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DE

MADEMOISELLE CAMP.

1 7 7 2.

La loi commande, le magistrat prononce, le public,

A

dont l'arrêt eft inutile pour l'exécution des lois, mais irrévocable au tribunal de l'équité naturelle, décide en dernier reffort. Sa voix fe fait entendre à la dernière poftérité.

Ce juge fuprême, quoique fans pouvoir, et dont au fond tous les tribunaux ambitionnent le fuffrage, a confacré l'arrêt du nouveau parlement de Paris porté entre le vicomte de Bombelles et la demoiselle Camp. Le public a fenti qu'une loi dure ne permettant pas en France à un catholique de fe marier à une proteftante par le ministère d'un prétendu réformé, le mariage devait être déclaré nul. Mais en même temps la bonne foi de la mariée a été récompensée par une réparation civile et par une somme d'argent proportionnée aux facultés du mari; fi pourtant un peu d'argent peut tenir lieu d'un état dans la fociété.

Les juges ont affigné une penfion à la fille née de ce mariage malheureux. Ils ont même eu foin de la recommander au roi, comme ayant droit à fes grâces

par les vertus de fa mère. Ainfi ils ont rempli tous les devoirs de la légiflation et de l'humanité.

Il ne reste plus à la nation qu'à défirer de voir finir cette féparation funefte qui a privé la patrie

d'environ fept à huit cent mille citoyens utiles, et qui plonge encore cent mille familles dans l'incertitude continuelle de leur fort, dans la douleur de mettre au monde des enfans dont la fubfiftance peut toujours être difputée, et dont la naissance est regardée comme un crime. Cette fatalité deftructive de la population, de la paix et du bien de l'Etat, réputée autrefois néceffaire, défole fourdement la France depuis près de cent années.

Les guerres et les affaffinats de religion fous François II, Charles IX, Henri III, Henri IV, Louis XIII, furent les motifs qui femblèrent déterminer Louis XIV aux févérités qu'il exerça dans un temps où ces guerres civiles n'étaient plus à craindre; il punit les petitsneveux tranquilles des fautes de leurs aïeux turbulens.

Nous nous fommes aperçus enfin que la médecine trop forte, donnée aux petits-fils pour la maladie de leurs grands-pères, n'avait pu les guérir. Ils ont perfifté dans leur culte; mais fi on n'a pu ouvrir leurs yeux à nos fublimes vérités, on avait guéri leurs cœurs; il faut avouer qu'ils étaient de bons citoyens et des fujets fidèles, dans le temps de la révocation de l'édit

de Nantes.

Si on défend pendant la contagion toute communication avec une province infectée, il eft trifte que cette défense ait lieu lorfque le mal eft entièrement paffé.

On doit espérer qu'un jour la fageffe du ministère trouvera le moyen de concilier ce qu'on doit à la religion dominante et à la mémoire de Louis XIV, avec ce qu'on doit à la nature et au bien de la patrie.

Ce moyen femble déjà indiqué en quelque forte par la conduite qu'on tient en Alface. Les luthériens

ont joui fans interruption de tous les droits de citoyen, depuis que le roi eft en poffeffion de cette belle province. Leurs mariages font reconnus légitimes, ils partagent les charges municipales avec les catholiques. L'univerfité de Strasbourg leur appartient toute entière. Les calviniftes même y possèdent quatre temples. Ces trois religions vivent en paix comme dans l'Empire.

Il est donc évident, par une expérience heureuse, que plufieurs religions peuvent fubfifter ensemble fans aucun trouble, ainfi que plufieurs manufactures jaloufes l'une de l'autre peuvent profpérer dans une même ville, lorfqu'une administration prudente contient chacune dans fes bornes. L'émulation les vivifie et la difcorde ne les déchire pas. C'est ce qu'on voit en Allemagne, en Ruffie, en Angleterre, en Hollande, en Suiffe.

