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mille écus, il n'avait qu'à les garder, fe taire, et ne les point payer à l'échéance, quitte pour dire enfin au docteur és lois : Mon bien eft en direction, pourvoyez-vous envers mes autres créanciers, vous ne pouvez être payé qu'après eux.

Cette marche était fimple, aifée et sûre, s'il avait voulu agir avec mauvaise foi. Il femble évident qu'il ne peut être coupable de la manœuvre déshonorante et abfurde dont on l'accufe.

Comment donc cette querelle fi funefte a-t-elle pu s'élever? comment ce procès fi compliqué a-t-il pu se former? ne pourra-t-on pas enfin trouver la folution de ce problême ?

Voici comme il femble que tout s'eft paffé. Ce gentilhomme cherche à emprunter de l'argent, il met en campagne des courtières. Une d'elles, qui eft liée avec la grand'mère du docteur ès lois, s'adresse à lui. Celui-ci prête douze cents francs à l'officier qui en avait un befoin preffant, et lui fait efpérer de lui négocier cent mille écus. Donnez-moi vos billets, lui dit-il, vous ne payerez que fix pour cent d'intérêt, et dans quelques jours vous aurez votre argent.

Le gentilhomme, aveuglé par cette promeffe, prend le jeune docteur ès lois pour un homme fimple, il l'eft lui-même ; il figne fa ruine dans l'efpérance d'avoir de l'argent. Au bout de deux jours il entre en défiance. Le docteur qui en eft inftruit, et qui craint la police, n'a d'autre ressource que de la prévenir. Il s'adreffe, lui et fa grand'mère, au lieutenant-criminel. Cette démarche même paraît celle d'un homme égaré, car il demande qu'on

faififfe chez l'officier les cent mille écus qu'il dit avoir prêtés mais de quel droit peut-on faire faifir un argent dont le payement n'eft pas échu? Et fi l'officier veut abuser de cet argent, s'il l'a détourné comment le trouvera-t-on ?

Le gentilhomme, de fon côté, dès qu'il eft sûr que le docteur l'a voulu tromper, court chez le lieutenant de police, et demande qu'on oblige les délinquans à reftituer des billets dont ils n'ont point donné la valeur. Toute cette marche eft naturelle, et s'explique aifément.

L'autre au contraire eft incompréhensible. Il faut fuppofer d'abord cent mille écus donnés fecrètement à une pauvre femme depuis plus de trente ans, cachés pendant tout ce temps à une famille entière, tirés enfin d'une armoire, prêtés au hafard à un officier chargé de dettes.

Le docteur a fait environ cinq lieues à pied, pour porter cette fomme en fecret à un homme qu'il n'a vu qu'une fois. Enfin ces cent mille écus,fi long-temps ignorés, fe trouvent tout d'un coup portés à cinq cents mille livres par le teftament de la grand'mère. De ces cinq cents mille livres, il y en a eu deux cents mille données à la mère du docteur, laquelle n'a pas de quoi vivre, et dont les filles gagnent leur vie par leur travail. Tout cela eft fi fottement romanefque, et d'une abfurdité fi révoltante, qu'il n'y a pas moyen de l'examiner férieusement.

L'honneur de l'officier paraît donc à couvert aux yeux de tout homme qui ne juge que fuivant les lumières de la raison.

Il n'en eft pas de même de la juftice; elle a néceffairement fes formes et fes entraves. Il faut des interrogatoires réguliers; de faux témoins préparés de longue main peuvent ne fe pas démentir. L'officier a fait des billets payables à ordre ; et quand les juges feraient perfuadés de fon innocence, ils feraient forcés peut-être de le condamner à payer ce qu'il ne doit pas.

