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indiquer à des hommes fi élevés au-deffus de notre fphère; ils voient ce que nous ne voyons pas; ils connaiffent les maux et les remèdes. Nous devons attendre en filence ce que la raifon, la fcience, l'humanité, le courage d'efprit et l'autorité voudront ordonner.

Sur le procès criminel de Montbailli, roué et brûlé vif à Saint-Omer, en 1770, pour un prétendu parricide; et fa femme condamnée à être brûlée vive, tous deux reconnus innocens.

Second mémoire concernant cette malheureufe affaire.

C'EST enco

'EST encore la démence de la canaille qui produifit l'affreuse catastrophe dont nous allons parler en peu de mots. Il faut paffer ici de l'extrême ridicule à l'extrême horreur.

Un citoyen de Saint-Omer, nommé Montbailli, vivait paisiblement chez fa mère avec fa femme qu'il aimait. Ils élevaient un enfant né de leur mariage, et la jeune femme était groffe d'un fecond. La mère Montbailli était malheureusement fujette à boire des liqueurs fortes, paffion commune et funefte dans ces pays. Cette habitude lui avait déjà caufé plufieurs accidens qui avaient fait craindre pour fa vie. Enfin, la nuit du 26 au 27 juillet 1770, après avoir bu avant de fe coucher plus de liqueurs qu'à l'ordinaire, elle eft attaquée d'une apoplexie fubite, fe débat, tombe de fon lit fur un coffre, fe bleffe, perd fon fang et meurt.

Son fils et fa bru couchaient dans une chambre voifine, et étaient endormis. Une ouvrière vient frapper à leur porte le matin, et les éveille; elle veut parler à leur mère pour finir quelques comptes. Les enfans répondent que leur mère dort encore. A a 2

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On attend long-temps, enfin on entre, on trouve la mère renversée fur un coffre, un œil enflé et fanglant, les cheveux hériffés, la tête pendante; elle était abfolument fans vie.

Le fils, à cette vue, s'évanouit, on cherche partout des fecours inutiles; un chirurgien arrive, il examine le corps de la mère, nul fecours à lui donner. Il faigne le jeune homme qui revient enfin à lui. Les voifins accourent, chacun s'empreffe à le confoler. Tout fe paffe felon l'ufage; le cadavre est enseveli dans une bière au temps prefcrit; on commence un inventaire : tout eft en règle et en paix.

Quelques femmes du peuple, dans l'oifiveté de leurs converfations, raisonnent au hafard fur cette mort. Elles fe reffouviennent qu'il y eut un peu de méfintelligence entre les enfans et la mère quelque temps auparavant. Une de ces femmes remarque qu'on a vu quelques gouttes de fang fur un des bas de Montbailli. C'était un peu de fang qui avait jailli lorfqu'on le faignait. La légèreté maligne d'une de ces femmes la porte à foupçonner que c'eft le fang de la mère. Bientôt une autre conjecture que Montbailli et fa femme l'ont affaffinée pour hériter d'elle. D'autres, qui favent que la défunte n'a point laiffé de bien, difent que fes enfans l'ont tuée par vengeance. Enfin ils l'ont tuée. Ce crime dès le lendemain paffe pour certain parmi la populace, à laquelle il faut toujours des événemens extraordinaires et atroces pour occuper des ames défœuvrées.

Le bruit devient fi fort que les juges de Saint-Omer font obligés de mettre en prifon Montbailli et fa femme. Ils font interrogés féparément ; nulle apparence.de

preuve ne s'élève contre eux, nul indice. D'ailleurs les juges étaient fuffifamment informés de la conduite régulière et innocente des deux époux; on ne leur avait jamais reproché la moindre faute le tribunal ne put les condamner. Mais par condefcendance pour la rumeur publique, qui ne méritait aucune condefcendance, il ordonna un plus ample informé d'un an, pendant lequel les accufés devaient demeurer en prifon. Il y avait de la faiblesse à ces juges de retenir dans les fers deux perfonnes qu'ils croyaient innocentes. Il y eut bien de la dureté dans celui qui fefait les fonctions de procureur du roi d'en appeler à minimâ au confeil d'Artois, tribunal fouverain de la province.

Appeler à minimâ, c'est demander que celui qui a été condamné à une peine en subisse une plus terrible. C'est présenter requête contre la plus belle des vertus, la clémence. Cette jurifprudence d'anthropophages était inconnue aux Romains. Il était permis d'appeler à Céfar pour mitiger une peine, mais non pour l'aggraver. Une telle horreur ne fut inventée que dans nos temps de barbarie. Les procureurs de cent petits fouverains, pauvres et avides, imaginèrent d'abord de faire prononcer en dernière inftance des amendes plus fortes que dans les premières : et bientôt après ils requirent que les fupplices fuffent plus cruels pour avoir un prétexte d'exiger des amendes plus fortes.

Le confeil fouverain d'Artois qui fiégeait alors, et qui fut caffé l'année suivante, fe fit un mérite d'être plus févère que le tribunal de Saint-Omer. Les lecteurs qui pourront jeter les yeux fur ce mémoire,

et qui n'auront pas lu ce que nous écrivîmes dans fon temps fur cette horrible affaire, ne pourront démêler comment les juges d'Arras, fans interroger les témoins néceffaires, fans confronter les accufés avec les autres témoins entendus, osèrent condamner Montbailli à être rompu vif et à expirer dans les flammes, et fa femme à être brûlée vive.

Il faut donc qu'il y ait des hommes que leur profeffion rende cruels, et qui goûtent une affreuse satisfaction à faire périr leurs femblables dans les tourmens! mais que ces êtres infernaux fe trouvent fi fouvent dans une nation qui paffe depuis environ cent ans pour la plus fociable et la plus polie, c'eft ce qu'on peut à peine concevoir. On avait, il eft vrai, les exemples abfurdes et effroyables des Calas, des Sirven, des chevaliers de la Barre, et c'eft précisément ce qui devait faire trembler les juges d'Arras; ils n'écoutèrent que leur illufion barbare.

L'époufe de Montbailli, âgée de vingt-quatre ans, était groffe, comme on l'a déjà dit. On attendit fes couches pour exécuter fon arrêt, elle refta chargée de fers dans un cachot d'Arras. Son mari fut reconduit à Saint-Omer pour y fubir fon fupplice.

Ce n'eft que chez nos anciens martyrs qu'on retrouve des exemples de la patience, de la douceur, de la réfignation de cet infortuné Montbailli; proteftant toujours de fon innocence, mais ne s'emportant point contre fes juges, ne s'en plaignant point, levant les yeux au ciel, et ne lui demandant point vengeance.

Le bourreau lui coupa d'abord la main droite. On ferait bien de la couper, dit-il, fi elle avait commis un

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