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puisque leur recteur, Mgr Jaccoud, mon ancien condisciple et ami, leur fait faire chaque année une grande excursion dans leur magnifique pays, j'ai eu la hardiesse de prétendre que la Suisse ne pouvait absolument rien mettre à côté de nos fjords. La Suisse a ses géants de pierre; mais, pour pouvoir les goûter, il faut déjà être à une hauteur respectable. Nos montagnes sont moins éle

vées; mais, à bord de nos bateaux, nous pouvons en embrassertoute la hauteur d'un seul regard, en même temps que nous jouissons de la vue de leurs superbes glaciers en regardant par la fenêtre de notre

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cabine. La Suis

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se a ses lacs; mais comparezles donc à notre Sognefjord, par exemple, dans lequel une demi-douzaine de cantons suisses tiendraient aisément.

Mes auditeurs furent assez aimables pour ne pas prendre en mauvaise part ce dénigrement de leur belle patrie et ils me le témoignèrent m'offrant, pour ma chère Norvège, une somme tellement impor tante, que j'osais à peine l'accepter.

en

1895, dans ma

tournée pasto

rale, se rappellent peut-être encore les beautés du chemin de fer de Bergen à Vossevangen, du Næridal et du Næræfjord, que nous allons

suivre pour aboutir au Sognefjord. Rien de plus sauvage et aussi de plus pittoresque.

Au mois de décembre 1897,

NORVÈGE. FIANCÉE DE SOGNDAL; d'après une photographie envoyée par Mgr FALLIZE (voir p. 176).

lors de mon voyage ad limina, j'ai eu le plaisir d'entretenir les élèves du collège Saint-Michel à Fribourg, Suisse, avec leurs aimables professeurs, des beautés de la Nor vège et principalement du Sognefjord et du Nærofjord. Bien qu'ils soient connaisseurs en beautés de la nature, (1) Voir les Missions Catholiques des 5, 12, 19, 26 janvier, 2, 9, 16 février, 2, 9, 16, 23, 30 mars et 6 avril.

Après avoir

croisé pendant deux jours au milieu de ces merveilles de la nature, nous abordions, au centre du Sognefjord, à Lekanger, où résident le gouverneur et les autres autorités de la province. Il faudra y fonder tôt ou tard une station, car c'est là, au siège de l'administration centrale, que la population afflue naturellement. Du reste, déjà la population sédentaire du district de Lekanger est très nom

breuse, et tout près de là commence le grand et magnifique Fjærlandsfjord, à l'entrée duquel nous saluons Balholmen, l'eldorado des touristes. La contrée de Lekanger est d'une beauté rare, même en Norvège, et d'une fertilité surprenante par ces latitudes. Nous étions surtout étonnés de voir des vergers s'étendre à perte de vue le long du rivage. C'est à cette fertilité qu'est due la grande densité de la population.

Nous voulions faire une petite promenade en suivant le chemin qui longe la côte. Mais la vue de ces allées d'arbres fruitiers, de ces prés en fleurs, du fjord et des chaînes de montagnes, coupées à l'infini, qui l'encadrent, tout cela nous ravit tellement que notre promenade se changea en un petit voyage. Chemin faisant nous arrivâmes à l'église de Lekanger, une ancienne église catholique en pierre.

Bonum est hic esse! disions-nous avec saint Pierre, et nous prîmes place sur le gazon du cimetière, qui recouvre les cendres de nos anciens frères, pour y réciter notre office, accompagnés des anges gardiens du sanctuaire. Qu'on prie bien en un lieu où l'on se sent entouré des saintes âmes qui y ont prié également il y a des siècles, qui y ont adoré le même Agneau de Dieu, y ont offert au Père céleste la même divine Victime que nous lui sacrifions encore aujourd'hui !

L'office terminé, nous nous fîmes ouvrir l'église. Du catholicisme, il ne reste plus que les murs et l'autel violé. Plaise à Dieu qu'un jour cet autel et ces murs soient rendus à leur sublime destination!

