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L

D'ARRA S.

177 1.

Il est néceffaire de juftifier la France de ces accufations de parricide qui fe renouvellent trop fouvent, et d'inviter les juges à confulter mieux les lumières de la raison, et la voix de la nature.

Il ferait dur de dire à des magiftrats, vous avez à vous reprocher l'erreur et la barbarie; mais il eft plus que des citoyens en foient les victimes.

dur

Sept hommes prévenus peuvent tranquillement livrer un pèré de famille aux plus affreux fupplices. Or, qui eft le plus à plaindre ou des familles réduites à la mendicité, dont les pères, les mères, les frères font morts injuftement dans des fupplices épouvan◄ tables, ou des juges tranquilles et sûrs de l'impunité, à qui l'on dit qu'ils fe font trompés, qui écoutent à peine ce reproche, et qui vont fe tromper encore?

Quand les fupérieurs font une injuftice évidente et atroce, il faut que cent mille voix leur difent qu'ils font injuftes. Cet arrêt prononcé par la nation eft leur feul châtiment, c'est un tocfin général qui éveille la juftice endormie, qui l'avertit d'être fur fes gardes, qui peut fauver la vie à des multitudes d'innocens.

Dans l'aventure horrible des Calas, la voix publique s'eft élevée contre un capitoul fanatique qui pourfuivit la mort d'un jufte, et contre huit magiftrats

trompés qui la fignèrent. Je n'entends pas ici par voix publique celle de la populace qui eft prefque toujours abfurde: ce n'eft point une voix; c'est un cri de brutes. Je parle de cette voix de tous les honnêtes gens réunis qui réfléchiffent, et qui, avec le temps, portent un jugement infaillible.

La condamnation des Sirven à la mort a fait moins de bruit dans l'Europe, parce qu'elle n'a pas été exécutée; mais tous ceux qui ont appris les conclufions du magifter de village, nommé Trinquier, chargé des fonctions de procureur du roi dans cette affaire, ont parlé auffi haut que dans l'affaffinat juridique des Calas.

Ce Trinquier avait donné fes conclufions en ces propres mots, très-remarquables: Nous requérons l'accufé dùment atteint et convaincu de parricide, qu'il foit banni pour dix ans de la ville et juridiction de Mazamet.

Du moins dans l'énoncé des conclufions de cet imbécille, il n'y avait qu'un excès de ridicule et de bêtife, au lieu que les conclufions du procureur général de Touloufe, dans le procès des Calas, allaient à rouer le fils avec le père, et à brûler la mère toute vive fur les corps de fon époux et de fon fils. Une mère et la mère la plus tendre et la plus refpectable !

Cette voix publique prononçait donc avec raifon, que deux chofes font abfolument néceffaires à un magiftrat, le fens commun et l'humanité.

Elle était bien forte, cette voix; elle montrait la néceffité du tribunal fuprême du confeil d'Etat qui juge les juftices; elle réclamait fon autorité, alors tellement négligée, que l'arrêt du confeil qui justifia les Calas ne put jamais être affiché dans Toulouse.

Quelquefois, et peut-être trop fouvent, au fond d'une province, des juges prodiguaient le fang innocent dans des fupplices épouvantables; la fentence et les pièces du procès arrivaient à la tournelle de Paris avec le condamné. Cette chambre, dont le reffort était immenfe, n'avait pas le temps de l'exa-, men; la fentence était confirmée. L'accufé que des archers avaient conduit dans l'efpace de quatre cents milles, à très-grands frais, était ramené pendant quatre cents milles, à plus grands frais, au lieu de fon fupplice. Et cela nous apprend l'éternelle reconnaiffance que nous devons au roi d'avoir diminué ce reffort, d'avoir détruit ce grand abus, d'avoir créé des confeils fupérieurs dans les provinces, et fur-tout d'avoir fait rendre gratuitement la justice.

Nous avons déjà parlé ailleurs du fupplice de la roue, dans lequel périt, il y a peu d'années, ce bon cultivateur, ce bon père de famille, nommé Martin, d'un village du Barois reffortiffant au parlement de Paris. Le premier juge condamna ce vieillard à la torture qu'on appelle ordinaire et extraordinaire, et à expirer fur la roue; et il le condamna non-feulement fur les indices les plus équivoques, mais fur des préfomptions qui devaient établir fon innocence.

