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enfans pour plaire à DIEU. Et cependant fi l'on continuait à foupçonner qu'il eft ordinaire aux proteftans d'affaffiner leurs enfans de peur qu'ils ne fe faffent catholiques, on leur rendrait enfin la religion catholique fi odieufe, qu'on pourrait venir à bout d'étouffer la nature dans quelques malheureux pères fanatiques, et leur donner la tentation de commettre le crime qu'on fuppofe fi légèrement.

Un auteur italien rapporte qu'en Calabre un moine s'avifa d'aller prêcher de village en village contre la bestialité, et en fit des peintures fi vives, qu'il se trouva, trois mois après, plus de cinquante femmes accufées de cette horreur.

La tolérance peut feule rendre la fociété fupportable.

C'EST une paffion bien terrible que cet orgueil qui veut forcer les hommes à penser comme nous; mais n'eft-ce pas une extrême folie de croire les ramener à nos dogmes en les révoltant continuellement par les calomnies les plus atroces, en les perfécutant, en les traînant aux galères, à la potence, fur la roue et dans les flammes ?

Un prêtre irlandais a écrit depuis peu, dans une brochure, à la vérité, ignorée, mais enfin il a écrit, et il a entendu dire à d'autres que nous venons cent ans trop tard pour élever nos voix contre l'intolérance, que la barbarie a fait place à la douceur, qu'il n'eft plus temps de fe plaindre. Je répondrai à ceux qui parlent ainfi : Voyez ce qui se passe sous vos yeux, et fi vous avez un cœur humain, vous joindrez votre compaffion à la nôtre. On a pendu en France huit

malheureux prédicans, depuis l'année 1745. Les billets de confeffion ont excité mille troubles; et enfin un malheureux fanatique de la lie du peuple, ayant affaffiné fon roi, en 1757, a répondu devant le parlement, à fon premier interrogatoire, (a) qu'il avait commis ce parricide par principe de religion, et il a ajouté ces mots funeftes : Qui n'eft bon que pour foi n'est bon à rien. De qui les tenait-il? qui fefait parler ainfi un cuiftre de collége, un miférable valet? (b) Il a foutenu à la torture, non-feulement que fon affaffinat était une œuvre méritoire, (c) mais qu'il l'avait entendu dire à tous les prêtres dans la grand'falle du palais où l'on rend la justice.

La contagion du fanatifme fubfifte donc encore. Ce poison eft fi peu détruit, qu'un prêtre (d) du pays des Calas et des Sirven a fait imprimer, il y a quelques années, l'apologie de la Saint-Barthelemi. Un autre (e) a publié la juftification des meurtriers du curé Urbain Grandier; et quand le traité auffi utile qu'humain de la tolérance a paru en France, on n'a pas ofé en permettre le débit publiquement. Ce traité a fait, à la vérité, quelque bien; il a diffipé quelques préjugés, il a infpiré de l'horreur pour les perfécutions et pour le fanatifme; mais dans ce tableau des barbaries religieufes, l'auteur a omis bien des traits qui auraient rendu le tableau plus terrible, et l'inftruction plus frappante.

On a reproché à l'auteur d'avoir été un peu trop

(a) Page 131 du procès de Damiens.

(b) Page 135. (c) Page 405.

(d) L'abbé de Caveirac.
(e) L'abbé de la Menardaye.

loin, lorfque, pour montrer combien la perfécution eft détestable et infenfée, il introduit un parent de Ravaillac, propofant au jéfuite le Tellier d'empoifonner tous les janféniftes. Cette fiction pourrait en effet paraître trop outrée à quiconque ne fait pas jufqu'où peut aller la rage folle du fanatisme. On sera bien surpris quand on apprendra que ce qui eft une fiction dans le Traité de la tolérance, eft une vérité historique.

