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intérêts, le perfuader avant de lui commander : la fubftance de prefque tous les ordres émanés du trône était contenue dans ces mots : Car tel eft notre plaifir. Louis XVI aurait pu dire: Car telle est notre sagesse & notre bonté, fi la modeftie, toujours compagne de la bienfefance, lui avait permis ces expreffions.

Par quelle fingularité faut-il que ce grand exemple de raisonner avec ses sujets en leur donnant fes ordres, & d'être à la fois philofophe & légiflateur, n'ait été connu qu'aux deux extrémités de notre hémisphère ? Il n'y a jufqu'à préfent que Louis XVI & l'empereur de la Chine qui aient fait cet honneur aux hommes. L'un & l'autre ont également favorifé l'agriculture; l'un & l'autre ont appris aux grands combien ceux qui prodiguent continuellement leur vie pour nourrir ces grands & pour fervir leur magnificence, doivent être encouragés.

Lorsque dans ces refcrits dont l'objet est toujours le foulagement du peuple, le maintien de quelques priviléges particuliers a pu échapper à l'ame bienfefante du roi de France, il s'eft bientôt empreffé de rétablir par fa juftice la balance que fa bonté paternelle avait peut-être fait trop pencher en faveur de la portion du genre-humain, qui attirait le plus sa compaffion. Il ne pouvait jamais franchir les bornes de l'équité rigoureufe que par un excès d'humanité.

Si, dans un fi court espace de temps, les befoins toujours renaiffans du gouvernement n'ont pas permis de liquider des dettes immenfes, quiconque a des yeux voit qu'il n'eft pas poffible de combler fitôt un abymė qu'on a creufé fans relâche pendant deux fiècles. La vertu d'Ariftide & l'habileté de Périclès n'y fuffifent Politique & Légif. Tome II.

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pas. On fait affez que Louis XIV en mourant laiffa deux milliars fix cents millions de dettes à 28 liv. le marc, ce qui fait prefque quatre milliars cinq cents millions de la monnaie d'aujourd'hui. La moitié de cette dette immenfe avait été caufée par la guerre la plus jufte; il fallait foutenir le droit légitime de fon petit-fils au royaume d'Espagne, la volonté sacrée d'un grand-père qui n'avait confulté dans fon teftament que DIEU & la nature; enfin le choix d'une nation refpectable, qui appelait au trône la famille qui règne aujourd'hui fur l'Espagne, fur les deux Siciles & fur le duché de Parme. Louis XIV cette fois ruina fon royaume pour être jufte.

Le fardeau prodigieux que la France supporte s'eft encore appefanti depuis fon fucceffeur dont on chérit la mémoire. Louis XV a eu le malheur d'emprunter plus de onze cents millions dans la funeste guerre de 1756; & que n'avait point coûté celle de 1741? Une fatalité étrange tournait alors les armes de la France contre une impératrice vertueufe & chère, à qui elle doit aujourd'hui fa félicité. On bénit cette reine aimable & bienfefante: elle embellit les jours heureux que fon époux fait naître; mais le nerf principal de l'Etat n'en eft pas moins affaibli; les finances du royaume n'en font pas moins épuifées : il y a de l'ordre, de la fageffe; mais cet ordre & cette fageffe ne peuvent confifter qu'à payer difficilement les intérêts d'un capital qui épouvante.

Qu'on fonge que dans une fituation fi accablante le ministère eft encore obligé de réparer les défordres des faifons; de fecourir des provinces en proie à des fléaux mortels; de feconderdes entreprises dont l'utilité

eft certaine, mais éloignée, & dont les frais ne peuvent guère être portés par un corps presque expirant fous un poids qui l'opprime.

Cette feule réflexion peut faire comprendre que le ministère des finances eft aujourd'hui cent fois plus difficile qu'il ne le fut du temps du grand Colbert. Nous avons eu depuis lui vingt miniftres d'une probité incorruptible, mais aucun n'a pu débrouiller le chaos. La France peut fe vanter d'avoir porté dans fon fein le plus généreux de tous les hommes, qui, dans un double ministère, a uni pour jamais la France avec l'Espagne, & a donné la Corfe à nos rois. D'autres ont fait du bien dans tous les genres: mais qui liquidera un jour nos dettes? ce fera celui qui, ayant médité ces édits, aura l'inébranlable vertu & le génie du miniftre qui les a faits.

Fin du Tome fecond.

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