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récolte chez eux, viennent acheter la fienne chez lui. Il me paraît donc prouvé que la liberté du commerce des blés produit des avantages immenses au royaume, fans caufer le moindre inconvénient. J'en juge par le bien que cette opération a produit tout d'un coup dans quatre provinces dont je fuis limitrophe. Mon opinion n'eft pas dirigée par l'intérêt; car on fait que je ne vends ni achète aucune production de la terre: tout eft confommé dans les déferts que j'ai rendus fertiles.

Il ne m'appartient pas d'avoir feulement une opinion fur la police de Paris; je ne parle que de ce que je vois.

Après cet arrêt du confeil qui doit être éternellement mémorable, je ne vois à craindre qu'une affociation de monopoleurs; mais elle eft également dangereufe dans tous les pays et dans tous les fyftêmes de police: et il est également facile par-tout de la réprimer.

On ne fait point de grands amas de blé fans que cette manœuvre foit publique. On découvre plus aifément un monopoleur qu'un voleur de grand chemin. Le monopole est un vol public; mais on ne défendra jamais aux particuliers d'aller aux fpectacles ou aux églises avec de l'argent dans leur poche, fous prétexte que des coupeurs de bourfe peuvent le leur prendre. (1)

On nous objecte que le prix du pain augmente quelquefois dans le royaume. Mais ce n'eft pas affurément parce qu'on a la liberté de le vendre, c'est

(1) Il ne peut exifter d'autre monopole que celui des particuliers ou des compagnies qui ont des priviléges exclufifs; le monopole eft impoffible avec la liberté, à moins qu'il ne s'agiffe d'une denrée qu'on ne peut tirer que d'un pays éloigné, et dont il ne se consomme qu'une petite quantité.

parce qu'en effet les terres des Gaules ne valent pas les terres de Sicile, de Carthage et de Babylone. Nous avons quelquefois de très-mauvaises années et rarement de très-abondantes; mais en général notre fol eft affez fertile. Le commerce étranger nous donne toujours ce qui nous manque nous ne périffons jamais de misère. J'ai vu l'année 1709. J'ai vu madame de Maintenon manger du pain bis; j'en ai mangé pendant deux ans entiers, et je m'en trouvais bien. Mais, quoi qu'on ait dit, je n'ai jamais vu aucune mort caufée uniquement par l'inanition. C'eft une vérité trop reconnue qu'il y a plus d'hommes qui meurent de débauche que de faim. En un mot on n'a jamais plus mal pris fon temps qu'aujourd'hui pour se plaindre.

Je dis même que dans l'année la plus ftérile en blé, le peuple a des reffources infinies, foit dans les chataignes dont on fait un pain nourriffant, foit dans les orges, foit dans le riz, foit dans les pommes de terre qu'on cultive aujourd'hui par-tout avec un trèsgrand foin, et dont j'ai fait le pain le plus favoureux avec moitié de farine.

Je fais bien que fi tous les fruits de la terre manquaient abfolument, et fi on n'avait point de vaiffeaux pour faire venir des vivres de Barbarie ou d'Italie, il faudrait mourir; mais il faudrait mourir de même fi nous avions une peste générale, ou fi nous étions attaqués de la rage, ou fi notre pays était englouti par des volcans.

Fions-nous à la providence, mais en travaillant. Fions-nous fur-tout à celle d'un miniftre très-éclairé qui n'a jamais fait que du bien, qui n'a aucun

intérêt de faire le mal, qui paraît auffi utile à la France, que fon père l'était à la ville de Paris, et qui pouffe la vertu jufqu'à trouver très-bon qu'on le critique; ce que les autres ne fouffrent guère.

F. d. V. S. de F. et T. G. o. d. R.

2 janvier 1775.

DE SA MAJESTÉ LOUIS XVI,

Pendant l'adminiftration de M. Turgot.

On fait affez qu'une lumière nouvelle éclaire l'Eu

rope depuis quelques années; on a vu une femme inftruire, policer, enrichir un empire qui contient la cinquième partie de notre hémisphère : la première de fes lois a été l'établiffement de la tolérance depuis les frontières de la Suède jufqu'à celles de la Chine; elle a profcrit la torture qui ne fe donnait qu'aux efclaves dans l'empire romain; elle a rendu utiles à la fociété jufqu'aux fupplices mêmes, qui n'étaient autrefois qu'une mort cruelle, un spectacle passager, auffi inutile que barbare, dont il ne résultait que de l'horreur.

Pour former le corps de fes lois civiles, elle a affemblé les députés de toutes fes provinces et de toutes les religions qui les habitent : on a dit au chrétien de l'Eglife grecque, à celui de l'Eglise romaine, au mufulman du rite d'Omar', à celui du rite d'Ali, à celui qu'on appelle ou luthérien ou calviniste, au tartare qu'on nomme païen: Cette loi qu'on vous propofe convient-elle à vos intérêts, à vos mœurs, à votre climat? et cette loi n'a été promulguée qu'après avoir obtenu le confentement univerfel.

Nous avons vu un jeune roi du Nord, foutenu feulement de fon courage et de fa prudence, changer en un feul jour les lois de fes Etats et en faire chaque

jour de nouvelles toutes néceffaires, toutes reçues avec les acclamations de la reconnaissance.

Sans chercher des exemples fi loin, regardons autour de nous. Le premier édit de Louis XVI a été un bienfait. C'eft un ufage ancien dans le royaume qu'on paie au fouverain des droits confidérables pour fon avénement au trône : ce tribut même était exigé autrefois par tous les barons fur leurs vaffaux immédiats; et à mesure que l'autorité royale détruifit les ufurpations féodales, ce droit refta uniquement affecté au monarque. Les états généraux de France accordèrent trois cents mille livres à Charles VIII pour fon avénement. Cet impôt augmenta toujours depuis, et cependant fut toujours appelé joyeux.

Nous n'avons trouvé ni dans l'excellent ouvrage de M. de Fourbonnais, ni dans les articles dont l'exact et favant M. Boucher d'Argis a enrichi l'Encyclopédie, quelles fommes Louis XIII et Louis XIV reçurent à cette occafion. Louis XVI apprit à fon peuple que fon avénement méritait en effet le nom de joyeux, en remettant entièrement ce qu'on lui devait, et en voulant même qu'on expédiât gratis à tous les feigneurs des terres leur renouvellement de foi et hommage; ce fut M. l'abbé Terray qui rédigea cet édit favorable, et c'est par-là qu'il termina la carrière pénible de fon ministère.

Depuis ce temps tous les édits et toutes les ordonnances du roi Louis XVI, propofés et fignés par M. Turgot, furent des monumens de générofité élevés par une fageffe fupérieure. On n'avait point encore vu d'édits dans lefquels le fouverain daignât enseigner fon peuple, raifonner avec lui, l'inftruire de fes

intérêts,

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