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tête , refroidie par les détails de l'exécution, connut la difficulté, s'effraya de l'entreprise abandonna drame et dissertation. Et, tel qu'un enfant rebuté des efforts qu'il a faits pour dérober des fruits trop élevés , se dépite et finit par se consoler en cueillant des fleurs au pied de l'arbre même, une chanson ou des vers à Thémire me firent oublier la peine inutile que j'avais prise.

Peu de temps après , M. Diderot donna son Père de Famille. Le génie de ce' poëte, sa manière forte, le ton mâle et vigoureux de son ouvrage devaient m'arracher le pinceau de la main ; mais la route qu'il venait de frayer avait lant de charmes pour moi , que je consultai moins ma faiblesse que mon goût. Je repris mon drame avec une nouvelle ardeur. J'y mis la dernière main , et je l'ai depuis donné aux comédiens. Ainsi l'enfant que le succès d'un homme rend opiniâtre , atteint quelquefois aux fruits qu'il avait désirés. Heureux, en les goûtant, s'il ne les trouve pas remplis d'amertume ! Voilà l'histoire de ma pièce.

Maintenant qu'elle est jouée , je vais exa

a

miner toutes les clameurs et les censures qu'elle a occasionnées; mais je ne releverai que celles qui frappent directement sur le genre dans lequel je me suis plu à travailler , parce que c'est le seul point qui puisse intéresser aujourd'hui le public. Je m'impose à jamais silence sur les personnalités. Jam dolor in morem venit meus. ( Ovid.) Je laisserai de même sans réponse tout ce qu'on a dit contre l'ouvrage, persuadé que le plus grand honneur qu'on ait pu lui faire , après celui de s'en amuser au théâtre, a été de ne pas le juger indigne de toute critique. Et que

l'on ne croie pas que je me pare ici d'une fausse modestie. Mon sang-froid sur la censure rigoureuse de la première représentation, ne partait ni d'indifférence , ni d'orgueil ; il fut le fruit de ce raisonnement qui me parut net et sans réplique : si la critique est judicieuse , l'ouvrage n'a donc pu l'éviter : ce n'est point le cas de m'en plaindre, mais celui de le rectifier au gré des censeurs, ou de l'abandonner tout-à-fait. Si quelque animosité secrète échauffe les esprits, j'ai deux motifs de tranquillité pour un. Voudrais-je

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avoir moins bien fait au prix de fermer la bouche à l'envie ? et pourrais-je me flatter de la désarmer quand je ferais mieux ?

J'ai vu des gens se fâcher de bonne foi ; de voir que le genre dramatique sérieux se faisait des partisans. « Un genre équi« voque, disaient - ils , on ne sait ce que « c'est : qu'est-ce qu'une pièce dans la« quelle il n'y a pas le mot pour rire , où

cinq mortels actes de prose traînante , sans u sel comique, sans maximes, sans' carac« tères , nous tiennent suspendus au fil d'un « évènement romanesque, qui n'a souvent « pas plus de vraisemblance que de réalité ? « N'est-ce pas ouvrir la porte à la licence , et « favoriser la paresse, que de souffrir de tels « ouvrages ? La facilité de la prose dégoûtera « nos jeunes gens du travail pénible des vers, « et notre théâtre retombera bientôt dans la

barbarie, d'où nos poëtes ont eu tant de « peine à le tirer. Ce n'est pas que quelques« unes de ces pièces ne m'aient attendri, je « ne sais comment, mais c'est qu'il serait af« freux qu'un pareil genre prit; outre qu'il « ne convient point du tout à notre nation « chacun sait ce qu'en ont pensé des auteurs

Ja

e

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a célèbres, dont l'opinion fait autorité. Ils « l'ont proscrit comme un genre également a désavqué de Melpomène et de Thalie. Fau«-dra-t-il créer ure muse nouvelle pour

présider à ce cothurne trivial, à ce co« mique échassé ? Tragi-comédie , tragédie « bourgeoise , comédie larmoyante, on ne « sait quel nom donner à ces productions « monstrueuses ! Et qu'un chétif auteur ne « vienne pas se targuer des suffrages momena tanés du public ! juste salaire du travail « et du talent des comédiens...! Le public! « Qu'est-ce encore que le public ? Lorsque « .cet ètre collectif vient à se dissoudre, que « les parties s'en dispersent, que reste-t-il * pour fondement de l'opinion générale, si« non celle de chaque individu , dont les plus « éclairés ont une influence naturelle sur les « autres qui les ramène tôt ou tard à leur « avis ? D'où l'on voit que c'est au jugement « du petit nombre , et non à celui de la mul« titude qu'il faut s'en rapporter ».

C'est assez, osons répondre à ce torrent d'objections , que je n'ai affaiblies , ni fardées en les rapportant. Commençons par nous rendre notre juge favorable, en défendant ses

le pu

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droits. Quoi qu'en disent les censeurs,
blic assemblé n'en est pas moins le seul juge
des ouvrages destinés à l'amuser, tous lui
sont également soumis; et vouloir arrêter les
efforts du génie dans la création d'un nou-
veau genre

de

spectacle , ou dans l'extension de ceux qu'il connaît déjà , est un attentat contre ses droits, une entreprise contre ses plaisirs. Je conviens qu'une vérité difficile sera plutôt rencontrée , mieux saisie , plus sainement jugée par un petit nombre de personnes éclairées que par la multitude en rumeur , puisque sans cela cette vérité ne devrait pas être appelée difficile ; mais les objets de goût, de sentiment, de pur effet, en un mot de spectacle, n'étant jamais admis que sur la sensation puissante et subite qu'ils produisent dans tous les spectateurs, doivent-ils être jugés sur les mêmes règles ? Lorsqu'il est moins question de discuter et d'approfondir de sentir , de s'amuser ou d'être touché, n'est-il pas aussi hasardé de soutenir que le jugement du public ému , est faux et mal porté, qu'il le serait de prétendre qu'un genre de spectacle , dont toute une nation aurait été vivement affectée, et qui lui plai

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que

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