Il est vrai qu'il y a fignature contre signature, preuve par écrit contre preuve par écrit. Il eft vrai même que l'aveu du crime, figné par la mère et par le fils, a plus de poids dans la balance de la raison et de la fimple équité, que n'en ont les billets du maréchal de camp; car il est très-naturel qu'un officier ébloui de l'espérance de rétablir fa maison, et fachant que la coutume eft de confier aveuglément ses billets aux agens de change accrédités, en ait ufé de même avec un jeune homme dont l'âge lui inspirait quelque confiance, et qui lui prêtait même douze cents francs pour le mieux tromper. Mais affurément il n'est point vraisemblable que la vieille grand'mère ait eu cent mille écus par fideicommis; qu'elle les ait gardés plus de trente ans fans les placer ; qu'elle les ait prêtés à un officier fans le connaître ; que fon petit-fils les ait portés à pied en treize voyages l'espace de cinq lieues, &c.

Il fe pourrait à toute force que le juge, obligé de décider, non fur ces raifons, mais fur des billets en bonne forme, fur les dépofitions de témoins aguerris, qui ne fe démentiraient pas, condamnât malgré lui le maréchal de camp. Mais il paraît que le public éclairé doit l'abfoudre, puifque ce public

eft le feul juge qui préfère le fond à la forme. Si l'officier eft condamné, il ne le fera que pour l'imprudence avec laquelle il a remis pour cent mille écus de billets, avec les intérêts à fix pour cent, entre les mains d'un jeune inconnu, fans crédit et fans aveu, comme s'il les avait confiés à l'agent de change le plus opulent et le plus accrédité de Paris. C'est une faute d'attention; mais elle eft celle d'un cœur noble: c'est l'imprudence d'un moment; mais elle ne peut déshonorer perfonne. Il eft même encore très-poffible que la juftice prononce comme le public : il eft vraifemblable qu'elle trouvera dans la forme, comme dans le fond, de quoi justifier l'officier.

L'auteur de ce petit écrit n'a nul intérêt dans cette affaire. Il n'a jamais vu aucune des parties, ni aucun des avocats; mais il aime la vérité. Il eft indigné de toutes les calomnies fous lefquelles il a vu souvent fuccomber l'innocence. Il croit qu'un honnête homme ne peut mieux employer fon loifir, qu'à démêler le vrai dans une affaire qui eft fi effentielle pour plufieurs familles, fur-tout pour une maison qui a fi long-temps fervi le roi dans fes armées. Il a tâché de réfoudre un problême difficile; et certes ce problême eft plus important que plufieurs queftions de philofophie, dont il ne peut réfulter aucune utilité pour le genre humain.

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A L'ECRIT D'UN AVOCAT,

INTITULÉ: Preuves démonflratives en fait de

juftice.

UN avocat qui ne fe nomme pas, et c'est un

funefte préjugé contre lui, écrit un libelle diffamatoire contre M. de Morangiés et contre moi, fous ce titre moins modefte que le mien: Preuves démonftratives, &c. libelle dans lequel affurément rien n'est démontré que le défir cruel de diffamer et de nuire. Il me demande de quel droit j'ai écrit en faveur de M. de Morangiés. Je lui réponds : Du droit qu'a tout citoyen de défendre un citoyen; du droit que me donne l'étude que j'ai faite des ordonnances de nos rois et des lois de ma patrie; du droit que me donnent des prières auxquelles j'ai cédé, de la conviction intime où j'ai été et où je fuis jusqu'à ce moment de l'innocence de M. le comte de Morangiés; de mon indignation contre les artifices de la chicane, qui accablent fi fouvent l'innocence. Je pouvais, monfieur, exercer comme vous la noble profeffion d'avocat. Je pouvais même être votre juge, ainfi que le font mes parens. Si j'ai préféré les belles-lettres, ce n'est pas à vous qui les cultivez à me le reprocher.

Oui, monfieur, je crois M. de Morangiés malheureux et innocent, peut-être mal confeillé d'abord dans cette affaire épineufe; peut-être inconfiderément fervi par un commis de police trop livré à fon

zèle;

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