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TROISIEME LETTRE

AUX MÊME S.

A Ferney, 26 auguste 1773.

MESSIEURS,

Vous favez que plufieurs officiers, pénétrés de

l'innocence de M. le comte de Morangiés, en connaiffance de caufe, ont fait un fonds pour lui en présence de M. le marquis de Monteynard. Si votre province en fait un, mon neveu vous demande la permiffion de se joindre à vous.

C'est une réparation authentique de la fentence inouie du bailliage du palais, juridiction dont vous n'avez jamais entendu parler. Si cette malheureuse fentence fubfiftait, notre nation en devrait peut-être autant rougir que des arrêts qu'un aveuglement barbare dicta contre les Calas, contre les Sirven, contre les Montbailli, contre le cultivateur Martin, contre le brave Lalli, contre l'infortuné chevalier de la Barre, enfant imprudent, à la vérité, mais enfant qu'il était fi aifé de corriger, mais enfant de grande espérance, mais petit-fils d'un lieutenant général qui avait fi bien fervi l'Etat; enfin contre tant d'autres citoyens, dont les meurtres juridiques ont épouvanté la nature et la raifon humaine..

La fentence rendue par le bailliage n'eft pas,

à la

vérité, de l'atrocité de ces arrêts; la cause ne le permettait pas ; mais l'absurdité est encore plus grande. Il ne faut pas que la France paffe pour ridicule aux yeux de l'Europe, après avoir paffé pour cruelle. Nous n'avons pas acquis affez de gloire dans la dernière guerre pour que nous n'ayons pas foin de notre réputation dans le fein de la paix. Il ferait trifte qu'il ne nous reftât d'autre gloire que celle d'avoir cultivé les beaux arts il y a cent ans, et que nous euffions aujourd'hui la honte d'avoir perfécuté la vérité en tout genre fans la connaître.

Le parlement de Paris, Meffieurs, examine l'affaire avec autant d'attention que d'intégrité. Efpérons de lui la restauration de la justice qu'un bailli vient de violer, à l'étonnement de quiconque a le fens

commun.

Il est démontré aujourd'hui qu'une foule de vils ufuriers efcrocs a volé cent mille écus en billets à M. de Morangiés. Tout le monde convient que la fable de leurs cent mille écus en or eft ce que la fourberie et l'infolence ont jamais inventé de plus abfurde et de plus puniffable.

Quelques perfonnes, d'abord trompées dans le commencement par les féductions de la famille Verron, fe réduisent aujourdhui à dire qu'à la vérité M. de Morangiés n'a pas reçu les cent mille écus, mais qu'il en a touché probablement une partie. Elles font honteufes d'avoir cru un moment le roman des treize voyages; mais elles fubftituent une autre fable à cette fable décriée. Pardonnons à cette faibleffe de leur amour propre; mais il eût été plus beau d'avouer fon erreur fans détour.

Il ne faut pas fuppofer ce qu'aucun des avocats des Verron n'a jamais ofé dire. Tous ont fait retentir à nos oreilles le prêt imaginaire des cent mille écus: du Jonquay en a fait ferment, avant de fe dédire chez un commiffaire. Voilà le procès: il ne faut pas en imaginer un autre, qui au fond ferait plus abfurde encore. Car comment ferait-il poffible que M. de Morangiés, n'ayant reçu, par exemple, que cent mille francs, comme ces meffieurs le fuppofent, eût été affez ennemi de foi-même pour figner des billets de trois cents vingt-fept mille livres, qui feraient plus de trois fois et un quart la valeur reçue? Ce ferait une ufure de trois cents vingt-fept pour cent; ufure auffi chimérique que toute la fable des Verron; ufure plus criminelle encore, s'il eft poffible, que la manœuvre avérée dont ils font coupables.

Que pour juftifier M. de Morangies on ne rende donc pas cette affaire plus ridicule, plus abfurde et plus incroyable qu'elle ne l'eft en effet. Qu'on s'en tienne au procès; il eft affez extravagant.

