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ESSA I

SUR

LES PROBABILITÉS

EN FAIT DE JUSTICE.

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L'IDÉE d'appliquer aux preuves juridiques le calcul des probabilités eft auffi ingénieuse que l'exécution de cette idée ferait utile. On fent qu'elle eft encore trop nouvelle, trop éloignée des idées communes, trop propre fur-tout à faire fentir l'importance des lumières acquifes par la méditation et l'étude des fciences pour n'être pas rejetée comme une de ces rêveries politiques qui naiffent dans la tête des philofophes, et que les vrais hommes d'Etat ignorent ou méprisent.

M. de Voltaire jugeait autrement, mais étranger à l'espèce de calcul qui peut s'appliquer à ces questions, il n'a pu qu'indiquer la route qu'il fallait fuivre; et c'est dans cette vue feulement qu'il faut lire cet ouvrage.

Dans le calcul des probabilités on défigne la certitude par l'unité, c'est-à-dire, que l'on fuppofe égal à un le nombre des combinaisons poffibles qui renferment l'événement dont on cherche la probabilité, ou dans lesquelles cet événement n'entre point; la probabilité de l'événement, représentée alors dans une fraction, eft le nombre des combinaisons dans lesquelles l'événement a lieu. Comme la probabilité eft indépendante

indépendante du nombre des combinaisons pour ou contre, mais dépend du rapport entre le nombre des combinaisons qui amènent l'événement, et le nombre des combinaisons qui ne l'amènent point, on a dû représenter le nombre des événemens par un nombre toujours conftant, et on a choifi l'unité comme celui qui rendait les calculs plus fimples.

Par exemple, avoir trois chances en sa faveur fur trente, ou trente fur trois cents, ou quarante-cinq fur quatre cents cinquante, c'est évidemment la même chofe; ainfi dans tous ces cas, regardant le nombre quelconque des chances comme l'unité, exprimera le nombre des chances favorables.

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Lorsque le nombre des combinaisons en faveur de la vérité d'un événement est beaucoup plus grand que celui des combinaisons contraires, on dit que l'événement eft probable. Plus le premier de ces nombres augmente par rapport à l'autre, plus la probabilité de l'événement est grande; et on appelle certitude morale une probabilité telle, qu'on regarde comme impraticable d'en déterminer une plus approchante de l'unité, à laquelle on ne peut jamais atteindre fi l'événement contraire n'est pas rigoureusement impoffible.

Politique et Légifl. Tome II.

Dd

Ces réflexions fuffifent pour montrer combien les expreffions, demi-preuves, quart de preuves font vides de fens, à quelles erreurs elles peuvent exposer; et que, pour se permettre d'employer le langage arithmétique dans l'examen des preuves, il faudrait des connaissances qui manquent à la plupart des jurifconfultes, et des recherches qui n'ont point été faites

encore.

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SUR

LES PROBABILITÉS

EN FAIT DE JUSTICE.

PRESQUE

RESQUE toute la vie humaine roule fur des probabilités.

Tout ce qui n'eft pas démontré aux yeux, ou reconnu pour vrai par les parties évidemment intéreffées à le nier, n'est tout au plus que probable.

J'ignore pourquoi l'auteur de l'article Probabilité, dans le grand dictionnaire encyclopédique, admet une demi-certitude. Il me femble qu'il n'y a pas plus de demi-certitude que de demi-vérité. Une chose eft vraie ou fauffe, point de milieu. Vous êtes certain ou incertain. L'incertitude étant prefque toujours le partage de l'homme, vous vous détermineriez très-rarement, fi vous attendiez une démonftration.

Cependant il faut prendre un parti, et il ne faut pas le prendre au hafard. Il est donc nécessaire à notre nature faible, aveugle, toujours fujette à l'erreur, d'étudier les probabilités avec autant de foin que nous apprenons l'arithmétique et la géométrie.

Cette étude des probabilités eft la fcience des juges; science auffi refpectable que leur autorité même, puifqu'elle eft le fondement de leurs décifions.

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