Le feul obftacle qui pourrait détruire en Alface l'efprit de charité qui doit régner entre tous les hommes, ferait peut-être l'ancienne loi qui défend aux catholiques et aux proteftans, foit luthériens, foit calviniftes, de s'unir par les liens du mariage. Si St Paul a dit que l'époufe fidelle convertissait le mari infidèle, cette conversion ne devrait s'opérer en aucun pays plus promptement qu'en France où le fexe a tant d'empire, où les plaifirs, les fpectacles, les fêtes brillantes font le partage de la religion dominante, où les grâces du prince fouvent follicitées par les femmes, volent en foule au-devant de quiconque en eft fufceptible.

Cette profcription de mariages entre catholiques et proteftans eft une loi contre l'amour; elle femble

défavouée par la nature; elle forme deux peuples où l'on en devrait voir qu'un feul. On ne répétera pas ici tout ce qui a été dit fur une matière fi intéreffante et fi délicate. Cent volumes ne valent pas un arrêt du confeil. Attendons de la prudence et de la bonté de nos rois ce qu'on n'obtiendra jamais par des argumens de théologie.

Efpérons pour nos frères défunis une tolérance politique que nos maîtres fauront accorder avec la religion dont ils font les protecteurs.

Réponse à M. l'abbé de Caveyrac.

GARDONS-NOUS, feulement de dire avec M. l'abbé de Caveyrac (a) que la tolérance n'a produit en Angleterre que des fruits funeftes, qu'il n'en reflait qu'un feul à mûrir, qu'ils le recueillent aujourd'hui, et que c'est le mépris des nations. Notre roi a triomphé trois fois des Anglais, à Fontenoy, à Liége, à Laufelt, et les a toujours eftimés.

On ne les voit méprifés en Afie, en Afrique, en Amérique et en Europe, que de monfieur l'abbé de Caveyrac.

Gardons-nous de répéter avec lui, (b) que DIEU ordonna d'exterminer jufqu'au dernier Amalécite, qu'il voulut que celui qui aurait été follicité à fervir des dieux étrangers livre l'infligateur au peuple, et foit le premier à l'affommer, fût-il fon frère, fon fils, fa femme ou fon ami.

Cet ordre ne fut donné que dans la loi de rigueur,

(a) Page 362 de l'apologie de la révocation de l'édit de Nantes et de la faint-Barthelemi.

(b) Page 368.

et nous fommes fous la loi de grâce. Il eft un peu trop dur de nous propofer d'affommer nos frères, nos fils et nos femmes. Nous devons d'autant plus pen-. cher vers la douceur, que nous fommes dans l'année centenaire et dans le mois de la Saint-Barthelemi, fête un peu lugubre, dans laquelle en effet les frères affommèrent leurs frères, et que M. l'abbé de Caveyrac nous reproche dans une nouvelle differtation de n'être pas de fon avis fur cette journée.

Il dit que cette journée ne fut (c) qu'une affaire de profcription. Quelle affaire, jufte ciel! nous fommes encore étonnés qu'on dife affaire de profcription comme affaire de finances, affaire de famille, affaire d'accommodement. Une profcription est-elle donc fi peu de chofe? et le faux zèle de religion n'entra-t-il pour rien dans cette affaire épouvantable?

N'eft-il pas prouvé que plufieurs perfonnes à qui l'on offrit leur grâce s'ils voulaient changer de religion, furent maffacrées fur leur refus? Le refpectable de Thou ne dit-il pas expreffément, au livre 53, que la nouvelle des maffacres caufa dans Rome une joie inexprimable, que le pape Grégoire XIII, fuivi de tous les cardinaux, alla, le 6 septembre, remercier DIEU dans l'église de Saint-Marc, que le lundi suivant il fit chanter une meffe folennelle à la Minerve, qu'on tira le canon, qu'on fit des illuminations, qu'il marcha en proceffion, le 8 feptembre, à l'église de Saint-Louis, qu'on mit à la porte de cette église un écriteau par lequel Charles IX remerciait le pape de fes bons confeils qu'on avait exécutés, &c.

En eft-ce affez pour réfuter M. l'abbé de Caveyrac? (c) Page première de fa differtation fur la Saint-Barthelemi.

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