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Le lendemain, nous prîmes congé de notre brave hôtelier de Lekanger pour pénétrer dans le bras du même fjord qu'on appelle Norumsfjord. A l'entrée eut lieu, en 1184, une bataille navale décisive entre les rois rivaux Sverre et Magnus Erlingsson. La partie supérieure s'appelle Songdalsfjord. Même fertilité et même pittoresque qu'au Fjærlandsfjord. Nous abordâmes près du petit bourg de Sogndal, bâti sur une moraine, que brise le turbulent Sogndalselv, agrémenté de cascades, qui interrompent à chaque instant sa marche. Quel charmant séjour, jalousement gardé par les pics du Storhougfjeld, du Skriken et du Nukenipa, dont l'image est fidèlement reproduite au fond du fjord silencieux! Bonum est hic esse! répétions

nous.

Encore ici, où le nom Sogndal (vallée de la paroisse) nous dit qu'anciennement il y avait une paroisse catholique, il nous faudra un jour une paroisse, au milieu de cette population si intelligente et si sympathique. J'en ai pris note; mais à quand la mise à exécution? Peut-être un riche touriste catholique, attiré par les charmes du Sogndalsfjord, viendra un jour nous dire qu'il a été touché du sort des milliers de chrétiens, que des distances énormes séparent de la plus proche station catholique et qui par là sont dans l'impossibilité d'apprendre à connaître l'Eglisemère, et qu'il s'offre à nous procurer les moyens de leur venir en aide. Oh! comme je lui baiserais les mains!

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fjord, l'Aardalsfjord, dernière ramification du Sognefjord vers le Nord-Est, pour aller saluer la vieille maman d'un de nos missionnaires, que, malgré l'isolement de son lieu de naissance, la Providence a conduit au sein de l'Eglise catholique et à l'autel; mais, comme nous connaissions ce fjord, précisément par la description que nous en a faite ce confrère, nous devions bien nous priver de cette consolation.

Par contre, la dernière ramification vers le Sud-Est, l'Aurlandsfjord supérieur, nous était absolument inconnu; il fallait donc l'examiner, et nous y allâmes par le premier bateau en partance; il n'y en a que deux par semaine.. Jamais de ma vie je n'ai vu de panoramas aussi sauvages. Rien que des rochers montant perpendiculairement, des gorges dont il est impossible de scruter le fond, des cimes se mariant avec les nues, des cataractes à droite et à gauche, devant vous et derrière vous. Çà et là seulement un bout de terre cultivée avec une petite ferme, tantôt. suspendue au-dessus de l'abîme, tantôt cachée dans un enfoncement du fjord. Et, malgré cela, nous découvrons une petite église protestante, celle d'Aurland.

Tout au bout du fjord, auprès de la ferme Fretheim, nous mîmes pied à terre pour y attendre le retour du bateau de Lærdalsæren, débouché des grandes routes de Hallingdal et de Valders. Le riche propriétaire de Fretheim, à qui notre aimable aubergiste de Lekanger nous avait recommandés, nous reçut comme de vieux amis et nous fit jouir d'une hospitalité vraiment norvégienne, c'est-à-dire illimitée. Il nous donna toutes les informations désirables. Le fjord avait sa continuation naturelle par la vallée Flaamdal, sauvage et presque déserte et pour cela peu habitée. Conclusion pour nous : il n'y a donc pas à penser à un établissement de notre part.

(A suivre.)

Nous aurions encore voulu pénétrer dans un autre

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Maintenant que les premières émotions sont calmées, mettons ordre à nos petites affaires d'intérieur. Devoir important présider soi-même au déballage de ses effets d'outre-mer si l'on ne veut pas s'exposer à quelque incident risible, occasionné par l'ignorance des Tonkinois en faits d'usages, coutumes et costumes d'Europe, comme il advint autrefois, nous dit-on, à certain confrère qui vit tous les catéchistes de la paroisse arriver en grande pompe devant l'autel, affublés de ses chemises en guise de surplis Je tâchai donc de m'installer de mon mieux dans la mo

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NORVÈGE.

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SALLE D'HOTEL; d'après une photographie envoyée par Mgr FALLIZE, Vicaire apostolique (voir p. 176).

deste cellule que le P. Procureur m'avait permis d'appeler ma chambre. Elle n'était ni ronde ni carrée, plutôt longue que large et comme les Annamites n'avaient encore jamais soupçonné la possibilité de l'impôt des portes et fenêtres, on n'avait pas eu peur de pratiquer des ouvertnres: l'air et la lumière me manqueraient certainement moins qu'aux anciens missionnaires des temps de la persécution qui ne devaient pas être logés aussi confortablement dans leurs cachettes souterraines ou entre deux cloisons de torchis. Un grand rideau (en annamite ça s'appelle man, retenezbien) divisait la pièce en deux compartiments: d'un côté l'antichambre avec le catéchiste et les bagages; de l'autre, le salon du missionnaire avec ses livres, un tabouret servant de table de travail, et dans le fond, en face de la fenêtre, la planche, couverte d'une natte et surmontée de la (1) Voir les Missions catholiques des 23, 30 mars et 6 avril.

