Page images
PDF
EPUB

mère de DIEU, et qu'ils l'avaient laiffé tomber dans la boue.

Je lui dis que ce crime était horrible, mais que le châtiment était un peu dur, et que j'y aurais défiré plus de proportion. Ah! s'écria-t-il avec enthousiasme, on ne peut trop venger la famille du Dieu des vengeances; il ne faurait fe faire juftice lui-même il faut bien que nous l'aidions. Ce fut un fpectacle admirable, tout était plein; nous donnâmes, au fortir du théâtre, un grand fouper aux juges, aux bourreaux, aux géoliers, aux délateurs, et à tous ceux qui avaient coopéré à ce faint œuvre. Vous ne pouvez vous faire une idée de la joie avec laquelle tous ces meffieurs racontaient leurs exploits; comme ils se vantaient, l'un d'avoir dénoncé un de fes parens dont il était héritier, l'autre d'avoir fait revenir les juges à fon opinion, quand il conclut à la mort; un troisième et un quatrième d'avoir tourmenté un patient plus long-temps qu'il n'était ordonné. Tous nos pères étaient du fouper; il y eut de très-bonnes plaifanteries; nous citions tous les paffages des plaumes qui ont rapport à ces exécutions (b) Le Seigneur jufte coupera leurs têtes.

[ocr errors]

(c) Heureux celui qui éventrera leurs petits enfans encore à la mamelle, et qui les écrafera contre la pierre, &c. Il m'en cita une trentaine de cette force, après quoi il ajouta: Je n'ai qu'un regret, c'eft de n'avoir pas été inquifiteur; il me femble que j'aurais été bien plus utile à l'Eglife. Ah! mon révérend père, lui répondis-je, il y a une place encore plus digne de vous, c'eft celle de maître des hautes œuvres ; (b) Pf. CXXVIII. (c) Pf. CXXXVI.

ces deux charges ne font pas incompatibles, et je vous confeille d'y penfer.

Il me répliqua que tout bon chrétien eft tenu d'exercer ces deux emplois, quand il s'agit de la vierge Marie; il cita plufieurs exemples dans ce fiècle même, dans ce fiècle philofophique, de jeunes gens appliqués à la torture, mutilés, décollés, brûlés, rompus vifs, expirans fur la roue, pour n'avoir pas affez révéré les portraits parfaitement reffemblans de la fainte Vierge, ou pour avoir parlé d'elle avec inconfidération.

Mes chers Polonais, ne frémiffez-vous pas d'horreur à ce récit? Voilà donc la religion dont vous prenez la défense !

Le roi mon maître a fait répandre le fang, il eft vrai, mais ce fut dans les batailles, ce fut en expofant toujours le fien; jamais il n'a fait mourir, jamais il n'a perfécuté personne pour la vierge Marie. Luthériens, calviniftes, hernoutres, piétiftes, anabaptiftes, mennoniftes, millenaires, méthodifles, tartares lamifles, turcs omariftes, perfans aliftes, papistes même, tout lui eft bon pourvu qu'on foit un brave homme. Imitez ce grand exemple, foyons tous bons amis, et ne nous battons que contre les Turcs, quand ils voudront s'emparer de Kaminieck.

Vous dites pour vos raisons que, fi vous souffrez parmi vous des gens qui communient avec du pain et du vin, et qui ne croient pas que le paraclet procède du père et du fils, bientôt vous aurez des neftoriens qui appellent Marie mère de JESUS, et non mère de DIEU, titre que les anciens Grecs donnaient à Cibele; vous craignez fur-tout de voir

renaître les fociniens, ces impies qui s'en tiennent à l'évangile, et qui n'y ont jamais vu que JESUS s'appelât DIEU, ni qu'il ait parlé de la Trinité, ni qu'il ait rien annoncé de ce qu'on enfeigne aujourd'hui à Rome; ces monftres enfin qui, avec St Paul, ne croient qu'en JESUS, et non en Bellarmin et en Baronius,

Hé bien, ni le roi ni le prince primat n'ont envoyé chez vous de colonie focinienne; mais quand vous en auriez une, quel grand mal en réfulterait-il? Un bon tailleur, un bon fourreur, un bon fourbisseur, un maçon habile, un excellent cuifinier ne vous rendraient-ils pas fervice s'ils étaient fociniens, autant pour le moins que s'ils étaient janféniftes ou hernoutres? N'eft-il pas même évident qu'un cuifinier focinien doit être meilleur que tous les cuifiniers du pape ? Car fr vous ordonnez à un rôtiffeur papiste de vous mettre trois pigeons romains à la broche, il fera tenté d'en manger deux et de ne vous en donner qu'un, en difant que trois et un font la même chofe; mais le rôtiffeur focinien vous fera fervir certainement vos trois pigeons: de même un tailleur de cette fecte ne fera jamais votre habit que d'une aune quand vous lui en donnerez trois à employer.

Vous êtes forcés d'avouer l'utilité des fociniens; mais vous vous plaignez que l'impératrice de Ruffic ait envoyé trente mille hommes dans votre pays. Vous demandez de quel droit? Je vous réponds que c'eft du droit dont un voifin apporte de l'eau à la maison de fon voifin qui brûle; c'eft du droit de l'amitié, du droit de l'eflimes, du droit de faire du bien quand on le peut.

Vous avez tiré fort imprudemment fur de petits détachemens de foldats, qui n'étaient envoyés que pour protéger la liberté et la paix. Sachez que les Ruffes tirent mieux que vous; n'obligez pas vos protecteurs à vous détruire; ils font venus établir la tolérance en Pologne, mais ils puniront les intolérans qui les reçoivent à coups de fufil. Vous favez que Catherine II la tolérante eft la protectrice du genre humain; elle protégera fes foldats, et vous ferez les victimes de la plus haute folie qui foit jamais entrée dans la tête des hommes, c'eft celle de ne pas fouffrir que les autres délirent autrement que vous. Cette folie n'eft digne que de la forbonne, des petites maisons et de Kaminieck.

Vous dites que l'impératrice n'est pas votre amie, que fes bienfaits, qui s'étendent aux extrémités de l'hémisphère, n'ont point été répandus fur vous; vous vous plaignez que ne vous ayant rien donné, elle ait acheté cinquante mille francs la bibliothèque de M. Diderot à Paris, rue Taranne, et lui en ait laiffé la jouiffance, fans même exiger de lui une de ces dédicaces qui font bâiller le protecteur et rire le public. Hé! mes amis, commencez par savoir lire, et alors on vous achètera vos bibliothèques.

Catera defunt.

TRAITÉ

SUR

LA TOLERANCE,

A L'OCCASION

DE LA MORT DE JEÁN CALAS.

« PreviousContinue »