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leur dit ce bon prince: Je fais que votre religion eft intolérante; je fais ce que vous avez fait aux Manilles et au Japon; vous avez trompé mon père, n'espérez pas me tromper de même. Qu'on life tout le difcours qu'il daigna leur tenir, on le trouvera le plus fage et le plus clément des hommes. Pouvait-il en effet retenir des phyficiens d'Europe qui, fous prétexte de montrer des thermomètres et des éolipiles à la cour, avaient foulevé déjà un prince du fang? et qu'aurait dit cet empereur, s'il avait lu nos hiftoires, s'il avait connu nos temps de la ligue et de la conspiration des poudres?

C'en était affez pour lui d'être informé des querelles indécentes des jéfuites, des dominicains, des capucins, des prêtres féculiers, envoyés du bout du monde dans fes Etats: ils venaient prêcher la vérité, et ils s'anathématifaient les uns les autres. L'empereur ne fit donc que renvoyer des perturbateurs étrangers; mais avec quelle bonté les renvoya-t-il ? quels foins paternels n'eut-il pas d'eux pour leur voyage, et pour empêcher qu'on ne les infultât fur la route? Leur banniffement même fut un exemple de tolérance et d'humanité.

Les Japonais (m) étaient les plus tolérans de tous les hommes: douze religions paifibles étaient établies dans leur empire : les jéfuites vinrent faire la treizième; mais bientôt n'en voulant pas fouffrir d'autre, on fait ce qui en réfulta; une guerre civile, non moins affreuse que celle de la ligue, défola ce pays. La religion chrétienne fut noyée enfin dans des

(m) Voyez Kempfer et toutes les relations du Japon.

flots

flots de fang; les Japonais fermèrent leur empire au refte du monde, et ne nous regardèrent que comme des bêtes farouches, femblables à celles dont les Anglais ont purgé leur île. C'eft en vain que le miniftre Colbert, fentant le befoin que nous avions des Japonais qui n'ont nul befoin de nous, tenta d'établir un commerce avec leur empire; il les trouva inflexibles.

Ainfi donc notre continent entier nous prouve qu'il ne faut ni annoncer, ni exercer l'intolérance.

Jetez les yeux fur l'autre hémisphère, voyez la Caroline, dont le fage Locke fut le légiflateur; il fuffit de fept pères de famille pour établir un culte public approuvé par la loi cette liberté n'a fait naître aucun défordre. DIEU nous préferve de citer cet exemple pour engager la France à l'imiter! on ne le rapporte que pour faire voir que l'excès le plus grand où puiffe aller la tolérance n'a pas été fuivi de la plus légère diffention; mais ce qui eft très - utile et très-bon dans une colonie naiffante, n'eft pas convenable dans un ancien royaume.

Que dirons-nous des primitifs que l'on a nommés Quakres par dérifion, et qui, avec des usages peutêtre ridicules, ont été fi vertueux, et ont enfeigné inutilement la paix au refte des hommes? Ils font en Penfilvanie au nombre de cent mille; la difcorde, la controverse font ignorées dans l'heureuse patrie qu'ils fe font faite; et le nom feul de leur ville de Philadelphie, qui leur rappelle à tout moment que les hommes font frères, eft l'exemple et la honte des peuples qui ne connaiffent pas encore la tolérance. Politique et Légif. Tome II.

F

Enfin cette tolérance n'a jamais excité de guerre civile; l'intolérance a couvert la terre de carnage. Qu'on juge maintenant entre ces deux rivales, entre la mère qui veut qu'on égorge fon fils, et la mère qui le cède pourvu qu'il vive.

Je ne parle ici que de l'intérêt des nations; et en refpectant, comme je le dois, la théologie, je n'envifage dans cet article que le bien physique et moral de la fociété. Je fupplie tout lecteur impartial de pefer ces vérités, de les rectifier et de les étendre. Des lecteurs attentifs, qui fe communiquent leurs pensées, vont toujours plus loin que l'auteur. (n)

Comment la tolérance peut être admife.

