettre aux cultivateurs d'ensemencer leurs champs.

La peste également, qui sévit en tant de lieux divers, jetant chaque semaine dans la tombe des milliers de victimes humaines, à Pouna, à Bombay, à Karrachy, au Bengale, dans le Behar et ailleurs, ce terrible fléau nous menace sans cesse, il est vrai; mais, de fait, il n'a pas encore sévi chez nous. Nous n'avons que des fièvres, le choléra, la variole et cela nous suffit.

Alors, me demandera-t-on, comment prétendezvous être un des plus pauvres évêques de la terre? Voici ma réponse : l'Evêché, dont Kumbakonam est le siège, n'a été créé qu'en octobre dernier. Jusqu'alors partie intégrante de l'archidiocèse de Pondichéry, cette mission vivait de la vie et des ressources de la métropole, comme l'enfant renfermé dans le sein de sa mère vit de sa substance. Au moment de la division, nous n'avons rien emporté, et nous n'avons rien reçu d'ailleurs. Il faut pourtant que l'enfant trouve du lait après sa naissance; autrement il périra.

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