moustiquaire, qui compose le lit de plumes annamite. Contre les murs blanchis à la chaux, quelques images pieuses et les photographies de la maison paternelle et de la famille sur lesquelles de temps en temps j'aimerai à jeter les yeux... sans larmoyer. Une sorte d'estrade en planches élevée d'un pied au-dessus du sol (en annamite phan) occupe le milieu du réduit: ce sera mon siège ordinaire, canapé, fauteuil, et théâtre de mes essais dans l'étude de la langue annamite. Voilà tout, j'étais enfin dans mes meubles!

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En bon nouveau, ne me sentant pas de joie, je m'en allai du coup prier les confrères de venir faire honneur à une bonne vieille jurassienne que j'avais rapportée de

Cette côte à l'abri du vent,

Qui se chauffe au soleil levant...

et que d'une main timide je tirai des entrailles de mon sac

de voyage. Et nos cœurs français prirent plaisir à songer Qu'ils n'en ont pas en Angleterre!

Et guère plus au Tonkin, mais tant pis! Il suffit d'avoir l'estomac apostolique, et « vive la joie quand même!

Sur la rive lointaine

Pour faire ample moisson, Faut pas craindre la peine Ni mauvaise saison,

Rire de sa misère

Autant que du bonheur,

A maigre et bonne chère

Faire toujours bon cœur!

Sur l'air du tra.....

(Maître Corbeau sur un arbre perché.)

Le missionnaire est comme le soldat en étape : un gai refrain lui fait trouver le sac moins lourd.

Nous en étions là quand un catéchiste vint appeler les deux nouveaux Pères de la part de Monseigneur..... Peutêtre que j'ai chanté trop fort?.... Non, grâce à Dieu, on a l'esprit large au Tonkin: Il s'agissait d'une chose beaucoup plus sérieuse : prêter serment de nous conformer en tous points aux bulles et décrets des Souverains Pontifes Clément XI et Benoît XIV au sujet des Rites Indiens et Chinois. Cela fait en toute âme et conscience, l'évêque nous adressa une petite admonestation paternelle :

« Vous êtes heureux, mes jeunes amis, d'être missionnaires au Tonkin occidental, et vous n'avez pas tort. Mais si l'enthousiasme n'est pas défendu, la persévérance est encore plus nécessaire du nerf... pas de nostalgie, et avant tout la prière, la confiance en Dieu! >>

Avec son franc-parler et sa paternelle bonté, Mgr Puginier n'eut pas de peine à s'emparer de mon esprit et de

mon cœur.

<< Maintenant, ajouta Monseigneur, maintenant que vous. voilà enrégimentés dans la grande armée apostolique et que vous avez prêté serment d'être fidèles au drapeau, il vous faut un nom de guerre.. pas trop difficile à pronocer: voyons... le P. Rigouin s'appellera Co' Doai (le Père l'Ouest), et le Père Girod Co' Bac (le Père le Nord) en souvenir du Vénérable Père Néron qui avait ce nom et était lui aussi du diocèse de Saint-Claude. »

Autant que possible, le nom dont on baptise le nouveau missionnaire est en rapport avec ses qualités physiques ou morales, charitablement supposées, la Grandeur, la Force, la Montagne, la Douceur, la Paix, la Joie, la Félicité, ou bien on réquisitionne les noms des quatre points cardinaux, et souvent c'est le cas de dire qu'on regarde en Normandie pour voir si la Champagne brûle. Et quelle amère dérision du destin s'il faut s'appeler le Riche! La seule consolation, c'est qu'on ne l'est guère. Bref, puisque je m'appelais le Nord, je tâcherai de ne pas le perdre... et pour cela j'avais moins confiance dans mes propres lumières que dans la protection du Vénérable missionnaire dont je portais le nom annamite.