Je ne connais, Meffieurs, dans l'hiftoire du monde, aucune dispute à laquelle la démence n'ait présidé, quand l'efprit de parti s'y eft joint. Vous favez que la baffe faction des Verron était, il y a quelque temps, un parti formidable; c'était celui du peuple, et vous connaissez le peuple. La faction des convulfionnaires de St Médard ne fut jamais ni plus fanatique, ni plus aveugle, ni plus opiniâtre, ni plus imbécille.

Les menfonges imprimés des avocats de la Verron tenaient tous des Mille et une nuits, et ont été reçus comme des vérités par M. Pigeon.

Ils peignaient la Verron, veuve d'abord d'un commis des fermes, et enfuite d'un petit agioteur de la rue Quinquempoix, comme la veuve d'un riche banquier.

Ils lui attribuaient une fortune immenfe, et elle couchait à terre, elle et toute fa famille, dans un galetas.

Ils présentaient M. du Jonquay, fon petit-fils, comme un docteur ès lois, qui allait acheter trente mille francs une charge de confeiller au parlement, de juge suprême des pairs de France; et ce confeiller n'avait pu feulement demeurer garde dans une brigade d'employés des fermes, et ce confeiller a le ftyle et l'orthographe d'un laquais, et les avocats répondaient qu'un magiftrat n'eft pas purifte.

Ils affirmaient dans tous leurs mémoires que madame Verron, fa grand'mère, et madame Romain, fa mère, étaient des perfonnes de confidération trèsopulentes, très-honnêtes, ne prêtant jamais fur gages, mais empruntant quelquefois fur gages comme de grandes dames; et le nommé Montreuil, laquais de M. de Florian, affirme par ferment qu'ayant mangé plufieurs fois avec le magiftrat du Jonquay la veuve Durand, courtière, lui a propofé de lui faire prêter par madame Verron vingt-quatre francs, douze francs, pourvu qu'il donnât quelques boucles de fouliers, quelques chemises en nantiffement; et M. Pigeon n'a point interrogé ceux à qui la Verron a prêté fur gages des foixante, des quarante et jufqu'à des neuf francs! petites fommes dont le trafic la fefait fubfifter par l'entremise de ses courtières, et qui font

confignées dans le regiftre des ufures dont le dépôt eft à la police.

Les avocats parlaient toujours des cent mille écus en or de la veuve, et ils ne difaient rien de fa feule véritable fortune qui confiftait principalement en une rente de fix cents livres, vendue pour prêter fur gages. C'était-là fon meilleur effet.

Ces avocats, qui ne pouvaient alléguer que les raisons fuggérées par leurs commettans, et qui étaient malgré eux les organes de l'impofture, féduits par la faction, féduifaient le peuple, et fefaient voler l'erreur de bouche en bouche.

Ils célébraient la grandeur d'ame de M. Aubourg qui, touché de l'embarras d'une famille respectable de fripons, forcée de voler cent mille écus à M. le comte de Morangies, et à l'opprimer, a pris en main généreusement la caufe de cette famille Verron, et fe facrifie aujourd'hui pour elle. Mais il fe trouve que ce M. Aubourg, ce héros généreux, eft un tapiffier devenu écumeur du palais, qui a acheté ce malheureux procès pour en partager le profit; manœuvre qui n'eft guère différente de celle des recéleurs.

M. Linguet, défenfeur de M. le comte de Morangies, affirme dans fon réfumé que ce M. Aubourg a volé un étui d'or qu'il a été obligé de rendre. Il reproche à cet homme d'honneur cent autres traits pareils. Il affure qu'il a des preuves que cet Aubourg, instigateur de toute cette infame affaire, commandait publiquement des pâtés qu'il envoyait au bailliage pendant l'inftruction du procès: de forte qu'au fond on voit un voleur et un recéleur protégés par M. Pigeon contre vous, Meffieurs, et contre l'opinion du roi.

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