Page images
PDF
EPUB

détruites par d'autres lois, ou de les mal appliquer, ou de les corrompre, en un mot dans l'art de féduire. La plupart des magiftrats, dégoûtés de ces plaidoyers infidieux ne fe donnent plus la peine de les lire; et c'est encore un malheur; car dans la foule de tant de raisons apparentes, d'objections bien ou mal faites et bien ou mal répondues, dans ces labyrinthes de difficultés, on peut trouver encore un fentier qui conduife au vrai.

Le parlement trouvera-t-il quelque vraisemblance dans la fable des cent mille écus? les billets de M. de Morangiés l'emporteront-ils fur l'abfurdité de cette fable? y a-t-il des cas où des billets à ordre, valeur reçue, doivent être déclarés nuls? et l'efpèce présente eft-elle un de ces cas? les témoins qui ont déposé une chofe très-probable en faveur de M. de Morangies, détruiront-ils le témoignage de ceux qui ont déposé une chofe très-improbable en faveur de du Jonquay ? écoutera-t-on la rétractation d'un faux témoin qui ne s'eft repenti qu'après la confrontation?

Les attentions paternelles du magiftrat de la police à réprimer l'ufure et la friponnerie feraient-elles réputées illégales? et l'aveu cinq fois répété d'un délit évident fera-t-il compté pour rien, parce que celui qui a arraché cet aveu des coupables n'a pas été affez inftruit des règles, et s'eft laiffé emporter fon zèle?

Un procès acheté par un inconnu, et poursuivi par cet inconnu, aura-t-il auprès des juges la même prépondérance qu'aurait le procès d'une famille refpectable, jouiffant d'une renommée fans tache?

Se pourrait-il qu'une foule de probabilités presque

équivalentes

[ocr errors]

équivalente à la démonftration, fût anéantie par des billets dont il eft évident que la valeur n'a jamais été comptée ?

Qu'on mette d'un côté dans la balance les fubtilités, les fubterfuges d'une cabale auffi obfcure qu'acharnée, et de l'autre l'opinion de celui qui eft en France le premier juge de l'honneur ; ce premier juge a fenti qu'il était impoffible que le comte de Morangiés eût jamais reçu l'argent qu'on lui demande. Qui l'emportera de ce juge facré ou de la cabale?

Enfin M. de Morangiés reconnu aujourd'hui innocent par toute la cour, par tous les hommes éclairés dont Paris abonde, par toutes les provinces, par tous les officiers de l'armée, fera-t-il déclaré coupable par les formes ?

Attendons refpectueusement l'arrêt d'un parlement dont tous les jugemens ont eu jufqu'ici les fuffrages de la France entière.

[blocks in formation]

DE M. DE VOLTAIRE,

SUR LE PROCÈS ENTRE M. LE COMTE DE MORANGIÉS ET LES VER ron.

MA famille fut attachée à la famille de M. le comte de Morangiés. Mon père fut long-temps fon confeil. Mais fans écouter aucune prévention, et étant abfolument fans intérêt, je ne me déterminai à croire M. le comte de Morangiés entièrement innocent dans fon étrange procès contre la famille Verron, qu'après avoir lu toutes les pièces et tous les mémoires contre lui.

Il me parut abfurde et impoffible qu'un maréchal de camp, qu'un père de famille, dont les affaires, à la vérité, font dérangées, mais qui n'a jamais commis aucune action criminelle, eût conçu le projet extravagant et abominable qu'on lui impute. Non, il n'eft pas poffible qu'un ancien officier, qui n'a pas l'efprit aliéné et endurci dans la fcélérateffe, eût imaginé non-feulement de voler cent mille écus à une veuve nonagénaire, mais d'accufer la famille de cette veuve de lui avoir volé à lui-même ces cent mille écus, et de chercher à faire périr cette famille dans les fupplices.

Il ne me paraiffait pas dans la nature qu'un homme obéré, qu'on prétend avoir été tiré tout d'un coup par le fieur du Jonquay de l'état le plus cruel, et nanti par lui d'une fomme exorbitante de

cent mille écus, eût refufé de payer une fomme légère à la courtière qu'on fuppofait lui avoir procuré un argent fi inattendu. M. de Morangiés aurait eu l'intérêt le plus preffant à fatisfaire cette entremetteufe. Qu'on le représente un homme tourmenté par le befoin d'argent, à qui une femme fait tomber tout d'un coup dans les mains cent mille écus, comme par enchantement, refusera-t-il, dans les premiers transports de fa joie et de fa reconnaissance, une rétribution légitime à fa bienfaitrice? Je foutiens que cela n'eft pas dans la nature humaine.

S'il avait reçu tant d'argent, et s'il avait formé le deffein coupable de ne point payer fon créancier, il n'avait qu'à garder paisiblement la fomme; il pouvait attendre, fans inquiétude, le temps des payemens, et renvoyer alors le prétendu prêteur à l'affemblée de fes créanciers, pour se faire payer à fon rang comme il pourrait ; mais il ne fe ferait pas expofé à un procès criminel prématuré.

Il était donc de la plus grande vraisemblance que M. de Morangiés n'avait rien reçu, puisqu'il ofait foutenir un procès criminel contre ceux qui prétendaient lui avoir prêté.

D'un autre côté, la manière dont on alléguait qu'on lui avait fait ce prêt tenait de la fable la plus incroyable. De l'argent qui doit être toujours porté en fecret par du Jonquay, tandis que le lendemain matin le même homme donne au même M. de Morangiés de l'argent en public; cent mille écus portés à pied en treize voyages, tandis qu'il était fi aifé de les porter en carroffe; une course de cinq à fix lieues, lorfqu'il était fi fimple de s'épargner

cette fatigue inouie; tout cela eft tellement romanefque, que quand je lus la réfutation de cette aventure dans le plaidoyer de M. Linguet, j'eus peine à me perfuader qu'on eût ofé propofer ferieufement de telles chimères devant la première cour du royaume, et qu'on eût abufé à ce point de la patience des juges.

Ce fut pis encore, j'ose le dire, lorsqu'on remonta à la fource des prétendus cent mille écus en or qu'une pauvre veuve, logée à un troisième étage, et ayant à peine de quoi foutenir fa famille, avait, dit-on, prêtés par les mains de fon petit-fils du Jonquay, qui avait couru fix lieues à pied chargé de ce fardeau. M. Linguet remarque fort bien que pour prêter cent mille écus il faut les avoir. Le roman de la fortune fi long-temps inconnue de cette veuve Verron, me parut auffi étonnant que l'hiftoire des treize voyages. On ne fefait voir aucune preuve, aucune trace des origines de cette fortune fecrète, qui formait un fi grand contraste avec la pauvreté de la famille. On m'affurait que la Verron était la veuve d'un agioteur obfcur et mal-aifé de la rue Quinquempoix, qui louait, à la vérité, un corps de logis de 1050 liv., mais qui en relouait une partie, et qui mourut infolvable, au point qu'on n'a jamais. payé les frais de l'inventaire fait à sa mort, frais encore dûs au fucceffeur de ce même Gillet, notaire, chez qui la veuve Verron prétendait avoir fait valoir clandeftinement ces prétendus cent mille écus.

On m'avait écrit encore que ce Verron, qu'on nous donnait pour un fameux banquier, avait fait plufieurs métiers bien éloignés de la finance.

« PreviousContinue »