J'avais donc désormais mon équipement complet, la

tente, l'uniforme, le numéro matricule... tout, moins les armes, ou plutôt l'arme, c'est-à-dire la connaissance de la langue qui devait être mon glaive de bataille contre le démon pour la prédication de l'Evangile. Ah! ce que la tour de Babel nous a causé de mal! Mais il ne s'agissait pas de s'exclamer en jérémiades. Il fallait avaler... le volume, le dictionnaire annamite-latin, et pour y réussir, le meilleur moyen était de suivre la méthode des anciens missionnaires qui, à force de travail et de génie industrieux, ont trouvé le système de remplacer les caractères chinois par les caractères latins, et une orthographe particulière qui satisfait parfaitement à toutes les exigences de la prononciation la plus recherchée de cette langue. Comme le genre dictatique n'est pas le mien, je me garderai bien de faire ici une thèse sur la langue annamite. Je me contenterai de dire pour éclairer un peu la religion de mes lecteurs que si l'on ne fait pas attention aux signes et aux tons qui différentient le sens du même mot, on ne sera jamais compris. Un exemple, le mot ma qui comporte tous les tons :

Ma, recto tono, signifie : fantôme.

Ma, avec signe descendant, signifie pour.
Ma, avec signe grave, signifie riz de semence.
Ma, avec signe grave cadencé, signifie : cheval (terme
chinois).

Ma, avec signe interrogatif, signifie tombeau.
Ma, avec signe aigu, signifie : joue.

L'étude de la langue est donc la grande affaire de tout jeune missionnaire, qui, avec le secours d'un catéchiste sachant quelques mots de latin, doit du matin jusqu'au soir, mettre tout son jugement, toute sa mémoire, toute son intelligence au service de son gcsier, de sa langue et de son nez, car c'est avec tout cela qu'on parle en annamite. Et un philosophe a eu l'audace de dire que l'homme est une intelligence servie par des organes!

Pour moi, je m'aperçus facilement de la fausseté de cette définition, car j'eus toutes les peines du monde à me plier à cette étude ingrate, d'autant plus que mon amour propre me rendait un très mauvais service: j'avais peur de canarder, autrement dit de ne pas bien faire les signes et de prononcer Nabuchonosor quand il eût fallu dire Balthazar. Cependant mon brave catéchiste, professeur de langue vivante, ne cessait de me pousser l'épée dans les reins en me répétant: có công mài sát congay nên kim, ce qui signifie qu'à force d'aiguiser le fer on obtient une aiguille. Enfin, je me hasardai, et un beau matin les jardiniers, qui plantaient des choux, et les gamins qui gardaient les builles, furent honorés des premières questions qui vouluLes pauvres rent bien sortir de mon gosier rebelle. gens! ils étaient bien embarrassés, voulant rire et ne l'osant pas je dus me résigner à leur en donner moimême l'exemple.

Un jeune missionnaire n'eut même pas à faire ce petit sacrifice et le jour qu'il prêcha son premier sermon pour la fête de l'Epiphanie, toute l'assistance se permit de sourire pour une faute d'accentuation qui faisait ajouter un présent inédit à ceux des Trois Rois Mages. Le mot Cho, donner, indique le datif et le complèment indirect. Le mot Cho, avec l'accent aigu, signifie chien. Le Père ayant mal

heureusement omis l'intonation et prononcé cho au lieu de chô, sa phrase accusait très correctement les trois bons Rois Mages d'avoir offert un chien à Notre-Seigneur.

Voilà un exemple qui suffit pour donner une idée de l'attention qu'il faut apporter aux accents et à l'intonation.

..

Une fois que la glace fut rompue et que des gens de bonne volonté se résignèrent à affronter une conversation avec moi, les progrès devinrent de plus en plus sensibles, et au bout de six mois, pour la fête de Noël, à la messe de minuit, je risquai par ordre mon premier sermon.

Van Tri, mon catéchiste, daigna me dire que je ne lui avais pas fait trop honte.

C'était un brave garçon, intelligent et dévoué, mais d'un caractère assez peu malléable. Un jour que je crus devoir lui faire une observation, il me répondit sans sourciller : « Le Père est venu ici pour l'amour du bon Dieu, et moi, je le sers également pour l'amour de Dieu... non sum servus ad oculum serviens. »

Là-dessus il m'apprit qu'il avait lu les écrits de Socrate en rhétorique, et il me cita sentencieusement plusieurs maximes de Confucius. Je dus être ou tout au moins paraître convaincu que j'avais eu tort de remettre mon sage mentor à sa place.

