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joindre une tyrannie humaine à cette force bienfefante?

Il existe en France un livre qui contient l'objection la plus terrible qu'on puisse faire contre la religion : c'eft le tableau des revenus du clergé ; tableau trop bien connu, quoique les évêques aient refusé au roi de lui en donner un exemplaire. C'est-là une de ces objections qui frappent le peuple comme le philosophe, et à laquelle il n'y a qu'une réponse rendre à l'Etat ce que le clergé en a reçu, et rétablir la religion en vivant comme on prétend qu'ont vécu ceux qui l'ont établie. Ecouteriez-vous un profeffeur de phyfique qui ferait payé pour enseigner un systême, et qui perdrait sa fortune s'il en enfeignait un autre ? écouteriez vous un homme qui prêche l'humilité en fe fefant appeler monfeigneur, et la pauvreté volontaire en accumulant les bénéfices ?

On demande encore pourquoi le clergé, qui jouit d'environ un cinquième des biens de l'Etat, veut faire la guerre aux dépens du peuple ? S'il trouve certains livres dangereux pour lui, qu'il les faffe réfuter, et qu'il paye un peu plus cher fes écrivains. D'ailleurs, il n'en coûterait pas plus d'un ou deux millions par an, pour retirer tous les exemplaires des livres irréligieux qui

s'impriment en Europe; cette dépense ne ferait pas un impôt d'un cinquantième fur les biens eccléfiaftiques aucune nation ne fait la guerre à fi bon marché.

On a dit dans quelques brochures que les libres penfeurs étaient intolérans; ce qui est abfurde, puifque liberté de penser et tolérance font fynonymes. La preuve en était plaisante; c'eft qu'ils fe moquaient, disait-on, de leurs adverfaires, et qu'ils fe plaignaient des prérogatives odieufes ou nuifibles ufurpées par le clergé. Il n'y a point d'intolérance à tourner en ridicule de mauvais raisonneurs. Si ces mauvais raisonneurs étaient tolérans et honnêtes, cela ferait dur; s'ils font infolens et perfécuteurs, c'est un acte de justice, c'est un service rendu au genre humain. Mais ce n'eft jamais intolérance: fe moquer d'un homme, ou le perfécuter, font deux chofes bien diftinctes.

Si les prérogatives qu'on attaque font mal fondées, celui qui s'élève contre elles ne fait que réclamer des droits ufurpés fur lui. Eft-ce donc être intolérant que de faire un procès à celui qui a usurpé nos biens? Le procès peut être injuste, mais il n'y a point-là d'intolérance.

On a dit auffi que les libres penfeurs étaient dangereux parce qu'ils formaient une secte :

cela eft encore abfurde. Ils ne peuvent former de fecte, puifque leur premier principe eft que chacun doit être libre de penfer et de profeffer ce qu'il veut mais ils se réuniffent contre les perfécuteurs; et ce n'eft point faire secte que de s'accorder à défendre le droit le plus noble et le plus facré que l'homme ait reçu de la

nature.

:

MAITRE DES REQUETES,

Qui avait rapporté l'affaire des Sirven au conseil du roi.

Février 1768.

MONSIEUR,

CICERON ICERON et Démosthènes, à qui vous reffemblez plus qu'au maréchal de Villeroi, n'ont pas gagné toutes leurs causes : je ne fuis point du tout étonné que la forme l'ait emporté fur le fond; cela eft trifte, mais cela eft ordinaire. Il ne ferait pas mal pourtant que l'on trouvât un jour quelque biais pour que le fond l'emportât fur la forme.

J'ai revu le pauvre Sirven, qui croit avoir gagné fon procès, puifque vous avez daigné prendre fon parti. Il n'y a pas moyen qu'il aille fe préfenter au parlement de Toulouse: on l'y punirait très-férieufement de s'être adreffé à un maître des requêtes. Vous favez affez, Monfieur, par le petit libelle que vous avez reçu de Toulouse, que les maîtres des requêtes n'ont aucune juridiction, et que le roi ne peut leur renvoyer aucun procès ce font-là les lois fondamentales du royaume. Sirven ferait justement

pendu ou roué, pour s'être adreffé au confeil du roi; ce ferait un efclave que le confeil des dépêches renverrait à fon maître pour le mettre en croix. Voilà une famille ruinée fans reffource; mais comme c'eft une famille de gens qui ne vont point à la meffe, il eft jufte qu'elle meure de faim. (1)

Je plains beaucoup les fots qui fe font perfécuter pour Jean Calvin; mais je hais cordialement les perfécuteurs. Il y a plus de quatorze cents ans qu'on s'acharne en Europe pour des fadaifes indignes d'être jouées aux marionnettes; cette démence atroce, jointe à tant d'autres, doit faire aimer la folitude; et c'eft du fond de cette folitude qu'un pauvre vieillard malade, qui n'a pas long-temps à vivre, vous préfente, Monfieur, les fentimens de reconnaissance, d'attachement et de refpect dont il fera pénétré pour vous jufqu'au moment où il rendra aux quatre élémens fa très-chétive existence.

(1) Les formes judiciaires ne laiffaient à Sirven d'autre ressource que d'appeler au parlement de Toulouse de la fentence ridicule et atroce du juge de Mazamet; il en a eu le courage; et un arrêt de ce parlement l'a déclaré innocent. Mais le juge de Mazamet n'a point été puni; on n'a point puni ces religieufes dont la bigoterie barbare avait réduit la malheureuse fille de Sirven au défespoir; du moins les juges de Calas et le capitoul David, moins obfcurs que les perfecuteurs de Sirven, ont-ils été punis par l'horreur et le mépris de l'Europe. On aurait défire seulement que le fang répandu de l'innocent Calas eût du moins délivré fa patrie de l'opprobre que répandent fur elle, et cette proceffion des pénitens, où l'on célèbre le maffacre de 1762, et les farces scandaleuses qu'ils y jouent. On avait droit d'espérer cette réforme néceffaire de l'archevêque actuel de cette ville qui, calomnié lui-même avec fureur par les fanatiques, fait mieux que perfonne combien leur audace et l'impudence des hypocrites qui les conduifent peuvent encore être dangereuses.

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