On voit en effet dans l'Hiftoire de la réformation de Suiffe, que, pour prévenir le grand changement qui était près d'éclater, des prêtres fubornèrent à Genève, en 1536, une servante pour empoisonner trois principaux auteurs de la réforme, et que le poison n'ayant pas été affez fort, ils en mirent un plus violent dans le pain et le vin de la communion publique, afin d'exterminer en un feul matin tous les nouveaux réformés, et de faire triompher l'Eglife de DIEU. (f)

L'auteur du Traité de la tolérance n'a point parlé des fupplices horribles dans lefquels on a fait périr tant de malheureux aux vallées du Piémont. Il a paffé fous filence le maffacre de fix cents habitans de la Valteline, hommes, femmes, enfans que les catholiques égorgèrent un dimanche, au mois de feptembre 1620. Je ne dirai pas que ce fut avec l'aveu et avec le fecours de l'archevêque de Milan, Charles Borromée, dont on a fait un faint. Quelques écrivains paffionnés ont affuré ce fait que je fuis très-loin de croire; mais je dis qu'il n'y a guère dans l'Europe de ville et de bourg où le fang n'ait coulé pour des querelles de religion;

(f) Ruchat, tom. I, pag. 2, 4, 5, 6 et 7. Rofet, tom. III, page 13. Savion, tom. III, page 126. Mff. Chouet: page 26, avec les preuves du procès.

je dis que l'efpèce humaine en a fenfiblement diminué, parce qu'on massacrait les femmes et les filles, auffibien que les hommes: je dis que l'Europe ferait plus peuplée d'un tiers, s'il n'y avait point eu d'argumens théologiques. Je dis enfin que, loin d'oublier ces temps abominables, il faut les remettre fréquemment fous nos yeux, pour en infpirer une horreur éternelle, et que c'eft à notre fiècle à faire amende honorable, par la tolérance, pour ce long amas de crimes que l'intolérance a fait commettre pendant feize fiècles de barbarie.

Qu'on ne dife donc point qu'il ne refte plus de traces du fanatifme affreux de l'intolérantifme; elles font encore par-tout, elles font dans les pays mêmes qui paffent pour les plus humains. Les prédicans luthériens et calviniftes, s'ils étaient les maîtres, feraient peut-être auffi impitoyables, auffi durs, auffi infolens qu'ils reprochent à leurs antagonistes de l'être. La loi barbare qu'aucun catholique ne peut demeurer plus de trois jours dans certains pays proteftans, n'est point encore révoquée. Un italien, un français, un autrichien ne peut pofféder une maifon, un arpent de terre dans leur territoire, tandis qu'au moins on permet en France qu'un citoyen inconnu de Genève ou de Schaffoufe achète des terres feigneuriales. Si un français, au contraire, voulait acheter un domaine dans les républiques proteftantes dont je parle, et fi le gouvernement fermait fagement les yeux, il y a encore des ames de boue qui s'éleveraient contre cette humanité tolérante.

De ce qui fomente principalement l'intolérance, la haine et l'injuftice.

UN des grands alimens de l'intolérance, et de la haine des citoyens contre leurs compatriotes, eft ce malheureux ufage de perpétuer les divifions par des monumens et par des fêtes. Telle eft la proceffion annuelle de Touloufe, dans laquelle on remercie DIEU folennellement de quatre mille meurtres: elle a été défendue par plufieurs ordonnances de nos rois, et n'a point été encore abolie. On infulte dévotement, chaque année, la religion et le trône par cette cérémonie barbare; l'infulte redouble à la fin du fiècle avec la folennité. Ce font-là les jeux féculaires de Toulouse: elle demande alors une indulgence plénière au pape en faveur de la proceffion. Elle a befoin, fans doute, d'indulgence, mais on n'en mérite pas quand on éternife le fanatisme.

La dernière cérémonie féculaire fe fit en 1762, au temps même où l'on fit expirer Calas fur la roue. On remerciait DIEU d'un côté, et de l'autre on massacrait l'innocence. La postérité pourra-t-elle croire à quel excès fe porte, de nos jours, la fuperftition dans cette malheureuse folennité ?

D'abord les favetiers, en habits de cérémonie, portent la tête du premier évêque de Toulouse, prince du Péloponéfe, qui fiégeait inconteftablement à Toulouse avant la mort de JESUS-CHRIST. Enfuite viennent les couvreurs, chargés des os de tous les enfans qu'Hérode fit égorger, il y a dix-fept cents foixante et fix ans; et, quoique ces enfans aient été enterrés à Ephèfe, comme

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