Pendant que j'étudiais la langue à la Communauté, Mgr Puginier reçut la visite de M. de Kergaradec, consul de France à Hanoi. Mme la comtesse de Kergaradec accompagnait son mari. Au dîner, Monseigneur lui donna naturellement la place d'honneur, à sa droite, et s'entretint aimablement avec elle. Puis quand on se leva de table, le consul s'empressa poliment pour présenter à Mme de Kergaradec son chapeau et son ombrelle suspendus au portemanteau. Cela avait fortement intrigué mon Vân Tri qui, debout derrière ma chaise, avait suivi des yeux tout ce qui se passait, vexé très certainement de ne pas comprendre la conversation. A notre première séance d'annamite, mon catéchiste me dit à brule-pourpoint :

(1

(1

Les femmes sont rares en France...
Tiens?... et pourquoi done?

Parce que on leur fait beaucoup d'honneur en leur donnant le pas sur les hommes... Le monsieur qui va au devant de sa femme pour lui présenter son chapeau!... Chez nous, ce n'est pas cela : la femme sert son mari.. Et puis je ne comprends pas comment une dame catholique ose s'asseoir à la droite de l'évêque, au-dessus de tous les missionnaires... >>

Pour du puritanisme, en voilà du vrai. Je m'efforçai, mais probablement sans grand succès, de refaire l'éducation peu chevaleresque de mon Annamite à l'endroit des dames de France et autres pays catholiques.

Puisque je fais la critique des idées de mon catéchiste en cette circonstance, il faut aussi que je lui rende justice, à lui et à ses compatriotes en général, en disant que les chrétiens du Tonkin à cette époque déjà lointaine avait

une haute idée de la puissance et de la mission de la France en Extrême-Orient, surtout depuis l'héroïque expédition de Francis Garnier, qui cependant n'avait certes pas fini à notre grand avantage. Aussi le passage d'une petite canonnière, comme la Massue, qui avait amené le consul à Ké So était salué par toutes les populations riveraines comme un signe de protection contre la haine toujours implacable des Lettrés.

Sans entamer aujourd'hui ce chapitre intéressant, qui viendra en son lieu et place, je reviens encore à un incident anecdotique, qui, pour moi du moins, signala le dîner susdit.

Le commandant de la Massue, le lieutenant de vaisseau X***, était un excellent homme à bord, je n'en doute pas, et à table, j'en suis sûr. Il causait facilement, avec une amabilité cordiale, et naturellement les promenades de la Massue dans les fleuves et rivières du Tonkin étaient son thème favori. Je prenais grand plaisir à l'entendre, bien que je ne connusse guère l'hydrographie du Tonkin. A un moment cependant je dressai l'oreille avec une pointe, ou une tension de douce incrédulité. M. X*** nous disait, au milieu d'un beau moment de silence de toute la table, que dernièrement il avait remonté le fleuve Rouge jusqu'à Hortansia. Sans doute il méritait un témoignage de satisfaction du ministre de la Marine..... mais j'allais éclater de rire quand un coup d'oeil de Mgr Puginier me rappela à l'ordre. Je savais déja assez d'annamite pour avoir compris que Hortansia devait être la chrétienté Ho Táng Xà.

Mais me voilà loin de l'étude de la langue annamite, et avec des digressions ou distractions pareilles, je risque bien de ne pas faire un linguiste remarquable. Je me laissai damer le pion par mon confrère et compagnon de voyage qui, au lieu d'être maintenu à la Communauté, fut envoyé dans une paroisse, à Bai Vàng, où seul, au milieu des Annamites, il fit des progrès beaucoup plus rapides que moi en fait de beau et bon langage, et d'us et coutumes du pays. En revanche, vivant au milieu des anciens, à côté de Mgr Puginier, j'eus l'avantage d'entendre raconter pas mal de choses intéressantes et instructives, ce qui me permet aujourd'hui de trouver assez facilement matière pour le chapitre suivant avant de partir en district.

NÉCROLOGIE

MGR GAETANO DE ANGELIS, archevêque d'Athènes.

(A suivre.)

Mgr Gaetano-Maria de Angelis était né le 1er janvier 1848 à Castro dei Volsci (Italie) et était entré jeune encore dans l'Ordre des Mineurs Conventuels. Il ne gouvernait que depuis quelques années le diocèse d'Athènes dont il avait été nommé archevêque le 10 mai 1895.

Nous donnerons dans un prochain numéro des détails sur la mort de l'éminent et regretté prélat.

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