J'OSE fuppofer qu'un miniftre éclairé et magnanime, un prélat humain et fage, un prince qui fait que fon intérêt confifte dans le grand nombre de fes fujets, et fa gloire dans leur bonheur, daigne jeter les yeux

(n) M. de la Bourdonnais, intendant de Rouen, dit que la manufacture de chapeaux eft tombée à Caudebec et à Neuchâtel par la fuite des réfugiés. M. Foucaut, intendant de Caen, dit que le commerce eft tombé de moitié dans la généralité. M. de Maupcou, intendant de Poitiers, dit que la manufacture de droguet eft anéantie. M. de Bezons, intendant de Bordeaux, se plaint que le commerce de Clérac et de Nerac ne fubfifte prefque plus. M. de Miromenil, intendant de Touraine, dit que le commerce de Tours eft diminué de dix millions par année; et tout cela par la perfécution. Voyez les mémoires des intendans, en 1698. Comptez fur-tout le nombre des officiers de terre et de mer, et des matelots qui ont été obligés d'aller servir contre la France, et fouvent avec un funeste avantage; et voyez fi l'intolėIance n'a pas caufé quelque mal à l'Etat.

On n'a pas ici la témérité de proposer des vues à des miniftres dont on connaît le génie et les grands fentimens, et dont le cœur eft auffi noble que la naiffance: ils verront affez que le rétablissement de la marine demande quelque indulgence pour les habitans de nos côtes.

fur cet écrit informe et défectueux; il y fupplée par ses propres lumières; il fe dit à lui-même: Que rifquerai-je à voir la terre cultivée et ornée par plus de mains laborieufes, les tributs augmentés, l'Etat plus floriffant?

L'Allemagne ferait un défert couvert des offemens des catholiques, évangéliques, réformés, anabaptistes, égorgés les uns par les autres, fi la paix de Veftphalie n'avait pas procuré enfin la liberté de confcience.

Nous avons des juifs à Bordeaux, à Metz, en Alface; nous avons des luthériens, des moliniftes, des janféniftes; ne pouvons-nous pas fouffrir et contenir des calviniftes à peu-près aux mêmes conditions que les catholiques font tolérés à Londres? Plus il y a de fectes, moins chacune est dangereuse; la multiplicité les affaiblit; toutes font réprimées par de juftes lois qui défendent les affemblées toujours tumultueufes, les injures, les féditions, et qui font toujours en vigueur par la force coactive.

Nous favons que plufieurs chefs de famille, qui ont élevé de grandes fortunes dans les pays étrangers, font prêts à retourner dans leur patrie; ils ne demandent que la protection de la loi naturelle, la validité de leurs mariages, la certitude de l'état de leurs enfans, le droit d'hériter de leurs pères, la franchise de leurs perfonnes; point de temples publics, point de droit aux charges municipales, aux dignités; les catholiques n'en ont ni à Londres ni en plufieurs autres pays. Il ne s'agit plus de donner des priviléges immenfes, des places de fureté à une faction, mais de laisser vivre un peuple paisible, d'adoucir des édits, autrefois peut-être nécessaires,

et qui ne le font plus; ce n'est pas à nous d'indiquer au miniftère ce qu'il peut faire; il fuffit de l'implorer pour des infortunės.

Que de moyens de les rendre utiles, et d'empêcher qu'ils ne foient jamais dangereux! La prudence du ministère et du confeil, appuyée de la force, trouvera bien aifément ces moyens, que tant d'autres nations emploient fi heureusement.

Il y a des fanatiques encore dans la populace calvinifte; mais il eft conftant qu'il y en a davantage dans la populace convulfionnaire. La lie des infenfés de S' Médard eft comptée pour rien dans la nation, celle des prophêtes calviniftes eft anéantie. Le grand moyen de diminuer le nombre des maniaques, s'il en refte, eft d'abandonner cette maladie de l'efprit au régime de la raifon, qui éclaire lentement, mais infailliblement, les hommes. Cette raison eft douce, elle eft humaine, elle infpire l'indulgence, elle étouffe la difcorde, elle affermit la vertu, elle rend aimable l'obéiffance aux lois, plus encore que la force ne les maintient. Et comptera-t-on pour rien le ridicule attaché aujourd'hui à l'enthoufiafme par tous les honnêtes gens? Ce ridicule est une puissante barrière contre les extravagances de tous les fectaires. Les temps paffés font comme s'ils n'avaient jamais été. Il faut toujours partir du point où l'on eft, et de celui où les nations font parvenues.

Il a été un temps où l'on fe crut obligé de rendre des arrêts contre ceux qui enfeignaient une doctrine contraire aux catégories d'Ariftote, à l'horreur du vide, aux quiddités, et à l'univerfel de la part de la chose. Nous avons en Europe plus de cent volumes

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