Page images
PDF
EPUB

arraché par la crainte. Un des officiers de la police avait donné un coup de poing chez un procureur à du Jonquay, et l'avait menacé du cachot avant que ce du Jonquay avouât et fignât fon crime. Son aveu eft nul, et les billets payables par son adverse partie exiftent.

Je fais, Meffieurs, combien cette matière est délicate, combien il importe à la fureté des citoyens qu'il n'y ait jamais rien d'arbitraire dans la juftice. La violence la déshonore. Sa févérité ne doit jamais être emportée. Mais ce coup de poing prétendu donné par un homme qui n'était pas en effet du corps de la juftice, eft-il bien avéré ? l'accufé le nie. Le parlement en jugera. Quand même un homme employé en fubalterne aurait outrepaffé fa commiffion dans l'excès de fon indignation contre du Jonquay, quand il aurait montré un zèle indécent, ce léger oubli de la bienféance empêche-t-il que le fieur Dupuis, infpecteur de la police, et le fieur Chenon, commiffaire au châtelet et juge des délits, ne se foient comportés en miniftres équitables des lois du royaume? Du Jonquay et fa mère ont figné leur crime devant eux en toute liberté. Si les du Jonquay n'ont pas donné les cent mille écus, ils font des voleurs. Et quel voleur échapperait à fon châtiment, fous prétexte qu'un officier du guet lui aurait donné un coup de poing avant que le juge tirât de lui l'aveu de fon crime?

On ofe parler de violence! et quelle plus grande violence que celle qui a été exercée envers M. le comte de Morangies, maréchal de camp des armées du roi? il eft traîné en prifon fur le fimple foupçon

d'avoir féduit des témoins en fa faveur! et les premiers juges qui l'ont traité avec tant de rigueur font obligés d'avouer par leur fentence, qu'il n'a feduit perfonne. Ils font mettre au cachot un homme public, un homme néceffaire, un père de famille, un chirurgien connu par fa probité, uniquement parce qu'il n'a pas déposé conformément aux témoignages d'une ufurière fortie de l'hôpital, et d'un débauché forti de fes mains qui l'ont traité d'une maladie ignominieuse.

Voilà des violences auffi avérées qu'elles font étranges. Le comte de Morangies en est encore la victime. Il est encore en prifon pour un délit dont fes juges même l'ont déclaré innocent: en feront-ils quittes pour dire qu'ils fe font trompés?

Nous espérons, Meffieurs, que le parlement ne fe trompera pas. Il verra, par le mémoire fage et convaincant du fieur Dupuis, et par les contradictions abfurdes des du Jonquay, quels font les coupables. Il apercevra dans la défense du chirurgien Ménager la foule des horreurs qui ont opprimé M. de Morangiés.

Chaque juge lira toutes les pièces du procès, du moins les plus importantes. L'équité éclairée et impartiale prononcera fans prévention.

A qui a cultivé fa raison, à qui a un peu connu le cœur humain, il fuffit de lire des lettres de du Jonquay pour percer dans ces ténèbres d'iniquité. La feule aventure d'une malheureuse nommée Hériffe, qui fe rétracte et qui demande pardon d'avoir accusé M. de Morangies, (et cela fans avoir reçu de coup de poing de perfonne) eft une preuve affez convaincante

des manœuvres employées par la cabale du Jonquay. Il n'y a peut-être pas une ligne dans tous les factums de M. de Morangies, et même dans ceux de fes adverfaires, qui ne manifefte fon innocence, et l'impofture qui l'attaque. Mais les juges font aftreints aux formes. Nous verrons qui l'emportera ou de ces formes, quelquefois funeftes mais toujours indifpenfables, ou de la vérité qui s'eft montrée avec tant de clarté et fans formes aux yeux du roi, aux vôtres, à ceux de tous les honnêtes gens.

Si les premiers juges de cette affaire fi fingulière fe font oubliés jufqu'à faire fubir les plus grandes rigueurs de la prifon à M. de Morangiés et au chirurgien Ménager qu'ils ont déclarés innocens; fi cette énorme contradiction foulève les efprits raisonnables, il ne la faut imputer, Meffieurs, qu'à un fentiment d'équité qui s'eft mépris.

Vous connaiffez le ferment de rendre juftice aux pauvres comme aux riches, aux petits comme aux grands. Ce ferment et la crainte de faire pencher la balance emportent quelquefois les ames les plus vertueufes jufqu'à l'injuftice. Il faudrait leur imposer plutôt le ferment de rendre juftice au riche comme au pauvre, au puiffant comme au faible. Mais ce ferait ici la caufe de la famille Verron qui deviendrait la caufe du riche. Car, fi elle gagne fon procès, elle a d'un côté les cent mille écus fuppofés prêtés à M. de Morangiés, et deux cents (a) mille francs

(a) Il eft à remarquer que dans la foule des contradictions étonnantes dont fourmillent toutes les pièces des Verron, on a fait dire à cette veuve qu'elle n'avait jamais eu ces cent mille écus; et on la fait riche de cinq cents mille francs par fon teftament.

fuppofés donnés à la femme Romain par le teftament abfurde et contradictoire dicté à la veuve Verron; et la maison Morangiés eft ruinée. Ce n'eft pas, fans doute, le maréchal de camp qui eft puiffant dans fa prison, c'est la cabale hardie, industrieuse, redoutable par fes clameurs et par fes efforts infatigables, qui eft puiffante.

Enfin, Meffieurs, attendons l'arrêt définitif d'un parlement dont les lumières et les intentions font également pures.

Si l'avocat de l'infortuné maréchal de camp, pénétré de fon innocence, a pu, dans la chaleur du zèle le plus défintéreffé, manquer au refpect qu'il devait à meffieurs les gens du roi, ils font affez grands pour lui pardonner, et trop juftes pour faire retomber fur le plus malheureux des hommes de fon rang, la faute d'un avocat dont ils reconnaiffent d'ailleurs l'éloquence et l'intégrité.

Je fuis avec un profond respect,

MESSIEURS,

Votre très-humble et trèsobéiffant ferviteur,

VOLTAIRE.

[blocks in formation]

UN de vos compatriotes, certain de l'innocence de

M. de Morangies, mais alarmé par le dernier mémoire fait contre lui, et fachant combien il faut craindre les jugemens des hommes, m'a communiqué fes inquiétudes. Je les partage, et voici ma réponse.

Je vous ai déjà mandé que l'honneur de M. le comte de Morangiés eft à couvert par la publicité du fentiment du roi et du vôtre. Je vous fupplie de remarquer que fa majesté n'a déclaré fon opinion qu'après avoir entendu parler à fond de ce procès, et après avoir pefé les raisons. Vous en avez ufé de même. Songez que dans les commencemens la cabale avait féduit Paris et la cour contre l'accufé: on n'eft revenu que parce qu'enfin la vérité s'eft montrée.

Souffrez que je vous retrace ici une partie des raifons qui ont depuis déterminé toute la cour, toute l'armée, tous les magiftrats éclairés, tous les gens confidérables du royaume, et même un grand nombre d'étrangers.

1o. L'impoffibilité que la Verron eût cent mille

« PreviousContinue »