Il s'agiffait d'un meurtre et d'un vol commis auprès de fa maison, tandis qu'il dormait profondément entre fa femme et fes fept enfans. On confronte l'accufé avec un paffant qui avait été témoin de l'affaffinat. Je ne le reconnais pas, dit le paffant, ce n'est pas-là le meurtrier que j'ai vu; l'habit eft femblable, mais le vifage eft différent. Ah! DIEU foit loué, s'écrie le bon vieil lard, ce témoin ne m'a pas reconnu.

Sur ces paroles, le juge s'imagine que le vieillard, plein de l'idée de fon crime, a voulu dire, je l'ai commis, on ne m'a pas reconnu, me voilà fauvé. Mais il eft clair que ce vieillard, plein de fon innocence, voulait dire: Ce témoin a reconnu que je ne fuis pas coupable, il a reconnu que mon vifage n'eft pas celui du meurtrier. Cette étrange logique d'un bailli, et des préfomptions encore plus fauffes, déterminent la fentence précipitée de ce juge et de fes affeffeurs. Il ne leur tombe pas dans l'efprit d'interroger la femme, les enfans, les voifins, de chercher fi l'argent volė se trouve dans la maison, d'examiner la vie de l'accuse, de confronter la pureté de fes mœurs avec ce crime. La fentence eft portée; la tournelle, trop occupée alors, figne fans examen, bien jugé. L'accufé expire fur la roue devant fa porte; fon bien eft confifqué; fa femme s'enfuit en Autriche avec fes petits enfans. Huit jours après, le fcélérat qui avait commis le meurtre, eft fupplicié pour d'autres crimes: il avoue, à la potence, qu'il eft coupable de l'affaffinat pour lequel ce bon père de famille est mort.

Une fatalité fingulière fait que je fuis inftruit de cette catastrophe. J'en écris à un de mes neveux, confeiller au Parlement de Paris. Ce jeune homme vertueux et fenfible trouve, après bien des recherches, la minute de l'arrêt de la tournelle, égarée dans la poudre d'un greffe. On promet de réparer ce malheur; les temps ne l'ont pas permis; la famille refte difperfée et mendiante dans le pays étranger, avec d'autres familles que la misère a chaffées de leur patrie.

Des cenfeurs me reprochent que j'ai déjà parlé

de ces défaftres; oui, j'ai peint et je veux repeindre ces tableaux néceffaires, dont il faut multiplier les copies; j'ai dit et je redis que la mort de la maréchale d'Ancre et celle du maréchal de Marillac font la honte éternelle des lâches barbares qui les condamnèrent. On doit répéter à la poftérité, qu'un jeune gentilhomme de la plus grande espérance pouvait ne pas être condamné à la torture, au fupplice du poing coupé, de la langue arrachée et de la mort dans les flammes, pour quelques emportemens passagers de jeuneffe, dont un an de prifon l'aurait corrigé; pour des indifcrétions fi fecrètes, fi inconnues, qu'on fut obligé de les faire révéler par des monitoires, ancienne procédure de l'inquifition. L'Europe entière s'eft foulevée contre cette fentence; et il faut empêcher que l'Europe ne l'oublie.

On doit redire que le comte de Lalli n'était coupable ni de péculat ni de trahifon. Ses nombreux ennemis l'accusèrent avec autant de violence qu'il en avait déployé contre eux? Il eft mort fur l'échafaud : ils commencent à le plaindre.

Plus d'une fois on s'eft récrié contre la rigueur du fupplice de ce garde-du-corps qui fut pendu pour s'être fait quelques bleffures, afin de s'attirer une petite récompenfe, et de ce malheureux qu'on appelait le fou de Verberie, qui fut puni par la mort des fottifes fans conféquence qu'il avait dites dans un fouper.

N'est-il pas bien permis, que dis-je! bien néceffaire d'avertir fouvent les hommes qu'ils doivent ménager le fang des hommes. On répète tous les jours des vérités qui ne font de nulle importance;

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